Les Œuvres mystiques de Jacques BERTOT















JACQUES BERTOT





Œuvres mystiques III

&

Amis





























« LES RETRAITES »

« CONCLUSION AUX RETRAITES »



Opuscules et Correspondances de

Jean de Bernières, JacquesBertot,

Mère Mectilde, Jeanne-Marie  Guyon,

Maur de l’Enfant-Jésus, Marie des Vallées



ANNEXES









RETRAITES 1662





Référence A 401/677 les Fontaines Chantilly1

annoté : « petit volume fort rare par Jacques Bertot »

Diverses Retraites/où une âme après avoir connu son désordre par la lumière du saint Esprit, se résoud à le quitter, et embrasser le chemin de la sainte perfection.

À Paris. Pour Madame l’abbesse de Montmartre. Avec permission et approbation.



Avertissement pour la retraite.

Ce petit exercice est pour toucher tout de bon une âme, et lui montrer en peu de discours la voie qu’elle doit tenir pour se sauver, et faire fruit des miséricordes que Dieu donne à tout moment ; mais spécialement dans le cours d’une vie religieuse. Il y a peu de considérations chaque jour, afin d’avoir plus de loisir pour les bien digérer et y faire application sérieuse. Celles des 3 derniers jours sont plus longues à cause de leurs conséquences.

Cet exercice est distribué en 3 parties. La première partie est pour ce bien convaincre de la fin. Peu d’âmes y pensent sérieusement, l’on s’amuse à toute autre chose, négligeant absolument celle-ci ; et si l’on y pense, c’est si superficiellement que cela est déplorable aux âmes qui en savent l’importance ; les âmes mêmes religieuses l’ignorent d’une telle manière, que l’on juge fort bien, qu’une des premières raisons pour lesquelles elles font si peu de fruit de leur sainte vocation, et des exercices très saints qu’elles pratiquent tous les jours, est qu’elles ne s’appliquent pas sérieusement à s’en convaincre comme il faut, l’esprit et le cœur.

Quand une âme par de bonnes et sérieuses considérations en est convaincue, et est dans le désir du retour à Dieu, il faut qu’elle change de route ; car comme cet oubli portait l’âme au péché, à l’amour des créatures (v) et de soi-même, il faut par une autre voie travailler à sa purgation, et à la fidélité entière, par l’éloignement de ce qui divertit et détourne de Dieu, ce que les considérations de la vie purgative opèrent admirablement.

Les autres considérations de la vie illuminative, montrent et découvrent le chemin qu’elle doit tenir pour exécuter sa résolution.

Ces vérités envisagées avec humilité et désir d’en profiter, sont assurément fort efficaces, et il faut beaucoup s’y appliquer afin de les pénétrer à l’aide de la lumière de la foi, et ensuite espérer que la bonté divine secondera la bonne volonté.

Il est fort nécessaire après tels exercices, de faire une revue de ses péchés passés généralement, ou plus en particulier, selon le conseil de la personne qui aide.

Comme le temps des exercices est beaucoup précieux pour le renouvellement intérieur, il faut faire de son mieux pour s’y préparer, et les passer dans toute l’application possible, tâchant d’être fort fidèle aux vertus qui attirent Jésus-Christ, lumière éternelle en nous, savoir l’humilité, la simplicité et le désir de se déprendre de soi, et de l’amour des créatures.

L’oraison qui se doit faire sur les vérités de cet exercice pour être efficace, doit être de la manière suivante. Il faut se mettre en la présence de Dieu avec profonde humilité, foi et confiance en sa bonté intimement présente, laquelle ne désire rien tant que de se communiquer.

Ensuite il faut l’adorer, et se donner à lui. Cela fait, il faut relire la première Vérité de ce jour-là, s’y appliquer sérieusement pour s’en convaincre, tâchant de faire suavement son possible, afin d’en être pénétrée et touchée.

De plus, il faut à la suite se voir soi-même par la lumière puisée en cette vérité, remarquant tous les manquements que l’on a fait, comme aussi les désordres arrivés à notre âme, par le peu de pratique de telles vérités.

Si cette première vérité nourrit et éclaire suffisamment, ayant de quoi s’occuper pendant toute l’oraison, il faut s’en contenter, et même si l’on trouve une si (ix) solide nourriture qu’elle puisse suffire pour une autre oraison, il faut s’en tenir pour la suivante. Si au contraire l’âme ne trouvait pas assez de quoi se nourrir en cette première vérité, il faut prendre la seconde, et ainsi la 3e, selon le besoin ; mais généralement il faut passer chaque jour s’occupant des vérités qui sont marquées. Il est aussi beaucoup nécessaire quand les vérités d’un jour ont beaucoup pénétré l’âme, de les réitérer un autre jour, et même plusieurs, si telle lumière continue.

Outre les 3 considérations de chaque jour, il y a immédiatement des réflexions sur les défauts ordinaires, dans lesquels les âmes tombent, faute de la fidèle pratique de ces vérités, ou bien sur les aides et maximes pour les bien pratiquer, et en faire voir la conséquence. Telles réflexions sont d’un fruit merveilleux, c’est pourquoi si la personne qui fait les exercices voit qu’elle aie trop de matière de 3 vérités, pour remplir le temps d’oraison de chaque jour, elle doit se servir de ces réflexions pour en faire une lecture méditée, laquelle sera assurément très puissante pour la toucher, et même quoiqu’elle les aie déjà méditées en l’oraison ; cela ne doit pas empêcher qu’elle n’en fasse tel usage.

Cette lecture méditée se doit faire en cette manière, il faut se mettre en la présence de Dieu, comme en l’oraison, se donner à lui, lui demandant son esprit, afin de passer ce temps de lecture dans sa conduite et pour le bien de l’âme. Après il faut s’asseoir en repos et lire posément et avec application chaque réflexion ; ensuite la considérer, s’en convaincre fortement, et dans cette lumière remarquer et considérer si l’âme n’est pas dans les défauts qu’elle marque, et ayant découvert à l’aide de cette lumière ses défauts, il faut chercher les moyens de s’en défaire, prenant pour cet effet une forte résolution d’y travailler.

Après que l’on aura considéré et médité cette réflexion, il faut lire la seconde, et en faire autant ensuite à une 3e, et ainsi successivement jusqu’à ce que l’on aie passé le temps réglé pour la lecture ; et si telles réflexions n’étaient suffisantes pour (xiv) occuper ce temps, celui qui conduit, en doit encore régler, conformément aux vérités du jour.

Le fruit véritable de cet exercice, doit être la pratique et l’application solide à chaque chose en particulier, afin de se corriger, et pour cet effet, il est de très grande importance que l’âme s’exerce dans chaque action du jour, afin de la faire dans toute l’application et perfection possible, selon aussi la lumière que l’on puise en l’oraison, afin qu’elle soit un modèle pour faire les mêmes actions après les exercices, sans la même application. Les actions sont principalement, le lever du matin, le chant du chœur, les examens, les repas et le silence journalier.

Il ne faut pas se presser, ni violenter de faire toutes les considérations des 10 jours, durant les Exercices, mais selon que l’on en aura besoin, les uns plus, les autres moins. Il est tout à fait nécessaire qu’après les 10 jours d’Exercices, l’on achève ce qui en reste, et au cas que l’on les eût toutes parcourues, il les faut recommencer même plusieurs fois. Les âmes aussi qui ne les auront pas toutes faites, même dans le temps, les doivent répéter de la même manière afin de se remplir fortement de ces vérités, car ainsi elles seront fort efficaces pour la correction.

Quand l’âme ne s’applique pas si sérieusement aux Exercices, comme je viens de dire [Bertot!], pour l’ordinaire ils font plus de mal que de bien, d’autant que l’âme s’habitue aux lumières de Dieu, et en fait un usage naturel qui passe en routine, ce qui est un très grand mal.

Finalement il faut se servir de ces mêmes vérités, pour se disposer à la sainte communion, et pour l’action de grâces, afin de ne pas trop se multiplier en exercices et considérations, même on peut s’en servir pour présence de Dieu pendant le jour, et faisant de cette manière marquée en cet avertissement, l’on doit beaucoup espérer de fruit de tels exercices, ou bien l’on peut se servir des dispositions pour la sainte communion, et actions du jour, selon qu’elles sont marquées dans ce petit exercice. Supposé que l’âme ne soit remplie avec assez d’onction des vérités de l’oraison, ce (xix) qu’elle discernera par l’aide de la personne qui conduit.

La personne qui fait les Exercices, doit prendre garde que le fruit principal et spécial qu’elle en doit retirer, est la conviction forte et généreuse de ces Vérités, afin ne s’en occuper amoureusement et avec fidélité, les mettre en pratique selon l’étendue de sa lumière. Or cette conviction parfois est sensible et amoureuse, le cœur étant gagné par attrait en les considérant ; parfois aussi l’âme y est très sèchement et aridement, ne pouvant nullement, ni s’y entretenir, ni en tirer fruit selon qu’il paraît. Et pour lors, l’on croit qu’assurément l’oraison faite en cette seconde manière est inutile, et infructueuse, ce qui fait perdre insensiblement beaucoup de temps à l’oraison, et abbat même le courage dans les Exercices, quand telle obscurité et sécheresse est continue. Que l’âme donc prenne courage, nonobstant cela, et qu’elle tâche avec vigueur et générosité, de s’occuper des vérités proposées chaque jour, faisant son possible pour s’en convaincre par la foi, et de cette manière il est très certain qu’elle aura pour le moins autant par ce moyen, que par la suavité et la facilité sensible.

Tout ce que l’on doit donc faire, est de s’encourager et fortifier la foi, tant pour envisager les vérités, que pour espérer grande part aux miséricordes de Dieu, selon ce qu’elles contiennent.

Il est encore infiniment de conséquence [Bertot !], afin de tirer beaucoup de fruit des saints exercices, que l’âme se débarrasse l’esprit de toutes choses, tant extérieures qu’intérieures, c’est-à-dire soin d’office, ou autres affaires, ou de peines intérieures qui lui puissent être causées par quelque immortification, ou attache à quelque créature, afin que possédant son âme en paix et en repos, elle puisse entendre la voie du Seigneur, et que même elle soit capable de recevoir facilement les touches et les bons mouvements que Dieu voudra graver dans son esprit, même elle doit se prendre garde d’une frayeur trop grande de la peine que la nature lui pourrait donner à la vue de tout ce que Dieu lui découvrira qu’elle doit faire pour sa [xxiv] purgation, et pour la solide pratique des saintes vertus.

Comme toute notre réformation consiste dans la pureté intérieure, vu que c’est par elle que notre âme reçoit les lumières pour connaître Dieu, et est fortifié dans les combats qu’elle doit rendre journellement, tant pour combattre le démon que pour se défaire de sa misérable sensualité qui la penche continuellement vers le péché et l’amour de soi-même, et que cette pureté s’acquiert par 2 moyens. Le premier, par les considérations. Le second par de sérieux examens, que l’âme fait sur soi, et sur ses mauvaises habitudes, il est tout à fait à propos que l’on soit fort instruit de la manière de faire ses examens, comme choses très nécessaires, et je dis même absolument nécessaires à la pureté susdite.

Il y a 2 sortes d’examens. Le premier s’appelle examen particulier, que l’on doit faire au commencement que l’on travaille tout de bon à se convertir à Dieu, et à se défaire de ce qui nous fait obstacle, sur quelque chose de particulier qui nous fait plus ordinairement tomber, ou à quoi nous sommes le plus attaché. Ceci est fort différent dedans les âmes ; car les unes ont certain péché particulier qui prédomine, ou passions violentes qui les entraînent dans divers péchés, les autres d’une autre manière, c’est pourquoi il faut un peu considérer de près devant Dieu, ce qui est de plus spécial à l’âme, et faire son examen particulier sur cela. Si l’on a peine à se déterminer (ce qui est assez difficile, au cas que l’on aie déjà beaucoup travaillé) il faut consulter la personne qui conduit aux Exercices, ou bien la conduite particulière.

Cet Examen particulier se fait de cette manière, l’on choisit comme je viens de dire, le péché plus particulier et qui prédomine davantage, et chaque jour, en une heure commode que l’on se détermine, l’on examine sérieusement si l’on a pratiqué et si l’on s’est observé entièrement selon que cet examen demande, l’on donne de plus un mois ou 2, ou plus à faire cet examen, et même afin de se défaire avec plus de perfection de tels péchés, on ne change pas de matière, (xxv) Jusqu’à ce que l’on s’en soit beaucoup corrigé. Il faut généralement ne se rien pardonner qui touche ses péchés ; et encore de plus, il faut chaque jour rechercher de propos délibéré à faire 4 ou 5 actes contraires directement à tels péchés, comme (par exemple) une personne qui est colère de son naturel, ne doit pas seulement s’observer pour ne pas faire d’impatiences, ou emportements, mais doit rechercher des occasions et des expédients pour pratiquer quelques actes de douceur. Et il est si vrai qu’à moins de ce second expédient, l’on ne vient jamais à bout de détruire ses péchés et mauvaises habitudes. Une personne qui aura quelque antipathie contre une sœur, ne doit pas se contenter seulement de ne lui rien dire de fâcheux ou d’emporté ; mais la doit prévenir de fois à autres, afin d’adoucir par ce moyen charitable cette nature farouche et corrompue.

Il faut finalement s’examiner si l’on n’a point fait quelque défaut, marquant particulièrement en quoi, et si l’on a manqué à faire les 5 actes sus-marqués, après cela il est nécessaire de s’en humilier devant Dieu, lui en demander pardon, prenant une ferme résolution d’agir tout d’une autre manière et avec ferveur.

Quand l’on aura fait son Examen particulier, un temps raisonnable sur les péchés, défauts et passions plus particulières, comme aussi sur les attaches plus fortes que l’on a, l’on doit avec conseil mettre son travail spirituel ; pour l’acquisition des vertus dont l'on a plus de besoin, et qui nous sont plus nécessaires pour nous soutenir dans la pureté déjà acquise par tel examen particulier, comme dit est.

Il faut choisir une vertu comme l’on a fait un vice, et durant un temps faire son Examen, pour remarquer combien de fois chaque jour, l’on aura laissé passer d’occasions de pratiquer telle vertu. De plus observer, si ne trouvant pas d’occasions, l’on a manqué à en faire quelques actes, soit intérieur ou extérieur.

Dans les exercices, il est nécessaire que la personne qui aide, détermine si l’on prendra un vice, ou une vertu pour faire l’examen : car (xxix) selon le degré de perfection où est l’âme, cela doit être réglé.

Il est à observer [Bertot !], que tel examen particulier est tout à fait nécessaire après la Retraite, et que proprement on ne le donne dans la Retraite, que pour habituer l’âme à s’en servir adroitement après qu’on l’a quittée.

Je m’assure que si l’on était fidèle à observer tel Examen, l’on trouverait plus de pureté, plus d’oraison et plus d’union avec Dieu, que l’on n’en rencontre dans les âmes, ces choses n’étant pour l’ordinaire qu’en imagination, ou très superficielles : d’où vient qu’après un si long travail en des pratiques souvent fort sublimes en apparence, on se trouve très loin de ce que l’on pense de soi.

La seconde sorte d’examen est l’examen général de toutes ses fautes que l’on fait chaque jour. Il se doit faire deux fois le jour, au matin et au soir, et comme c’est une chose de la dernière conséquence, et à laquelle Dieu donne une lumière et une bénédiction particulière, quand l’on s’en sert comme il faut, l’âme désireuse de son salut et de sa perfection, doit y apporter tout son soin et vigilance possible, non pour n’y manquer pas seulement, mais encore pour y apporter tout l’ordre marqué pour tel examen.

Il faut donc premièrement avec un profond respect, se mettre en la présence de notre Seigneur, et là un peu en repos lui demander grâce et lumière pour connaître en vérité ses défauts, les détester, et aussi force et générosité pour les combattre et les détruire en l’âme.

Ensuite il faut s’examiner sur les fautes que l’on sait qui prédominent dans l’âme, et dans lesquelles on tombe ordinairement. De plus, sur ses règles et constitutions, sur les résolutions que l’on avait prises à l’examen précédent, et finalement sur 4 choses, qui sont presque généralement la source de toutes les fautes. La première est si l’on a été fidèle aux mouvements de la grâce, et aux bonnes inspirations que Dieu a données. Deuxièmement si l’on n’a pas été trop évaporée et dissipée. Troisièmement si l’on a été charitable envers le prochain, soit en paroles, n’en parlant pas mal, et ou en souffrant ce qu’il nous (xxxiii)

[pour introduction : le caractère précis voire trop précis et détaillé du confesseur Bertot explique probablement des difficultés rencontrées précédemment avec Jourdaine. Cette présentation des Exercices au sein du couvent de Montmartre — elles furent édités par sa supérieure — montre l’atmosphère quelque peu confinée propre à l’époque. Introduction de [Bertot!] compte-tenu de certaines idiotismes. On a rarement une présentation des Exercices, genre du siècle aujourd’hui oublié, par exemple on n’en a pas pour Chrysostome de saint-Lô]

a fait contre notre inclination. Quatrièmement si l’on a tâché de faire usage de tous les accidents de providence, les envisageant comme donnés de la part de Dieu, et non par la créature.

Quand l’âme aura découvert ses fautes, elle doit profondément s’en humilier, en être marrie, et tâcher de concevoir une forte résolution de s’en défaire.

Faute de tout ce que dessus, il est très certain que les âmes croupissent dans leurs imperfections [Bertot dur !], et peu à peu s’aveugle elle-même, sans jamais y remédier, ne se servant pas adroitement des secours des examens.

Il est très certain [Bertot !] que les âmes qui sont en Dieu très éminemment, et qui par l’essence divine voient tous leurs défauts, comme dans une glace très polie, n’ont pas besoin de ces examens pour les reconnaître, les découvrir et en concevoir une horreur telle qu’ils méritent, car par ce moyen elles font suffisamment tout cela, sans telles aides ; mais les âmes qui ne sont pas arrivées à cette béatitude encommencée [sic], se trompent à l’infini de ne pas s’en servir, et même je dis plus, peuvent sans un miracle ruiner absolument et leur salut et les desseins de Dieu sur leur perfection : d’où vient que l’on trouve tant de défauts parmi les âmes religieuses, et les autres qui par état, sont appelées à la perfection, et même à la suite, une dureté et insensibilité qui fait peur. Car outre qu’elles ne voient pas un million de défauts, [Bertot !] je dis même notables, elles ont une insensibilité pour en concevoir la grandeur et la conséquence ; d’où vient qu’à la suite il est très difficile de leur donner des aides pour se corriger de leurs défauts, ou pour leur insinuer quelque contrition, et tout cela dans la vérité, et par l’expérience arrive à l’âme faute du véritable usage des miséricordes de Dieu distribuées nécessairement par tels moyens.

Après avoir parlé de tous les moyens et de tous les aides qui peuvent contribuer tant à se bien servir des considérations que l’on doit faire durant la Retraite, que généralement pour travailler à la destruction de ce qui déplaît à Dieu en nous, et à l’acquisition des saintes vertus pour orner notre âme, (xxxvii) il est nécessaire pour venir à l’emploi et à la pratique de tels moyens de dire comme l’on doit faire la déclaration de son intérieur dans la Retraite ou après la Retraite.

Cette déclaration est tout à fait nécessaire à l’âme qui désire travailler à son salut, et à sa perfection ; car y manquant, outre que l’âme y perd beaucoup, y faisant quantité d’actes d’humilité et de soumission. Elle perd une lumière très grande, laquelle Dieu a accoutumé de donner aux âmes qui tâchent de la faire avec simplicité de cœur et de docilité d’esprit, tâchant de se manifester en vérité, selon que l’on se connaît. Et il faut remarquer que l’âme se doit prendre garde d’une tentation du démon et de la nature propre, laquelle craint ce moyen étrangement, le sentant efficace pour sa correction. Et pour cet effet, l’un et l’autre mettent en l’âme des pensées qu’elle n’a point de lumières, qu’assurément elle fera mal telle déclaration, qu’elle n’y a pas d’attitude, et généralement il lui cause un trouble, et inquiétudes au commencement qu’elle se résout à la pratiquer. Qu’elles négligent telle persuasion, disant en simplicité devant Dieu ce qu’elle connaît de soi ; et assurément l’âme peu à peu apprendra par sa propre expérience, à faire ce que tous les livres du monde ne lui sauraient enseigner, sans telles pratiques.

Et pour lui faciliter cependant un peu, elle doit envisager Jésus-Christ dans la personne à qui elle fait cette déclaration de son intérieur, afin que par là, elle rentre plus facilement dans les dispositions d’humilité, de simplicité et de désir de la perfection susdite.

Il est à propos. Premièrement qu’elle dise les faiblesses où elle se voit plus encline. Deuxièmement, comme elle est touchée à l’oraison, si elle y est bien convaincue des vérités ou non. Troisièmement, si elle s’est aidée de la conviction et des lumières qu’elle a reçues à l’oraison, pour voir et remarquer ses défauts en particulier et non seulement en général. Quatrièmement si elle s’est servie de ses résolutions pour la pratique dans les occurrences, et qu’elle pratique. Cinquièmement, elle découvrira autant qu’elle pourra, les tentations (xxxxi) et peines qui la brouillent et l’inquiètent. Sixièmement, elle manifestera si elle a été fidèle à exécuter ce qui avait été résolu en la dernière déclaration. Finalement et sur toutes choses, elle tâchera de découvrir les mouvements plus violents de ses passions, pour en recevoir lumière afin de les combattre et grâce pour les surmonter.

Je m’assure qu’une âme qui sera fidèle à telles déclarations, et qui tâchera en vérité de la faire sincèrement et non en se trompant soi-même, recevra des fruits à l’infini, et des miséricordes dont l’âme même sera surprise : mais ce qui est déplorable, les âmes souvent en leur propre cause, et au fait le plus important pour leur salut, se trompent elles-mêmes, ne disant presque jamais ce qui est chez elles, d’où vient que l’on trompe pour l’ordinaire les personnes à qui l’on parle, et les âmes souvent le savent, et ne s’en corrigent pas ; se flattant même des résolutions qu’elles auront reçues, non pour leur mal, mais pour ce qu’elles auront dit et si l’on avait expérience de ceci, on ne pourrait jamais juger que les âmes fussent si ingénieuses pour se faire du mal, comme elles le font, d’où vient que pour l’ordinaire les personnes qui donnent des avis dans les maisons religieuses, se trompent faute de l’ingénue déclaration des personnes qui demandent conseil et résolutions.

Si bien que telles âmes ne sont jamais en assurance de pareilles résolutions, et cependant elles s’en flattent pour l’ordinaire, quoique que dans leur cœur elles sachent fort bien que la chose n’est pas telle qu’elles l’ont déclarée, ou que si elles le croient, elles doivent prendre garde si elles étaient en émotion, ou l’esprit préoccupé pour si peu que ce soit, car pour lors elles ne doivent pas s’assurer sur ce qu’elles ont déclaré, mais attendre que telle passion soit passée.

De plus, il y en a qui sont si aveugles au fait de demander des conseils et des résolutions passagères, qu’elles tâcheront de le faire aux personnes qu’elles croiront être de peu d’expérience, et qui entreront dans leurs sentiments, (xxxxv) ou qui seront simples et faciles à croire : et cependant elles s’assurent imperturbablement sur la vie de tels gens ce qui est une tromperie manifeste nullement approuvée devant Dieu : cependant l’expérience fait voir que la sainte Régularité se ruine dans beaucoup de monastères, par les divers conseils pris de cette façon, et que généralement l’obéissance est fort affaiblie par cette manière d’agir.

Qui que vous soyez qui ferez ses exercices, lisez et relisez plusieurs fois ces avertissements, et tâchez d’être fidèles à les mettre en pratique : car si assurément vous êtes généreux à les observer exactement, vous en tirerez un fruit admirable. Si au contraire vous vous y comportez comme vous avez accoutumé, c’est-à-dire avec peu d’application, vous vous donnerez beaucoup de peine et peu de fruit ; souvent un dégoût et un éloignement de ce très saint est très utile emploi de l’âme avec Dieu.

Trois dispositions

intérieures dans lesquelles l’âme doit être pour faire fruit des exercices, non seulement de ceci, mais aussi des autres.

I. Humiliez-vous profondément devant sa divine Majesté, pour voir et connaître l’opposition infinie que vous avez à sa divine lumière, comme aussi l’indignité dans laquelle vous êtes de la recevoir : faites en sorte ayant approfondi ces vérités de vous mettre dans un véritable esprit d’humiliation devant Dieu, lui demandant du meilleur de votre cœur qu’il vous éclaire : car si sa bonté ne le faisait, vous demeureriez toujours insensible et aveugle, pour les vérités les plus fortes et les plus convaincantes. Après cet aveu, confiez-vous à sa divine Bonté, et tâchez en esprit de confiance d’espérer tout de lui, et même autant que vous saurez vraiment vous humilier, et comme vous (l) anéantir devant sa grandeur le reconnaissant comme la source unique de toute lumière, et celui seul qui peut donner efficacité au travail, et à l’occupation que vous allez entreprendre pour sa gloire.

Remettez-vous de fois à autre durant les exercices dans cette disposition, comme le moyen véritable de faire venir et continuer la lumière divine en vous.

II. Débrouillez votre esprit, et désoccupez-le, autant qu’il vous sera possible, de toutes les affaires extérieures et embarras que vous aurez, pensant que Dieu veut que vous soyez seul avec lui seul ; mais spécialement donner le holà par un oubli, et un non ressouvenir à toutes vos affections, et vos attaches, autrement soyez assurée qu’au lieu que la retraite vous serve, elle vous sera une condamnation : car durant tout ce temps Dieu parlera beaucoup, et vous ne l’entendrez pas, il touchera votre cœur et vous n’en sentirez rien, à cause que sa divine Majesté ne se fait entendre que dans la paix et le repos, et que cette touche amoureuse ne sont goûtées qu’à mesure que les cœurs se déprennent des autres goûts.

O malheur des pauvres âmes, spécialement dans la vie régulière : lesquelles se croient assez en assurance, et se consolent dans les remords d’une vie lâche et peu fidèle, quand elles ont été de corps en retraite et solitude ; quoiqu’en vérité elles n’y aient rien fait, à cause de la plénitude volontaire de leur cœur, et du tumulte non réglé de leur esprit, elles sont comme ces gens qui se peinent d’emplir une bouteille de vin déjà pleine d’eau, lesquelles au lieu de la remplir, le répandent, et le perdent ; aussi telles âmes après une retraite, quoiqu’elles n’y remarquent pas avoir commis des péchés actuels, sont cependant fort criminels par la perte et l’épanchement des miséricordieuses bontés de Dieu répandues sur leurs âmes durant ce sacré temps.

III. Il faut qu’une âme de bonne volonté, et qui veut recevoir beaucoup de grâce en la retraite, tant par les divines lumières que par les touches vraiment amoureuses, et efficace de Dieu (liii) soit fidèle à entrer dans une disposition intérieure d’abandon et de conformité aux ordres et aux volontés divines, pour tout ce que sa bonté infinie et souveraine voudra marquer à l’âme, et en la manière aussi qu’il le voudra, c’est-à-dire par une façon ou autre : il faut donc que son cœur dit à Dieu, mais en vérité, que voulez-vous que je fasse ! Et voilà mon cœur préparé à tout, et ma volonté déterminée à ne vouloir que vous, parlez donc, et me faites entendre vos divins ordres ; et comme assurément la lumière divine (c’est-à-dire la voix de Dieu) touche au point, et au délicat, je veux dire à ce que l’âme a toujours de plus chère par amour-propre et inclination vers soi, et les créatures, elle doit être constante, et généreuse à ce ressouvenir, de la disposition intérieure d’abandon, et de sa résolution à faire tout ce que Dieu voudra, et en la manière qu’il le voudra : car parfois il fera entendre ses volontés en sécheresses et aridités, sans goût et sentiment, mais si l’âme subsiste dans sa disposition, elle entendra de cette manière aussi bien que d’une autre.

Plusieurs âmes ne font nul fruit (spécialement dans les exercices) et même (ce qui est un très grand mal s’en prennent à Dieu) faute de cette disposition : car Dieu veut une chose et elles en veulent un autre, et comme selon le vouloir de Dieu, il donne sa lumière et cette touche, ne se joignant pas agréablement, et du meilleur de leur cœur à sa volonté, elles ne reçoivent par conséquent pas telle lumière est touche intérieure ; d’où vient que très souvent Dieu voudra purifier une âme, lui faisant voir ses souillures, et l’âme n’en voudra rien ; Dieu parfois lui voudra manifester sa volonté en quelque chose qui contrariera ses inclinations perverses, et l’âme fera comme Jonas fuyant la face de Dieu, parce qu’elle ne se veut pas joindre à son bon plaisir, ce qui assurément, et dans l’expérience, fait un dégât des grâces de Dieu à l’infini. D’où vient que les âmes quoi que très pécheresses, ou peu éclairées de leurs désordres, qui savent s’ajuster de cette manière à la volonté de Dieu, peuvent (lvii) n’être pas un moment sans une véritable lumière qui les ira continuellement purgeant, et à la suite, ornant des vertus nécessaires : ce qui me fait déplorer infiniment l’état des pauvres âmes que l’on voit sans lumière au milieu des lumières dans l’indigence véritable de tout, parmi les richesses, et la plénitude de tout bien, hors de la grâce et de l’amitié de Dieu, en la présence et aux yeux d’une bonté infinie, qui porte pour qualité particulière d’être leur Père, leur vie, et celui qui les aime infiniment. Il y aurait donc, pour recevoir avec plénitude des trésors, qu’à apporter une bonne volonté soumise, et un désir de se conformer aux ordres de Dieu : car si cela était, il n’y aurait aucun moment en la vie, spécialement dans la retraite (qui est un temps destiné pour écouter Dieu) dans lequel il ne fît amoureusement connaître sa divine volonté, et ne donnât des grâces toutes paternelles et amoureuses pour l’effectuer.

Àme chrétienne, et Religieuse : soyez donc fidèles de votre mieux pour entrer dans cette disposition, et pour vous préparer de tout votre cœur par leur moyen, aux grâces toutes miséricordieuses que sa divine Bonté vous communiquera, en vue de son sang précieux répandu pour vous dans cette chère et aimable solitude.

Ces 3 dispositions sont générales pour toutes sortes de Retraites ; d’où vient que les personnes qui voudront se retirer en solitude, doivent être fidèle quelque jour devant à les lire, et faire en sorte de bien s’en imprimer l’esprit, et par ce moyen s’y disposer.

Approbations.

Nous soussigné docteur en sainte théologie de la faculté de Paris, ancien abbé de Barbery, certifions avoir lu attentivement et sérieusement examiné le livre qui a pour titre plusieurs exercices pour passer dix jours de Retraite, et n’y avoir rien remarqué qu’il ne soit conforme à la foi orthodoxe, à la morale chrétienne, et aux pratiques (lx) ordinaires d’une âme religieuse, c’est le témoignage que nous avons été obligés de rendre à la Vérité. Ce jourd'huy dixième de juin 1662. Frère Louis Guinet.

J’ai lu un livre intitulé, Plusieurs exercices pour passer dix jours de Retraite. Fait ce premier août 1661.

M. Grandin.

Première retraite

Premier jour. Méditation. De la fin pour laquelle nous sommes créés.

Considérez la grandeur et l’excellence de votre fin, laquelle n’est pas moindre que Dieu même dans toute sa Majesté. Toutes ses infinies perfections doivent être l’anoblissement de votre âme, et Dieu a tellement créé l’homme pour lui, qu’il est son unique repos, sa joie, et sa béatitude véritable. C’est donc (2) le centre de tout ce que vous êtes et pouvez. Mais ô malheur ! Les oiseaux ne peuvent vivre que dans leur élément qui est l’air, les poissons que dans la mer ; et nous ayant une fin si relevée, nous ne voulons jamais y tendre, ni y penser.

Réfléchissez sur ce désastre, et regardez à quoi vous vous arrêtez, et si jamais vous a fait bien penser à cette vérité. Dieu vous a fait tant d’honneur que de vous créér pour lui et que vous portez à l’offenser, et à rechercher des choses qui sont à son infini mépris. Car encore bien que ce que vous poursuivez ne soit pas péché, le faisant par oubli de Dieu qui est votre fin si excellente, c’est lui dire que vous jugez ce à quoi vous vous portez plus excellent, (3) plus beau et préférable à lui.

En vue de cette vérité, faites hommage à la divine grandeur de Dieu et tachez de réparer ce mépris.

Imprimez en votre esprit, et dans votre cœur puissamment cette vérité, toutes les fois que vous sentirez inclination vers les créatures ou vous-même. Dieu dans toutes ses grandeurs et infinies perfections est le centre et la fin de mon âme, et je suis assez malheureuse de n’y pas penser, et n’y pas tendre. [De l’utilité de faire une introduction sur Dieu]

Considérez premièrement. Que Dieu ne vous a donné l’être que pour lui, non pour vous, ni pour posséder, ou jouir de quoi que ce soit moindre que lui. La fin donc de notre création est sa gloire ; et pour cet effet, il nous a donné un entendement (4) capable de le connaître ; un mémoire pour nous ressouvenir de lui, et une volonté pour nous porter vers lui en aimant.

Après avoir sérieusement pesé et considéré ceci ; en général l’on se contente de le savoir ; mais dans la pratique on l’ignore absolument ; car les âmes sont incessamment occupées d’elle-même, et des créatures, et l’on rabaisse continuellement la dignité de l’âme à des choses indignes de son occupation. Considérez si vous avez connu le mal que vous vous faites en ne vous référant pas à Dieu. Regardez qu’elle a été occupation de votre entendement, de votre mémoire, et de votre volonté ; et vous verrez combien inutilement vous les avez occupés en des bagatelles, (5) et souvent en des péchés. Faites une résolution forte et amoureuse en vous humiliant devant Dieu votre aimable et dernière fin, de commencer tout de bon à le chercher en vérité, et à vous rendre absolument à lui, vous disant souvent à vous-même, je ne suis que pour Dieu.

Considérez premièrement que Dieu ne vous a pas créé seulement pour sa gloire, ne demandant de vous que ce qu’il y a de plus grand, excellente et spéciale lui soit référée ; mais il veut qu’en tout vous ne boîtiers et ne tendit et qu’elle use ; il désire donc non seulement que vous ne fassiez votre fin de la créature ; mais il prétend que vos moindres intentions lui soient dirigées : que si vous travaillez, que ce soit pour le contenter ; et généralement (6) il veut que toutes les facultés de votre esprit et les parties de votre corps soient employées à son service. Comme l’arbre et à lui : n’est-il pas raisonnable que les fruits lui appartiennent ?

Il est certain que si vous travaillez et faites quelque chose pour l’ordinaire vous leur ne le référez pas à Dieu. Si vous prenez vos nécessités soit pour le manger, ou pour le vêtir, c’est par inclination naturelle, ou par passion, et non pour la gloire de Dieu. Faites réflexion sur vos mouvements, et voulait trouverez toujours prévenu de quelque inclination naturelle, sinon tout à fait mauvaise du moins fort inutile. Toute la vie se passe de cette manière, et à la fin quand Dieu éclairera par sa lumière de vérité, et qu’il fera (7) remarquer très clairement ceci, l’on sera beaucoup surpris et convaincu qu’on n’a rien fait qui vaille durant qu’on a vécu.

Ce qui est étrange, est que l’on ne le réfléchit jamais sérieusement sur ces vérités, l’on roule sa vie année après année sans y remédier.

Faites résolution de ne jamais rien faire, penser, ou dire, sens le référaient à Dieu, et pour sa gloire. Dans tous vos pas, toutes vos paroles, et tout ce que vous faites, soit pour vous, ou pour les autres, ayez soin de remplir votre esprit de cette vérité. C’est pour Dieu que je suis créé, afin que que comme toutes les rivières et tous les petits ruisseaux ruisseaux se rendent dans la mère, vous aussi votre âme se rende à Dieu. [Guyon !]

(8) Ne vous étonnez pas du peu de solidité que vous trouvez dans vos desseins, et résolution prise pour établir votre salut et votre perfection, d’autant que manquant au premier fondement ; et principe, qui est l’établissement en cette vérité ; tout le reste ne peut pas avoir de stabilité. De plus, comme à votre Créateur, vous devez à Dieu adoration continuel, respect, et dépendance, à lui la lui rendez-vous ?

II. jour. Méditation. De la fin de votre rédemption.

Considérez que Dieu vous créant, il vous a rendu capable de sa grandeur, et vous a obligé aux devoirs marqués dans la précédente méditation, aussi par la grâce de la rédemption, Jésus-Christ vous a racheté ; vous a acquises pour lui : si bien qu’après cette grâce reçue de Dieu, vous n’avez plus le droit sur vous, vous ne pouvez plus vous posséder que pour Jésus-Christ, et que par rapport à Jésus-Christ (10) : et si vous ne le faites, vous faites un larcin, vous dérobant à Jésus-Christ ; et le larcin est de si grande conséquence devant lui, que comme vous ne lui coûtez tant de travaux, tant de soin et de peines qui sont de prix infini devant Dieu, il estime le larcin que vous faites de vous-même d’un prix égal.

Peser bien que par le péché vous vous être retiré de Dieu, et n’est plus en droit de t’en rendre tendre à lui comme à votre dernière fin. Par la rédemption, comme je vous dis, vous avez été rachetés, et ensuite en obligation de référée votre vie, vos mouvements, vos pensées, vos actions, et généralement tout votre être à Jésus-Christ votre Rédempteur.

Voyez sérieusement si vous (11) avez bien peu ces la conséquences et la grandeur de ce larcin ; peut-être n’y avez-vous jamais bien pensé, et si vous l’avez en quelque manière fait, avez-vous suffisamment regardé que ce larcin ces temps surtout ? Quoi une parole qui n’est pas référée à Jésus-Christ, une pensée, une action est un larcin d’une conséquence telle ? Oui, et cependant les âmes n’y pensent pas, elle pense aux Mystères de la vie de Jésus-Christ, sans bien peser que c’est le prix infini d’elle-même et de leurs actions, elle suce d’elle-même et de leurs actions comme si elles étaient à elle, ce qui fait qu’elles sont toujours dans l’aveuglement, et ainsi air, et souvent se précipitent en de très grands désordres.

(12) Faites résolution de penser plus souvent aux Mystères de la rédemption, et haché de bien connaître que vous devez être toute pour Jésus-Christ, n’ayant droit sur quoi que ce soit qui ne doivent être référé à sa gloire.

Considérez premièrement. Que Jésus-Christ votre Rédempteur ne s’est pas contenté de vous racheter ; mais encore vous a acquis par ses mérites des dons admirables qui méritent d’y réfléchir, tant pour en connaître la grandeur, et l’excellence, que pour peser sérieusement l’obligation que vous avez d’en faire usage.

Le premier don est celui de l’adoption, par lequel votre âme est en vérité la fille de Dieu par grâce ; comme Jésus-Christ est Fils de Dieu par nature. Ce (13) don d’adoption donne droit à toutes les grâces, à tout les mérites, et généralement à tout ce que Jésus-Christ est, et a fait durant sa sainte vie. De plus par ce don d’adoption, nous avons eu droit un droit de jouir de Dieu tout d’une autre manière que par la création,. Enfin ce don d’adoption faisant véritablement enfants de Dieu, nous donne la jouissance de l’esprit de Dieu en nous, de telle manière que par cette qualité nous l’avons et en jouissant.

Réfléchissez tout de bon sur ses grandeurs admirables. Avez-vous jamais bien pesé ceci, comme aussi la conséquence infinie de vous laisser de laisser en vous un tel don inutile ? Par ce dont vous avez droit, et posséder les mérites, et les vertus d’un Dieu ; en fait de vous usage, (14)

[µ pages 14 et 15 manquantes]

(16) dons, vous avez contracté obligation indispensable d’en faire usage et de les faire fructifier ; ceci sera un compte infini.

Faites résolution de toute votre volonté de commencer tout de bon à agir autrement et de n’oublier jamais ces vérités, les ayant souvent au cœur, et les renouvelant d’action en action.

Considérez 3. Que Jésus-Christ votre Rédempteur par amour ne sait pas contenter de vous racheter, et vous donnez droit à ses mérites, et aux avantages de sa très sainte vie ; mais il a passé outre, il s’est donné lui-même, pour sanctifier et votre esprit et votre corps, relevant et l’un et l’autre à l’usage d’une éminente pureté, et sainteté quand l’âme est fidèle et (17) attentive à faire usage de ce dont il pouvait se contenter de vous racheter, et sanctifier par sa volonté les actions de votre esprit, et de votre corps, sans se donner lui-même, il ne l’a pas voulu faire. Mais pour vous donner encore un motif plus pressant de vous rendre à Dieu, et de travailler à la pureté intérieure, et même de vous y obliger encore davantage par un titre dont vous pouvez moins vous dispenser que de tous les autres. Il a voulu se donner lui-même, afin que par ce moyen votre esprit et votre corps fussent dans une obligation indispensable de se rendre à lui.

Considérez ce que vous faites quand vous occupez votre esprit à des pensées inutiles, votre volonté par des amours profanes, (18) votre langue en rompant si souvent le silence, vos passions par des mouvements désordonnés, et généralement tous les mouvements de votre esprit et de votre corps partant d’occupation désagréable notre Seigneur Jésus-Christ, lequel se donnant lui-même à vous, veut que tout vous-même lui soit référé.

Tout le contraire est, car l’on fait des usages si profanes de l’esprit et du corps que cela est inconcevable, l’on ne se met en peine de mal parler, l’Esprit est occupé de murmures, les passions sont en émotion continuelle selon les inclinations.

Faites une résolution forte de faire toute une autre estime de l’emploi de telle capacité, tant de l’esprit que du corps.

(19) Faites pour cela une revue dans votre entendement, dans votre volonté, dans vos passions, dans vos désirs, dans vos sens, tous l’un après l’autre, et tâchez de leur donner leur règle ; à moins que cela ne soit, vous contractez en conséquence de ce don par lequel Jésus-Christ se donne lui-même tous les jours des souillures infinies, et qui est-ce qui y pense ? N’est-ce pas pour cette cause que jamais l’on ne s’avance ? Mais que plutôt après avoir fait quelques démarches par de bons mouvements dans une Retraite, ou bonnes Fêtes, ensuite l’on revient dans sa première tiédeur et son premier vomissement. Tâchez de vous imprimer puissamment ceci dans l’âme, cela étant d’infinie conséquence. (20)

III. jour. Méditation. Du malheur des âmes qui s’éloignent de leur fin.

Considérez 1. Que les âmes qui ne tendent à leur fin et qui ne sont fidèles de se rendre à Dieu, selon leur obligation de créatures à leur Créateur et d’âmes rachetées à leur Libérateur et Rédempteur, vivent dans la terre sans soutien toujours errantes et vagabondes, ne sachant où donner de la tête, tantôt elles cherchent avec passion une chose, et tantôt l’autre, et comme en tout elles ne trouvent pas de solidité, elles vivent d’une vie misérable et mécontente faute de chercher le véritable soutien, et la fin assurée de leurs mouvements et actions, qui ne peut être jamais que Dieu.

Ouvrez donc les yeux de votre âme pour voir ce malheur, vous le sentirez toujours par expérience, ne trouvant jamais de satisfaction dans les créatures, dans l’emportement de vos passions, et dans l’occupation de votre esprit. Et cependant faute d’en chercher vraiment la cause, vous vivez toujours misérable. N’allez donc plus chercher la créature pour guérir votre inquiétude, et satisfaire votre inclination ; car vous (22) n’y trouverez pas ce que vous cherchez, mais cherchez Dieu et il vous consolera. Tant d’âmes souffrent des peines qu’elles attribuent à diverses causes, tantôt aux créatures, une autre fois au démon, souvent à d’autres diverses causes, et elles n’arrivent presque jamais à découvrir qu’elles leur viennent de leur éloignement de Dieu, et de leur peu de fidélité à se rendre à lui selon ce qu’elles lui doivent. Faites la résolution généreuse de vous rendre à Dieu pour le faire amoureusement régner sur tout vous-même. O Dieu de mon âme quand sera-ce que vous me tirerez de mes misères ?

Considérez premièrement. Que le second malheur qui arrive aux âmes qui oublient Dieu, se précipitant vers les créatures, l’amour (23) d’elles-même, et le péché, est l’aveuglement et les ténèbres. Car comme elles laissent et abandonnent le Dieu des lumières, elles tombent dans de si épaisses ténèbres, que c’est une chose pitoyable, ces ténèbres vont tous les jours croissants, plus elles marchent s’éloignant de Dieu.

De telle manière que vous en voyez souvent de si aveuglées, qu’elles n’ont plus ni sentiment pour Dieu, ni pour leur salut. Cet aveuglement et ces ténèbres sont un enfer encommencé, d’autant que les pauvres âmes qui y sont plongées, sont comme des personnes dans un noir cachot, qui outre qu’elles n’ont pas le plaisir ni la joie de jouir de la beauté de la lumière du soleil, pour voir les divers objets ; ne peuvent pas même (24) trouver moyen de sortir pour s’ôter de ce triste lieu, à cause de l’extrémité des ténèbres qui les aveuglent. Parfois Dieu tout bon donne des mouvements, ou quelques lumières passagères, pour exciter les âmes à découvrir leur malheur, et les faire retourner à lui ; mais elle n’en font ordinairement usage que pour augmenter leurs misères, découvrant par elles plus clairement leur extrême désastre, et faute de se tourner tout de bon à Dieu par leur moyen, ne font qu’un peu le désirer ; et au même temps retombent dans leur cachot ténébreux.

Pénétrés fortement cette vérité, et que votre expérience aidée de cette lumière, vous aide à dissiper ces effroyables ténèbres.

(25) Résolvez vous à combattre le péché, et tâchez de vous convertir dans ce moment tout de bon à Dieu, lui disant avec l’enfant prodigue, Ibo ad Patrem : Je m’en vais à mon Père ; car je ne puis plus souffrir ce ténébreux éloignement de mon Dieu.

Regardez par votre expérience l’aveuglement de votre entendement, tant par l’obscurité extrême dans laquelle il est pour l’ordinaire, que par le jugement faux et trompeur qu’il porte de toutes choses.

Réfléchissez sur les diverses tromperies dans lesquelles vous tombez, faites-en autant pour votre volonté, et la voyez comme une bête se précipitait dans l’amour inconsidéré des créatures. Vos passions et vous sens, ne sont-ils (26) pas des animaux à dompter, auxquelles l’on a crevé l’œil de toute considération ?

Déplorez ce malheur et tâchez de le bien comprendre, dites à sa divine Majesté, ut videam, mon Dieu tirez-moi de ces misérables ténèbres.

Pesez finalement que le mal dernier est de ne voir point ces ténèbres, car c’est un signe que l’on a perdu, non la lumière seulement ; mais la capacité de voir ; tâchez de faire votre possible pour n’en venir pas là, faisant usage de la lumière présente.

Considérez troisièmement. Qu’un homme sans soutien ni appui, et au milieu de grandes ténèbres corporelles, ne peut qui ne tombe dans un million de précipices, étant autant en disposition de se perdre (27) et de se tuer entièrement, que de se blesser, de même une âme qui ne tend pas à son Dieu, et qui ne s’y unit pas dans la faiblesse, et les ténèbres dont elle est accablée par son éloignement se précipite de péché en péché. Au commencement l’on a quelque crainte qui fait un peu tenir sur ses gardes ; mais la faiblesse jointe aux ténèbres, mettent la pauvre nature (qui de soi a un infini penchant à tout mal à cause du péché originel) en l’état de pécher à tout moment, et en toutes manières ; insensiblement l’âme vient un chaos de confusion, et un rePère de serpents, et il en arrive autant à nos puissances, savoir, entendement, mémoire et volonté, à nos passions et à nos sens pour leur corruption, comme si le (28) soleil manquait dans le monde, tout se corromprait et deviendrait en impitoyable état, aussi notre âme devient si remplie de désordres, que c’est une chose pitoyable, chaque partie se corrompant chacune en sa manière. L’entendement ne se délecte que dans les pensées de vanité et d’estime de soi-même, la volonté ne cherche que les créatures, et son amour-propre, et cela en infinies manières, les passions et les sens sont continuellement en haleine pour se satisfaire.

Avez-vous jamais bien pesé ce désastre, et ce malheur ? Lequel est assurément le plus grand qui vous puisse arriver. Hélas ! On est en alarme quand le corps a quelque fâcheuse et honteuse maladie, et la pauvre âme est corrompue de toutes parts, par les péchés causés par l’éloignement de son Dieu, et l’on n’y pense pas ; au contraire souvent l’on s’y plaît.

Attristez-vous de voir votre pauvre âme en cet état, et visitez par compassion toutes ses parties, afin de remarquer leur mal, et travailler à leur guérison. Ne faites pas comme quantité d’âmes qui étant convaincues de ces vérités, voient clairement leur mal, et aussitôt oublient le remède. Le malade se voit par la lumière ; mais ne se peut remédier que par la pratique. Réglez donc toute votre âme selon l’ordre de Dieu sur elle, et sachez que jamais vous ne remédierez entièrement au péché, que par la véritable conversion de tout vous-même à votre Dieu. Faites une forte résolution de ne le plus quitter jamais, et de vous tenir si uni à lui, que pour quoi que ce soit ne vous départiez de ce que vous lui devez.

IV. Jour.Méditation. Pour concevoir le bonheur d’une âme, laquelle après être vraiment efficacement touchée de ces vérités, conçoit un désir de retourner à son Dieu.

Considérez premièrement. Que de la même manière qu’une âme vient de tous points misérable, et en un déplorable état par l’éloignement et l’oubli de Dieu en se convertissant par amour, et recherche vers soi, et (32) les créatures ; aussi est-elle de tous points bien-heureuse, satisfaite, et consolée quand elle se rend à son Dieu et à son aimable Sauveur, et cela par l’oubli des créatures, savoir de la vanité du monde, éloignement de l’amour-propre, et l’amour de ses propres intérêts et satisfactions sensuelles. Ces âmes sont donc bien heureuses : premièrement. D’autant qu’elles jouissent dès cette vie des fruits du saint Esprit, savoir la paix, la joie, et sont dans un banquet continuel.

Pour la paix, elle est très grande. Car tant que leur âme est bien avec Dieu, elle est dans cette belle harmonie et subordination, que l’inférieur doit avoir avec son souverain, et la créature à son créateur, et l’effet à sa cause. Et comme l’on voit qu’un inférieur est (33) toujours inquiété quand il est mal avec son roi ; il est encore plus facile à juger l’inquiétude même secrète qu’une pauvre âme porte, quand elle n’est pas dans cette aimable subordination à son Dieu, elle s’en ressent en tout, et c’était ce qui faisait dire à saint Augustin, que son âme serait toujours en inquiétude jusqu’à ce qu’il fût en Dieu ; c’est-à-dire bien avec Dieu. Qui pourrait concevoir le trouble de l’âme dans cette séparation, tout l’être s’en ressent, et cela sans que Dieu fasse en l’âme d’autres peines positives, sinon qu’elle porte la division et séparation de lui.

De plus, Dieu ne cesse par sa Justice de persécuter (quoique qu’amoureusement en cette vie, pour fait retourner à lui) une âme (34) qui est dans sa séparation, et qui ne se rend pas. Cette persécution est selon le degré de séparation et conversion vers les créatures. D’où vient que les pauvres âmes voyant tant de providence fâcheuse leur arriver, tant de maladies, tant d’inquiétudes, et au corps et à l’esprit, et comme il est essentiel à Dieu souveraine Beauté et Bonté, de consoler l’âme en son union : aussi lui est-il égal de lui causer inquiétude, peine et trouble en sa séparation ; il lui est encore autant et plus essentiel d’infliger à telles âmes les peines de sa Justice, si bien qu’il est impossible d’être dans l’éloignement de Dieu, sans être persécuté de lui. Il est vrai qu’en cette vie l’amour divin se sert de cet ordre pour convertir les âmes ; (35) mais elles ne laissent de sentir et expérimenter les peines cruelles et continues de la Justice divine. De là viennent un million de secrètes tristesses sans en savoir la cause, comme aussi ces inquiétudes que les créatures vous causent, et généralement le peu de satisfaction que vous avez.

Au contraire, outre la paix qu’une âme reçoit par la communication de Dieu dans toute l’âme, et la satisfaction qu’elle expérimente que Dieu soit content, l’infinie Bonté de Dieu prend un plaisir extrême à la satisfaire en se communiquant à elle. Car comme l’âme est à lui, il y agit, il l’embellit et remplit de ses dons comme chose propre. Heureuse paix à qui l’expérimente.

Ôtés donc la causes du trouble, (36) et assurément le Dieu de Paix vous communiquera son repos ; car il ne demande qu’à le donner, cela lui étant plus propre qu’aux rivières de chercher la mer pour s’y perdre.

Avez-vous jamais bien conçu la cause des inquiétudes que vous sentez tous les jours, en ayant souvent de secrètes, dont vous ignorez la cause. Apprenez-là, car elle vient de votre peu d’intelligence avec Dieu votre premier Principe et votre dernière fin.

De plus vous en avez, parce que les créatures vous contredisent, rien ne vous réussit, et généralement vous trouvez de l’amertume et du trouble en toutes choses. Ne voyez-vous pas la Justice divine qui vous poursuit, rendez-vous donc, car assurément (37) il est impossible que cela cesse sans faire cesser la cause, et tout au contraire vous rendant à Dieu, la paix solide véritable pénétrera votre entendement, votre volonté et vos sens mêmes, car ils seront dans leur centre et leur élément.

Considérez premièrement. Qu’outre cette paix dont votre âme jouira, et que Jésus-Christ a promis aux âmes de ses fidèles, leur disant qu’il leur donnera sa Paix, elle possédera encore une joie admirable, se sentant bien être avec son Dieu. Qu’y a-t-il de plus capable de donner de la joie, que de se savoir être agréable à Dieu, et comme assuré en quelque manière de la béatitude ? Cette joie au saint Esprit est le caractère par lequel vous discernez les amis de Dieu, les autres n’en ont pas ; ou (38) s’ils en ont, elle n’est qu’apparente et superficielle ; et celle des serviteurs de Dieu est solide, intime et générale.

Outre cette joie que la présence de Dieu et la bonne conscience donne, l’âme en a encore d’autres très grandes ; comme de posséder une sérénité et clarté dans l’entendement, pour connaître Dieu et les divins Mystères. [Expliquer] une netteté dans la mémoire, qui la désembarrasse d’un million de ressouvenirs fâcheux, soit des péchés ou des accidents journaliers ou de l’incertitude de la mort et de la vie éternelle ; car la mémoire se ressouvient avec très grande joie de Dieu, de ses bontés et de son amour envers l’âme.

La volonté a aussi une joie que (39) l’on peut expérimenter, mais non dire, se voyant délivrée de l’esclavage malheureux de soi-même, et des créatures ; car durant qu’elle était asservie à ce qu’ils voulaient, elle était comme une misérable prisonnière, les fers aux pieds, mourant de faim et de misère ; mais aussitôt qu’elle est délivrée par son retour vers son Dieu, elle se sent déchargée d’un très pesant fardeau, et en liberté pour l’aimer. Elle expérimente dans cet amour une joie admirable ; ses passions et ses sens qui ont été très maltraités dans cette éloignement, à cause qu’ils ont plus participé au péché, goûtent plus de délices qu’ils n’en ont faits infinies fois dans leur comportement.

Voilà ce qu’expérimentent les âmes, lesquelles après avoir (40) délaissé Dieu, retournent amoureusement à lui, et tâchent de satisfaire pour leurs péchés.

Avez-vous cette joie véritable, peut-être que vous n’avez jamais bien su que c’est le partage des serviteurs de Dieu : travaillez à détruire ce qui lui déplaît et vous l’aurez. À quoi bon tant hésiter pour vous donner à lui ? Vous craignez la peine, vous dites : il faudra contraindre mon esprit et captiver mes sens ; il faudra m’enfouir toute vive. Vous vous trompez assurément, vous n’êtes pas instruite des vérités, c’est tout le contraire, il est vrai que vous vous captiverez pour vous tirer d’une fausse liberté, pour vous donner la vraie des enfants de Dieu. Vous vous ferez mourir, et ce sera pour vous donner la (41) vie, trouvant cette joie admirable.

Ne vous contentez pas de la lumière générale, venez actuellement à la pratique, entrez dès ce moment dans votre cœur, et m’ôtez ce je-ne-sais-quoi qui vous tient esclave. Faites régner Jésus-Christ en vous, et lui dites du meilleur de votre cœur, quand sera-ce que j’irai à vous comme à mon Père ?

Considérez : 3. Que notre Seigneur exprimant le bonheur des âmes éclairées de sa connaissance, se sert pour l’ordinaire de la comparaison d’un Père de famille, qui fait un très somptueux banquet à des conviés, disant qu’il sert lui-même, et qu’il y donne de très rares mets. Cette comparaison de Jésus-Christ notre Seigneur, (42) exprime admirablement la fête continuelle, et le banquet perpétuel des âmes qui détrompées de l’amour d’elle-même et des créatures, sont vraiment tournées amoureusement vers Dieu. Car sans doute elles jouissent de l’amour divin, et des dons et faveurs de Dieu, avec une joie très grande, vous voyez ces âmes être dans une allégresse quand les jours de communion approchent. Les jours des grandes fêtes sont des rendez-vous, et assurément tous les hommes du monde les plus abandonnés aux délices de la vie, n’ont pas plus de temps de récréation que ces âmes ont de joie pour banqueter avec notre Seigneur. Les divins Mystères de sa sainte Vie leur sont un paradis en terre, ayant un million de (43) lumières, et de touches amoureuses, qui leur en découvre, et le secret, et les beautés. Et Dieu voyant ces âmes ainsi amoureusement occupées de son Fils, prend plaisir de leur augmenter telles lumières et amours.

Réfléchissez sur votre sécheresse, tiédeur et nonchalance dans les exercices de piété, n’est-il pas vrai que tout vous est presque égal, n’ayant pas plus de ferveurs dans les temps les plus saints, et aux communions, qu’aux autres jours, ce qui est une mauvaise marque.

Combien y a-t-il déjà de temps, qu’au lieu d’une plus grande ferveur en ces saints temps, vous expérimentez plus d’abattement ; et cependant vous roulez sans en chercher la cause. (44)

Ayez compassion de vous-même, étant au milieu des festins, et vous mourez de faim et vous périssez de misère. N’est-il pas vrai que vous expérimentez la nécessité de l’enfant prodigue, qui était contraint de se rassasier de la nourriture des pourceaux ? Dites avec lui que les valets de la maison de votre Père, abondent en nourriture très délicieuse, et vous pour l’avoir délaissé, périssez de faim. Sollicitez le instamment de vous pardonner, et assurément il vous pardonnera.

V.Jour. Méditation. De l’horreur et éloignement extrême qu’une âme doit avoir du péché pour arriver à sa fin.

Considérez I. Que le péché s’attaque à la grandeur et à la Majesté de Dieu, s’opposant à lui par une séparation entière et infiniment audacieuse.

Premièrement. D’autant qu’il méprise Dieu d’une manière qui ne se peut concevoir ; car choisissant la créature (46) par préférence à Dieu : c’est dire hardiment que Dieu n’a ni perfection ni vérité, qui égale la chose que l’on lui préfère, et comme on la choisit contre un ordre absolu, l’on lui dit qu’elle est plus capable de rendre la personne heureuse que Dieu même, et de cette sorte le péché choque Dieu comme grandeur infinie, comme fin dernière et béatitude éternelle.

Deuxièmement. Le péché attaque toutes les perfections de Dieu en particulier.

La première est la qualité de créateur, de souverain et de premier principe, par laquelle la créature doit dépendre de lui, comme l’effet de sa cause, et comme le rayon du soleil, et le pécheur par un péché se retire de (47) cette dépendance ; car Dieu dit je veux, et la créature dit je ne veux pas.

2. Le péché attaque la souveraine Sagesse à laquelle appartient de tout gouverner, et la créature par le péché se gouverne elle-même et suit sa propre conduite.

3. Son Immensité. Par cette attribut Dieu est en nous, et nous en lui ; si bien que quand un pécheur commet un crime, c’est en la vue de la grandeur et de la face de Dieu. Je dis plus, c’est dans le sein même de l’adorable Trinité.

4. Dieu est l’être des êtres, et le premier principe, sans lequel vous ne pouvez ni subsister ni agir, le pécheur donc ne saurait connaître un péché sans faire servir lettre souverain à l’action de son péché. Généralement parcourez (48) tous les attributs et perfections divines, et vous remarquerez l’infinie et audacieuse opposition du péché à Dieu, selon chacune.

Renouvelez votre foi pour considérer ces vérités avec grand respect, afin de vous convaincre pour jamais et vous humiliez infiniment. Oh combien peu d’âmes pénètrent la grandeur de chaque péché ! l’on aurait pas assez de larmes pour en effacer un seul durant toute sa vie ; jugez ce que ce peut être quand l’on n’en commet plusieurs.

Concevez amoureusement une contrition infinie de chaque péché, vous appliquant à satisfaire à Dieu selon chaque attribut et perfections divines.

Faites résolution de n’oublier (49) jamais ces importantes vérités, et si Dieu par sa divine lumière vous éclaire, regardez les plus horribles péchés de votre vie dans la clarté de ces vérités afin d’admirer et satisfaire à la bonté divine de Dieu qui vous a souffert.

Considérez deuxièmement. Qu’outre ce que dessus qui est suffisant d’attrister à l’infini une âme qui a commis des péchés. Le péché a en soi une laideur qui ne se peut non plus comprendre. Car comme il ruë [la rüe est une plante dont la respiration lorsqu’elle est brûlée est insupportable ; elle fut respirée par Marie des Vallées] notre âme, il met en nous une image horrible de la mort spirituelle, nous privant de toute la beauté que Dieu nous communiquait comme Créateur et Rédempteur, de telle manière que comme lors qu’une âme est exempte de péchés, toutes les perfections de Dieu chacune selon (50) son excellence et beauté, l’ornent et l’embellissent ; tous les mérites, les vertus et généralement tout ce qui est de Jésus-Christ, relève encore cette beauté ; aussi par le péché l’âme est non seulement privée de toute cette beauté ; mais cette privation met encore une laideur telle que qui verrait dès cette vie une âme en un seul péché mortel, ne pourrait soutenir ce regard sans mourir, et les âmes à qui Dieu le fait voir, le savent comme je le dis. sainte Catherine de Gênes en pensa mourir, et elle dit que cette vue est autant incapable d’être soutenue sans mourir, que celle de Dieu. Une âme par un péché a la même laideur qu’elle aura dans l’enfer, et il est certain que cette laideur sera une partie de la [51] damnation des âmes perdues.

Voyez encore en particulier la déformité de chaque partie de votre âme ; car comme par la grâce elle se revêt de Jésus-Christ, de ses beautés et vertu ; aussi par le péché, l’âme reçoit les qualités du démon, de telle manière que l’entendement, la mémoire et la volonté se corrompent entièrement, les passions et les sens en font autant.

Éclairée de cette vérité, ayez compassion de vous-même, et voyez combien de temps en votre vie vous avez été de cette manière, vous n’y pensiez pas, Dieu par sa bonté vous le cachait, car vous fussiez morte d’effroi.

Dieu vous a créée comme un très bel ouvrage de ses mains, pour son plaisir et sa gloire, et (52) par le péché vous lui avez ôté cette satisfaction.

Tâchez de vous humilier en sa présence, et de réparer ce larcin ; car assurément il se glorifie beaucoup dans la beauté d’une âme qui est en sa grâce.

Tâchez d’avoir une horreur infinie du péché, et dites souvent : plutôt mourir que de le commettre.

Considérez troisièmement. Que le péché est si abominable et si méchant, que la seule foi nous en peut faire voir et découvrir la laideur, et afin d’en concevoir quelque chose, considérez et pesez bien les effets de ce monstre infernal.

Le premier est dans la chute d’Adam et des Anges, Adam sort très pur des mains de Dieu, dans une beauté et union admirable à (53) son premier Principe, il commet une désobéissance, il est au moment par ce péché, privé et dépouillé de tout, d’une telle manière que non seulement il est mis dans une nudité grande ; mais étant séparé de Dieu, il devient rempli de misères infinies.

Les Anges font aussi, dans une beauté admirable qui excède celle de l’homme, un péché d’orgueil les rend dans une laideur si étrange, que cela ne se peut concevoir. C’est tout dire en disant qu’ils sont devenus démons et ministres de la Justice divine, pour persécuter les damnés, et par leur laideur faire une partie de leur enfer.

Le second est dans la personne de Jésus-Christ notre Seigneur. Il vient sauver les (54) hommes, et de cette manière se charge du péché ; le Père Eternel persécute donc le péché en lui, tellement qu’il est vrai de dire que le péché a crucifié un Dieu, et l’a charger d’outrages et d’ignominies ; ce qui est dire une chose infiniment grande et excessive.

Le troisième est en nous. Car aussitôt que nous le commettons, nous venons ennemis de Dieu, et dignes de sa haine infinie, et par une suite nécessaire incapable de la gloire éternelle.

Concevez de ces vérités un grand éloignement du péché ; peut-être quoi que vous ayez beaucoup péché, cependant vous n’avez jamais bien compris ces effets.

Tâchez en vue de Dieu de concevoir un extrême regret de (55) l’avoir commis, et faites en sorte de prendre toutes vos précautions pour vous en garder. Pour cet effet mettez ordre à votre vie, et vous réglez selon que Dieu le désire de vous.

N’est-il pas vrai que l’âme qui pèche est infiniment malheureuse, et ne doit pas s’étonner si elle souffre des choses étranges, puisqu’il a fallu qu’un Dieu d’un infini pouvoir, soit mort, parce qu’il en était caution. Je l’ai persécuté à cause des péchés du monde. (56)

VI. Jour. Méditation. Combien le péché véniel est dommageable à l’âme, et de sa malignité.

Considérez premièrement. Que très peu d’âmes connaissent suffisamment la malignité extrême du péché véniel ; l’on croit que pourvu que l’on évite les mortels, il suffit ; mais non, l’on se trompe. Car assurément le véniel a tant de malignité, que lorsqu’on l’aura (57) sûrement considéré, l’on en concevra presque autant de l’éloignement, et crainte de le commettre comme du mortel ; cependant vous remarquez que les âmes n’y pensent pas ; ce n’est qu’un péché vénice ce disent-elles. O malheur ! Quand l’on en est là ; il faut croire que c’est par ignorance, c’est pourquoi pesez bien les vérités suivantes.

Premièrement. Réfléchissez encore sur tout ce que vous avez considéré touchant les péchés mortels ; car vous pouvez appliquer cela au péché véniel, il n’y a que du plus et du moins, et chaque péché véniel y participe tant, que qui le verrait, en mourrait de déplaisir.

Pesez ensuite que spécialement le péché de véniel, je dis les ordinaires (58) (58) que l’on commet à chaque moment, et même sans réflexion s’attaque spécialement à la bonté infinie et à l’amour extrême de Jésus-Christ. Car comme cette bonté, et amour infini trouve encore quelques lieux en l’âme de se communiquer, d’autant que le péché véniel ne divise pas absolument l’âme de lui ; il fait ce qu’il peut, et même se renouvelle encore davantage, afin d’appliquer à l’âme les mérites de son sang précieux, ses grâces, et ses miséricordes infinies ; et l’âme par ses péchés les refuse, s’y oppose, et les rejette, de telle manière que l’on peut très spécialement dire du péché véniel qu’il s’oppose à l’amour infini de Jésus-Christ. Qui saurait ce que c’est que s’attaquer au sang récieux (59) de Jésus-Christ, à ses mérites infinis, et à son amour sans mesure ; cela ne se peut concevoir, cependant il est vrai que telles âmes ne cessent depuis le matin jusqu’au soir de répandre ce sang précieux de Jésus-Christ, et rendre inutile ses soins et ses travaux, d’autant qu’ils ne tendent pas seulement à nous sauver ; mais à nous rendre vertueux et nous embellir de ses vertus et de ses beautés pour sa gloire.

Si par la lumière de la grâce vous étiez bien pénétrée de l’étendue de cette vérité, votre âme serait outrepercée de douleur d’avoir tant commis de péchés en toute votre vie, et vous auriez un regret infini d’avoir été si aveuglée en une chose de si grande conséquence. (60) concevez en donc une douleur grande, et tâchez de ne jamais oublier cela. Prenez garde que faute d’être éclairée, et d’y réfléchir comme il faut, votre vie se passe à suivre votre humeur, et est dans une antipathie continuelle contre celles qui ne vous plaisent pas, ou un emportement sans jugement pour celles qui vous agréent et correspondent ; vous ne pouvez vivre sans posséder un million de choses dont vous êtes propriétaire. C’est une délicatesse sur vos intérêts soit pour soutenir votre jugement, ou pour aimer votre honneur, et tout ce qui va à votre propre excellence. Une paresse vous lie les mains et le cœur pour la vraie charité, et l’amour de Dieu. Pour ce qui est de la langue, de l’ouïe et du reste des (61) autre sens, vous êtes toujours en quête pour les satisfaire. Enfin faute d’y réfléchir vous avez toujours depuis le matin jusqu’au soir quelque passion qui vous conduit et vous prédomine : cependant c’est toujours la même chose ; une année se passe cette manière avec espérance que l’autre sera semblable. Car assurément vous ne regardez ces fautes comme il faut, vous allez très souvent à confesse, c’est pour vous en accuser en cette vue ? N’est-il pas vrai que vous n’y avez jamais pensé ? Vous dites que vous avez suivi votre humeur, ou fait quelque désobéissance ; mais cela sans exagérer la grandeur et la conséquence de telles fautes, et cependant faute de cela votre contrition est très faible. (62)

De plus faute de telles lumières et discernement, voyez que depuis que vous êtes levée votre vie et conversation est une enchaîneuse de telles fautes que vous jugiez petites, et de peu de conséquence, parce qu’elles vous sont ordinaires.

O qu’une âme est heureuse laquelle est solidement éclairée de cette vérité, et au contraire est très malheureuse quand elle voit ses fautes comme de peu de conséquence.

Considérez deuxièmement. Que le péché véniel est de si grande conséquence dans la vue de Dieu qu’il faut la vie d’un Dieu, les mérites d’un Dieu, et enfin le sang d’un Dieu pour en effacer le moindre ; de telle manière que quand tout le paradis, savoir tous les saints, tout (63) les ordres des Anges, la sainte Vierge satisferaient, et feraient sacrifice au Père Eternel pour mériter le pardon et le remède d’une seule parole oiseuse, cela ne serait rien ; il faut un prix infini pour payer ce qu’ils ne peuvent tous ensemble donner, il n’y a que Jésus-Christ qui est Dieu qui le puisse faire par son sang précieux.

Ajoutez que le moindre péché véniel est tel devant Dieu qu’il vaudrait mieux, et serait une chose plus désirable que toutes les créature fussent anéanties, qu’aucun fût commis.

Cependant l’on ne conçoit pas solidement ces vérités ; car véritablement l’on ne s’y applique pas ; l’avez-vous jamais fait comme il faut ? Ô que si cela était, outre (64) que vous mourriez plutôt que d’en commettre jamais de volontaires, vous seriez inconsolable quand vous en auriez commis, et toutes les fois que vous iriez à confesse, vous ne diriez pas : je n’ai rien à dire, quand bien vous n’auriez qu’une négligence à l’obéissance, ou quelque rupture de silence, ou quelque parole sèchement dite à telles à quelque sœur.

Je m’assure aussi qu’il n’y a pas de satisfaction que vous ne fissiez quand par faiblesse vous auriez contristé votre sœur ou auriez manqué à quelque chose de la règle.

Renouveler votre foi envisageant ces vérités afin de de vous en convaincre fortement, et que de cette manière elles vous soient des principes pour votre conduite. (65)

Assurez-vous que si cela est, vous remarquerez une grande netteté de conscience ; et par une suite, lumière et amour de notre Seigneur.

Ne vous étonnez nullement de la suite continuelle de vos fautes, et de votre peu d’avancement ; mais plutôt admirez la bonté de Dieu qui vous empêche de tomber en de plus grandes : car vivant sans considération comme vous faites, vous ne pouvez pas moins.

Faites résolution de changer de conduite.

Considérez troisièmement. Et pesez avec application les effets du péché véniel, il éteint la vigueur de l’amour divin dans nos cœurs, et quoiqu’il ne tue pas entièrement, cependant il en empêche la flamme et les beaux effets. De (66) plus il rend l’âme paralytique. Car il empêche son action, ce qui ne se fait que par la pratique des vertus que tels péchés empêchent. Il obscurcit entièrement l’âme, d’où vient que la réitération conduit ordinairement au mortel, d’où elle n’est pas loin.

Enfin les péchés véniels font une telle disposition aux péchés mortels, que la seule expérience peut faire comprendre combien facilement le mortel est reçu quand l’âme a été disposée par les véniels ; d’où vient que le démon assurément est très savant à la science de perdre les âmes par les péchés véniels (sans qu’il en manque peu) quand il est venu à bout d’en amasser beaucoup ; pour cet effet son plus grand travail est d’ôter et effacer de l’esprit les (67) vérités, et les lumières qui peuvent faire faire conséquence du péché véniel. Il soigne aussi que dans les examens l’âme s’amuse de la pensée, ce n’est que péché véniel, et par ses adresses il en fait beaucoup commettre ; et peu à peu il fait à l’âme, ce que l’on voit qui arrive à un navire si grand qu’il soit, il ne faut qu’un trou de ver pour lui faire prendre l’eau goutte-à-goutte, sur la fin, si l’on y remédie, l’eau qui est en si grande quantité que le navire s’abîme.

Le démon se sert donc beaucoup du péché véniel pour perdre les âmes par le mortel, spécialement les âmes religieuses ; car il est assez clairvoyant pour savoir que s’il proposait tout d’un coup le mortel à ces âmes éclairées et délicates, par la grâce de leur (68) vocation elles le découvriraient ; mais peu à peu par les véniels, il aveugle, endurcit et rend passionnées ces âmes, et après qu’il voit que ces effets sont suffisamment dans une âme, il donne et fournit si adroitement quelque occasion d’en commettre de mortel, que l’âme s’y donne sans le voir ni le sentir.

Si vous commettez souvent des péchés véniels, ayez peur et prenez garde ; car assurément vous expérimenterez ces effets, sous lesquels l’hameçon du démon peut être.

Tâchez de bien pénétrer et découvrir l’astuce du démon, afin de vous préserver de ces péchés. Ne dites pas dans votre cœur, qu’avec l’aide de Dieu vous aurez toujours une haine mortelle pour le mortel, c’est une tromperie (supposé que vous ne vous observiez sur les véniels), car ils ont leurs effets nécessairement, si bien qu’ils aveuglent, ils endurcissent et éloignent de telle manière de Dieu, que le mortel est reçu sans remord ni réflexion.

N’est-ce pas pour cette cause que vous voyez tant d’âmes tomber dans le malheur de la vie tiède, et la paralysie spirituelle, elles n’ont ni goût ni sentiment des choses de Dieu, ce qui leur fait faire les choses les plus saintes dans un abattement et paresse étrange : il faut des machines pour occuper leur entendement des divins Mystères, ou des vérités les plus importantes au salut, leur volonté est toute engourdie. Pour (70) leurs passions et leurs sens, ils sont sensibles à leurs seuls intérêts et emportements ; mais pour l’occupation de Dieu, c’est une chose pitoyable. Tout cela n’est-il pas vrai ? Et cependant avez-vous jamais bien réfléchi et pénétré que la cause de ce désordre vient des péchés véniels. Résolvez-vous donc d’en faire une infinie conséquence, et de prendre exactement la pratique de vous observer. Demandez compte très souvent à votre âme de tous ses mouvements.

Donnez-vous de toute votre cœur à l’Esprit et à la grâce de notre Eeigneur, pour vous imprimer fortement toutes ces vérités en l’âme. (71)

VII Jour. Méditation. Du grand mal que fait en nous la vie tiède et négligente.

Considérez premièrement. Que ce que l’on appelle la vie tiède est un manque de ferveur, et de désir efficace pour la perfection, soit pour la destruction des péchés et défauts, soit pour la tendance à Dieu son premier Principe, soit enfin dans la pratique des saintes vertus et exercices de sa condition. Une (72) âme tiède est donc celle qui n’a pas d’action ni de mouvement fervent, pour travailler à la destruction du péché en soi ; mais plutôt qui s’endort avec son ennemi dans son sein, et qui peu à peu s’habitue à souffrir en soi ses défauts sans remord ni excitation pour s’en défaire et y remédier.

De plus une âme tiède sent en soi une pesanteur et paresse pour la vertu, elle aime toute autre chose, et chaque vertu lui semble une montagne inaccessible ; les actions de sa condition lui sont à charge, les faisant qu’à regret. Elle va aus sacrements, soit de confession ou de la communion, parce que c’est le temps et la coutume. Elle ne voudrait pas celer quelque chose (73) d’importance ; mais pour les actes intérieurs, elle les fait par habitude. Volontiers elle s’entretient et parle quand bon lui plaît, la solitude lui est très désagréable, et pour les autres qui sont recolligés et assidues à l’oraison et fidèles au renouvellement, elles sont à son égard des déraisonnables et personnes peu accommodantes ; il faut, dit-elle, être générale et s’accommoder.

Cette tiédeur a des degrés, elle devient pas tout d’un coup ; mais peu à peu, au commencement ce n’est qu’un petit relâche, par nécessité, se dit-on ; après la raison en est le motif, et finalement l’on vient à trouver tout pesant, incommode et tout a fait à charge, et sous ces prétextes peu à peu l’on se néglige, et l’on tombe dans (74) la tiédeur. Durant ce temps, il vient souvent des mouvements de se retirer de cet état ; mais l’on n’a pas de pieds, l’on se lève un peu, et aussitôt l’on retombe.

Quand une âme en est venue là, la tiédeur a des degrés d’accroissement : comme l’on y est tombé par degrés, aussi s’y perd-t-on par degrés, au commencement l’on a des remords, peu à peu l’on les perd, et finalement l’habitude de la routine parfaite se saisit de l’âme.

O misère déplorable quand cela est ! Et cependant combien y a-t-il d’âme dans ce malheur ? L’on commence bien, et peu à peu manque de fidélité, l’on se ralentit et l’on tombe dans ce désastre, qui assurément est la dernière misère. (75)

N’y êtes-vous pas ? Ne voyez-vous aucune de ces marques en vous ? Si vous en voyez une seule, tremblez et soyez inconsolable, jusqu’à ce que Dieu vous aie dit une bonne parole au cœur pour vous ressusciter.

Appliquez-vous fortement à concevoir le malheur de cette vie tiède, et tâchez de ne vous donner cesse jusqu’à ce que vous soyez hors de ce péril.

Quand vous rompez le silence, ou manquez à quelque point d’observance régulière, ne dites-vous pas à vous-même, c’est peu de chose ? L’obéissance vous est-elle en tout délicate ? Si cela n’est pas, craignez et appréhendez le relâche.

Considérez deuxièmement. Et peser sérieusement combien la vie tiède et (76) relâchée est de conséquence : car assurément c’est le plus grand malheur qui puisse arriver à une âme qui s’est donnée à Dieu par la pratique particulière de dévotion. Car comme telle, Dieu ne cesse, quoi que tiède, de lui donner tous les jours infinies grâces et miséricordes, et ainsi c’est un abus extrême de ces grâces, ce que les grands pêcheurs ne font pas : car en cet état Dieu ne leur en donne que pour se convertir ; mais à ceux-ci, Dieu leur en donne non seulement pour les retirer du péché ; mais aussi pour pratiquer des vertus, et très souvent pour l’union même à sa divine bonté. Si bien que c’est un abus inexplicable de telles grâces, ce qui amasse un poids infini sur ces pauvres âmes, (77) lesquelles souvent n’y pensent pas. Car comme elles suivent leurs inclinations vivant à la naturelle, elles se croient en bon état ne se voyant dans les grands péchés, ou du moins quoiqu’elles aient parfois quelque peur, elles ne croient leur état tiède être si mauvais, et de conséquence comme en vérité il est, pour ces raisons ici.

La première est, que les grands pécheurs et les âmes perdues de crimes, se convertissent pour l’ordinaire plus facilement que telles âmes ; d’autant qu’elles voient leur mal, et se savent en mauvais état, et celles-ci se croient bien, ou au plus peu mal : ce qui leur fait négliger tous remèdes, comme personnes saines, et les autres au moindre mouvement, ou touche, (78) pleurent leurs péchés et en ont une extrême honte, les advoilant (?) facilement, ce qui leur obtient miséricorde et grâce de conversion ; mais les autres presque jamais ne sont touchées fortement, ce qui a obligé notre Seigneur de dire ces paroles surprenantes, parlant aux personnes qui faisaient profession de piété : Les Publicains et les prostituées vous précéderont dans le royaume de Dieu.

La seconde raison est que telles âmes sont dans une enflure et élévation telle qu’il ne faut que les aborder pour en expérimenter l’effet : car vous voyez en ces âmes un fond tel de propre jugement, pour tout contrôler et murmurer de tout, une délicatesse (79) pour leur intérêt propre, honneur et réputation, que cela ne se peut comprendre, et comme cependant cette enflure d’orgueil les domine, il est impossible qu’elles souffrent d’avertissement ni de répréhension sans crever, ou au-dehors, ou en elle-mêmes ; ce qui les remplit d’infinies productions d’orgueil.

Qui ne sait que le Jésus-Christ notre Seigneur ne regarde que de loin, c’est-à-dire, retire son cœur de dessus telles personnes superbes : car ce vice lui est insupportable.

Avez-vous compris ces vérités de la bonne manière ? Si votre cœur est dur et peu éclairé, au nom de Dieu, gémissez humblement, afin que sa divine Bonté ait pitié de vous, et vous donne sa (80) lumière pour le voir et vous y rendre.

Avez-vous aussi entendu le malheur dans lequel vous vous précipitez, faisant l’œuvre de Dieu négligemment ? Vous croyez que c’est assez de vous accuser généralement des distractions à l’oraison au chœur, d’avoir négligé quelque observance, d’avoir rompu le silence par inclination pour une sœur, ou quelque faux prétexte ; et pourvu que vous l’ayez dit à confesse, vous croyez que c’est assez, vous vous trompez, et vous ne remarquez pas le mal dans lequel ces fautes vous conduisent : car elles vous mènent à grands pas à la vie tiède, et par conséquent vous rendent coupables de cette épouvantable parole : Maledictus qui facit opus Dei negligentet. (81)

Aez pitié de vous-même, et ne regardez plus les fautes en ellesmêmes ; mais dans leur fin, et travaillez tout de bon à la correction.

Considérez troisièmement. Encore outre ce que dessus, les effets étranges de cette mauvaise disposition.

1 La vie tiède a même par une suite nécessaire le péché, dans la réception du sacrement de pénitence, étant presque impossible, que l’on s’en puisse exempter en cette disposition ; d’autant qu’il faut par nécessité du sacrement, avoir une contrition parfaite, ou imparfaite, qui est toujours un mouvement du saint Esprit, avec une résolution de quitter le péché, ce qu’assurément Dieu ne donne pas sans application sérieuse de l’âme, et cela est impossible en quelque (82) manière en cette disposition.

2. Telle disposition habituelle fait perdre le sentiment des grandes choses aussi bien que des moindres ; de telle manière qu’ordinairement telles âmes ne sont nullement touchées à la mort, elles meurent sans sentiment, ni même lumière de quoi que ce soit. Vous voyez ces âmes faire une confession, recevoir les derniers sacrements, aussi tranquillement que si elles ne faisaient rien de conséquence ; si elles sont touchées, c’est de la vie présente qu’elles quittent ; et enfin vous les voyez mourir en calme et en repos, mais malheureux calme, est épouvantable repos. Car les plus grands saints ont gémi, pleuré, et ont eu des renouvellements (83) tous surprenants pour regretter leurs péchés. Et afin de comprendre très solidement toutes ces vérités et infinies autres que Dieu sait, pour condamner cette tiédeur. Considérez humblement et mot à mot ces surprenantes paroles, mais très vraies de la Vérité éternelle : Je voudrais que vous fussiez, ou froid ou chaud ; mais parce que vous êtes tièdes, et ni froid ni chaud, je vous vomirai de ma bouche. Ces paroles sont remplies d’une si grande lumière et d’un si profond sens, que je m’assure, que si vous vous y appliquez de la bonne manière, vous ferez une résolution inviolable de vous faire violence, pour vous retirer de ce malheur.

Ayez pitié de vous, et travaillez : car il y va de l’Eternité ; et à moins

µ manquent 84 et 85

(86) votre âme doit gémir pour être délivrée des malheurs que les vérités précédentes vous ont découvert ; ne vous contentez pas d’avoir vu vos péchés, et la source de vos fautes, allez avec un courage grand au remède ; ne faites pas ce que saint-Jacques dit de certaines personnes qui voient leurs misères dans leur origine et après l’oublient. Il est vrai que tant d’âmes tombent dans ce malheur que cela est déplorable, plusieurs par la divine lumière voient dans certains temps, soit d’exercice, ou quelques bonnes fêtes, leur mauvaise vie, et leur négligence au fait de servir Dieu, et se rendre à lui de tout leur cœur ; mais elles en demeurent la, à cause qu’elles ne veulent se faire peine par l’inclination qu’elles ont (87) pour elles-mêmes et l’amour qu’elles portent au péché, et à leur propre corruption. C’est pourquoi vous voyez tant de touches, et de lumières : mais si peu de véritables effets. Ne faites pas de même ; servez-vous de la lumière présente, convertissez-vous amoureusement, et de tout votre cœur vers Jésus-Christ pour le choisir par préférence à tout. sainte Madeleine étant touchée et éclairée de sa vie passée n’en demeura pas là, non plus qu’à concevoir des désirs de se convertir et de mieux faire, elle rompit absolument tous ses liens tant du côté de ses attaches que de ce que dira-t-on, s’enquête où était Jésus-Christ, le va trouver, et amoureusement se jette à ses pieds, son pauvre (88) cœur lui disant dans l’humiliation et la confusion de son esprit, tous les regrets possibles de sa vie passée, et tous les désirs de ne penser plus qu’à lui, n’aimer plus que lui, et ne chercher plus que lui ; et de cette manière elle entendit cette tout aimable parole, vos péchés vous sont remis.

Ne vous contentez donc pas de certains déplaisirs généraux d’avoir offensé Dieu, et avoir tant perdu de temps sans vous rendre à lui. Envisagez-le par une conversion totale, le regardant comme votre cher Libérateur, et véritable refuge après le naufrage passé.

Dites-lui actuellement tout ce que votre pauvre cœur conçoit de regret de l’avoir oublié, et de n’avoir pas suivi ses ordres, et (89) ses mouvements, et si assurément vous faites cet envisagement, et cette conversion de tout vous-même de la bonne manière, il vous ouvrira son sein amoureux, et comme un bon Père, Jésus-Christ vous recevra, vous instruira, et prendra plaisir à vous orner des habits décents à la qualité de son enfant.

Si vous ne faites ceci avec une conversion totale, c’est-à-dire un regret vraiment amoureux, et désireux de Jésus-Christ, et avec une profonde humiliation, comme étant infiniment indigne que jamais il veuille vous recevoir et permettre de penser à lui, vous ne ferez rien, mais aussi si vous le faites, assurément il aura un cœur de Père. Regardez-le donc comme (90) votre aimable Père tout plein d’amour et de désir de vous recevoir vous recevant actuellement, et vous pardonnant tout le passé, à la charge que vous le pleurerez et en ferez humblement la pénitence.

N’est-il pas vrai que toutes vos conversions passées et toutes les touches qui vous ont fait voir votre mal, et vous ont fait désirer le remède, n’ont pas été efficaces ; car vous ne vous êtes pas tourné de cette manière à Jésus-Christ, ni n’avez pris le remède en lui comme vous voyez qu’il le faut faire.

Considérez deuxièmement. Afin de vous éclairer davantage pour faire ce véritable retour de votre âme vers Jésus-Christ votre aimable Père, ce que lui-même (91) en dit, et le modèle qu’il en donne dans la parabole de l’Enfant prodigue.

Considérez-vous comme ce pauvre enfant qui a laissé la maison de son aimable Père en laquelle il était nourri des mets de sa table, était habillé selon sa condition, et généralement avait les choses nécessaires, et utiles selon le cœur aimable de ce Père. Par une folie, et peu de conduite, il prend dessein de quitter son Père et sa maison, s’en va fort loin, et peu à peu consomme tous les biens qu’il avait emporté par la libéralité de son Père ; après cela, il tombe dans une telle misère et indigence, qu’il était contraint de garder les pourceaux, et tout heureux dans son extrême faim de manger de leur nourriture, pour (92) étourdir misérablement sa nécessité extrême. Pesez chaque circonstance, car cela est infiniment plein de lumière.

1. D’autant que cet enfant était en l’amitié et en la maison de son Père, il mangeait à sa table, aussi tout le temps qu’une âme est bien avec son Dieu, elle est son enfant, et il la traite en Père, vivant dans un même lieu et les mêmes mets dont Dieu se repaît, sont ceux de l’âme, elle est aussi habillée des biens propres à sa condition qui sont les vertus, et les grâces dont elle est embellie et ornée comme fille de Dieu par union à Jésus-Christ.

2. Il quitte son Père et devient misérable, c’est lors qu’une âme se convertit vers soi-même, et les créatures ; là elle a pour emploi (93) de suivre ses passions, et désirs mal réglés qui sont les pourceaux, et dans cet éloignement de son Père, et ces emplois, elle vient si pauvre et misérable qu’elle se repaît de la nourriture de ces pourceaux, s’abandonnant aux péchés et satisfactions sensuelles.

3. Cet enfant prodigue menant une vie si misérable en est touché, et se ressouvenant, et de la maison de son Père, et de la nourriture qu’il y avait, fait résolution de se tirer de son malheur présent, conçoit un désir efficace de s’aller jeter aux pieds de son Père, et le solliciter par ses entrailles de Père, avouant sa faute devant le Ciel, et en sa présence, et il assure que de cette manière il le recevra. Il exécute, il quitte sa (94) misère, va à son Père, et lui dit tout ce que dessus. Cet aimable Père apercevant de loin venir son Fils, tout déchirait, misérables, et en pitoyable état, touchée de miséricorde et d’amour paternel, elle lui va au-devant, embrace, se jette sur son col, et le reçoit.

Réfléchissez sérieusement sur chaque parole circonstances l’histoire. Car elle est infiniment pleine de Mystères et instructives, vous montrant la manière avec laquelle Jésus-Christ reçoit un cœur humilié, et convaincu de ses fautes, et du mauvais emploi de sa vie, et de ses dons. Pour tout, cet enfant ne fait autre chose que de s’humilier, et gagnant le cœur de son Père, il a tout. De même si vous êtes fidèles à vous humilier de cœur devant notre Seigneur, lui disant que vous avez infiniment péché contre lui, il vous recevra, et vous fera ressentir la vérité de chaque parole, qui assurément est très pleine de consolation, d’autant que cette chute du Père sur le col de l’enfant prodigue humilié, et contrit n’est autre chose que la communication de sa divine personne, et l’union qu’il nous donne avec lui. Le baiser sont les véritables plaisirs que l’âme convertie trouve en lui.

N’est-il pas vrai que vous êtes bien misérable pouvant vous tirer si facilement de vos misères, et cependant vous ne le faites pas ? Faites-le donc une bonne fois, et vous revêtez de toutes ces dispositions de l’Enfant prodigue ; après cela, croyez avec une foi (96) vive, et une ferme espérance que Jésus-Christ aura vers vous les mêmes effets de bonté qui lui a manifestés.

N’est-il pas encore vrai que les âmes qui périssent dans leur ordure et leurs misères sans lever la tête, et prendre courage pour trouver Jésus-Christ, sont bien infortunées ; puisqu’il ne faut qu’un bon acte d’humilité en sa présence pour qu’il communique à l’âme l’union sacrée à sa personne, les plaisirs de sa sainte conversation, et comme vous allez voir dans le point suivant, la nourriture de sa table. Il ne s’en tient pas même là ; mais il fait grand fête à l’âme.

Considérez troisièmement. Les avantages merveilleux que ce Père donne à son enfant selon la libéralité de (97) son cœur paternel. Car ne se contentant pas de l’avoir repris en son amitié, lui avoir donné l’union véritable à son cœur ; il ordonne encore qu’en diligence, L’on lui donne l’étole première, que l’on leur revête, que l’on lui donne un anneau en la main, des souliers à ses pieds, et enfin que l’on amène un veau gras et que l’on le tue ; afin, dit ce Père, que nous mangions et festivions, d’autant que mon Fils était mort, et il est ressuscité, il était perdu, et il est retrouvé. Toutes ces paroles sont pleines de divins et infinis Mystères, qui se donnent, lorsque l’âme ayant quitté le péché et la vie imparfaite, travaille tout de bon à suivre Jésus-Christ par conformité et amour. Car outre que cet aimable Sauveur s’incline (98) amoureusement vers l’âme, la revêtant de sa grâce, et de son amitié : ce qui est entendu par ce baiser, et cette chute amoureuse sur son col, il lui communique encore la participation de sa sainte vie, comme vous verrez dans les Méditations suivantes.

Envisagez en passant ce que chaque chose signifie, afin de vous en donner un avant-goût.

L’étole premières, est la pureté première et originaire : car par ce don Jésus-Christ purifie toutes les souillures de l’âme, lui pardonnant ses péchés, et lavant même les taches qu’ils avaient faites dans les facultés de l’âme, ce qui s’exécute par les lumières et les grâces que l’on puise dans l’oraison et autres exercices de piété. (99)

Ce vêtement, sont les vertus de pauvreté, de mépris du monde, d’humilité, de simplicité et de douceur dont Jésus-Christ était revêtu, et il en revêt l’âme, lui en donnant et lumière et amour. Durant que l’âme suivait ses appétits et ses inclinations corrompues, elle fuyait ces choses ; mais aussitôt qu’elle est tournée véritablement vers Jésus-Christ, elle remarque qu’un Dieu les a pratiquées pour son amour ; ce qui les lui fait désirer, et lui aussitôt lui en donne et lumière et amour, afin que les pratiquant, il les lui donne comme un grand trésor.

L’anneau à la main sont les vertus qui font agir charitablement aux choses extérieures, comme l’amour du prochain, à (100) l’exemple de Jésus-Christ, comme aussi la patience pour souffrir tout de ce même prochain, avec paix et amour.

Les souliers aux pieds sont la sainte obéissance : car comme les souliers sont donnés pour mieux marcher, l’obéissance est donnée pour courir à grands pas au service de Dieu, et à l’exercice de tout ce qu’il demande de l’âme, soit par lui-même, soit par les supérieurs.

Le veau gras qu’il tue pour festiner avec l’âme, sont les plaisirs que l’âme prend dans les mérites, et le sang précieux de Jésus-Christ, le vrai sacrifice offert pour l’âme.

Envisagez toutes ces choses les unes après les autres, afin de vous en donner un commencement (101) d’idées, pour vous faciliter la considération plus ample dans les vérités suivantes ; et comme celle-ci est d’infinie conséquence, tant pour la pratique que pour la consolation de l’âme, il est tout à fait nécessaire que vous en soyez bien pénétrée et convaincue.

N’est-il pas vrai que vous n’avez jamais compris que Jésus-Christ donne tant de grâces et faveurs aux âmes qui se convertissent tout de bon vers lui, et qu’au contraire vous avez envisagé son exemple et ses vertus, comme quelque chose d’affreux et de pénible ; il est cependant vrai qu’elles ont cet effet ; leur écorce et leur extérieur fait peur aux âmes qui ne les ont pas goûtées ; mais assurément (102) elles font de si merveilleux effets, qu’après quelques expériences, l’âme avoue qu’elle est très payée du travail et de la peine qu’elle a soufferte en cette pratique. N’êtes-vous point touchée tout de bon de la libéralité infinie de Jésus-Christ, à se communiquer à une pauvre âme pécheresse, comme aussi de sa promptitude à le faire. Car assurez-vous que tout ce que vous venez de remarquer, s’effectue quand l’âme est assez heureuse que de se convertir vers Jésus-Christ par amour et pratique. Relevez donc votre courage par la confiance, et prenez résolution de travailler tout de bon selon le modèle et l’exemple que Jésus-Christ vous (103) en a donné et que (3 mots illisibles) apprendre en la suite de votre retraite.

O que les pauvres âmes qui demeurent en elles-mêmes et en leurs péchés sont malheureuses ! Car elles ne connaissent jamais Jésus-Christ, et ne jouissent de ses grâces et de ses promesses, regardant au contraire toujours d’un œil triste, ce que l’on leur en dit, soit de ses pratiques et vertus, se flattant même par une tromperie, qu’il n’est pas donné à tout le monde de l’imiter. Ne soyez pas telle ; mais concevez un véritable désir d’apprendre à vous conformer à lui.

IX. Jour. Méditation. Continuation de la vie illuminative.

Considérez premièrement. Qu’après avoir vu en général le moyen dont l’Enfant prodigue s’est servi pour sortir de l’état très pauvre où il était, et pour obtenir l’abondance des choses nécessaires selon sa naissance et sa condition. Il est nécessaire que l’âme se tournant (105) vers Jésus-Christ, elle y voie et y considère en particulier toutes les choses utiles pour trouver un prompt remède à tous ses maux, et une participation grande de ces saintes vertus, afin de mener une vie conforme à la condition d’Enfant de Dieu.

Pesez et considérez que Jésus-Christ est votre véritable Père. Cette qualité lui donne des inclinations d’amour et de miséricorde, et l’incline à se rendre promptement à vous pardonner et à vous recevoir ; et c’est ce qu’il déclare par cette parabole de l’Enfant prodigue, et par ce bon Berger, lequel ayant perdu une brebis, la va chercher de toutes parts, et l’ayant trouvée, non seulement la fait revenir avec les autres ; mais encore la prend (106) (106) sur ses épaules pour l’y remettre plus facilement, son amour paternel ne pouvant souffrir qu’elle aie la peine de retourner avec les autres par son travail. Généralement Dieu à tant chéri cette qualité, et à tant aimé que ses créatures s’adressassent à lui sous ce titre, que continuellement il la marque. Dans la manière d’oraison qu’il a donnée, la première parole est celle de Père. Dans ce qu’il a fait pour nous, ça été cet amour de Père qui en a été le principe : car souffrant et mourant pour notre salut, ça été par amour de Père vers ses enfants, et pour nous dire au cœur, qu’il a tout fait parce qu’il est très bon en notre endroit.

Réfléchissez premièrement. N’est-il pas vrai que votre mal est venu de ce que (107) vous n’avez pas été fidelle à envisager Jésus-Christ comme votre Père, et à garder vers lui des tendresses et inclinations d’enfant.

Remarquez que comme l’éloignement de Dieu par le péché, met en l’âme une dureté de cœur ; aussi la grâce y rétablit le retour amoureux vers Jésus-Christ, et un désir de le voir comme un bon Père.

Humiliez-vous à l’infini devant Dieu : car ayant eu pour vous toujours cette qualité et ces inclinations de Père, vous êtes infiniment coupable du péché la gratitude, l’ayant abandonné.

Faites résolution de ne vous jamais oublier de cette aimable qualité de Jésus-Christ envers votre pauvre âme. (108)

Faites souvent des actes d’amour vers Jésus-Christ, comme votre Père, adorant avec respect cette qualité, et le priant de réparer toutes vos ingratitudes passées.

Tâchez de converser avec lui comme un bon enfant le doit faire avec un bon Père.

Sachez finalement que cette qualité de Père en Jésus-Christ, cause dans le péché, pour petit qu’il soit, quelque chose de très horrible.

Considérez deuxièmement. Que Jésus-Christ est la lumière véritable qui vous doit éclairer, et que toutes les autres lumières sont trompeuses, soit que vous les preniez dans votre esprit propre, ou parmi les créatures ; si bien que ce qui n’est pas marqué et (109) approuvé par la lumière de Jésus-Christ, est mensonge et faux. C’est ce qu’il entendait disant Qu’il était la lumière du monde, et que qui ne la suivait pas, marchais en ténèbres. Comme aussi lorsqu’il disait, Qui me suis aura la vie éternelle, car je le conduis assurément. Et cela est très vrai en plusieurs manières. Premièrement. D’autant que Jésus-Christ étant la sagesse du Père, c’est à lui qu’appartient d’illuminer tout homme qui vient dans ce le monde. Deuxièmement. Parce qu’il est donné spécialement pour être lumière et modèle, afin que les hommes se conduisent par lui, dit saint Jean. Et en un autre lieu, la Vie, c’est-à-dire Jésus-Christ, était la lumière des hommes, et Jésus-Christ par amour des hommes (110) se plaint amoureusement de leur malheur, puisqu’étant donné dans la terre pour les conduire assurément et très agréablement, Ils ont aimé plus passionnément les ténèbres que la lumière. C’est une chose étrange et cependant très véritable, que presque tout le monde a des yeux de hibou par à l’égard de Jésus-Christ : car personne ne veut regarder fixement cette admirable clarté, mais plutôt aime d’être enfouis dans le cachot noir et très obscur du péché, et sous la terre de leurs propres inclinations naturelles, ne voulant jamais se déprendre de quitter ni l’un ni l’autre, pour envisager agréablement et amoureusement Jésus-Christ, (111) comme la vraie lumière ; d’où vient que vous voyez presque tout le monde prendre le faux pour le vrai et l’imaginaire pour la réalité. Et quiconque est éclairé de Jésus-Christ, voit un chacun se précipiter, qui d’une sorte, qui d’une autre, faute d’ouvrir les yeux pour cette lumière, qui n’est autre chose que les vérités et maximes du saint Évangile. Comme la pauvreté, le mépris, le renoncement, et le reste des choses que Jésus-Christ a dites et faites.

Voilà la véritable lumière dans laquelle nous voyons clair, quand nous nous conduisons par elle, en pratiquant ces choses, et en les estimant préférablement à leur contraire, et c’est être dans l’aveuglement (112) et l’erreur que de ne le pas faire.

Réfléchissez que Dieu étant votre lumière, vous ne devez jamais rien entreprendre sans le consulter ; avez-vous bien compris que c’est être aveugle, que de ne pas se conduire par les maximes de Jésus-Christ ? Et comme un aveugle ne sait où il va, allant dans un précipice comme en un beau chemin ; aussi une âme pour si clairvoyante qu’elle soit selon le monde, peu à tous moments se précipiter, si elle ne suit continuellement Jésus-Christ la véritable lumière.

Si vous êtes assez heureuse que de bien comprendre que Jésus-Christ est votre lumière unique, et que vous vous réserviez, quoi qu’il vous en coûte, de le suivre, (113) vous aurez une perpétuelle consolation.

Compatissez à tant de pauvres âmes qui sont dans l’aveuglement, quoiqu’elles n’y pensent pas : car elles ne savent pas Jésus-Christ par pratique.

Finalement concevez bien ces paroles du saint Évangile : Et mundum eum non cognovit, que pour peu qu’il reste du monde dans votre esprit, vous ne connaîtrez jamais Jésus-Christ.

Considérez troisièmement. Que Jésus-Christ est la véritable vie de nos âmes, selon ces paroles sacrées Jésus-Christ est votre vie, et cela en plusieurs manières.

Premièrement. D’autant que comme une âme dans le péché est morte véritablement ; aussi une âme (114) étant dans l’amitié et bonne intelligence avec Jésus-Christ, est vivante.

Deuxièmement. Plus spécialement par la participation de l’Esprit de Jésus-Christ qui donne les mêmes inclinations de vie en nous, qu’il avait dans sa vie voyagère, de telle manière que quand l’on voit une âme ne se porter et être mue par amour des inclinations de Jésus-Christ, et qu’au lieu d’aimer la pauvreté, la simplicité, le silence, le mépris, l’éloignement du monde, etc. elle aime les richesses, l’honneur, le babil, etc. L’on peut dire qu’elle est morte, car elle ne fait pas les actions de la vie.

De plus, il est très vrai que les pratiques de la vie de Jésus-Christ ont une certaine qualité (115) de vie, et fort vivifiante, que qui est fidèle à se former sur cette sainte vie, l’expérimente, et que c’est vraiment et continuellement mourir que de n’en pas vivre.

Troisièmement. Jésus-Christ enfin est notre vie, car comme il est Verbe divin, d’où toute vie procède, et par lequel toutes choses ont leur être et leur action. Aussi il communique ce principe de vie, de grâce, aux âmes qui tâchent de servir à lui par amour et par désir efficace, de telle manière qu’il envoie des lumières vivifiantes dans notre entendement, et des touches amoureuses dans notre volonté. Nos sens mêmes en reçoivent une certaine vie de suavité et de consolation.

Après avoir pénétré ces importantes (116) vérités, concevez en quoi consiste la vie de votre âme : vous pensiez être vivantes, et vous étiez morte, aimant vos aises, vos consolations, et à satisfaire vos sens.

N’est-il pas vrai que vous avez toujours haï la souffrance, le mépris, le renoncement de vos inclinations comme une chose qui vous donnait la mort, et cependant c’est véritablement par quoi vous recevez la vie.

Quand vous remarquez que votre esprit, vos passions et vos sens se recherchent en quelque chose, envisagez Jésus-Christ comme votre vie, et voyez si ce qu’il désire, est conforme à ce qu’il a désiré ; si cela n’est pas, fuyez-le comme la mort : car assurément il vous la causera. (117)

Servez-vous de la foi, pour trouver dans les pratiques de Jésus-Christ, soit de sa pauvreté, mépris, souffrances, humilité, etc. une qualité vivifiante qui continuellement vous donnera la vie, et faute de cela, remarquez la vie misérable que tout le monde mène ; mais spécialement les âmes religieuses, lesquelles assurément sont des âmes mortes, si elles ne sont animées de cette vie ; et c’est la cause pourquoi vous en voyez si peu qui profitent de la vie régulière, les sacrements, les oraisons, et tous les autres exercices et grâces journalières qui sont à l’infini, leur servent presque de rien, plutôt très souvent leur nuisent beaucoup. Car quoiqu’elles ne (118) soient en tous points mortes (n’étant pas en péché mortel) cependant comme elles ne sont animées et vivifiées de Jésus-Christ, elles sont comme un arbre sans racines qui ne produit jamais de fruit.

Regarder chaque petite pratique journalière, qui vous donne conformité à Jésus-Christ, comme la vie de votre âme, et comme le Principe vivifiant, non seulement vos actions ; mais les facultés de votre esprit ; n’est-il pas vrai que qui irait avec cette lumière de Jésus-Christ éclairer tous les mouvements intérieurs et extérieurs des âmes religieuses, que l’on les trouverait presque toutes mortes, et pourries dans le sépulcre d’elles-mêmes.

Xe Jour. Méditation. Continuation.

Considérez premièrement. Qu’après que l’Enfant prodigue fut remis avec son Père, il lui donna plusieurs dons, aussi l’âme réunie à Jésus-Christ dans les trois manières susdites, comme à son Père, à sa véritable lumière, et à son unique vie, reçoit la participation de quantité de dons qu’il lui découvre dans sa sainte (120) humanité (trésor infini de ses grâces.)

Le premier que le Père donna à l’enfant prodigue, fut l’étole première : aussi il donne à l’âme un instinct et une lumière de pureté ; car comme le détour de lui pour se convertir vers soi-même et les créatures, fait précipiter tous les jours l’âme dans de nouveaux péchés ; aussi la grâce que l’on puise avec Jésus-Christ, cause un amour de pureté qui ne peut avoir de fin, et qui ne peut jamais dire c’est assez : car l’âme remarque qu’à mesure qu’elle se purifie, et qu’elle se défait de quelque défaut, Jésus-Christ se donne à elle, et lui augmente ses miséricordes de plus en plus. L’âme remarque aussi qu’il faut beaucoup de pureté, et de (121) fidélité pour le contenter : car étant l’exemple qu’elle doit suivre en toutes choses ; plus elle travaille à s’y conformer par imitation, plus elle y trouve de quoi faire.

Finalement elle est certifiée que sa pureté, et fidélité se termine à la vie bienheureuse, et sans fin, ce qui augmente merveilleusement les désirs de se purifier, et Jésus-Christ notre Seigneur aimant déjà tendrement cette âme, prend une joie admirable de lui donner ses grâces, et ses miséricordes, pour la solliciter continuellement à une nouvelle pureté, et à un degré de fidélité encore plus pur. Ce qui n’est autre chose qu’un instinct, et un mouvement continuel pour ne pouvoir souffrir de péché en soi quel qu’il (122) soit, comme aussi un désir sans cesse de pratiquer la vertu, et de chercher notre Seigneur toujours plus purement et fidèlement.

Pesez bien que ceci est très véritable, et que qui n’expérimente ce désir de pureté, n’est pas bien avec notre Seigneur.

Tâchez de l’exciter continuellement, réitérant souvent la vue de cette vérité, afin de ne vous endormir avec aucun défaut. Car une imperfection, pour petite qu’elle soit, dispose à une plus grande, et refroidit beaucoup le désir et le dessein de pureté.

Soyez très exacte et fidèle à vos examens, soit particuliers, ou généraux, travaillant de vous instruire pour cet effet, de tout ce qui vous y peut aider. (123)

Observez avec grande vigilance si le désir de vous purifier de plus en plus de se ralentit pas, car par là, vous remarquerez (si cela est) que Jésus s’éloigne de vous, d’autant que vous vous écartez de lui.

N’est-il pas infiniment déplorable de voir des âmes religieuses et consacrées à Dieu altérées, et en empressement pour le monde, pour des ouvrages, pour se remplir d’un million de choses inutiles ; mais pour chercher la pureté intérieure, personne n’y pense. Remarquez donc que la marque de votre progrès au sein des vertus de notre Seigneur, est la pureté intérieure et le désir d’y travailler.

Quand vous vous voyez attaquée de quelque passion, ou (124) tentation qui vous porte à offenser notre Seigneur, regardez-le dans une fidélité extrême, à faire en tout la volonté de son Père, soit quoi que cela lui fut fort pénible.

Considérez deuxièmement. Que la seconde faveur que le Père fit à son enfant fut de le revêtir de nouveaux habits, lui ôtant ses misérables et chétifs ; aussi Jésus-Christ en fait le même à l’âme son Amante, il la dépouille de ses anciens habits qui sont le désir des richesses, et de posséder quelque chose, la faim de l’honneur, d’être estimé, et préférée ; le soin des parents, et des pensées du siècle, la suffisance d’esprit, et l’enflure d’orgueil, et il la revêt des mêmes habits, dont il a été paré, savoir de sa sacrée pauvreté (125), de son mépris, de la peine du monde, et de sa sainte simplicité. Ces vertus ont couvert l’humanité sacrée, comme très précieux ornements, et il en revêt l’âme en lui en découvrant les beautés ; ce qui lui en imprime un grand désir, et une volonté forte de les acquérir. Il lui fait donc reconnaître que cette beauté est admirable par la connaissance qu’il lui donne, qu’il a paru ainsi habillé devant le Père Eternel, et que de cette manière il a pu ravir et charmer son cœur, s’inclinant vers les créatures ses ennemis mortelles. L’éclat de la splendeur qu’il a de toute éternité dans son sein, n’a pu fléchir et gagner son cœur ; mais aussitôt qu’il l’a vu habillé de ses habits, au moment (126) les foudres lui sont tombées des mains, et il a réconcilié la créature avec lui. Telle vue fait naître en l’esprit un désir de se revêtir de ces habits : ce qui fait travailler l’âme fortement pour les obtenir ; et pour ces effets il faut envisager continuellement ces mêmes vertus en Jésus-Christ, comme dans leur source et leur origine.

La pauvreté.

1. Jésus a voulu naître de pauvres parents 2. Sur le fumier, et dans une pauvre étable 3. Gagner sa vie à la sueur de son visage 4. Durant toute sa vie n’avoir jamais rien de propre selon ces paroles, les renards ont des tanières et les oiseaux d’ ; mais le Fils de l’homme n’a où reposer son chef. Enfin il a voulu mourir dans la dernière pauvreté. Ce modèle est admirable pour animer et instruire l’âme de la sainte pauvreté, et à mesure qu’elle en fait des actes et qu’elle y conforme ses inclinations, elle se dépouille des vieux habits et se revêt de nouveau.

Réfléchissez et voyez que vous conservez encore en vous les inclinations de grandeur, et que vous avez de la satisfaction d’être de naissance ; ou si vous êtes pauvre, que vous le cachez et en avez honte.

Voyez aussi combien vous avez d’inclination à posséder un million de petites choses, dont vous n’êtes pas éclairée, manquant à une infinité de pratiques sur cela. (128)

Combien y a-t-il de pauvres âmes qui ont fait vœu de pauvreté et qui durant toute leur vie n’en font aucun exercice, ni même ne savent ce que c’est, sinon pour en avoir horreur.

Faites une sérieuse revue sur tout ce que vous avez de propre. Ne dites pas que l’on vous l’a permis ? Ça peut être été peur de vous cabrer, et vous faire faire pis ; mais voyez devant Dieu si vous êtes conforme au pauvre Jésus-Christ ; et si cela n’est pas, ayez honte de votre nudité.

Le mépris et haine du monde.

2. Jésus a tant aimé le mépris et l’humilité que durant toute sa vie il n’a rien tant recherché ; voyez cela dans son état méprisable de l’étable.

De plus étant en Nazareth : car il y paraît comme un très simple garçon, ce qui le faisait mépriser. Durant qu’il a travaillé au salut des autres, combien l’a-t-il été que n’a-t-on pas dit de lui. Ses plus intimes en ont médit ; on l’a appelé un démoniaque, un fol ; l’on s’est joué de lui, en l’habillant comme un insensé. Enfin il est mort abîmé dans le mépris de tout le monde, et en le méprisant lui-même, qui n’aime et ne recherche que ce qui est grand et éclatant, et Jésus-Christ fait tout le contraire.

N’est-il pas vrai que presque jamais personne ne pense sérieusement à ce saint mépris ? L’on porte une confusion épouvantable dans la moindre approche, (130) et l’on fait un vacarme quand l’on dit la moindre parole qui rabaisse ou qui humilie ; et souvent au lieu d’en être reconnaissante vers les personnes qui vous causent le mépris, l’on n’en conçoit des aversions, et souvent une haine qui parfois fait tomber dans des péchés notables.

Quel aveuglement ? C’est peu connaître les véritables ornements d’une âme chrétienne ; faites une revue de vos pensées, et sentiment sur ce saint mépris, et considérez de près les fautes épouvantables que vous y avez commis : car au lieu d’en orner votre âme par la fidèle pratique de conformité à Jésus-Christ, ce vous est une source d’inquiétude, et de péchés ; et pour ces effets ne vous étonnez pas si vous n’avez pas d’intérieur et d’oraison : car comment Jésus-Christ voudrait-il venir en votre intérieur étant si peu semblable à ce qu’il a tant aimé ? D’où vient que c’est une chose étrange que certains spirituels qui croient avoir de l’oraison, et même souvent en parlent, ne savent néanmoins aucunement ce que c’est que ce mépris : car, touchez ces âmes élevées dans leurs pensées, et elles jetteront feu et flammes.

Apprenez donc qu’il n’y a que les âmes petites et humbles qui soient habillées de la robe nuptiale pour suivre l’agneau partout où il va, et fait une forte résolution quoi qu’il vous en coûte, de vous conformer à Jésus-Christ humilié et méprisé. (132)

Simplicité chrétienne.

3. Jésus-Christ a tellement relevé la sainte simplicité, qu’il en a fait un des plus beaux ornements de sa sainte vie, et une des marques plus particulières pour le connaître, non seulement dans sa vie qu’il avait dans sa sacrée humanité ; mais encore en celle qu’il a en nous par amour et conformité. Cette Sagesse éternelle a pris un plaisir très grand de paraître un enfant dans la crèche. Étant en Nazareth, il a affecté d’y paraître dans une simplicité admirable. Quand il a prêché, ça été en paroles simples et dans un maintien et une conversation tout à fait pareille ; d’où vient que saint Jean se servait de ces mots pour le faire connaître à ses disciples : voilà l’Agneau de Dieu. Ce qui marque sa douceur vraiment simple, et il ordonnait à ses apôtres d’être continuellement dans cette aimable simplicité : aussi simple que des colombes, ayant une douceur générale et sans fiel avec tout le monde, pour y agir sans duplicité ni finesse. Et pour cette raison a-t-il dit ces autres admirables paroles : Je vous dis en vérité que si vous devenez comme des enfants, vous n’entrerez jamais dans le Royaume de Dieu.

Réfléchissez, où trouverez vous cette sainte vertu ? Sera-ce dans les cloîtres ? Elle y est très souvent non honorée ; mais fort méprisée : d’où vient qu’on ne se (134) fait que picoter les unes les autres. Faites réflexion sérieuse sur votre façon de faire, pour remarquer votre adresse et duplicité, traitant peu simplement avec vos sœurs.

Travaillez, car elle est d’infinie conséquence ; d’autant que Jésus-Christ ne reconnaîtra à la mort que les âmes simples, et qui l’auront cherché en simplicité de cœur.

Prenez garde que faute de cette pratique, vous faites chaque jour des fautes infinies à l’égard de Dieu, de votre prochain, et de vous-même ; et cependant très souvent quand vous allez à confesse, vous ne savez que dire, vous êtes en peine parfois pourquoi Dieu ne se rend pas fidèle à vous entendre dans vos nécessités et prière, et que vous ne pouvez l’arrêter auprès de vous pour demeurer en sa présence. Le défaut de simplicité en est la cause : Dieu se plaît à converser et demeurer avec les âmes simples et vraiment candides, et il s’éloigne des autres, quand elles se tueraient de macérations.

Enfin n’êtes-vous pas de ces âmes si peu simples, qu’elles trouvent à redire à tout, murmurant de tout, et qui vont çà et là se faire des amis pour se décharger. Pleines et remplies qu’elles sont de leurs méchants soupçons et retours, ayant aussi une curiosité étrange pour tout savoir, et s’entretenir avec telles amies.

Considérez 3. Qu’après que le Père eut fait donner des habits

(136-137 manquent µ) (138) tout le monde ; de telle manière que sa sainte vie est un exemple et un original très accompli de toute charité, si suave et aimable, que la vue de cette sainte et sacrée vie, est une source de bénédiction, pour obtenir et pratiquer la sainte charité. Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimé (dit-il) et en un autre lieu : Voilà que je vous donne un commandement nouveau que vous vous aimiez les uns les autres. Et au même temps il en donna l’exemple, car il se mit au pied de ses apôtres et les lava, même à Judas qu’il savait avoir la trahison dans le cœur. De plus il le baisa, avec ses aimables paroles, Mon ami, comme s’il lui eût dit, vous que j’aime si chèrement, vous me trahissez.

Prenez garde à tout ce que Jésus-Christ a fait dans toute sa vie (ce qui est infini en tous points) il l’a fait par charité pure, et pour quantité qu’il savait bien qu’au contraire d’en avoir de la reconnaissance, le mépriseraient et l’outrageraient, insultant audacieusement contre lui. Tout cela n’a pas empêché son infinie charité d’accomplir ce qu’il avait dans le cœur : J’ai un baptême dont je dois être baptisé. Il parlait de sa mort : Et je suis infiniment pressé que cela soit.

Qu’il y a peu d’âmes qui apprennent cette leçon, tout de bon, où en trouverez-vous même dans les cloîtres qui aient cette charité et qui se forment sur ces exemples admirables ? Si l’on s’aime, c’est par amitié particulière (140) et intéressée ; mais non générale et bienfaisante à toutes.

La charité est bénigne, douce, patiente. Quand vous êtes dans un office, agissez-vous dans ses vues, ne regardez-vous pas la chair et le sang ? Si vous faites la charité, la faites-vous avec gaieté et promptement ? Et afin d’y voir vos manquements, faites une revue sur vos actions, et sentiments touchant cette vertu.

La patience.

Jésus-Christ a tellement établi et mis sa vie dans les souffrances qu’assurément il est de tout point véritable ce que le Prophète a dit de lui : Vir dolorum, que c’est un Homme de douleur. Car dès le moment de son Incarnation jusqu’au dernier de sa vie, il a été dans un continuel exercice de patience, soit du côté de Dieu son Père qui l’a persécuté continuellement, le voyant chargé, et la caution des péchés de tout le monde, et ça été en cette vue que l’ordre Eternel a été qu’il souffrît par une naissance pénible. Qu’il n’eût ensuite de quoi vivre que du labeur de ses mains, et à la sueur de son visage. Qu’enfin il souffrît en toutes manières durant sa vie, et qu’il mourut de douleur, et par le glaive d’une cruelle mort, soit par les créatures, car il en a été exercé en toutes façons, par des douleurs excessives et de toutes sortes qu’elles lui ont fait ; par les mépris et confusions ; par les médisances ; par les ingratitudes ; et enfin par les contradictions (142) générales de toutes celles qui devaient avoir plus de respect et de considération pour sa sacrée personne.

Cette divine patience de Jésus-Christ est un spectacle admirable et du tout adorable, et l’âme amoureuse de lui, devient par la vue de telle patience, altérée, et désireuse de s’y conformer, ce qui lui donne un amour très grand de l’imiter en patientant, et même se réjouissant quand il lui arrive de quoi offrir à cet aimable Sauveur, pour compatir à ses douleurs et l’imiter dans sa patience. C’est pourquoi l’âme ne se rassasie pas de le voir, et de le considérer, tantôt souffrant des douleurs, tantôt des mépris, jusque à être estimé un fol, et un démoniaque. Une autre fois le voyant contredit outrageusement et sans aucune raison, parfois aussi chargé et opprimé de médisanceset d’ingratitudes, et par telles vues l’âme se fortifie à souffrir en telles rencontres sur son exemple.

À la vue de ces admirables vérités, humiliez-vous profondément. Car où est votre patience ? N’est-il pas vrai que vous ne sauriez souffrir une piqûre d’épingle, une parole (je ne dis pas de médisance) mais qui contrarie tant soit peu votre esprit, et votre inclination naturelle ?

N’est-il pas certain que votre vie n’a été qu’une révolte continuelle dans toutes les occasions de souffrir ? Et pour le mieux connaître, faites une revue sur le dénombrement des sortes de (144) souffrances que Jésus-Christ a portées, et vous en serez très humiliée.

Quand parfois vous avez quelque petit sentiment de dévotion, vous vous croyez au-dessus des nues ; mais présentement regardez de près la vérité. Quelle est votre fidélité quand vous avez quelque douleur, soit d’esprit ou de corps ? N’allez-vous pas chercher le tiers et le quart pour vous décharger ? Et quand l’on a dit quelque chose de vous (qui n’est rien, comparé à ce que Jésus-Christ votre Dieu a souffert en votre considération) vous crevez de colère et faites vacarme, ne pouvant être contredit en rien, et si vous ne témoignez au-dehors votre peine, vous vous en entretenez au-dedans, vous desséchant l’intérieur par diverses pensées.

Enfin si la crainte de Dieu vous empêche de ne pas vous laisser aller à tous ces emportements mal réglés, il est vrai que vous n’en faites nul fruit par pratique de vertu.

Éclairée donc de tout ceci, il faut en esprit intérieur, humblement et amoureusement uni à Jésus souffrant, porter la peine dans laquelle vous serez pour lors, vous animant fortement de son exemple.

L’obéissance.

Enfin le Père donne des souliers au pied de son Enfant, Jésus-Christ poursuivant sa charité bienfaisante, et son (146) amoureuse bonté, donne à l’âme le don d’obéissance par lequel il la rend prompte et agile pour courir à grands pas dans la perfection, et la sainte pratique de ce que sa condition requiert.

Ce don d’obéissance est donné à l’âme selon qu’elle s’applique à considérer dans la sainte vie de Jésus, et qu’elle travaille fortement et courageusement pour l’imiter, quoiqu’il lui en coûte. Elle considère premièrement. Comme ce Dieu homme s’est fait un enfant, et à porté toutes les faiblesses et les suites de l’enfance, et tout cela pour se soumettre à la volonté de son Père, ce qui dit des choses infinies à souffrir soit pour être pénibles ou humiliantes.

Deuxièmement. Il n’a fait aucun usage de la sagesse, et de la lumière pour suivre la volonté de son Père qui le voulait dans l’obéissance de sa mère et de saint Joseph, et dans cette pratique il sacrifiait continuellement les vues de son esprit et les lumières de sa sagesse, pour recevoir conduite et instructions d’un pauvre homme (sa créature) ce qui est incompréhensible.

3. La volonté divine a été tellement la sa conduite durant sa vie, qu’il dit d’en avoir aucune autre, ne voyant tout ce qu’il avait à faire, à laisser ou à souffrir que selon l’obéissance. Il était comme un agneau que l’on menait à son gré ; dans ces souffrances, et dans sa mort, ne s’y est-il pas soumis et conduit par obéissance ? Non (148) ma volonté, mais la vôtre, mon Père, doit être faite. Toutes les circonstances de son obéissance ont été infinies : car elle a été : Premièrement. Aveugle, faisant généralement toutes choses au-dessus de ces vues propres. Deuxièmement. Entière, car il n’a pas laissé un iota sans s’y rendre, et c’est pour cette cause qu’il dit étant en la croix : Tout est consommé. Troisièmement. Si à point, qu’il n’a pas changé ni différé un moment d’accomplir toutes choses en leur temps marqué par son Père Eternel. Quatrièmement. Enfin elle a été si constante et pure, qu’elle a été sans autre vue que pour obéir à son Père, les souffrances ni le mépris ne l’ayant pu faire changer un moment de cette entière soumission.

L’âme doit prendre grand plaisir de remarquer cette admirable vertu dans son original, et sa source Jésus-Christ, afin d’apprendre de là comme il faut courir la voie du Seigneur : Il a joyeusement fait sa course en géant, c’est-à-dire exécuté les ordres éternels sur sa personne humanisée.

Peu d’âmes comprennent l’excellence et la nécessité de cette vertu de Jésus-Christ, c’est pourquoi vous voyez que dans les Religions l’on s’en ennuie si tôt, et l’on cherche infinies raisons et adresses pour n’y être pas sujette ; si l’on obéit quelquefois extérieurement, l’on ne le fait pas intérieurement, et de bon gré, conservant une secrète (150) opposition de jugement qui perd tout le fruit de l’obéissance, et même très ordinairement fait beaucoup offenser Dieu par les murmures et discours secret.

Examinez-vous et voyez si votre obéissance a été sur l’exemple de Jésus-Christ. A-t-elle eu ces qualités ? Par là vous remarquerez l’abîme de mal dans lequel vous êtes si cela n’est pas, comme aussi la raison pourquoi après tant d’années de Religion, c’est toujours la même chose et parfois pis. Avez-vous jamais bien compris le mal que vous vous faites, n’obéissant pas à l’aveugle ni constamment en toutes choses quoique rudes, envisageant Jésus-Christ ? Car c’est par là que l’on va à la perfection, et ne le pas faire, c’est reculer. Ôtez donc toutes ces raisons humaines que vous avez, car obéissant à vos règles et à votre supérieur, c’est obéir à Jésus-Christ.

Ne vous est-il jamais arrivé pour pouvoir faire votre volonté de consulter des personnes dont vous vous doutez bien que l’avis sera selon la nature et l’inclination ? N’usez-vous pas aussi souvent d’adresse vers votre supérieur pour la faire incliner à ce que vous voulez ?

Ne commettez-vous pas un péché très criminel contre l’obéissance faisant des rapports, ou aigrissant l’esprit des autres quand vous les savez peinés contre l’obéissance ? Et ne vous entretenez-vous pas en cachette avec quelque confidente de choses qui (152) peuvent affaiblir l’obéissance ?

Ne vous est-il jamais arrivé de consulter des casuistes, ou d’en garder dans vos chambres pour voir précisément en quoi vous êtes obligée pour éviter seulement le péché mortel ?

Finalement en vue de l’obéissance toute adorable de Jésus, faites une ferme résolution de travailler à l’acquérir quoi qu’il vous en coûte, et Dieu tout bon vous la donnera comme un don très précieux qui couronnera tous les autres, pour vous faire courir en pas de géant afin d’arriver où Dieu vous a destiné de toute éternité.

Conclusion de la retraite.

Voilà par où peu à peu Jésus-Christ veut conduire une âme qui par sa grâce commence fidèlement à ouvrir les yeux à la lumière de vérité. Il prend plaisir à lui départir ses miséricordes afin de la disposer encore à d’autres grâces plus excellentes : car assurément il n’en demeurera pas là si l’âme est fidèle à la pratique. Toutes ces vérités ne sont que pour la laver, et ensuite l’orner des vertus, afin de la conduire dans le festin des noces qui est l’union amoureuse ; mais très véritable avec sa divine personne ; ce que le Père donna à l’enfant prodigue ; car après lui avoir donné tout ce que dessus, il (154) donna un festin très somptueux, Amenez-moi, dit ce Père, un veau gras, et le tuez, et que nous mangions et festinions ; car mon Fils que voici, était mort et il est ressuscité, je l’avais perdu et je l’ai retrouvé.

Quel est ce veau gras sinon Jésus-Christ plein des miséricordes et mérites que ses actions et souffrances ont acquis, tué à l’arbre de la Croix, et donnée pour festiner ; et pour témoigner la joie de ce que l’âme est ressuscitée de la mort du péché à la grâce, et retrouvée après son éloignement par la pratique de toutes les vertus susdites.

Le Père Eternel l’a donné à l’âme en union véritable comme un festin très délicieux et plein d’allégresse, et toute la Cour céleste y prend part, l’âme y commence à goûter les merveilles de Jésus-Christ, trouvant dans les Mystères et dans les sacrements une manne vraiment céleste. Mais comme cette union est fort relevée étant un festin Céleste, et l’excès de jubilation du Père Eternel, festinant l’âme dans la joie qu’elle a d’être ressuscitée en son Fils, il n’en faut dire que ce peu pour manifester seulement le bon cœur de Jésus-Christ envers les âmes, si elles étaient fidèles à suivre ses lumières et sa conduite : car assurément il ne mettrait pas de bornes à son amoureuse (156) communication en nous, si nous ne cessions point d’être fidèles à la véritable purgation de nos péchés, et à l’acquisition solide des vertus.

Ceci doit infiniment animer nos âmes à la pratique solide des lumières que contient ce petit exercice, afin que notre âme mérite par ce moyen l’heureuse union à Jésus-Christ son tout et sa vie ; et qu’elle commence à vivre et faire du temps l’Eternité ; ce qui donnera une joie, et une satiété qui ne peut être exprimée qu’aux âmes qui par expérience l’on goûté.

Fin de la première retraite.

Seconde retraite

Avertissement. Cet exercice est pour découvrir à une âme ces défauts et son désordre,

afin de la convaincre fortement d’y donner ordre. Il est tout à fait nécessaire, car si l’âme devient jamais à être fortement convaincue et éclairée de ce premier pas, [158] et démarche de son âme vers Dieu ; elle demeure toujours à la place où elle est, quelque travail qu’elle entreprenne.

C’est une chose pitoyable de voir quantité d’âmes, lesquelles faute de prendre le travail de leur salut de la bonne manière, se donnent beaucoup de peine sans aucun fruit : elles sont comme ces gens qui embellissent, et peignent des sépulcres qui enferment en soi des carcasses puantes et pourries, et souvent malheureuses.

Aussi plusieurs âmes, sans pénétrer fortement le malheur où elles sont, et la corruption de leur intérieur, s’amusent à certaines [159] belles pensées, pratiques suaves, et autres sortes de dévotions non pénibles, sans approfondir fortement la connaissance propre, de ce qu’elles sont en vérité devant Dieu, tâchant de connaître leurs désordres intérieurs, les emportements de leurs passions, et les dérèglements de leurs appétits, et par là y remédier véritablement, se mettre en état et en capacité de recevoir les dons et les grâces de Dieu, et de travailler à sa gloire.

Soyez donc fidèle au nom de Dieu, et à l’aide de ces vérités ; approfondissez courageusement et fortement ce que votre âme est [160] en elle-même et devant Dieu, par vos défauts, et la corruption contractée, par une suite d’infidélités et de négligences dans votre état. Que chaque ligne de ces Vérités vous soit un jour et une lumière pour vous découvrir ce que vous êtes : car vous ne devez pas tant vous arrêter, (comme font de certaines âmes qui se trompent elle-même) à la considération sèche des Vérités qu’elles envisagent, sans y réfléchir solidement ; mais au contraire après avoir pénétré quelques Vérités, servez-vous-en comme d’une lumière, et d’un flambeau, pour visiter toute votre âme, et de cette sorte, [161] quoi que ces vérités de chaque jour ne soient pas fort longues, cependant agissant de la manière que je vous dis, elles vous seront d’une lumière très étendue : car chaque mot vous découvrira bien des affaires chez vous, et de cette manière, seront fort longues dans leur brièveté.

Ne vous rebutez pas, et ne soyez pas délicate à leur première lecture ; mais cassez la noix, et il vous en arrivera autant qu’à ce bon Solitaire, auquel on fit boire une potion fort amère au goût, mais fort cordiale et confortante au cœur.

Aussi les vérités de cette Retraite seront dures à votre raison, [162] et à votre esprit humain et sensuel : mais étant digérées de la bonne façon, elles vous feront tant vider d’humeurs et de de corruption, que vous en sentirez un notable soulagement, Dieu aidant.

Et afin que cela soit, tâchez d’entrer dans cette Retraite, dans les dispositions intérieures qui sont nécessaires ; afin que la bonté divine vous éclaire de ses lumières, et vous secoure en ce travail d’exercices. (163)

Premier jour.

Méditation. Considérez que très souvent les âmes faute de réfléchir assez sérieusement sur ce qu’elles doivent à Dieu, ce qu’elles sont en elles-mêmes, et ce qu’elles deviendront à la suite de leur vie, passent leurs jours dans de grands désordres, étant continuellement dans une confusion et un embarras intérieur qui [164] ne leur permet pas de goûter les grâces, les faveurs, et la suavité de l’esprit que Jésus-Christ leur est venu communiquer, se faisant homme pour leur amour, ce qui est cause que sa sainte vie, ses grâces et ses mérites leur sont très ordinairement inutiles et même inconnus.

Quand donc une âme désire se retirer de ce malheur, il est à propos qu’elle réfléchisse solidement sur ces vérités ; et cette réflexion pour être efficace, se doit continuer plusieurs jours dans une tranquillité d’esprit, une attention sérieuse, et un désir véritable de connaître la vérité, et remédier efficacement aux péchés, désordres et inutilités que l’on connaîtra ; se prenant garde de l’adresse de la Nature qui ne [165] veut pas se retirer du mal, à cause qu’elle craint étrangement le règlement ; comme aussi de la finesse du démon qui inspire un million de raisons, d’inconvénients et de difficultés, de peur que l’âme ne pénètre son mal, et n’aille à la source de ses désordres ; mettant souvent en l’esprit, que l’on a remédié aux péchés passés par les Confessions : et pourvu que l’on se confesse actuellement, c’est assez, sans se donner tant de peine, qu’aussi bien que l’on ne remédiera jamais à tout, et un million d’autres pensées, afin d’arrêter l’âme dans sa vie ordinaire, et continuer sa façon de vivre. Cet ennemi du salut est même si adroit, que quand il prévoit qu’une âme peut concevoir le désir de remédier à sa vie passée, et [166] donner l’ordre à la future, il contribue à voir à un horreur des péchés passés, arrêtant tout le travail de l’âme sur les péchés actuels, qui sont bien visibles ; mais pour pénétrer leur source, et le les mauvaises habitudes que l’âme a contractées, il fait voir et convainc si bien l’esprit, si l’on ne s’en prend garde, qu’il suffit d’en être marri en général, qu’il ne permet pas que l’on descende dans le particulier, tant pour en connaître la déformité particulière, que pour en bien pénétrer la source.

Donnez-vous de garde de ces deux ennemis de votre salut et du repos de votre âme, tâchez de concevoir un désir véritable d’approfondir comme il faut, tous les péchés de votre [167] vie, et tout ce que vous avez fait qui peut être désagréables à Dieu, comme aussi d’en connaître la source ; prenant de plus une résolution ferme, non seulement de concevoir un horreur de ce qui a été criminel ; mais prenant une force et efficace résolution, de remédier aux causes et aux sources de ces malheurs, tâchant de bien faire connaître les plaies, les blessures, et toute la mauvaise constitution de votre âme à la personne que Dieu vous a donné pour vous aider dans l’entreprise de cette Solitude.

2e jour.

Méditation. Considérez de plus sérieusement : que les créatures s’appliquent toujours à connaître et à s’occuper de toute autre chose, que de ce qui leur est le plus nécessaire, elles passent souvent leur vie dans l’ignorance de Dieu, et de leur salut, se façonnant de leur mieux, pour plaire aux créatures, et pour satisfaire leurs passions et leur amour propre ; mais pour ce qui [169] touche le salut, elles l’ignorent et l’oublient continuellement, ne considérant presque jamais qu’elles sont en cette vie seulement pour se sauver. Que le malheur des malheurs pour une âme, est de commettre un péché. Que chaque fois qu’on le commet, l’on se met en état d’être damné éternellement ; et qu’y étant actuellement, l’on est ennemi de Dieu et l’objet de sa haine. De plus, que chaque fois que l’on le commet, l’on corrompt son âme, et on l’habitue à en commettre à l’infini. L’âme se noircissant par le péché et la révolte des passions, comme par la grâce et les actes des vertus, elle se sanctifie et divinise. De telle manière que faute de s’occuper comme il faut à la considération de ces choses, [170] s’oubliant soi-même et sa vie désordonnée, l’on va de péché en péché, d’un aveuglement en un plus grand, et souvent l’on s’endurcit à les commettre.

Le Démon se sert de deux adresses, pour faire tomber l’âme en ce malheur. La première est, qu’il l’occupe de quantité de choses au-dehors, et fait en sorte d’exciter ses passions vers elles ; commençant par les indifférentes, les terminant par les mauvaises. La seconde est, d’empêcher que l’âme ne s’occupe jamais, ou que très peu des vérités éternelles, soit pour voir ce que c’est que le péché, ou la fin à laquelle le péché conduit. L’âme même contribue beaucoup à son malheur ; car aveuglée qu’elle est, et faute de vouloir sérieusement réfléchir [171] sur le chaos de sa conscience, elle ne croit pas être dans de grands désordres, jugeant que toutes les choses qu’elle commet, sont petites, d’autant qu’elle en commet souvent de telles, spécialement quand c’est une âme religieuse. De plus, elle est même aveuglée par quantité d’actes apparemment saints, qu’elle est obligée de faire par la correction de Religieuse.

Tâchez de vous retirer de cet aveuglement, pénétrez, aidée de la grâce que Dieu vous présente, le fonds corrompu de votre âme, et épluchez sérieusement ce que vous aurez commis et commettez encore tous les jours par le mauvais règlement des parties de votre âme, par le peu de fidélité à faire usage saint, et comme [172] Dieu désire, de la grâce de votre vocation ; et si vous regardez comme il faut ces deux sources de péché en vous ; vous en remarquerez à l’infini. Il arrive même souvent un surcroît de malheur, que s’oubliant et ne pénétrant pas comme il faut ces désordres, l’âme entre dans une suffisance, un orgueil et une hauteur et élévation d’esprit épouvantable, qui est comme la fin de tous les malheurs ; d’où vient que ces âmes si pleines d’elles-mêmes ne veulent jamais entendre personne qui les avertisse, au contraire elles croient merveilles d’elles ; et comme cette enflure d’esprit est l’excès de tous les malheurs, souvent Dieu les laissent là sans remède ; car Dieu résiste aux superbes et se communique [173] seulement aux petits et aux humbles.

Tâchez d’humilier votre esprit, afin que Dieu vous donne sa lumière pour voir le pauvre état de votre âme, et que vous en soyez touchée, jusqu’à ce que cela soit, vous ne le serez pas, et si vous voyez vos péchés, ce sera sans les voir, c’est-à-dire, sans en être touchée, et sans concevoir de résolution de travailler comme il faut à leur destruction en vous et à l’acquisition des saintes vertus contraires à ces désordres.

3e jour.

Méditation. Considérez sérieusement et attentivement, que dans toutes les âmes il y a des passions qui prédominent aux autres et qui font le penchant plus particulier vers les désordres ; et comme ces passions sont beaucoup naturelles, les péchés que l’on commet à leur aide et sollicitation, sont très peu connus dans leur étendue (si l’on n’y réfléchit sérieusement) d’autant que c’est comme naturellement [175] que l’on s’y porte. De plus la raison, et ce que l’on a d’esprit naturel, se rend pour établir telle passion, et pour faire voir à ces âmes que ces mouvements, et ce qu’elles font en ces rencontres, est très raisonnable ; d’où vient que si l’on n’y prend garde, l’on peut commettre d’infinie péchés et révoltes de passions, appuyés sur la raison ; et quand l’on ne remédie pas dès le commencement à telles passions prédominantes, l’on ouvre la porte à toutes sortes de désordres. Au commencement, elles sont seules ; mais à la suite, elles font vivre les autres, et peu à peu, attirent une confusion dans une âme.

Tâchez de connaître celles qui prédominent en vous, afin de [176] vous connaître plus sérieusement, découvrant la source de tous vos péchés. Et après les avoir remarqué, faites une véritable résolution, d’en donner une pleine connaissance à la personne que Dieu vous a donné pour vous aider. De plus résolvez-vous de travailler assidûment à leur destruction ; mais remarquez qu’elles sont fort difficiles à déraciner dans une âme, ce qui doit animer beaucoup à y travailler. De plus ne laissez passer aucun jour que vous ne fassiez quelque pratique pour les détruire et vous y opposer. Finalement, remarquez qu’aux uns la suffisance et hautaineté d’esprit prédomine et y a ses suites ; aux autres, c’est l’amour des créatures ; aux autres, c’est une délicatesse sur elles-mêmes [177] etc. Et selon celles qui prédominent, il faut que celui qui aide, donne es lumières pour les connaître et les découvrir dans l’âme : car vous ne trouverez pas une pensée, une action, ni un moment de la vie, qui n’en soit gâté et corrompu, soit pour peu, ou beaucoup. Et quand l’on ne réfléchit pas à ceci, il se trouve que l’on mène insensiblement et presque sans s’en apercevoir une vie malheureuse, passionnée et presque insupportable aux personnes avec qui l’on vit, et cela sans remède.

Heureuse une âme, qui aidée de la lumière divine découvre ce désordre, et qui sans se décourager et avec humilité, travaille à y remédier implorant beaucoup le secours divin pour cet effet. [178]

4e jour.

Méditation. Après avoir considéré et envisagé l’état général de l’âme, et la cause presque universelle des fautes, des égarements, et des inutilités de la vie, il faut sérieusement et fortement s’appliquer aux causes particulières, afin d’en découvrir encore mieux les péchés, tant pour le nombre, que pour la grandeur et les dommages qu’ils peuvent causer à l’âme, soit en [179] rendant la vie criminelle, soit aussi en empêchant l’âme de se rendre à Dieu, pour l’aimer et se sanctifier selon ses desseins éternels en la participation de Jésus-Christ son Fils.

La première source donc des péchés des hommes, vient de ce qu’ils ne se rendent pas à Dieu ce qu’ils lui doivent. Car la créature doit à son Dieu, quatre choses particulières. Premièrement. L’adoration, comme il est son Souverain, son Créateur, et le premier principe de son être, et de tous ses mouvements ; elle lui doit une adoration souveraine, traitant avec lui, avec un très grand et comme infini respect, soit en se conservant en sa divine présence durant le jour, soit en étant respectueusement à l’Eglise pour chanter le divin Office, ou [180] faire quelque autre fonction. De plus, l’âme ne s’occupant pas assez fréquemment de Dieu durant le jour, et au contraire s’appliquant aux créatures par emportement, choque le respect qu’elle lui doit, et si l’âme réfléchit sérieusement sur ceci, elle remarquera infinis défauts à chaque heure du jour, spécialement quand l’âme est consacrée à Dieu par l’état Religieux. Deuxièmement. Elle lui doit aussi l’amour : car comme Dieu a tant aimé l’âme, elle pèche grièvement de ne pas réciproquer. Dieu l’a donc aimée de toute éternité, et lui a donné l’être, et tout ce qu’elle a, tant selon le corps que selon l’esprit. De plus, Jésus-Christ s’est incarné, a souffert et est mort pour son amour, puisqu’il a consacré toute sa vie humainement [181] divine, son sang précieux et tous ses mérites pour la retirer du misérable état où elle était après le péché.

De plus, Dieu à cause de ses infinies perfections et beautés divines qu’il possède, tant selon sa Divinité, que sa sacrée Humanité, mérite un amour souverain, ou pour mieux dire, mérite être uniquement aimé. De manière que c’est un mépris infini, que d’aimer quelque créature, spécialement quand l’âme est éclairée de la foi, qui lui découvre les beautés et la valeur de cet objet infini.

La créature cependant, oubliant et l’amour infini de son Dieu, et ce qu’il est par-dessus tout le créé, le néglige continuellement et s’occupe incessamment des très chétives créatures. Presque toutes les [182] âmes lisent ceci, spécialement celles qui sont Religieuses ; mais sans bien pénétrer le fond de leur vérité. Car, si elles le faisaient, elle serait dans une honte infinie, de se porter vers des objets qui le méritent si peu, et découvriraient cette disposition être très criminelle.

Ayez confusion d’avoir si peu aimé Dieu, et de porter une disposition si convertie vers les créatures au préjudice de sa Majesté et Bonté infinie.

5e jour.

Méditation. Considérez qu’outre l’adoration et l’amour, les créatures doivent encore à leur Dieu, la fidélité et le sacrifice d’elles-mêmes ; et comme ceci est d’infinie conséquence, appliquez-vous sérieusement à pénétrer l’obligation indispensable que l’âme a, de rendre à Dieu son devoir en cela.

Premièrement. L’âme doit à Dieu fidélité à tout ce qu’il lui ordonne. Car [184] comme c’est son roi, elle est obligée de garder ses Ordonnances, tant ce qui est dans les commandements, que ce qui suit l’obligation de ses vœux, étant Religieuse. De plus, l’âme lui doit fidélité pour toutes les inspirations et bons mouvements, qu’il lui communique continuellement et incessamment, soit pour l’aider à se retirer du péché et sans conserver, soit pour la pratique des saintes vertus, et de tout ce qu’il demande selon l’état dans lequel elle est. Et comme il est impossible d’éviter le péché, dans mériter le pardon, pratiquer la vertu, et faire un saint usage de l’état Religieux, selon que Dieu exige l’âme, sans son aide et ses grâces qu’il va donnant continuellement, il ne faut nullement s’étonner, que n’étant pas [185] fidèle et attentive à telles inspirations, touches et bons mouvements, les âmes commettent tant de péchés, pratiquent si peu de vertu, et font un usage si pauvre, ou pour mieux dire très souvent si infâme, d’un état et emploi si saint, comme est la vie religieuse. D’où vient qu’une vie évaporée [sic] et infidèle aux inspirations et mouvements de Dieu, est souvent un état de péché continuel, et l’on y réfléchit si peu ; l’on se persuade que ce n’est qu’une inspiration, qu’une bonne pensée, etc. Et l’on ne voit pas que sans tels aides à la suite, l’on se précipitera dans des défauts très griefs.

Arrêtez-vous, et considérez un peu ce que vous avez fait, et ne vous prenez pas à Dieu de vos manquements ; mais à vous-même [186] qui n’avez pas voulu marcher quand la lumière vous éclairait. Demandez instamment pardon, et faites une résolution ferme d’une fidélité constante et continuelle à Dieu, la véritable lumière de votre âme.

Premièrement. L’âme lui doit aussi sacrifice de soi-même, tant pour ce qui est au-dehors qu’au dedans de soi, c’est pourquoi elle est obligée à une observance continuelle, pour remarquer ce qui n’agrée pas à Dieu en tout ce qu’elle a à désirer et faire, comme aussi dans tous ses mouvements intérieurs, pour ne pas suivre ce qui la portent à suivre ses passions, son amour-propre et ses inclinations naturelles ; c’est pour cet effet que Jésus-Christ a dit aux âmes qui le veulent suivre : si quelqu’un [187] veut venir après moi, qu’il renonce à soi-même, etc. Ce qui marque la mort et le sacrifice de toutes choses. Il est donc impossible de se sauver sans cette mort, et il ne faut pas s’étonner que qui n’y est pas fidèle, est presque dans de continuels péchés.

Qu’il y a peu d’âmes qui réfléchissent comme il faut sur cette importante vérité ? l’on s’aveugle soi-même, et quand Dieu la veut faire voir, l’on se force à croire, que cette mort n’est pas nécessaire absolument, mais seulement utile pour les âmes qui tendent à la perfection, ce qui est une tromperie manifeste.

Voyez si votre vie n’a point été contraire à cette mort et sacrifice, et si cela a été, demandez grâce et lumière pour mourir véritablement [188] et généralement à tout ce que Dieu n’agrée pas au-dedans et au-dehors de vous-même. Faites de plus, résolution de vous observer chaque jour, afin d’être fidèle dans toute l’étendue des desseins de Dieu sur votre âme.

6e jour.

Méditation. Après avoir attentivement pesé ce que vous devez à Dieu ; arrêtez-vous aussi à considérer ce que vous êtes obligée de rendre à Jésus-Christ votre Rédempteur et Sauveur.

Car s’étant fait Homme en votre considération et pour votre amour, et étant celui par lequel vous devez aller à Dieu son Père, soit en vous donnant exemple [190], soit en vous marquant ce qui est nécessaire pour ne vous pas tromper en ce chemin. Vous devez par toute raison vous rendre à ce qu’il vous marque. Il a voulu commencer par l’exemple, vous faisant voir dans sa vie, ce que vous devez imiter. Sa vie n’a été qu’une pauvreté continuelle, une humilité profonde, et une souffrance presque infinie. Toutes les âmes qui désirent mener une vie chrétienne, sont obligés de suivre cet exemple, réglant tous les mouvements de leurs âmes et tous les désirs de leurs cœurs sur cela, tâchant de faire en sorte que leur vie soit une tendance continuelle à la pauvreté, mépris et souffrance. Et ceci est d’une conséquence indispensable, à moins que de renoncer à la dignité et à la grâce de [191] Chrétien. Si les Rois et Monarques étant honorés de cette grâce, sont dans cette obligation, que doivent donc dire des âmes, qui par vocation sont obligées à une très spéciale imitation de Jésus-Christ, lesquelles fautent de faire sérieuse application à ceci, mènent une vie toute contraire, cherchant continuellement l’appui des créatures, et ne pouvant presque jamais souffrir ni pratiquer quoi que ce soit qui marque pauvreté ? Pour le mépris et l’humilité, c’est un poison à leur âme, tant elles la fuient, ce qui cause infinis manquements et éloignement de la grâce. Et pour la souffrance, l’on emploie tout son soin et toute son application à s’en exempter, de telle manière que l’on la fuit, [192] comme la chose la plus horrible du monde, et cependant c’est une vérité éternelle, que jamais personne ne sera sauvé, ni ne marchera la voie de Dieu, qu’en imitant Jésus-Christ.

Occupez-vous un peu dans l’envisagement amoureux de Jésus-Christ, dont la vie n’est que douleur, mépris et pauvretés continuelles, et parcourant doucement les états tous divins de sa sainte vie, convainquez-vous fortement de cette vérité. Remarquez ensuite le peu de ressemblance de votre vie à la sienne. Entrez dans une confusion extrême, et vous résolvez de changer tout de bon, formant votre vie sur son exemple. Chose étrange ! L’on croit facilement les vérités spéculatives, comme la réalité [193] de Jésus-Christ au saint-Sacrement ; mais pour les pratiques (qui sont d’une pareille conséquence) l’on les veut entièrement ignorer, car l’on n’en veut jamais exercer aucun acte. Convainquez-vous qu’il est également nécessaire de croire que l’exemple de Jésus-Christ est absolument nécessaire à salut, comme il est nécessaire de croire pour être catholique, que Jésus-Christ est au saint-Sacrement. Si se former et imiter la vie de Jésus-Christ est nécessaire à salut, il l’est encore plus indispensablement pour la perfection ; d’autant que ce n’est autre chose qu’une plus grande et exacte inclination à se perfectionner et avancer dans cette imitation.

Réfléchissez si étant obligé à [194] la perfection par votre profession Religieuse, vous avez avancé de jour en jour dans cette imitation, ce que vous verrez facilement, examinant les divers rencontres de votre vie, et les mouvements particuliers de votre âme durant tout le temps qu’il y a que vous êtes Religieuses.

7e jour.

Méditation. Après avoir considéré Jésus-Christ comme l’exemple et le modèle que Dieu le Père nous a donné pour nous former sur sa pauvreté, sur son esprit d’humilité et son désir de souffrir, il faut envisager les moyens admirables qu’il nous communique pour opérer notre salut, savoir les sacrements. [196]

Considérez l’amour infini de Jésus-Christ dans le sacrement de la pénitence lequel est admirable en quatre choses.

Premièrement. D’autant que c’est lui-même qui absous (le prêtre ne prononçant les sacrées paroles d’absolution qu’en sa personne) et par conséquent qui s’incline très amoureusement vers sa pauvre créature pour la retirer du bourbier du péché ; ce qui fait reluire à l’infini sa miséricorde, sa bonté et sa douceur ; et si ceci est bien envisagé, comme il faut, cette communication de Dieu en ce sacrement est infiniment admirable, et exige une reconnaissance infinie.

Deuxièmement. En ce qu’il n’y a point de bornes ; car il n’y a point de péché si grief qu’il soit, ni en si [197] grande quantité qu’il s’en rencontre, que Jésus-Christ dans ce divin sacrement ne désire amoureusement pardonner, d’autant que son amour y est altéré du salut des hommes.

Troisièmement. En ce que c’est à ses seuls dépens qu’il pardonne et remet les péchés, ayant égard à sa bonté et aux mérites de sa sainte vie, tout ce qu’il exige de sa créature, n’étant presque rien, vu l’énormité du moindre péché qui demanderait une peine infinie, et cependant il n’exige que quelques dispositions pour recevoir le pardon et l’absolution entière même des péchés les plus énormes.

Quatrièmement. À cause des effets merveilleux ; car outre ce tout admirable effet savoir le pardon de la coulpe, le dessein de sa divine [198] bonté en se communiquant, est de donner encore plusieurs aides, tant pour détruire cette source de corruption qui est dans nos passions et autres parties de notre âme qui nous sollicitent continuellement aux péchés, que pour nous départir quantité de vertus, selon la nécessité que l’âme a, d’être fortifiée contre les péchés dont elle a le pardon.

Et tout cela se donne selon la mesure que nous y mettons ; car selon le dessein de Dieu il veut tout communiquer à proportion des dispositions nécessaires à ce divin Sacrement ; lesquelles sont spécialement trois. Premièrement. L’examen, afin de s’accuser du nombre des circonstances nécessaires. Deuxièmement. Le regret ou le repentir de les avoir commis. Troisièmement. La résolution déterminée [199] de ne les plus commettre ; et comme Dieu ne termine sa communication que par le peu ou beaucoup de ces dispositions ; quand telle disposition manque, Dieu au lieu de se communiquer amoureusement, se présente en juge sévère, l’âme commettant un sacrilège qui est un péché exécrable et aussi abominable que l’amour y est grand et à l’infini.

Pesez donc que quand en négligence précipitée l’âme oublie des péchés, ou qu’elle n’a pas de douleur suffisante et sans résolution véritable, elle ajoute de surcroît à ses péchés un sacrilège. L’on pèse peu ceci, comme aussi la grandeur de tels péchés ; et afin de le faire comme il faut, il est besoin de réfléchir sur tout ce que Jésus-Christ donne et communique [200] en ce sacrement. Après être bien pénétrés de ces vérités, réfléchissez aussi sérieusement sur toutes les confessions de votre vie passée, et sur ce qui l’a manqué : car s’il y a un notable manquement, tâchez de le réparer par une confession générale ; si vous voyez que votre disposition n’aie pas été tout à fait criminelle ; mais lâche et tiède, regardez de combien de miséricordes vous avez privé votre âme, et combien aussi vous avait contristé Notre Seigneur.

Souvent l’on sent son âme sans avancement, soit pour la correction des péchés, soit pour le ressentiment de l’inclination au mal, soit aussi pour la faiblesse à combattre ce qui est criminel, et l’on ne remarque pas, que c’est [201] faute des dispositions à ce divin Sacrement ; car qui les aurait, jugez quelles miséricordes et quels effets merveilleux l’on recevrait ? Regrettez fortement votre faute en cela, et tâchez d’y remédier efficacement, prenant une résolution ferme d’y apporter les véritables dispositions.

8e jour.

Méditation. Considérez que pour faire une sérieuse et fructueuse Confession, l’âme s’y doit bien disposer, afin que par ce moyen elle se mette en état de recevoir avec plénitude la grâce et l’esprit que Jésus-Christ communique en ce Sacrement.

La première disposition très nécessaire est de se retirer un peu en solitude et à l’écart pour pouvoir plus facilement se donner [203] à Notre Seigneur, afin que sa bonté calme les mouvements trop violents de l’âme, débrouille un peu l’esprit des affaires auxquelles l’on a été employé ; et que de cette manière l’on puisse plus facilement implorer le secours du saint Esprit pour voir et découvrir les péchés que l’on a commis. Faute de se mettre en cette disposition et bien examiner son âme, l’on fait souvent de très mauvaises Confessions, et parfois sacrilèges, car l’on y va sans sérieusement y penser, quoi que ce soit une des plus importantes et sérieuses actions que l’on puisse faire en sa vie. Les âmes Religieuses ont spécialement à se prendre garde en ce point, d’autant que l’habitude y est très ordinaire, et de cette [204] manière passent fort légèrement cette première disposition. Il est très à propos, afin de ce retirer de ce malheur, de considérer un peu la grandeur de Dieu, combien elle mérite d’être adoré et aimé des créatures. Quel épouvantable crime c’est que le moindre oubli de Dieu ou la moindre négligence ; ce que ce peut être donc un péché mortel ; et après que l’âme est un peu pénétrée de la grandeur et bonté de Dieu, elle doit s’examiner et rechercher ses fautes.

Cette première disposition facilite et aide la seconde, qui est une détestation, un regret et un repentir véritable et amoureux des péchés connus et inconnus que l’âme a commis en vue de Dieu tout aimable. Il est absolument [205] nécessaires à moins d’un sacrilège, que ce regret soit un mouvement surnaturel du saint Esprit, soit de contrition ou d’attrition, ce qui oblige indispensablement l’âme de s’y appliquer sérieusement et non à la légère.

Prenez bien garde, vous trouverez beaucoup de semblables Confessions. L’on n’y pense pas, l’on a l’esprit emprunté, et il se trouvera même que très souvent plusieurs âmes religieuses s’y présenteront sans concevoir en aucune manière cette douleur : car si cela était, vous remarqueriez des âmes appliquées intérieurement, faire grande estime de ce Sacrement et en tirer grand fruit.

De plus il est nécessaire non seulement de concevoir une [206]

µ manquent 206 207 208

[210]

9e jour.

Méditation. Considérez et pesez attentivement que Jésus-Christ lui-même, se donne au très saint-Sacrement de l’autel, ne réservant rien qu’il ne communique à l’âme, soit de sa Divinité, soit de sa sacrée Humanité. Car il ne vient pas seulement à l’âme pour la visiter ; mais comme un don véritable, de telle manière qu’en ce donnant, il se désapproprie de tout ce qu’il est, [211] non seulement pour ce qui est de sa Divinité et Humanité ; mais pour tous les mérites, grâces et faveurs, qu’il a jamais méritées et obtenues pour les créatures, il en fait en ce temps l’âme vraiment propriétaire, si bien qu’elle peut dire que Jésus-Christ est par elle ; que sa divinité, savoir les trois Personnes Divines, ses attributs divins, enfin tout ce que Dieu est dans sa Majesté adorable, lui appartient. Car Jésus-Christ donne et communique à l’âme son droit de posséder et faire usage de Dieu ; il donne aussi sa sacrée humanité, de telle manière qu’elle se peut appliquer toute la vertu, l’efficace et la grâce de son sang précieux (trésor si adorable et aimable) soit pour détruire ce qu’il y a de désagréable [212] à Dieu en elle, soit pour sanctifier ce qui ne l’est pas, soit enfin pour diviniser son âme par une participation de sa divine vie, et de tous les dons, les grâces et les vertus qu’il a possédées.

Quand vous aurez bien considéré ces vérités qui sont si manifestes et si expresses dans les paroles que Notre Seigneur nous a dites de ce divin Sacrement, arrêtez-vous à bien peser l’épouvantable crime que commet une âme qui le reçoit indignement, il est sans expression, car il est aussi grand qu’est le don. Peu d’âmes considèrent cette vérité, spécialement les âmes Religieuses ; d’où vient qu’elles y font peu d’attention ; il ne faut que communier dans un péché mortel, pour tomber dans ce malheur. Réfléchissez [213] sur toutes les Communions de votre vie.

De plus, quand bien l’âme ne commettrait pas de péché mortel, et qu’elle serait seulement lâche et peu fidèle à faire usage de ce don divin : Qu’elle compte rendra-t-elle ? Puisque chaque fois que l’on communie, l’on doit répondre de toute la vertu, de tous les mérites et de toutes les faveurs que Jésus-Christ a méritées, et peut encore obtenir de son Père ; se donnant à l’âme, afin qu’elle use de ses grâces, mérite ses vertus, si bien qu’il ne faudrait qu’une seule Communion pour sanctifier l’âme.

Voyez si vous avez tiré ce profit : si cela n’est pas, approfondissez cette faute, et voyez la multitude des Communions, et [214] combien vous êtes redevables. Si ceci est bien pesé, vous ne vous étonnerez pas de l’endurcissement des âmes, ni de ce qu’elles n’avancent pas. Car au lieu que les Communions fassent croître les âmes aux bonnes grâces de Dieu, elles l’éloignent plutôt pour le peu d’usage que l’on en fait ; étant si facile cependant de s’enrichir, ayant le trésor du ciel et la terre. Si votre âme est touchée et convaincue, faites résolution de mieux faire, et de vous préparer et disposer à la sainte Communion de votre mieux. Car si vous faites votre possible, vous verrez qu’il n’y a rien de si facile que de boire à cette source. Venez, achetez sans argent, et vous ennivrez, mes très chers !

10e jour.

Méditation. Considérez et tâchez de vous renouveler de votre mieux en ce jour, pour sérieusement vous appliquer aux vérités tout à fait importantes qui vous y doivent occuper, car assurément leur défaut est la source première et originaire de tous vos malheurs, et de ce que votre cœur est si endurci et si peu pliable aux volontés et aux touches continuelles que Dieu [216] incessamment vous donne au cœur quoique que vous n’en fassiez nulle état ; car souvent ce Dieu tout d’amour au milieu de vos emportements et négligences vous donne de certaines tendresses en l’âme par lesquelles il vous découvre votre pitoyable état, selon tout ce que vous avez vu par les vérités précédentes.

Envisagez donc que la source primitive de tous vos malheurs, est le manque de foi laquelle vous avez peu à peu perdue, et comme tout à fait étouffée par l’amour désordonné des créatures : car assurément il y a rien qui éteigne en la vivacité, et la clarté de la foi que cet amour ; d’où vient que les âmes qui s’y laissent aller, voudraient qu’il n’y eut point de Dieu, afin de se [217] satisfaire pleinement, ou que si elle n’en sont pas jusqu’à ce dernier désordre, elles expérimentent et ressentent dans le fond de leur cœur un certain rebut de Dieu, et comme un désir qu’il ne les vît pas et ne les regardât pas afin que leur cœur eût pleine liberté sans aucun remord.

Cet amour des créatures fait naître en l’âme un amour pour soi-même pitoyable, n’aimant plus que son corps, ses pensées et ses sentiments, si bien que par là tout le penchant de l’âme n’est que de s’occuper, même sans que l’âme y réfléchisse, à ce qui délecte le corps, les sens et l’esprit, de telle manière que vous voyez aussitôt une pauvre créature traîner comme une bête par sa sensualité, tantôt [218] cherchant son aise dans le boire et le manger, et dans une pauvre portion de réfectoire, murmurant continuellement si elle n’est selon son appétit déréglé. Ses sens et sentiments sont si délicats pour toutes choses qu’il faut que tout le monde s’observe en l’approchant, y ayant toujours quelque chose qui la choque ; d’où vient qu’elle fait vacarme continuel, murmurant de tout, et n’étant jamais satisfaite. Si cet extérieur et pitoyable, l’intérieur est encore tout autre chose : car continuellement elle est dévorée et tiraillée en toute manière, ses sens et son esprit roulant toujours quelque chose de fâcheux, et ainsi vie une vie misérable intérieurement.

Cet amour désordonné causera [219] certain libertinage pour toutes choses ; de telle manière que tout lui est à charge. Elle s’exempte par conséquent autant qu’elle peut, soit d’Office, ou de toutes sortes d’autres régularités. Pour l’obéissance et la pauvreté ce lui est un poison : car comme elle ne se conduit plus que par ses sens, et un certain instinct de sensualité dans ses sentiments, tout lui paraît déraisonnable, cruel, et insupportable, si bien qu’une pauvre Supérieure ne peut de quel côté la prendre pour lui faire voir ses obligations, et la remettre un peu à son devoir. Cette âme est comme un lépreux lequel on ne saurait toucher sans lui faire douleur : car son mal entreprend toutes les parties de son corps. [220]

Voilà un petit crayon de l’état pitoyable ou une pauvre âme tombe en perdant la foi, et tout ensemble voilà aussi la cause pourquoi peu à peu elle se diminue en l’âme de telle manière qu’à la suite, quand on y réfléchit l’on voit véritablement que quoique l’habitude ne se perde jamais dans le fond de l’âme que par l’hérésie, cependant par telles démarches d’amour des créatures, de soi-même, et du libertinage, l’on vient-on à perdre tout à fait l’usage et la clarté.

Considérez bien de près qu’il est très vrai qu’en cet état l’âme perd la foi, et qu’aussi le manque d’usage de foi fait tomber en ce désastre. N’est-il pas vrai que vous ne sentez plus de respect pour Dieu, qui vous le fasse [221] voir et considérer avec inclination. Quand vous êtes devant le saint-Sacrement, que vous entendez la messe, que vous êtes en l’oraison, ou que vous faites quelque lecture qui vous parle de Dieu, votre esprit ne sent-il pas et n’expérimente-t-il pas un certain rebut qui vous éloigne, et vous rend susceptible de dissipation et de distractions. Cependant quoi que toutes ces choses vous soient fort ordinaires, vous n’y réfléchissez pas sérieusement. Vous voyez votre malheur sans le connaître. Convaincue fortement de toutes ces vérités, humiliez-vous profondément devant Dieu ; et ne faites pas la sourde oreille à sa divine Majesté laquelle par sa bonté infinie vous donne encore ce coup de miséricorde [222], pour vous faire voir l’état de votre âme. Regardez bien sérieusement et ne vous flattez pas : car tout ce que vous voyez en ces vérités, est très vrai. Prenez garde de la malice dernière du Démon et de votre nature, laquelle vous cachera son désordre, parce qu’elle craint merveilleusement que vous ne l’approfondissiez en vérité.

Prenez une résolution forte de vous convertir, et de vous défaire de tout ce malleur qui vous enchaîne ; et pour cet effet, demandez humblement pardon à Dieu, de n’avoir pas fait usage de la lumière de la foi, comme d’un don très précieux, et d’une extrême conséquence, tant pour le glorifier que pour travailler à votre salut.

Faites résolution d’en faire des [223] actes autant continuels que vous pourrez, et quand vous verrez votre esprit s’occuper de choses contraires à sa divine Majesté, tâchez de le relever par un acte de foi, ce qui vous sera une lumière et un soutien pour le conserver au-dessus de sa propre corruption.

Quand vos sentiments ou votre propre sensualité vous solliciteront à quelque chose contre son ordre, aussitôt faites usage de la Foi, disant à votre âme. Quoi offenserons-nous une Majesté infinie, pour un petit plaisir et une misérable satisfaction ?

Souvent étant seule, ou devant le saint-Sacrement, tâchez de renouvelez votre foi et la mettez en actes le plus souvent que vous pourrez, et vous verrez par [224] expérience qu’en vous observant avec fidélité en tout ce que dessus, et en faisant usage de votre foi, insensiblement votre pauvre âme viendra comme de mort à vie, et d’un puant et infect sépulcre, dans le beau jour d’une lumière qui non seulement satisfera votre cœur par une douce inclination aux exercices de votre condition, et aux vertus que par nécessité d’état de viel'vous êtes obligée de pratiquer ; mais encore votre esprit comme un pauvre captif auquel on rompt ses liens peu à peu, aura une joie tout à fait grande, commençant à envisager les Mystères, et les exercices de Piété et de Religion, avec quelque consolation et suavité. Vous serez si étonnée, et par une suite si consolée de voir que peu à peu [225] cette lumière de foi avec l’usage que vous en ferez, vous déchargera les épaules d’un si pesant fardeau, et si vous voulez que notre Seigneur poursuive à vous faire voir et goûter la miette de ce que je vous dis ici, qui n’est pas le temps présentement de poursuivre, faites en sorte de vous bien renouveler dans la conviction forte et généreuse de toutes les vérités précédentes ; mais surtout, mettez la main à l’œuvre et ne vous contentez pas d’avoir vu et avoir remarqué ces choses. Sauvez-vous du péril au plus tôt, ce que vous ferez par la pratique.

Conclusion.

Cet exercice pour être d’effet dans l’âme, doit opérer une connaissance des désordres et des malheurs que le péché et la vie tiède lui ont fait contracter ; mais je vous avertis d’un précipice étrange, savoir, qu’il y a très peu d’âmes qui veulent qu’on leur die [dise] le fond de la vérité, et comme elles sont en elles-mêmes devant Dieu, et ce qui est encore la dernière misère, le nombre est encore beaucoup plus petit de celles qui se veulent voir telles qu’elles sont, faisant un million d’adresses pour se cacher à elles-mêmes, et pour ne pas croire ce qu’en vérité leur fond intérieur est, cela serait incroyable si l’expérience ne le faisait [227] voir. D’où vient que je tiens un miracle très grand quand une âme découvre son désordre et sa pourriture intérieure, car la nature a une adresse si épouvantable de se cacher à soi-même, qu’elle ne peut souffrir sans crever la vérité de cette vue.

Au nom de Dieu, prenez bien garde : car telle vue et connaissance est la clé de votre salut, et faute de cela, vous roulez misérablement votre vie Religieuse sous une apparence de piété, je dis à vous-même ; car les autres vous connaissent assez, ne pouvant être telle que vous êtes, sans que les yeux extérieurs vous découvrent ce que vous êtes, quoi que vous soyez cachée à vous-même, et je vous assure aussi que si vous êtes assez forte [228] de faire ce premier pas, aidée de la lumière de Dieu, que vous devez très humblement demander, il vous donnera ouverture sur les saintes vertus, et pour la joie et consolation promise aux âmes dévotes et religieuses. Fin de la seconde retraite2.

Troisième retraite. Exercice de 10 jours pour exciter une âme à la conversion véritable de soi-même vers Dieu.

Avis.

Une âme qui est déjà touchée du désir véritable de se convertir, et qui n’a pas encore tout de bon travaillée à se (230) désoccuper de soi-même, ni des créatures, doit se disposer, afin que Dieu par sa grâce et sa divine lumière renouvelle son âme et l’excite derechef pour y donner ordre. Presque tout le monde se contente et se satisfait de cette première opération de Dieu, qui ne fait que donner des désirs d’aimer et de faibles regrets d’avoir offensé cette divine Bonté, avec une volonté peu forte de travailler à détruire cet ennemi de Dieu, soit en soi, soit à l’égard des créatures et des attaches qui l’ont fortifié dans l’âme.

Dieu donc ordinairement renouvelle sa lumière, et excite plus puissamment l’âme pour [231] envisager les désordres et les périls extrêmes dans lesquels le péché l’a mise. De plus, lui fais voir les moyens et les aides par lesquelles elle s’en délivrera ; et selon que l’on est fidèle à correspondre à cette lumière qui éclaire, Dieu l’augmente, lui donnant des secours très efficaces pour en venir à bout.

Quand une âme est assez heureuse de voir en soi ce renouvellement, elle doit faire fruit de cette occasion et de cette miséricorde infinie, se retirant en solitude et à l’écart du bruit des créatures, disant avec l’Epouse : j’entendrai ce que le Seigneur parlera à mon cœur. [232] Et afin de conformer sa correspondance aux desseins de Dieu dans ce renouvellement, il est à propos qu’elle s’entretienne avec beaucoup de fidélité dans les mêmes vérités que Dieu d’ordinaire renouvelle dans cette seconde démarche qu’il désire faire faire à l’âme.

Les vérités qu’il tâche d’inspirer fortement et très profondément dans l’esprit sont. Premièrement une connaissance grande et profonde des péchés que l’on a commis, afin d’en exciter une grande contrition et une volonté d’y travailler sans réserve. Et pour cet effet, il en découvre l’horreur, les ravages qu’ils [233] ont causé en l’âme, détruisant en elle l’admirable Image de la Divinité, et fait voir fort manifestement l’ingratitude infinie de la créature, Dieu n’ayant fait autre chose qu’aimer, et l’âme n’ayant rien fait que s’opposer à ce divin amour.

Quand Dieu vois l’âme amoureusement éclairée, pénétrée, et vraiment touchée de ses désordres, et de sa divine Majesté offensée avec de grands désirs de les détruire, s’en humilier, et se donner à lui pour commencer tout de bon. Pour lors il se convertit amoureusement vers cette pauvre âme, et comme touché de son humiliation, contrition et désir de [234] se défaire du péché, de soi-même, et des créatures, il lui manifeste son aimable Fils, et lui découvre les merveilles de la vie et des Mystères de Jésus-Christ Homme Dieu. Moyen véritable, unique et efficace, pour passer du péché, de soi-même, et des créatures à Dieu.

À la découverture de cette lumière, l’âme ressent grande joie et consolation ; car comme elle ne s’est encore désaltérée, que du fumier, du pus et de la puanteur épouvantable de ses désordres, de l’amour désordonné de soi-même et de la confusion des créatures, elle commence à voir le bonheur qu’il y a à servir Dieu, la joie [235] et le repos véritable que l’on trouve à sa suite, et l’assurance que l’on expérimente en le contentant ; et tout cela s’opère, à mesure que l’âme est fidèle à considérer, à aimer généreusement, et se conformer véritablement à Jésus-Christ, qu’elle commence à voir. Ce qui sollicite puissamment l’âme de s’occuper avec courage, et de se rendre avec fidélité, pour suivre l’exemple de ce divin Jésus son cher principe et la chère vie de son âme.

Cette âme par cette lumière qui l’éclaire, est sollicitée de dire de fois à autre à cet aimable Sauveur qui se découvre à elle. Ou allège me précipitant [236] malheureusement ? J’étais sans vie, puisque je ne vous connaissais ni aimais pas, et cependant je me croyais vivante, et plusieurs autres choses que son pauvre cœur, pénétré de la vue et de la Beauté de Jésus-Christ dans son divin amour, et ses divins Mystères, opère et excite en elle.

Il est fort à remarquer qu’il est de la dernière importance de faire avec grande fidélité ces exercices, afin de correspondre à ce renouvellement ; d’où vient que plusieurs âmes qui ne le font pas et qui sont timides, soit par la peur de se quitter soi-même et des satisfactions qu’ils prennent parmi les créatures, soit par la crainte [237] de la captivité et de la peine que l’on croit dans la suite de Jésus-Christ, étouffent cette lumière, et demeurent au plus dans un horreur de péchés notable, avec quelques lumières passagères de l’amour de Dieu, qui n’opèrent en ces âmes que des essais de se convertir ; mais jamais ne le font. D’où vient que vous remarquez que telles âmes foisonnent en bons désirs, font même de fois à autre quelque chose de bien ; mais cela n’ayant pas la racine, aussitôt qu’il vous paraît qu’elles vont marcher à grands pas, elles retombent malheureusement en elles-mêmes et dans leurs passions, et vous voyez qu’elles vont [238] peu à peu affamées qu’elles sont, courant après les petits plaisirs des choses créées ; parfois elles n’en demeurent pas là. Car après bien des infidélités et s’être bien relevées est tombées, elles s’abandonnent souvent à des péchés et désordres étranges. Et tout cela faute de s’être rendues au renouvellement et à la sollicitation intérieure de sa divine Bonté, pour faire une démarche dans son divin amour.

Il faut donc, Ame rachetée du sang de Jésus-Christ, aimée et caressée si tendrement de Dieu ! Que vous vous rendiez sans réserve et sans crainte à sa sollicitation, prenant de là occasion de vous retirer en solitude pour faire [239] quelques jours de Retraite, sur des vérités divines conformes, comme j’ai dit, à celles que Dieu a dessein de vous inspirer et vous graver dans le cœur, afin que par ce moyen, elles soient plus efficacement reçues en vous, et que vous soyez mieux disposée à leur exécution. (240)

Premier jour.

Méditation. Signasti super nos lumen vultus tui, Domine !

Considérez que l’homme dans sa création sortant des mains de Dieu, est dans une beauté admirable ; car il a l’image très accomplie de sa divine Majesté, ses trois puissances, la mémoire, l’entendement, et la volonté, ayant grand rapport au [241] trois divines personnes, et capacité de les recevoir en elles ; comme un miroir fort poli, pour représenter au naturel un visage. De plus, tout l’homme a en soi une capacité non moindre des divines perfections, soit de sagesse, bonté, force, etc. Cet ouvrage si beau et ce chef-d’œuvre des mains du Tout-Puissant a été créé uniquement en cette beauté si excellente et capacité si étendue, pour connaître et aimer son Dieu. Cependant les pauvres créatures oubliant cette beauté et la fin de leur création, se vautrent dans le péché et dans l’ordure ; ce qui ne salit pas seulement ce bel et admirable ouvrage, mais efface autant qu’il est au pouvoir de la créature, l’admirable splendeur de la Face divine gravée en [242] elle, ce qui est un péché qui ne se peut comprendre. De plus, elles font toute autre chose que ce pourquoi elles sont créées, employant toute leur capacité vers les créatures, pour n’avoir d’autres connaissances, amour, ni ressouvenir que d’elles.

Entrez puissamment dans la vue véritable de ce que c’est que le péché et l’oubli de Dieu. Si un Roi avait un tableau d’une exquise beauté, qu’il chérit beaucoup, et qu’une personne par malice le pilât dans la boue, elle attirerait justement l’indignation du Roi. De plus, comment pourra l’homme répondre de l’admirable capacité et de la fin très relevée employée tous les jours de sa vie, vers les créatures, soit à s’en entretenir et occuper, soit à les aimer [243] éperdument, soit enfin en étant continuellement occupé de soi-même.

Cette Vérité éternelle est d’une étendue et conséquence infinie et presque personne n’y pense, et si l’on y pense, c’est si légèrement, que cela est pitoyable, nemo est qui recogitet corde ; cependant faute de le faire comme il faut, l’on vit une vie fort tiède et oublieuse de Dieu, et dans très peu d’estime du péché, il est cependant dans ce regard d’une infinie conséquence.

2e jour.

Méditation. Envisagez avec la lumière de la foi et un profond respect, la sainte Trinité résidante dans tout votre être, le pénétrant de l’éclat de sa Majesté infinie, ses divines perfections étant toutes occupées vers vous, et cela sans qu’un seul moment de votre vie se puisse échapper à ses regards divins. Quoi, mon Dieu ! Mon âme et l’objet des applications de la sainte [245] Trinité, et vous éclairez continuellement par votre infinie lumière, et toutes vos autres perfections sont occupées chacune en sa manière, vers une créature, laquelle au milieu de ce soleil éternel, a fait tant de péchés, s’est éloigné si souvent de vous, à oublier presque toujours celui en la présence et dans lequel elle vivait plus qu’en soi-même ?

Envisagez la laideur de vos péchés, mépris et oubli de Dieu par cette lumière de sa présence, et concevez qu’elle confusion vous devez porter en vue des regards divins sur votre vie pécheresse et oublieuse de ce même Dieu, qui par lui-même étant ainsi résidante et appliqué à l’âme, par son essence et [246] qualité de première cause, doit être le principe de tout les mouvements, de tous les respirs, et de toutes les actions que votre esprit et votre corps peuvent avoir : car comme ils ne peuvent subsister sans l’application actuelle de sa divine présence ; aussi ne peuvent-ils avoir aucune action que par lui-même.

Quoi mon âme n’es-tu pas infiniment confondue et humiliée en la vue de cette infinie et immense vérité ; la sainte Trinité dans toute la sainteté de son être, et la grandeur de ses infinies perfections, est le principe par nécessité, et le premier opérant de tout ce que tu veux faire, soit de bien ou de mal ; et cependant tu n’as jamais envisagé tes horribles péchés, oubli et [247] négligence dans cette vue, tu as fait servir un Dieu à tout cela, n’ayant voulu faire autrement après la loi qui s’est imposée de concourir à toutes tes actions ?

Confondez-vous, et vous perdez dans ces immenses vérités, et voyez que très souvent les âmes ne les pénètrent pas, non plus que le tort qu’elles se font en péchant. En étant infidèles à Dieu, elles renversent l’ordre admirable de l’ouvrage divin : car Dieu pour embellir et rendre l’homme capable d’admirables choses, l’a voulu élever à cette capacité de sa présence, et qu’il fût par lui-même le principe de sa vie et de son opération. Heureuse une âme qui par la lumière de la foi, pénètre ces vérités, d’autant qu’il est impossible qu’elle [248] n’aie une infinie humiliation en vue du moindre péché, et elle peut de plus prendre en elles une source de force, pour renoncer à tout ce qui peut être désagréable à sa Majesté divine. Ces vérités ont toujours été la source des lumières immenses qui ont éclairé ces grands pénitents et pénitentes, que l’on lit avoir porté grand regret de leurs péchés et oublis de Dieu.

3e jour. Convivificavit nos in Christo, vi essemus in ipso Nova Creatura.

Méditation. Considérez attentivement comme par la création l’homme a été créé dans cette beauté et dignité admirable et pour une fin si sublime, pareillement dans la rédemption (qui est comme une seconde création) il a été fait [250] membre de Jésus-Christ, et de ses os, un même corps, et vivifié de son propre esprit. De plus il a donné à l’homme ainsi régénéré en Jésus-Christ, le prix de son précieux sang, les mérites de sa vie, et la valeur de tout ce qu’il est, et cependant ce pauvre homme s’oubliant de sa dignité, se précipite dans soi-même, et dans les créatures. Agnose, ô Christiane ! dignitatem tuam, et divinae consors factus naturae, noli in veterem vilitatem degeneri conversatione redire.

A-t-on bien pesé en sa vie une fois l’énormité du péché, de l’oubli de Dieu, et de l’emploi inutile d’un trésor si précieux qui n’est rien moindre que la valeur de la Vie, du Sang et des mérites d’un Dieu ? L’on a un effroi très [251] grand, et cela justement, quand l’on entend qu’on a pilé avec le pied une sainte Hostie, et l’on ne fait point estime du corps de Jésus-Christ que nous sommes. L’on passe les jours, les semaines, et souvent les années dans le péché, dans l’oubli de Dieu, et sans avoir solidement conçu ce que l’on est. O que si une personne savait ce qu’on lui demandera un jour quand l’on lui fera voir : Vous avez été Chrétien, c’est-à-dire, membre de Jésus-Christ, vous avez peu fait usage de son esprit, de ses grâces et mérites, rendez-moi compte de son précieux Sang, et il se trouvera que cette capacité infinie a été consommée en complaisances vers soi-même et vers les créatures ; [252] et au lieu de que nos pensées, paroles et actions aient été toutes saintes, et même divine, elles ne seront que corruption.

Pesez tous vos péchés, paroles, pensées et actions, et tous les moments de votre vie, à ce poids, et vous en verrez ou la valeur ou le démérite. Presque tous les hommes, faute de se connaître, ne savent pas l’énormité du péché, et ce que c’est que l’oubli de Dieu, et souvent croient que pour satisfaire à Dieu, c’est assez que de ne pas pécher, les unes mortellement, et les pieux véniellement, sans réfléchir que pour satisfaire Dieu, il faut rendre les fruits dignes d’une telle grandeur. Un jardinier qui plante un arbre fruitier, ne se contente pas qu’il vive, et [253] ainsi qu’il aie de feuilles, il demande des fruits. O qui saurait les fruits que peut et doit porter une âme chrétienne !

4e jour. Méditation. Dieu est en soi une Majesté infinie, toutes les créatures ne sont devant lui qu’un pauvre néant, ou rien du tout, les ayant créés toutes par une seule parole.

Considérez attentivement sa grandeur soit dans ses divines personnes et attributs divins, soit dans le droit et pouvoir qu’il a, d’user [255] de ces créatures comme bon lui plaira, ayant une autorité souveraine sur elles. Après avoir considéré et pesé ce que la foi vous enseigne de cette grandeur de Dieu, voyez que son amour infini sollicite continuellement et par amour ces pauvres et chétives créatures à se retirer du péché, de l’amour et occupation des choses créées, et à s’occuper continuellement de lui, et que cependant par un mépris infini, elles n’en veulent rien faire.

Avez-vous jamais pesé qu’aimer une créature, ou faire quelque chose qui soit contre Dieu, est dire en vérité : je choisis cette créature plutôt que Dieu, je l’aime et la chéris, parce qu’elle le mérite plus que Dieu ?

O oubli, ô mépris du Créateur [256] que vous êtes épouvantable à qui le considère sérieusement ! Dieu nous dit continuellement par la lumière de la foi et par les touches intérieures qu’il nous fait ressentir : Venez, aimez-moi beauté infinie, soyez avec moi, et vous occupez de ma présence, et cependant méprisant et la personne et l’appel, l’on s’occupe bassement d’une créature, n’est-ce pas un mépris sans expression ? Je dis plus autant que les choses sont petites et inestimables, plus le mépris et grand aux âmes qui ont par vocation et condition plus de lumière.

Cette vérité éternelle bien pesée doit mettre une confusion et un étonnement extrême en l’âme dans le mépris que nous faisons continuellement de Dieu. [257] O pauvre âme pèse bien que Dieu vaut infiniment mieux, et qu’il est plus aimable que tout ce qui est dans la terre, et que c’est véritablement le mépriser et déshonorer et le rabaisser au-dessous de toutes les créatures, que de vous en occuper avec attache et passion ? Et cependant l’on est éperdument emporté d’elles et de soi ! Portez ensuite de la considération de cette éternelle vérité un jugement juste du péché et de l’occupation inutile de votre vie. Faites une résolution de vous ressouvenir souvent de cette éternelle vérité. Ils m’ont délaissé, et se sont creusé des citernes corrompues.

5e jour. Méditation. Excutere de pulvere, consurge, et solve vincula colli tui captiva filia Sion !

Rentrez avec fidélité et humilité dans vous-même, et y voyez le ravage étrange et le renversement épouvantable que le péché et le peu de fidélité à Dieu et à ses divins ordres sur vous, y ont causé. Vous y remarquerez [259] une révolte des passions, de désirs et affections qui troublent le repos et la belle harmonie dans laquelle elles deraient être vers leur cher principe. De plus, vous ne verrez dans votre entendement que de l’obscurité et de l’erreur pour une infinité de choses, dans votre mémoire que de l’extravagance, jusqu’à ne pouvoir presque demeurer un moment en sa divine présence, sans souffrir un million de sottises dans cette puissance capable de la demeure de sa divine Majesté ; pour ce qui est de la volonté, c’est présentement avec une force grande que l’on lui fait aimer son Dieu ; le corps n’est-il pas devenu par le péché un sujet de misères et de tentations étranges pour la pauvre âme qui se [260] voit enfermée en lui comme dans un très obscur cachot, et tout cela se fait par le péché, non seulement originel ; mais par les actuels que l’on commet. Cependant combien y a-t-il de personnes qui fassent attention solide sur ce désordre ? L’on expérimente sa misère, et l’on ferme les yeux pour ne la pas voir ; l’on conserve une délicatesse pour soi-même si étrange, que l’on aime mieux vivre et mourir dans ce désordre, que de travailler tout de bon à s’en retirer : car l’unique moyen de le faire, est de persécuter le péché dans toutes les parties de l’âme, combattant généreusement ses passions, et ne se donnant aucun repos, que l’on n’en soit venu à bout. De plus tâchant de donner [261] un saint emploi à ses puissances, occupant son entendement à connaître et à penser à Dieu ; sa mémoire, la remplissant de la divine présence et de ces merveilles ; sa volonté, l’occupant en amour véritable. De cette manière très assurément l’on expérimenterait le remède à ce désordre qui donne tant de peine, et qu’au contraire, toutes les parties de l’âme rentrant dans la subordination à leur Créateur, feraient un admirable concert de musique devant sa divine Majesté, résidante en elle. Le Corps même par une mortification bien réglée, deviendrait un jardin de délices ; et pour Dieu, et pour l’âme même, par les belles fleurs de vertus dont il est capable. Car comme par l’amour désordonné que l’âme a pour lui, il devient [262] un cloaque de toutes sortes de misères ; aussi par la mortification et saint règlement où l’âme unie à son Dieu le réduit, il devient un parterre de vertus admirables.

Étant bien convaincu de ces vérités, et les ayant considérées par la lumière de la grâce, faites une résolution de travailler à vous retirer du malheur où vous avez été jusqu’ici par le péché, et tâchez de combattre fortement ce qui vous voudra faire tomber dans l’imperfection. Ce que vous voyez par le sérieux envisagement du désordre causé en vous par les péchés passés et présents, et par les infidélités journalières, vous doit être un tableau pour remarquer ce que vous avez à faire pour plaire à Dieu ; car ne croyez jamais pouvoir parfaitement posséder [263] votre âme en paix, qu’à la mesure que vous y détruirez le désordre intérieur, et que vous travaillerez à la remettre dans une agréable subordination à Dieu. Croyez qu’il vous dit au cœur ces admirables paroles : Excutere de pulvere ; consurge et solve vincula colli tui, captiva filia Sion !

Levez-vous de l’état misérable où vous êtes, et vous remettez dans la liberté des enfants de Dieu.

6e jour. Méditation. Donnez-vous à notre Seigneur Jésus-Christ pour avoir part à sa lumière, afin de pénétrer ces vérités.

L’âme ayant profondément envisagé les vérités précédentes qui lui découvrent ses péchés et la grandeur de ses fautes, et ayant été beaucoup humilié et confuse en vue d’un [265] Dieu, aimant et se communiquant si profondément à sa pauvre créature. En vue aussi de Jésus-Christ, la relevant et l’embellissant d’une qualité qui la fait chrétienne, c’est-à-dire associée à tout ce qu’il possède, étant son Chef [sa tête], et elle un de ses membres, vivifiée de son esprit, et participante à tous ses mérites, vertus et grâces ; Il a voulu encore ajouter à cela la qualité de Religieuse, par laquelle l’âme est vraiment son épouse, sa Fille et sa portion véritable dans laquelle Jésus-Christ prétend prendre ses plaisirs. Renouvelez votre application, afin de considérer attentivement et avec amour, ces grandes vérités de l’amour divin, par préférence à tant d’âmes que Dieu a laissées dans le monde, sans les [266] appeler à une grâce spéciale, mais en vous voulant Religieuse, il vous a destiné pour son Epouse. Et pour cet effet, il vous a tirée du monde, comme les épouses sortent de la maison de leurs Pères, quittant leur parenté, pour entrer dans une autre, qui leur fait changer même de nom. De plus, les épouses entrent et participent par ce droit aux qualités de leurs époux, étant entièrement à lui, et lui à elles. Jésus-Christ par la grâce de Religion en vous tirant du monde, vous en veux entièrement séparée pour lui, et vous unit à tout ce qu’il est, et cela par amour de véritable Epoux, c’est-à-dire par droit. Vous êtes aussi sa Fille par ce don et vocation. Et si les chrétiens sont enfants de Dieu, les âmes Religieuses [267] le sont tout d’une autre manière, plus excellemment, d’autant que par cette vocation elles sont appelées à la perfection, et les autres pour le plus ordinaire ne sont que pour leur salut. Vous êtes de plus la portion choisie de sa divine Majesté, pour prendre spécialement ses plaisirs dans votre âme ornée et embellie des deux qualités précédentes : ce qui le fait vous présenter continuellement ses miséricordes, pour l’ornement et l’embellissement de cette chère portion ; c’est pour cet effet que ce Dieu de tout amour, imprimant au cœur d’une grande sainte cette profonde vérité, lui fit voir que par la grâce du christianisme, il la mettait pour l’ornement d’un de ses membres, et au même temps elle se vit unie [268] à lui en cette qualité ; mais tout aussitôt il lui fit changer cette place, et la plaça sur son cœur ; de telle manière, que les respirs de cet aimable et tout déifié cœur, donnaient et communiquaient la vie à cette âme embellie toute d’une autre manière. Quelle confusion en vue de ces vérités, quand une âme envisage qu’au lieu de faire fruit et vivre selon ces qualités, elle en fait un oubli entier ! Et qui aussi au lieu de vivre dans la dignité d’épouse, s’est précipitée dans l’ordure et la fange, elle a pris infinis plaisirs contre l’ordre de son cher Epoux Jésus-Christ, et elle l’a méprisé errante et vagabonde parmi les créatures. Ceci est d’une infinie étendue, étant bien approfondi dans le détail. De plus, au [269] lieu de faire usage de la qualité de Fille du Très-Haut, l’âme s’est comportée comme une roturière, allant continuellement mendiant des vains plaisirs hors de Dieu, toujours affamée et misérable comme l’Enfant Prodigue, et enfin au lieu de donner du plaisir à son Dieu, comme il l’avait choisie, elle a toujours été un objet de tristesse pour lui.

O âme Religieuse ! Ressouvenez-vous que vous répondrez à Dieu infiniment en vue de ces qualités, et si vous les considérez tout de bon, outre que vous verrez par elles, vos péchés, ingratitudes et négligences infiniment criminelles, elles vous découvriront des fautes sans nombre, auxquelles vous n’aurez jamais pensé. Regardez-vous désormais ennoblie de [270] ces qualités, et vivez par conséquent de cette manière, et afin de réparer le passé, entrez dans un regret infini d’avoir tant contristé notre Seigneur ; car si vos fautes, comme chrétienne l’on blessé, comme elles l’ont outragé, méprisé et mis dans une humiliation étrange. Demandez instamment que la véritable lumière de ces profondes vérités, pénètre et éclaire votre âme, et vous verrez infiniment plus de choses que je vous en dis.

7e jour. Méditation. Continuez à vous donner à l’esprit de Jésus-Christ pour voir ces vérités si importantes.

Considérez que Dieu nous aimant infiniment, et cherchant continuellement des moyens de nous attirer à lui pour nous déprendre de nous-mêmes, de nos inclinations corrompues, et de l’attache [272] naturelle aux choses visibles, à ajouté aux obligations d’amour par ces qualités obligeantes, des nécessités expresses : et pour cet effet, son amour infiniment et amoureusement ingénieux, a trouvé le moyen de lier l’âme Religieuse à lui, par un lien nécessaire qui sont les vœux de la sainte Religion, et par là lui dire, qu’il désire si amoureusement que l’âme soit à lui, que si elle ne le veut par amour de bienveillance, il faut que cela soit par nécessité, et sous peine de damnation. O excès d’amour ! ô amour sans mesure ! L’âme donc en suite de ses vœux, est obligée sous peine d’être damnée, si elle ne le fait, de vivre en véritable épouse, fille, et comme portion très chérie de [273] Jésus-Christ : car par le vœu de chasteté elle a consacré son corps et son esprit, pour n’être ni de pensée, ni de désirs, ni d’effet qu’a Jésus-Christ ; mais je dis d’une telle manière, que tout ce qui se peut exprimer d’appartenance, soit comme chrétienne, soit par un sacrement, comme les épouses dans le monde, n’est presque rien en comparaison de cette obligation de perfection : car ceci est un sacrifice, et un sacrilège si l’on y manque par le vœu de pauvreté, elle renonce à tout ce que le monde lui peut fournir de bien, afin de prendre Jésus-Christ pour sa portion. Par le vœu d’obéissance, elle renonce absolument à elle, afin que Jésus-Christ aie droit de faire en [274] elle et d’elle tout ce qui lui plaira, de la même manière qu’une personne possède une chose qu’on lui a donnée ou qui l’a achetée très chèrement. Et enfin par le dernier vœu qui est la conversion des mœurs, l’âme s’oblige de se détruire continuellement pour faire régner Jésus-Christ en elles par ces trois manières, qui s’effectuent, par la chasteté, pauvreté et obéissance.

Avez-vous jamais bien réfléchi sur l’obligation de vos vœux, lesquels vous obligent premièrement par amour ? Mais si en cette vue vous ne voulez vous rendre, ils vous obligent sous peine de damnation. De plus, n’avez-vous jamais réfléchi sur l’étendue de cette obligation, et jusqu’où doit aller la chasteté [275] tant de corps que d’esprit ? Comme aussi la pauvreté, soit dans les habits, nourriture, et possession des choses nécessaires, lesquelles ne doivent pas seulement être possédées en désappropriation ; mais doivent avoir le caractère de la sainte pauvreté, ce qui dit bien des choses. De plus le vœu d’obéissance vous a ôté tout droit sur vous, soit pour ce qui touche le corps et l’esprit, de telle manière que vous avez transféré ce droit à Dieu, et à vos Supérieurs pour lui. Cependant l’on se reprend par infinies choses, se flattant que c’est pour peu, que la chose est de peu de conséquence ; mais l’on n’envisage pas que l’obligation de ce vœu est indivisible, et que cette chose si petite qu’elle soit, est [276] voilée, c’est-à-dire que vous y êtes obligée par vœu en face de toute l’Eglise triomphante et militante. O que peu d’âmes sont éclairées de ces grandes, amoureuses et profondes vérités ! D’où vient que l’un des deux arrive, ou que l’on languit malheureusement opprimée sous ces aimables liens, à cause que l’on ne s’y veut pas rendre par amour, ou bien que si l’on s’y rend, c’est toujours avec réserve, sans entrer dans leur étendue et vérité, laissant l’essentiel comme mercenaire, mais ne se rendant pas à ce qu’il y a de plus agréable à Jésus-Christ ; et ainsi l’on fait d’un aide infinie pour la perfection, un sujet d’innombrables péchés, imperfections et désordres, qui font que notre Seigneur [277] a toujours rebut pour l’âme Religieuse qui ne vit selon sa dignité et son obligation.

Réfléchissez et voyez des manquements infinis dans votre vie. Premièrement par des péchés notables qui causent une laideur infinie et insupportable par ce regard. Deuxièmement dans les négligences et peu de fidélité que vous avez eue, et que vous n’avez pas pesé au poids de ces vœux : ô que les âmes Religieuses seraient heureuses, si elles étaient fortement éclairées de ces vérités, et qu’elle se donnassent tout de bon à la pratique, d’autant qu’elles auraient une béatitude encommencée ! [278]

8e jour.

Méditation. L’âme éclairée, pénétrée, et touchée des désordres, des infidélités, négligences et imperfections passées, par la vue et considérations de toutes les vérités précédentes, doit être dans une humiliation profonde, et un désir extrême de mieux faire, avec un désespoir de soi-même, s’étant ainsi si cruellement [279] trahie par son amour-propre, et le désir infini et insatiable de se satisfaire. Il faut ensuite envisager Jésus-Christ son cher et aimable Sauveur et Libérateur, comme son unique refuge, son remède, sa caution et celui qui par sa bonté remédiera au passé, et lui donnera force et courage, pour travailler tout de bon à remplir les desseins de Dieu sur elle. Que l’âme s’humilie voyant sa misère extrême, son peu de force, sa grande faiblesse, et combien elle mérite peu d’entrer dans les bonnes grâces de Dieu, et dans la participation des grands dons qu’Il lui a destiné comme chrétienne et comme Religieuse. Ensuite qu’elle se retourne amoureusement vers Jésus-Christ, le sollicitant [280] de la prendre à lui, et de lui appliquer le mérite de son Sang précieux et les grâces de sa sainte vie. Assurément si elle fait cela avec profonde humilité, grande foi, et espérance en Jésus-Christ son cher Libérateur, il la prendra à lui, réparera tout le passé, et la mettra en voie pour travailler tout de bon à sa perfection ; lui fournissant les grâces, les lumières et l’amour nécessaire à cet effet.

Étant pénétrée de ces vérités, envisagez Jésus-Christ votre cher Sauveur, comme il se présenta à la Samaritaine, tout lassé de la chercher, pour la réduire à renoncer et se retirer de ses désordres, afin de lui donner la connaissance de sa divine personne, lui disant ces aimables [281] paroles. O femme si tu savais le don de Dieu, et qui est celui qui te parle ! Et au même temps Jésus-Christ lui disait au cœur, tu connaîtrais que c’est ton Libérateur, ton Sauveur, et le principe de ta vie qui te vient chercher, afin que de morte que tu es, il te ressuscite à une nouvelle vie infiniment admirable, qui n’est autre chose que connaître ce que je suis. Arrêtez-vous à pénétrer ces paroles : si tu savais le don de Dieu, c’est-à-dire qu’en lui l’on trouve tout, et que hors de lui, ce n’est qu’un sujet de misères, pauvretés et douleurs extrêmes. Jésus-Christ est pour vous spécialement, et présentement trois choses. La première. Il est la cause de vos péchés, et de tout [282] ce dont vous sentez coupable, s’en étant chargé, et les ayant pris sur soi. La deuxième. Il a une douleur infinie de ces mêmes péchés. La troisième. Il en a demandé instamment et avec un gémissement ineffable, pardon et miséricorde à son Père.

Après avoir bien considéré et pénétré ces vérités admirables en Jésus-Christ ; unissez-vous à lui, et lui demandez amoureusement miséricorde, afin de participer à cette aimable don de le connaître, et souvent dites à votre pauvre âme : si tu savais le don de Dieu. Confiez-vous ensuite à sa bonté, et offrez Jésus-Christ au Père Eternel comme votre caution, comme infiniment humilié et contristé de vos péchés, et comme demandant [283] instamment votre salut, et votre réunion avec lui. Confessez devant Dieu que vous n’avez pas assez de contrition ni d’humilité, ni que vous ne valez pas qu’il vous entende ; mais qu’il entende le cri amoureux, et gémissement puissant de son cher Fils qui lui demande miséricorde, et qui est prosterné devant sa divine Majesté pour vous. Faites une résolution que vous n’abandonnerez jamais Jésus-Christ, mais que vous reconnaîtrez continuellement cette faveur, vous ayant cautionnée et délivrée du passé, et vous ayant mérité votre réunion avec Dieu. Consolez votre âme lui disant souvent : ô pauvre pécheresse, que tu es heureuse d’avoir un si aimable Libérateur !

9e jour. Méditation. Donnez-vous à la lumière de Dieu, pour entrer dans ces vérités.

Considérez. Que les créatures ayant délaissé Dieu par le péché et l’amour d’elles-mêmes, sont tombées en confusion et dans des ténèbres immenses, ce qui les a précipitées dans un million de désordres, les a ensuite fait prendre [285] le faux pour le vrai, l’imaginaire pour le réel. De telle façon que jamais elles ne fussent revenues dans la vérité ; mais plutôt eusse continuellement erré dans le mensonge, se précipitant de malheur en malheur, si Dieu tout miséricordieux les voyant en cet état, n’avait eu pitié d’elles3.

Il les a donc regardé amoureusement et par un excès de bonté a envoyé son Verbe dans la Terre, l’a fait incarner et l’a rendu comme un de nous, afin qu’en lui nous eussions toutes choses, et le remède à tous nos maux ; Et comme par le péché nous avions été précipités dans des ténèbres très obscures, aussi nous a-t-il été donné comme lumière éternelle et uniquement véritable, pour nous conduire, et nous faire voir la [286] vérité de toutes choses ; toutes les autres lumières n’ayant de vérité, qu’autant qu’elles sont réglées par celle-là ; de telle manière, qu’il la faut suivre seule4, si nous voulons nous délivrer du péché, du monde et de nous-mêmes, et si nous voulons retourner à Dieu notre principe et notre fin. C’est pour cet effet, que disant aux hommes ce qu’il était, il disait ces aimables paroles : Je suis la lumière du monde, et qui ne suit, ne tombe point en ténèbres. Tâchons de nous bien convaincre de cette importante vérité, de nous régler et nous affermir sur ce qu’elle nous découvrira. Au moment qu’elle paraît dans la terre, elle fait voir que le monde n’est qu’abomination, condamnant ses Maximes et en donnant de toutes contraires. Le [287] monde n’estime que la grandeur, l’éclat et le délicieux : Jésus-Christ au contraire fait voir que la béatitude est dans l’humilité, dans la petitesse, et dans les croix. La chair ne trouve et ne présente aucun bonheur que dans l’amour de soi-même, et Jésus-Christ découvre qu’il n’y a de la joie et des délices que dans les renoncements aux plaisirs et à soi-même. Le démon fait voir, que ce que l’on voit présentement est le dernier point de béatitude, apprenant à s’y contenter et s’y satisfaire ; et Jésus-Christ fait voir que le monde présent est condamné de Dieu, et qu’il faut attendre des joies véritables et solides dans l’autre vie, et non en celle-ci. Le monde se réjouira, et au contraire vous autres serez tristes, disait [288] Jésus-Christ à ses disciples. Tâchez de renoncer à toute votre lumière propre, afin de vous revêtir de celle-ci, et vous conduire uniquement par elle. Voyez qu’il y a très peu d’âmes qui se rendent entièrement à la vérité, n’envisageant point assez, et ne se rendant pas suffisamment à cette unique vérité de Jésus-Christ, selon ce qu’elle dit.

10e jour.

Méditation. Considérez Jésus-Christ comme votre exemplaire, sur lequel vous vous devez former pour être selon le cœur de Dieu, et pour rentrer dans ses desseins éternels sur votre âme. Pour cet effet, il a pris une vie humaine semblable à la nôtre, afin que lui-même vous fut un modèle de salut et de perfection, ce qu’il [290] disait à ses saints apôtres : personne ne va à mon Père que par moi. D’où vient que les âmes qui ne veulent pas se servir de cet exemple, vivant une autre vie que celle que Jésus-Christ a menée, se trompent lourdement, et sont toujours vagabondes, errantes et sans fondement solide qui les appuie et console, et vivent ou une vie très misérable dans le péché, ou du moins très imaginaire et chimérique. Car comme Jésus-Christ notre divin Maître, est aussi bien l’unique vérité, comme il est notre seul exemple, il s’ensuit que ce qui ne s’y règle, est hors de toute vérité, et cela est ce qui cause tant de tristesse aux âmes, souvent sans savoir la cause. Car comme elles font tout leur pouvoir pour rencontrer [291] quelque consolation, la cherchant dans la vie délicieuse, elles ne l’y rencontrent jamais, d’autant qu’elle n’est pas conforme à Jésus-Christ, le principe de toute paix et joie, et ainsi sont toujours affamées et mécontentes.

Il en arrive autant aux âmes religieuses, et très souvent encore pire, d’autant qu’étant appelé de Dieu plus spécialement à cette grâce, et à survivre de plus près les sacrées démarches de Jésus-Christ, ne s’y rendant pas, sont aussi plus peinées et rebutées de Dieu.

Concevez bien la tromperie des âmes qui ne veulent presque jamais être solidement convaincues de cette vérité, et si elles en ont quelque connaissance, elles-mêmes s’aveuglent, pour fuir la pratique [292] leur âme sachant bien que la science du salut et de la perfection n’est autre chose que Sagesse divine, laquelle ne s’acquiert que par l’expérience. Goûtez et vous verrez, dit la Vérité éternelle.

Concluez donc de cette très importante vérité, qu’il vous faut prendre exemple sur Jésus-Christ, aimant ce qu’il a aimé, et vous rendant malgré votre nature corrompue, pour imiter ses pauvretés, mépris et souffrances. Voyez aussi combien vous avez été aveugle recherchant toute autre chose ; mais à présent que vos yeux sont ouverts pour la vérité, tâchez d’estimer la moindre chose qui ait été en Jésus-Christ, étant assez pour une âme vraiment détrompée que de lui dire : Jésus-Christ [293] a pratiqué cela, pour qu’elle s’y rende et en fasse son principal, aux dépens de ses intérêts et de tout ce qu’elle a de plus cher.

L’âme étant bien convaincue de cette dernière vérité, qui est la fin de ces Exercices, qu’elle envisage avec une Foi vive et un amour généreux, toutes les démarches de la vie de Jésus-Christ, comme l’exemple sur lequel elle se doit continuellement former, et lorsque le corps ou l’esprit ont quelques désirs, et paraissent s’incliner pour quelque chose, au même temps, envisagez si elle est conforme à Jésus-Christ : si elle ne l’est pas, rebutez-la comme votre unique ennemie, laquelle infailliblement ne vous peut donner que la mort ; mais si au contraire elle est dans l’approbation de Jésus [294] Christ, aimez-la, caressez-la, comme chérie de lui, et comme une chose qui vous rend semblable à votre cher original.

Conclusion.

Une âme qui sera fidèle tout le bon à se laisser pénétrer le cœur de ces vérités, peut beaucoup espérer de sa divine Bonté, pour une nouvelle vie, c’est pourquoi il faut qu’elle sache que toutes les lumières qu’elle a reçue en cette retraite, ne sont que des dispositions aux grâces et miséricordes tout à fait grandes, que Dieu prétend lui donner à la suite : car comme elles sont pour la réveiller et la ressusciter, elles la disposent à tout autre chose. Ne vous contentez donc pas d’avoir été touchée, convaincue, et même [295] pénétrée de ces vérités importantes, vivez à la suite de la vie, que vous avez été assez heureuse de recevoir, tâchant de vous soutenir dans la vérité et l’étendue de tout ce que vous y avez connu. Mais si vous êtes assez infortunée pour que ces puissantes vérités ne vous aient pas touché fortement et causé l’effet susdit, tremblez et ayez une peur étrange ; car assurément votre cœur est proche de l’endurcissement. J’espère de la divine Bonté, qu’une âme en ayant été touchée et fidèle comme je viens de dire, aura une ouverture à la suite, pour aimer tout de bon notre Seigneur, et pour mettre tous ses plaisirs à le suivre.

Quatrième retraite. Avertissement pour les méditations suivantes.

Ces vérités qui sont pour se disposer à la sainte Fête de la Purification, et afin que l’âme à leur aide puise puise durant quelques jours abondance (298) de grâce dans les Mystères admirables qui s’y sont passés, peuvent fort utilement servir pour faire une retraite en tout temps, laquelle sera très fructueuse aux âmes lesquelles ayant la haine du péché et d’elles-mêmes, commencent tout de bon à désirer connaître le chemin de se purifier pour voir Jésus-Christ, et l’aimer comme leur vie, leur bien et leur béatitude : car comme elles commencent à savoir par expérience qu’il n’y a que les nets de cœurs qui le peuvent voir, cela est cause qu’elles recherchent de toutes leurs forces à se purifier de la moindre chose qui les peut détourner de la vraie pureté. Et tout ce qui s’est passé dans cette sainte Fête, le marque fort bien, et tout ensemble donne d’admirables lumières pour aimer notre Seigneur et s’établir dans une vie solidement vertueuse.

De plus, selon le bienheureux François de Sales, cette sainte Fête de la Purification est toujours ; car son Octave est toute l’année, d’où vient qu’il n’y en a pas dans l’Office divin, et de cette manière l’on peut en tout temps se disposer aux effets admirables de cette divine solennité, et continuellement recevoir ses influences pleines de grâces et de miséricordes.

La personne qui fera les exercices, [300] et se servira de ces Vérités, doit distribuer selon son besoin, ces dix jours : car il y aura de quoi se bien entretenir, si l’on y va avec ferveur et grande désir de connaître la vérité pour s’y donner, et en faire fruit d’amour et de conformité.

Il faut donc s’appliquer sérieusement à chaque vérité, y puisant tout ce qu’elle enseigne, et tâchant d’y trouver toute la bénédiction et la grâce qu’elle renferme. Et assurément si l’on le fait comme il faut, l’on y trouvera grande correspondance de la part de notre Seigneur et de sa très sainte mère.

Il est vrai qu’il y a tant de merveilles dans ce saint Jour de la Purification de la très sainte Vierge, que c’est un abîme sans fond pour une âme laquelle aidée de la lumière de Dieu veut s’y appliquer comme il faut : il est si rempli, et d’instruction pour notre conduite intérieure, et aussi de grâce pour nous purifier, et nous orner des saintes pratiques des vertus, que cela ne se peut bien voir ni comprendre que par la pratique et l’expérience actuelle des choses merveilleuses qui se sont rencontrées et qui remplissent ce divin Mystère. Il faut donc s’y appliquer en particulier, prenant chaque jour de l’Octave une circonstance, afin [302] d’y puiser, et la lumière, et la pratique, tâchant conformément à ce que l’on y aura remarqué, d’en faire ce jour par conformité le plus d’actes, soit intérieurs, soit extérieurs qu’il sera possible, et de cette manière l’on en tirera un grand fruit, car il sera à l’âme une source très féconde de grâces, tant pour la lumière que pour l’amour, tant pour la purifier que pour la remplir des vérités solides.

Il faut remarquer que les deux derniers jours sont plus longs que les autres, à cause de la quantité des choses admirables qui contiennent, tant pour la lumière, que pour la nourriture solide des [303] âmes, aussi afin qu’après les dix Jours, la personne qui aura fait ces Exercices, puisse avoir des Vérités de reste, pour se nourrir et soutenir quelque temps, ce qui est infiniment nécessaire pour les Exercices, d’autant qu’ordinairement après y avoir beaucoup reçu de grâces, et y avoir conçu quantité de bonnes résolutions, elles servent peu cependant, faute de s’en ressouvenir et de les continuer, non tout à fait ; mais par quelques Vérités, pratiques et lumières qui y aient rapport.

J’avertis donc la personne qui se servira de cette petite Retraite, de s’appliquer beaucoup à chaque Vérité, en faire une profonde [304] estime, et faire en sorte de se la graver bien avant dans l’intérieur et dans l’estime de l’âme, d’autant qu’assurément elle est remplie de très profondes et solides Vérités qui seront une nourriture très proportionnée à chaque âme amoureuse de la perfection, par la pureté intérieure et l’amour de jouir et de se conformer à Jésus-Christ.

Finalement prenez garde qu’afin que cette Solitude soit fort utile, il faut durant chaque Jour, s’exercer avec suavité en plusieurs actes intérieurs conformes aux Vérités, et de cette manière elle sera aussi bien nourriture que lumière. (305)

Premier jour. Méditation. Considération pour s’unir et participer à la grâce du divin Mystère de la Purification de la très sainte Vierge, ce qui peut servir très fructueusement pour dix jours de Solitude.

saint Siméon a le bonheur de trouver Jésus-Christ dans le temple, et d’y être éclairé d’une lumière admirable qui lui découvre la grandeur infinie de ce divin [306] Enfant, lequel à l’extérieur et selon la lumière humaine, paraît si pauvre, si petit et si méprisable. Il y voit donc cette grandeur infinie ; car Jésus-Christ lui fait connaître qu’il est Dieu, le Souverain et le Roi de toutes les créatures, et qu’il est Sauveur de tous les hommes, de telle manière qu’il connût et la dignité de sa personne, et l’infini bonheur qu’il possédait de le connaître. Cette grâce fut donnée à saint Syméon, d’autant (dit l’Évangile) qu’il était juste, qu’il alla au Temple en esprit, et qu’il attendait la rédemption d’Israël. Remarquez ces trois circonstances nécessaires absolument pour trouver Jésus. La première est qu’il était juste, c’est-à-dire fidèle à ce que Dieu demandait de lui. Vous voyez tant [307] d’âmes qui voudraient trouver la divine lumière, sans se purifier ni travailler à se défaire d’un million d’obstacles qui leur bouchent les yeux, cela ne se fera jamais : regardez si votre cœur est droit, et si vous voulez vous défaire de tout, non de volonté, mais d’effet.

2e jour.

Méditation. Il y alla en esprit, c’est-à-dire conduit et éclairé de l’Esprit de Dieu. Les hommes seuls qui sont fidèles à suivre l’Esprit de Dieu et non le leur, peuvent trouver Jésus, et c’est une tromperie de croire autre chose ; car le seul Esprit de Dieu nous peut conduire et de montrer ou à Jésus et qu’elle il est : cependant personne ne veut quitter son esprit [309] et son sens, chacun veut faire sa volonté et abonde en ce sentiment : d’où vient que quoique que Jésus remplisse la terre, et soit un soleil plus découvert que naît le matériel qui nous éclaire, très peu le trouve et le voit. (Chose déplorable !)

Voulez-vous donc trouver Jésus pour l’adorer et jouir de la béatitude en commencer ? Ne suivez pas votre esprit ni votre volonté, ne vous conduisez pas par vos pensées ; mais renonçant à toute votre conduite, suivez l’Esprit de Dieu, et pour cet effet, soyez fidèlement obéissante en tout. De plus, envisagées continuellement la volonté de Dieu et son ordre en toutes choses, pour l’exécuter, et quand vous vous trouverez en quoi que ce soit, renoncez-vous [310] (je dis en quoi que ce soit), car pour être fidèle aux choses importantes, il faut l’être aux petites.

Prenez donc à tâche de vous soumettre continuellement à Dieu et à toute créature pour lui.

Voyez combien S. Simeon se tint heureux d’avoir été simple et fidèle à suivre la conduite de l’Esprit de Dieu ; car il remarqua tout son bonheur lui être venu de là, qu’une âme est malheureuse d’être propriétaire de son esprit ; tâchez de bien examiner et bien voir s’il y a rien en quoi vous suiviez le vôtre, autrement Jésus vous fuira, et quoiqu’il soit proche de vous, jamais vous ne le trouverez ni aurez le bonheur de le voir.

Prenez encore bien garde que faute de ce bien appliquer à ceci, [311] il y a infinies choses, en quoi l’on fuit son esprit, son sens et sa volonté, tant pour les aspirations de Dieu, que pour fuir ce qui nous contrarie, aussi pour ne faire pas la volonté des autres ; mais quand l’âme y est fidèle, elle trouve infailliblement Jésus le Dieu de son cœur ; car par là elle est conduite à la récollection intérieure, qui est le temple où il est et où il se trouve.

3e jour.

Méditation. Enfin il attendait la consolation d’Israël, c’est-à-dire la grâce d’être délivré des misères de la vie d’Adam, par la venue du Sauveur. Sachez que les âmes seules qui sont ferventes à désirer et à attendre la délivrance de leurs péchés et de leurs passions et impuretés, et qui soupirent et désirent ardemment de [313] jouir de Jésus-Christ, le trouvera. Vous voyez si peu d’âmes qui pensent à leur perfection, et qui la désirent comme il faut, quand l’on la fait un jour, l’on s’ennuie, et si l’on le continue un mois, c’est beaucoup ; un an ou deux, c’est miracle ; mais de le faire avec fidélité plusieurs années, cela est très rare : cependant ce bon vieillard a vieilli dans cette attente laquelle n’a pas été en vain, car il n’a pas été frustré de ses désirs ; au contraire elle en a reçu les fruits avec abondance. Assurez-vous que jamais une âme ne désirera et l’affectionnera fidèlement et comme il faut sa perfection et sa purgation, sans qu’elle l’obtienne. Si Jésus tarde, qu’elle soit constante, car il viendra, et prenez bien exemple de ce grand saint, pour vous animer [314] et vous assurer de la fidélité de Jésus. Désirez, et désirez de toutes vos forces, et ne vous lassez jamais d’attendre et de désirer.

Il a vieilli dans cette attente, et cependant il a été heureux de recevoir le bien de voir Jésus un peu avant que de mourir, aussi une âme se trouvera infiniment récompensée de ses désirs et de sa ferveur, quand bien elle ne jouirait de son désir qu’un peu devant que de mourir ; mais il n’en arrivera de cette sorte, car Jésus est trop compatissant pour les hommes qui le désirent (comme il faut) il a voulu donner un exemple de fidélité et de longanimité en saint Syméon, et présentement il se laisse vaincre plus promptement [315] pourvu que les désirs soient efficaces, c’est-à-dire par la mort véritable de soi-même.

4e jour.

Méditation. saint Syméon vint au Temple de la manière déclarée aux Jours précédents, et dans cet esprit il y trouva Jésus et sa sainte mère, et par eux il posséda un trésor de grâces infinies. Car il vit par la lumière qui lui fut donnée, Jésus présenté dans le Temple, comme une Hostie offerte au Père Eternel, pour les péchés des hommes, et [317] pour nous obtenir la grâce très abondante, de purification et de pureté, et connut aussi que Jésus pour correspondre au dessein de son Père, sur cette offrande que l’on lui faisait de sa personne, s’offrit lui-même comme une Hostie véritable ; de telle manière qu’il se remplit du zèle et des intérêts de ses créatures et d’une charité infinie vers elles. Pénétrez bien que le regard et l’envisagement de Jésus étant offert et s’offrant à Dieu, est d’une efficace très grande, pour nous obtenir la grâce de purification de nos péchés, et tout ensemble une abondante miséricorde, pour participer à tout ce qu’il obtint de son Père pour nous en ce temps, si bien qu’il faut continuellement regarder ce divin Enfants, comme une [318] Hostie vivante, dont nous nous pouvons servir continuellement pour apaiser Dieu et purifier nos crimes et péchés.

Tâchez de porter dans votre intérieur cette disposition d’Hostie devant Dieu. Unissez-vous à Jésus-Christ, pour cet effet il s’y est offert afin de nous mériter cette grâce, et presque personne ne travaille pour se mettre en état d’être une Hostie, c’est-à-dire une chose sacrifiée et offerte pour la gloire et les intérêts de Dieu, pour la destruction de tous les nôtres propres. Regardez si votre cœur est disposé pour cette disposition d’Hostie, si cela n’est pas, tout ce jour regardez amoureusement Jésus, s’offrant avec un amour, et avec un désir infini, et cela en notre [319] seule considération, et assurément ce regard amoureux de Jésus vous imprimera dans le cœur ses sentiments d’Hostie.

5e jour.

Méditation. Jésus ainsi offert comme une Hostie pour les hommes à son Père, fut racheté par sa sainte mère, afin que les pauvres hommes posséda se cette précieuse Hostie, et qu’ils en puissent faire continuellement usage, comme chose qui est maintenant à eux.

La sainte Vierge le rachetant, la fée dans cette intention ; car [321] comme elle l’a fait dans les purs dessins du Père Eternel, et de Jésus son Fils auquel elle s’est jointe, sachant qu’ils étaient tels ; si bien qu’après ce rachat elle n’a pu regarder ce précieux trésor, que comme une Hostie qui appartenait aux créatures. Elle l’envisageait continuellement de cette manière, et si elle le baisait, c’était avec un respect et une douleur très sensible : car la lumière de Dieu lui faisait voir que les petits membres de cette Hostie devaient être tous brisés de coups, elle voyait dans son Esprit les désirs qu’il avait que ce temps fut venu, comme aussi l’amour insatiable que ce Bienheureux Enfant avait de continuellement être consacré et consommé pour le salut et le bien de toutes les [322] créatures, ce qui donnait une charité très grande à la sainte Vierge, pour ces mêmes créatures.

Combien y a-t-il peu de personnes fasse usage de cette grâce infinie ; et qui envisagent Jésus-Christ comme une chose tout à fait à elles et pour elles ; cependant il est très vrai que dès ce moment qu’il a été offert par la sainte Vierge, nous avons reçu grâce dans son offrande, pour nous en servir selon tout l’usage que nous en voudrons faire pour notre bien et notre perfection.

Réfléchissez donc sérieusement sur chaque circonstance ce jour et pénétrez les pensées de Jésus en cet état, son amour, ces désirs ; faisant autant à l’égard de la sainte Vierge, voyant son divins enfants comme une Hostie. [323]

Tâchez de vous confondre et vraiment vous humilier en vue de tant de grâces et de miséricordes, voyant que vous en faites si peu d’état.

N’est-il pas vrai que votre âme n’en a presque jamais fait usage, et que ce vous a été un trésor infini tout à fait inutile ?

6e jour.

Méditation. Jésus fut donc racheté par la sainte Vierge par un prix très vil et petit, savoir par cinq sicles et deux pigeonneaux ou tourterelles, pour nous apprendre le moyen de nous l’acheter et nous l’obtenir continuellement.

Premièrement. Il a voulu par un miracle d’amour que son prix fut très vil afin que personne ne pût dire, c’est un Dieu d’une Majesté infinie, et d’un prix infini qui ne ce [325] peut obtenir ; mais ayant par un ordre de son Père mis le prix si vil et petit, personne ne peut s’excuser s’il ne possède continuellement Jésus ce trésor infini.

Comprenez bien ce Divin Mystère, que pour posséder Jésus de la plus précieuse et excellente manière, il faut si peu donner ; pourvu qu’il soit joint et uni à ce présent et offrande de la sainte Vierge et dans cet esprit. Les créatures ne seront-elles pas infiniment coupables pouvant acquérir et posséder leur Sauveur et leur béatitude d’cette vie, de négliger cette facilité, et ni penser jamais : car tout ceci est un divin Mystère est un dessein éternel pour apprendre à la créature que Dieu généralement dans tous ses Mystères peut être obtenu et [326] possédé à peu de frais. Car cet état dans lequel il a été racheté, a été un état d’Hostie et de sacrifice qui contenait tous ceux de sa vie jusqu’à sa mort. L’on sera donc infiniment condamnable en vue de cette facilité pour obtenir Jésus-Christ si l’on ne s’en sert. Tâchez de l’envisager amoureusement pour reconnaître cette grâce, lui rendant vos remerciements et faisant une résolution forte de ne perdre cette occasion, tâchant de lui faire compagnie continuelle, et pour cet effet, il faut que vous le regardiez dans les bras de la sainte Vierge, lequel s’applique continuellement à son Père pour vous, et s’offre incessamment comme une Hostie pour vos péchés. [327]

Envisagez-le donc dans cet état d’enfance, et dans le sacrifice qu’il y porte de tout soi-même, ne faisant pas à l’extérieur d’usage de son esprit ni d’aucun de ses sens que par sacrifice un état d’enfance que son Père lui impose comme Hostie.

Tout ce jour regardez-le amoureusement, et tâchez avec un profond respect de le caresser, et de vous approcher de lui, afin que la grâce infinie qu’il vous a mérité par son sacrifice dans l’enfance, vous purge et vous dépouille de cet esprit d’orgueil, et de suffisance qui est en vous.

De plus présentez-lui votre cœur, afin qu’il le remplisse de ses sentiments d’innocence, de simplicité, et d’une véritable petitesse d’enfant. [328]

Entretenez-vous avec lui de son admirable occupation intérieure dans son état d’Hostie et d’enfance, et il vous dira assurément en sa manière de parler que tout son cœur est consommé d’amour et de respect vers son Père Eternel pour ses pauvres créatures, afin de les délivrer de l’orgueil, de la suffisance esprit, et d’une enflure étrange qui les perd et les consomme, et l’on ne saurait croire sinon par expérience, combien cet état en Jésus est infiniment fécond et plein de grâces, et combien les pratiques de simplicité, d’innocence, et de petitesse exerçées en son union, sont remplies de son esprit.

N’en perdez donc jamais aucune occasion, et vous boirez à [329] longs traits le vin très délicieux dont Dieu promet rassasier et désaltéréer ses très chers.

7e jour.

Méditation. Regardez et considérez Jésus comme une Hostie divine, lequel pour consommer son sacrifice et sa dépendance envers son Père Eternel, aussitôt qu’il peut remuer les bras et faire quelque démarches de ses pieds, il les emploie à l’Office de serviteur, et cela pour plusieurs raisons.

Premièrement. Afin de se conformer à la [331] volonté de son Père qui l’y destine en suite de son sacrifice : car n’étant plus à lui, il n’a plus droit que de se soumettre : de plus étant une Hostie pour les créatures, le Père Eternel veut qu’il consomme son sacrifice en étant serviteur des créatures.

Deuxièmement. Jésus s’est donné et abandonné à faire cet Office de serviteur par la vue et la lumière qu’il avait qu’étant sacrifié pour les créatures, il leur appartenait, et que de cette manière il devait employer tous ses mérites, toute sa vertu, tout son amour, et enfin se sacrifier dans l’état le plus vil et le plus abject, afin de sanctifier ce même état que tous les hommes peuvent exercer et porter, et de cette manière en faire une source infiniment féconde de [332] grâces et de bénédictions pour les âmes qui porteraient tel état à la suite par union, à cette divine personne dans l’état de serviteur, et qui reconnaîtrait que cette fécondité de grâce que contient ce divin état, vient du sacrifice tout plein d’amour ; que Jésus a fait de lui-même par les mains de la sainte Vierge à son Père Eternel, lequel ensuite l’a redonné aux créatures pour être un serviteur et valet.

Renouvelez votre ferveur et votre lumière : pour amoureusement considérer la ferveur de Jésus, et son amour à se rendre promptement dans les ordres de son Père en suite de son sacrifice : car aussitôt qu’il peut un peu marcher, il travaille et fait tous les petites ouvrages de la sainte [333] famille : il balaye, il donne ordre au ménage, et généralement il fait par soumission et dépendance de la sainte Vierge, et de saint Joseph tout ce qu’ils lui ordonnent pour le petit ménage. Tâchez de bien envisager ce divin Jésus le Dieu de votre cœur, travaillant de cette manière, considérez-le pas à pas, d’action en action : regardez son humilité, sa douceur, et généralement toutes les autres vertus qui sont propres à cet état de petitesse, et je m’assure que si votre cœur est amoureux de Jésus en cet état, il vous regardera assurément avec amour, et avec inclination, d’épancher son cœur et son esprit de servitude dans votre âme.

Regardez aussi son intérieur ; car il est tout consommé [334] d’amour et de désir d’effectuer le sacrifice qu’il a fait de soi-même, regardant chaque petite action qu’il avait à faire dans cette sainte famille, comme la chose qui devait consommer son divin sacrifice en cet état.

Tâchez tout ce jour de le voir amoureusement dans cet état, et lors que vous ferez quelque chose, soit pour votre service ou pour les autres, que ce soit en union de Jésus et par son esprit intérieur.

Regrettez les moments de votre vie qui n’ont pas été éclairés de cette divine lumière, combien d’actions conformes à celle de Jésus serviteur, durant toute votre vie, ont été perdues et inutiles faute d’être éclairé de ce divin soleil ? [335]

O qu’une âme est heureuse qui en est bien pénétrée et éclairée ! Car non seulement elle ne rebute pas les actions basses et serviles soit pour soi ou pour les autres ; mais elle les recherche par amour et complaisance à Jésus-Christ serviteur pour se sacrifier à lui, par la grâce de sacrifice qu’il y portait.

Déplorez les ténèbres de tant d’âmes qui ne voient pas ces merveilles ; et qui ne s’en occupent pas par lumières et pratiques.

N’est-il pas vrai, que qui est éclairé de cette divine lumière, voit clairement qu’il n’y a rien de plus si facile que de voir Jésus-Christ, et le posséder, vu que pour cela il ne faut que se donner aux actions petites, basses et serviles [336] avec esprit intérieur et désir de conformité, et d’union à Jésus-Christ Hostie dans l’état de serviteur ?

8e jour.

Méditation. Envisagez Jésus comme l’Hostie de son Père, travaillant et gagnant son pain à la sueur de son visage, ce qui n’est autre chose véritablement que la consommation de son sacrifice ; mais très pénible ; puisqu’il faut qu’il porte par ordre de son Père ce que le péché a mérité : car au moment que le péché commis, l’homme [338] fut condamné à manger son pain à la sueur de son visage, et voilà que Jésus étant offert par la sainte Vierge au Père Eternel, et cette Hostie étant acceptée, et ensuite rachetée, c’est pour consommer tout ce que le péché avait mérité ; de telle manière que Jésus travaillant jour et nuit pour gagner sa pauvre vie, il le faisait en véritable esprit de sacrifice, et par là il purifiait et remédiait au péché ; de telle manière que les âmes après ce divin état de Jésus travaillant, peuvent, si elles sont fidèles à la grâce qu’il leur a mérité, porter tel état, non seulement par pénitence de leurs péchés ; mais par un pur amour : car Jésus en travaillant, en à ôté toute la vertu et l’aigreur de la condamnation [339] de Dieu. De plus, Jésus Hostie dans son travail, et par les fatigues qu’il y a porté, a fait de cet état une source admirable de grâces et de lumières pour les âmes qui seraient assez heureuses à la suite de le porter par conformité à Jésus, et dans l’union des saintes dispositions de son esprit.

Jésus en cet état aimait infiniment toutes les suites de cet état laborieux, comme partant de la main toute aimable de son Père Eternel, laquelle par un amour des créature qui ne se peut concevoir, l’allait continuellement sacrifiant par ses labeurs, de telle manière qu’il regardait avec respect l’humiliation et la petitesse, se voyant un pauvre manœuvre. [340]

Il aimait chèrement la douleur et la captivité que cet état porte, et son pauvre cœur était tout ravi d’aise par amour de ses chères créatures, se voyant réduit à un travail nécessaire pour gagner leur vie, c’est-à-dire leur communiquer son esprit et ses grâces.

Tout ce jour, envisagez-le amoureusement travaillant dans la pauvre maison de Nazareth, et si vous le regardez avec respect comme le Dieu de votre cœur, et avec reconnaissance de ce qu’il fait pour vous ; soyez assurée qu’il vous souffrira proche de lui, et qu’il vous ouvrira secrètement son cœur, pour y puiser les trésors admirables des secrets divins sur sa vie laborieuse ; il vous instruira assurément de quelle manière il faut que vous [341] agissiez par conformité à ce divin l’état.

N’est-il pas vrai que votre cœur n’a jamais été pénétré vivement ni éclairé de ces admirables merveilles ? Ce qui a été cause que vous avez fait si peu d’estime de la vie laborieuse et pénible, ne regardant pas sa beauté dans Jésus-Christ, vous l’avez négligée parce qu’elle vous a paru humble, pauvre et pénible, et c’est ce qui en vérité est ravissant et admirable, regardant cela uni à Jésus-Christ.

Changez donc de vue, et ayez un respect, un amour tout à fait particulier pour Jésus-Christ dans cet état, et pour cet état en Jésus-Christ : car il vous sera un soleil admirable pour vous éclairer [342] et consoler à tout moment.

Ne laissez jamais passer la moindre occasion de vous donner à quelque travail laborieux et humiliant, que vous n’y soyez fidèle et ne le regardiez toujours comme Jésus-Christ même : car assurément tout le temps qu’il l’a porté, il l’a rempli tellement de son esprit de sa grâce que qui a des yeux ouverts, ne le peut voir distinct de lui.

Ne perdez jamais d’occasion faisant quelque chose de pénible et d’humiliant, de voir, et de vous entretenir avec Jésus-Christ en cet état, et vous en recevrez grande bénédiction.

Les âmes qui par état sont dans cette grâce, sont très malheureuses de n’en pas faire usage puis qu’elles perdent un trésor infini. [343]

Concevez bien la facilité qu’il y a de trouver Jésus-Christ, et de l’avoir continuellement ; pourvu que l’âme soit fidèle et amoureuse de son état laborieux, et vigilante à en chercher des pratiques suffisantes pour cet effet à son esprit ; dites souvent à votre cœur que Jésus Hostie dans l’état laborieux est un soleil admirable pour conduire les âmes vigilantes, ferventes, et amoureuses du travail et de la vie pénible. Au contraire ce sera une condamnation assurée pour les âmes paresseuses et négligentes qui l’ont oublié par mépris.

9e jour.

Méditation. Considérez le Mystère admirable qui est contenu dans la manière du présent qui fut offert pour Jésus, afin de nous le racheter, car tout y est mystérieux et admirable.

Regardez donc la sainte Vierge qui avec un maintien humble, présente deux colombes selon la Loi, et ce présent extérieur dans le dessein éternel de Dieu était intérieur ; de telle manière que [345] par ce couple de colombes, Dieu voulait que les âmes pour s’acquérir Jésus et le posséder, comme chose propre selon la vérité de ce Mystère, lui offrissent ce qu’elles signifiaient, savoir la simplicité et l’amour ; car ce sont les deux qualités et propriétés de la colombe ou tourterelle, et offrant à Dieu une véritable simplicité et un amour solide comme celui de la colombe, ce présent sera acceptable.

Les colombes ont spécialement ces deux qualités, la simplicité et l’amour. La première, notre Seigneur nous le dit : que les âmes soient simples comme Colombes. La seconde se remarque manifestement ; car elles sont toujours dans un gémissement continuel vers leur [346] pair : c’est pour cela que la Loi ordonnait un couple de tourterelles ou de colombes, et il est certain que la tourterelle n’a non plus que la colombe d’autres chant que le gémissement : ce qui marque le gémissement que notre cœur doit continuellement avoir pour le véritable amour de Jésus (l’objet unique de notre cœur). Le gémissement de ces oiseaux se fait spécialement en solitude, aussi un cœur qui veut aimer, doit être solitaire et à l’écart des créatures, ou bien ce ne sera pas un amour de Colombe (c’est-à-dire fort et fidèle), car il sera partagé à plusieurs créatures, selon l’inclination que l’on aura, ou la passion dont l’on sera excité ; mais afin que l’amour de l’âme soit ce véritable amour de la Colombe qui doit être présentée [347] pour l’achat de Jésus, il faut qu’il soit solitaire et séparé des créatures, et ainsi pur, le cœur ne gémissant purement qu’après Jésus.

Il faut aussi que ce soit une simplicité de Colombe, c’est-à-dire dans une telle suavité et candeur, qu’il ne s’y rencontre aucun fiel ou amertume de passion ! Cette simplicité doit être envers Dieu et à l’égard du prochain, celle qui est pour Dieu le regarde en simplicité de cœur, comme son Dieu, son Créateur et son aimable Père, allant droit à lui sans retours ni recherches propres d’amour particulier ; mais l’aimant et le recherchant pour lui-même, et par ce qu’il le mérite. Cette simplicité vers Dieu, retranche un million de retours humains, [348] et établit en l’âme une véritable droiture pour lui. De plus, cette simplicité doit être à l’égard du prochain, ayant toujours pour lui un cœur simple et droit sans finesse ni passion, le regardant comme Jésus-Christ, et le servant ou souffrant de lui comme si c’était Jésus-Christ même, de telle manière qu’afin que la simplicité que nous prétendons offrir à Dieu, soit une simplicité de Colombe, et qu’elle soit reçue de lui il faut qu’elle rende le cœur un cristal qui simplement et avec une candeur angélique, traite avec son prochain comme un enfant de Dieu avec son frère et sa sœur ! Autrement Dieu ne l’acceptera pas ; car il a attaché par un Décret éternel le don de son Fils, à ce présent de deux [349] colombes ; mais aussi si l’âme lui offre en vérité ce présent d’une simplicité et d’un amour de Colombe, elle l’aura et le possédera comme saint Siméon en la personne du Père Eternel le redonna dans les bras de la sainte Vierge.

L’on est si souvent en étonnement, pourquoi Dieu ayant tant fait pour nous mériter son amour, et pour nous obtenir ce grand et admirable présent de soi-même, cependant il est si rare de trouver des âmes qui y arrivent : car vous ne remarquez qu’impureté, attache et péché. La cause seule est ce que vous venez de voir, car l’on ne veut point donner à Dieu ce qu’il demande pour obtenir son admirable don, et comme par Décret éternel cela est arrêté, qu’en donnant [350] l’on obtient le présent de lui-même et de son amour, aussi manquant à cette offrande, tous les travaux, toutes les souffrances, tous les désirs, et tout l’amour d’un Dieu demeure inutile.

Cela n’est-il pas surprenant ? Avez-vous jamais bien compris cette vérité ? Travaillez donc à acquérir cette simplicité et amour de Colombe, afin que l’offrant en présent au Père Eternel, vous preniez de son sein ce Verbe divin, humanisé et brisé pour vous, et dites au Père Eternel lui offrant ce présent : Père Eternel, ne regardez pas ce présent fort petit que je vous présente, séparé de celui que la très sainte Vierge vous présenta, mais uni ; car je vous offre ce couple de colombes en l’union du sien et [351] dans l’esprit que vous lui communiquâtes.

Mais travaillez fortement, afin que le présent que vous offrirez, soit de véritables Colombes. O si cela est, vous en verrez assurément l’effet !

10e jour.

Méditation. Ce jour doit être saintement employé dans la considération sérieuse des lumières admirables que Dieu donna à la très sainte Vierge pour contribuer à ce divin Mystère de sa sainte purification, et pour y agir selon les ordres éternels de Dieu sur son Fils et sur elle.

Premièrement. Étant mère de Dieu et ayant enfanté son très saint Fils [353] par l’opération de l’Esprit divin, elle n’était pas obligée à la loi par rigueur ; cependant l’ordre de Dieu le lui marquait ; elle s’y rendit dans toute son étendue, et pour lors elle fit le sacrifice d’une véritable et entière soumission à Dieu, pour exécuter ce qu’il désirait d’elle. De plus, elle sacrifia son honneur, car se purifiant, elle passait pour une pauvre femme immonde et souillée comme toutes les autres du commun, ce qui était une chose infiniment humiliante pour la très sainte Vierge, et la mortifiant extrêmement, à cause qu’ayant par prérogative la pureté virginale, elle s’allait cependant purifier des tâches, comme si elle les avait contractées, et avait été immonde : ce qui dit choses infinies pour la très sainte [354] mère de Dieu. Nous avons tant de peine à paraître ce que nous sommes, et si l’on nous dit la moindre chose, c’est assez pour nous troubler et inquiéter : nous avons de la peine quand il nous faut faire quelque chose de contrariant et humiliant, et la sainte Vierge paraît une pécheresse et immonde par pure complaisance aux ordres de Dieu.

Comprenez combien la sainte Vierge vous donne de lumière, pour vous soumettre aux ordres de Dieu (tels qu’ils soient) sans les éplucher et y trouver à redire, s’y étant soumise jusqu’à faire sacrifice de tout ce qu’elle a de plus cher, paraissant une immonde et dans la nécessité de se purifier.

Que jamais les ordres de Dieu, tels qu’ils soient, ne vous paraissent [355] impossibles ou difficiles, envisageant la très sainte Vierge dans cette disposition.

L’union et la dévotion à la très sainte Vierge se purifiant, est merveilleusement efficace, pour obtenir la pureté intérieure et extérieure, et la véritable humiliation, spécialement celles où nous paraissons pécheurs, faibles et impurs.

Deuxièmement. Dieu ne désira pas seulement cette fidélité de la sainte Vierge ; mais il lui demanda encore ce qu’elle avait de plus cher au monde ; les hommes par fidélité aux miséricordes et grâces de Dieu peuvent être fidèles aux humiliations qui leur arrivent ; mais souvent ne s’aperçoivent pas d’une impureté grande qu’ils peuvent contracter dans les dons de Dieu (même les plus excellents). [356] Et quoi que la très sainte Vierge par son éminente grâce ne commis aucun défaut dans le don admirable que le Ciel lui avait fait du Verbe divin comme Fils ; cependant Dieu demanda d’elle en ce Mystère de sa Purification, qu’elle lui sacrifiât et donnât : et comme la très sainte Vierge était infiniment véritable en toutes ses dispositions, et en tout ce qu’elle faisait à l’égard de Dieu, il est certain que dans cette offrande qu’elle fit de son Fils au Père Eternel elle le donna et s’en désappropria, comme si jamais elle ne l’eût plus dû recevoir ni posséder : ce qui dit une séparation infinie en cette digne mère et une mortification immense. Admirez ce grand et immense cœur de la sainte Vierge, pour suivre et [357] se contenter des seuls ordres de Dieu ; car elle donna ce sacré Présent qui était tout son trésor, avec une allégresse, une joie et une plénitude sans réserve qui ne se peut exprimer. Quel acte immense ne fit-elle point en ce le désappropriant ? Quel amour son cœur ne produisit-il pas, disant à Dieu : Souveraine Majesté ! Vous m’avez donné un Fils que vous seul connaissez, je l’ai possédé par votre miséricorde, car c’est le mien : cependant parce que je remarque que votre bon plaisir est que je vous l’offre et vous le donne, j’aime mieux vous contenter que de posséder quoi que ce soit tant relevé puisse-t-il être. Je me défais donc, ô Père Eternel ! De cet aimable Fils, je vous le donne et m’en désapproprie [358], et le donnant à saint Siméon, son tout aimable cœur maternel par un dernier effort d’amour le laissa, lui disant intérieurement : ô mon Fils ! Voici que je vous donne à votre Père Eternel qui vous a donné à moi, je ne vous regarderai plus désormais avec la joie d’un cœur de mère, comme je l’ai fait dans l’agréable séjour de la pauvre étable de Bethléem où je vous voyais, et embrassais, et jouissais de vous comme de la vie de mon âme, et des délices de mon cœur ; mais maintenant je ne jouirai plus de vous que comme en dépôt, et comme une Hostie que votre Père me donne à conserver et garder pour être sacrifiée et consommée dans le temps arrêté selon ses ordres éternels. Cependant je vous donne [359], et me dépouille de tout ce que j’ai de plus cher ; parce que votre Père vous veut.

Pénétrez bien l’immense poids et la grandeur infinie de cette séparation, aurez-vous de la peine de vous séparer des créatures, de quelque plaisir ou satisfaction, après que la sainte Vierge pour vous donner exemple, s’est séparée de son Fils même.

Quand Dieu permettra vous arriver des sécheresses, des inquiétudes, ou que quelque chose ne réussira pas à votre gré, aurez-vous désormais de la peine à le porter après l’exemple de la sainte Vierge ?

Apprenez bien que la voie royale de Jésus-Christ est la séparation, la division, et la croix, et ne vous croyez jamais [360] plus heureuse que quand telles choses augmenteront en vous.

Renouvelez bien votre foi envers ce divin Mystère, afin de pénétrer cette admirable merveille des desseins de Dieu, dans notre sanctification laquelle assurément se doit opérer par la privation et la croix.

Qui avait-il de plus raisonnable et juste, que la très sainte Vierge étant dans une pureté d’amour vers son Fils comme son Dieu, en jouît en paix et dans la pleine consolation de son aimable cœur ? Et cependant ce n’est pas le procédé de Dieu, et la sanctification de ses créatures : quand elle commence à y trouver de la joie, il faut tout aussitôt s’en priver, ou n’en plus jouir que comme [361] d’une Hostie sacrifiée.

O qu’une âme est heureuse quand Dieu l’instruit de ce procédé ! Afin de trouver Dieu dans sa croix, la séparation, et l’éloignement de toute chose ; je dis même des consolations sensibles et spirituelles de Dieu. Quand Dieu vous envoie des croix, et les créatures vous abandonnent, et même qu’il vous paraît que Dieu le fait, nonobstant votre fidélité et renouvellement intérieur, soyez nonobstant tout cela pleine de consolation dans l’intime de votre âme : car c’est le temps où sa bonté vous visite avec plus de fruit véritable pour votre âme.

Troisièmement. saint Siméon tout ravi des admirables beautés qu’il vît en Jésus-Christ (ce qu’il [362] exprima par ce beau cantique : Nunc dimittis servum tuum Domine ! Laissez maintenant, Seigneur ! Votre serviteur en paix selon votre parole : car mes yeux ont vu votre salutaire) redonna ce digne présent du Ciel dans les mains de sa mère qu’il avait racheté et lui dit cette admirable prophétie : Ecce positus est hic in signum cui condradicetur, et tuam ipsius animama pertransibit gladius. Sachez mère ! Qu’il sera exposé à la contradiction des peuples et un glaive de douleurs outrepercera votre âme.

Deux admirables et très grandes lumières furent communiquées à la sainte Vierge et à saint Joseph sur les paroles prophétiques de saint Siméon.

Premièrement. Ils virent plus clair, qu’il ne [363] l’avaient encore vu, les grandeurs du Verbe Incarné, et les merveilles qui devaient arriver après tous les Mystères dans la suite de sa vie ; ce qui leur donna une joie admirable qui confirma beaucoup leur foi vers ce divin enfant, le regardant comme le véritable centre et la béatitude de toute les créatures, et comme la lumière qui devait éclairer les hommes dans les épaisses ténèbres où le péché les avait précipitées, et leur découvrir très clairement la voie certaine du salut éternel.

Tâchez de participer à cette divine lumière en comprenant fortement que quand une âme a trouvé Jésus-Christ, et qu’elle est en ses bonnes grâces, elle a tout trouvé, et qu’au contraire [364] étant éloigné de lui, quand elle aurait tous les honneurs du monde, toutes les richesses, et toutes les consolations des créatures, elle est misérable. Envisager bien saint Siméon, et voyez aussitôt qu’il a Jésus-Christ dans ses mains et qu’il jouit de son aimable lumière, il demande à mourir ; parce qu’il ne peut plus rien avoir dans la terre qui le console, tout au contraire il n’y trouvera que tristesse : car il n’y rencontrera que des sujets de s’éloigner et perdre ce bien infini qu’il a trouvé.

Concevez une très grande horreur de la vie présente, vous convainquez fortement qu’elle n’est véritablement que misère, si ce n’est que l’âme soit assez heureuse [365] d’y jouir de l’amour de notre Seigneur.

Tâchez de renouveler tout de votre mieux votre foi, pour envisager Jésus-Christ comme la véritable lumière qui vous doit éclairer et qui vous doit faire discerner ce qui est bon ou mauvais ; ce qu’il a aimé, aimez-le ; ce qu’il a fui, ayez-le en horreur : car c’est la vérité. Dites-lui amoureusement et confidemment, Monseigneur que j’aie la lumière ! C’est-à-dire que je vous voie, mon unique lumière !

Deuxièmement. Par ces autres paroles qu’il adressa spécialement à la sainte Vierge, elle comprit, et en ce moment elle fut éclairée de tous les opprobres, confusions et infinies contradictions que ce [366] Dieu de gloire, cette adorable Hostie (qu’elle tenait entre ses mains) devait souffrir, si bien qu’elle les vit si clairement et si distinctement dès ce moment, qu’elle ne pouvait regarder à la suite ce saint enfant que chargée de ces opprobres et confusions ; ce qui lui était une douleur extrême. Elle vit de plus comme ce glaive devait outrepercer son âme, et que ce glaive devait être les douleurs, les peines, la pauvreté, et généralement tout ce qu’il avait à souffrir de la main très pesante de son Père Eternel, dont il devait être frappé et brisé comme Hostie pour les péchés. Là elle vit sa cruelle passion, si bien que comme la foi de la sainte Vierge était très pure, elle vit dès ce moment la passion [367] de son Fils, comme si elle se fût passée, et ce que le cher enfant devait souffrir dans tous les moments de sa vie. Elle le voyait tout déchiré, sanglant, et outragé, ce qui lui était une douleur laquelle est tout à fait bien exprimée par ces paroles, un glaive de douleur outrepercera votre âme : ce qui dit une chose infinie.

Il faudrait avoir l’amour de la sainte Vierge et sa lumière pour comprendre qu’elle a été sa douleur continuelle, et comme à chaque moment qu’elle voyait cet aimable Fils, elle portait vraiment la vérité de ces paroles : Sponsus mihi sanguinis es. Vous m’êtes vraiment un époux de sang c’est-à-dire de douleurs. Comme aussi ces autres, fasciculus myrha dilectus meus mihi, super vbera mea commorabitur. [368] Mon enfant bien-aimé m’est un faisceau de myrrhe, il demeurera sur mes mamelles. Et il est très vrai que Jésus-Christ étant le véritable époux de l’âme de la Vierge, il lui était un époux de sang, qui lui causait des douleurs et une compassion qui ne se peut exprimer. De plus que comme il était toute la vie de son âme, ce bien-aimé lui était vraiment un Bouquet de myrrhe, c’est-à-dire lui était un sujet d’une mortification qu’elle seule a expérimentée, et qui conséquemment est connue d’elle seule.

Compatissez à la très sainte Vierge qui jouit si peu de la consolation de son aimable Fils, et comprenez bien que selon la grandeur de l’amour de Dieu sur [369] une âme, aussi est la distribution des croix, séparations et peines. Et comme la sainte Vierge était la première par excellence, c’est pourquoi le Père Eternel l’a traitée en âme forte. Envisagez-là souvent, regardant cet aimable enfant non avec un visage de joie comme en Bethléem ; mais tout abattu et dont la seule joie était la résignation aux ordres éternels. Combien a-t-elle dit de fois, vous le voulez, ô mon Dieu ! Que cher enfant soit exposé à tant de douleurs ? Je le veux. Une autre fois son pauvre cœur tout outré : Mon Dieu je nourris une Hostie pour être immolée, et baisant avec des larmes d’amour ses petits bras, ses bénites mains, elle concevait des choses admirables sur ses douleurs futures dans [370] le temps ; mais présentes en son esprit. O que la sainte Vierge et éloignée de ces âmes qui ne peuvent goûter que les douceurs et qui n’estiment dans la vie spirituelle et dévote que les consolations ! Faites en sorte de vous convaincre en vue de ces vérités, combien vous devez aimer la croix et la peine.

Quand il vous arrivera des combats et des peines, portez les avec résignation et joie : car assurément c’est le meilleur et le chemin royal.

Il y a des âmes si sensuelles et si sensibles, qu’aussitôt que Dieu commence à les éprouver et à les disposer à un amour plus solide, leur envoyant quelque peine ; aussitôt elles abandonnent tout et viennent dans la négligence [371], si bien que souvent Dieu est contraint de les traiter toujours en enfant, et les laisser de cette manière dans un million de défauts.

Vous voyez des âmes qui ne s’appliquent presque jamais à la passion de Jésus-Christ, et la sainte Vierge la eue toute sa vie : ce qui lui était une source admirable de très pur amour. Aussi est-il très vrai que les âmes (qui sur l’exemple de la très sainte Vierge) sont dévotes et s’appliquent à la passion et aux douleurs de Jésus et dans ses mépris (outre une grande lumière et pureté qu’ils y rencontrent) y reçoivent un très pur amour, et comme une assurance du salut.

Aimez donc les plaies de Jésus, et souvent durant le temps que [372] vous serez appliquée à ces vérités, unissez-vous à l’esprit et à l’amour de la sainte Vierge, pour baiser les saintes mains de Jésus, ses pieds, et généralement tout ce petit corps qui doit être consommé pour vos péchés.

Tâchez d’avoir un esprit beaucoup reconnaissant vers la sainte Vierge, de vous avoir nourri et élevé dans l’amertume de son cœur, et la douleur de son âme, une Hostie qui a été consacrée et consommée pour vous donner la vie.

Et finalement voyez de tout ce que dessus le véritable modèle d’une vraie vie intérieure dans la vie de la sainte Vierge, laquelle n’a pris sa véritable consolation que dans les douleurs conformément à cette vérité éternelle [373] qu’elle savait bien par révélation divine : Absit mihi gloriari nisi in cruce Domini. À Dieu ne plaise que mon Dieu, mon Fils, et mon époux soit en croix continuelle et que j’ai d’autre joie que sa même croix !

Ceci semble étrange aux âmes sensuelles ; mais il faut qu’elles sachent que les croix de Jésus-Christ ont plus de consolations et de douceurs que les joies fades et trompeuses des créatures n’en peuvent jamais causer, au contraire elles ne sont qu’amertumes, et donnantes la mort, et les autres sont vie et communicantes la béatitude. Ainsi soit-il.

[374] LITANIES du saint Enfant Jésus [omises]. [384]



CONTINUATION DES RETRAITES, dans lesquelles l’âme puisera des lumières pour travailler solidement à sa perfection.

De plus les degrés d’oraison sont expliqués, pour une plus grande facilité à faire usage de ses retraites.

SECONDE PARTIE. À Paris pour Madame l’abbesse de Montmartre. Appeler avec permission et approbation5.

TABLE DES RETRAITES ET MEDITATION DE LA SECONDE PARTIE [partiellement omise6].

Cinquième retraite. Dispositions pour la fête de l’Ascension.

Ces vérités pourront servir très utilement pour passer trois jours en Solitude et Retraite, s’unissant avec la sainte Eglise qui se prépare par des prières particulières, pour être en état de recevoir les trésors de grâces [376] que Dieu communique en ce saint jour. Soyez-y donc fidèles, et faites de votre mieux pour vous remplir de ces vérités, lesquelles assurément auront leur effet si vous vous y comportez d’une bonne manière.

Ce Mystère est tout à fait adorable et admirable, et infiniment fécond en grâce, tant pour jouir de notre Seigneur, que pour nous élever à son union, et que par ce moyen il jouisse de nous. C’est un des plus merveilleux Mystère de sa vie, et auxquels les âmes doivent avoir une singulière dévotion, comme le jour où Jésus-Christ leur a témoigné un amour qui ne se peut exprimer et dans lequel on [377] a reçu des grâces à l’infini.

Il est tout à fait nécessaire d’apporter grande disposition à cette sainte Fête, c’est pourquoi quelques jours devant cette solennité, il est assez à propos que les âmes s’y disposent par quelque éloignement des créatures, et quelque solitude paisible et tranquille, remplissant un peu leurs esprits des merveilles qui se sont passées en ce jour.

C’est pour cet effet que notre Seigneur avertit fort long temps devant les apôtres de cet heureux moment, et qu’intérieurement, il les allait disposant pour tout ce qu’il voulait leur communiquer en ce saint jour. (378)

il est tout à fait à propos dans ces jours que l’on prendra pour se disposer, de s’entretenir et tâcher de faire compagnie à la très sainte Vierge, aux saints apôtres et disciples, se tenant respectueusement avec eux tous, et s’unissant par foi et amour à tous les dons et dispositions intérieures que Jésus-Christ leur gravait dans le cœur, et assurément toutes ces saintes âmes pleines d’amour et de charité, ne vous rebuteront pas, mais au contraire vous accueilleront d’une manière silencieuse et charitable, vous ouvrant leurs cœurs et vous donnant part très volontiers aux dons admirables qui leur sont communiqués [379] pour préparation de cette sainte Fête.

Je vous viens de dire que vous vous unissiez par Foi et Amour ; car assurément ces deux saintes Vertus ont le privilège admirable de rendre présentes et unir actuellement les choses passées des Mystères de Jésus-Christ, comme si elles étaient présentes, et aussi efficacement que si elles se passaient en ce moment, quand l’âme tâche de fidèlement et humblement actuer sa Foi et son Amour ; je dis plus, ces saintes Vertus font participer et donnent jouissance des choses inconnues, comme connues, c’est pourquoi si l’âme est humble et fidèle à se tenir et à se retirer des embarras des choses créées pour faire compagnie (comme j’ai dit) et s’approcher de la très sainte Vierge et des saints Apôtres, par l’aide de ces deux divines Vertus, elle pourra avoir part à tout ce qui s’est passé et communiqué dans leurs intérieurs.

Il suffit donc de s’y unir et de les prier humblement d’y donner part, s’occupant avec suavité de l’amour de notre Seigneur vers ces saintes âmes, les disposant et peu à peu les remplissant des dons qui étaient nécessaires pour les très grands présents qu’il leur allait donner.

Tantôt considérez l’éloignement [381] infini du monde et les choses créées que Jésus-Christ gravait dans leur cœur.

Une autre fois envisagez l’amour et les grands désirs qu’il leur communiquait, d’être incessamment avec lui, d’autant qu’il connaissait que par la grâce de ce Mystère, il entrait en possession très particulière de leurs âmes, de telle manière que leur pauvre cœur était toujours en halein et en désir que cet heureux moment de l’Ascension fût venu, afin qu’il possédât et leurs cœurs, et généralement tout ce qu’ils étaient.

Conformément à ces Vérités, renouvelez-vous tous ces jours [282] que vous avez pris pour être un peu plus solitaire silencieuse et à l’écart.

Premièrement. Vous remplissant autant que vous pourrez des désirs de haïr la terre, les créatures et la vie présente.

Deuxièmement. D’un amour tout à fait particulier de Jésus-Christ, d’autant que ce fut en ce temps où il imprima un amour si fort et si violent dans le cœur de toutes ces saintes âmes, que tout ce qu’elles avaient eues durant toute leur vie, n’était rien d’égal à l’opération amoureuse que Dieu chaque jour imprimait dans leurs cœurs. Conformément à cela et pour participer à ce don, renouvelez-vous [383] en amour autant qu’il vous sera possible.

Troisièmement. Faites des résolutions et prenez intérieurement des désirs, après avoir participé à ce grand Mystère, de n’être plus du tout de la terre ; mais que votre cœur et tout votre esprit soit où Jésus-Christ est. (384)

Premier jour. La grâce et l’effet merveilleux du Mystère dans la sainte Vierge et les saints apôtres et ensuite dans les âmes qui participent à ce divin Mystère.

La très sainte Vierge, les saints apôtres et disciples se trouvèrent au lieu ou Jésus leur avait marqué que ce devait opérer cet admirable Mystère de l’Ascension, et étant tous arrivés, et dans une profonde Oraison et [385] silence, il leur apparut et leur communiqua trois dons tout à fait admirables, qui sont la grâce particulière de ce divin Mystère. Le premier est, qu’il leur ôta tout à fait du cœur et de l’esprit toute l’inclination et le penchant qu’ils avaient vers les choses créées, d’une telle façon qu’ils ne les pouvaient plus regarder, par aucune inclination ; je dis même naturelle. Tous leurs cœurs, leurs esprits, leur sens, furent tellement dépris de tout le créé, qu’ils n’eurent plus dès ce moment qu’une croix très rude d’y demeurer, et rester dans le monde, après cette séparation de Jésus d’avec eux ; car il est très certain que durant un fort long temps, Jésus par une opération d’amour secrète, s’écoulait intérieurement dans leurs [386] âmes et en leurs sens, d’une telle manière, que quand il les quitta montant au ciel, tous leurs âmes et leur sens demeurèrent dans une suspension et une privation, à l’égard des choses créées, qu’il faut que Dieu fasse connaître, n’y voyant plus rien de beau, aimable, ni qui méritât un moment leur pensée ; je ne dis pas leurs affections, tout au contraire, chaque moment de ressouvenir d’être parmi les créatures, sans y plus voir Jésus-Christ, leur était une tristesse très sensible et douloureuse7.

Cette grâce opéra merveilles en leur âme ; car elle leur fut une sauvegarde de l’impureté contagieuse que les créatures causent par l’inclination que les âmes y ont, de telle manière qu’au lieu [387] que les créatures dès ce moment leur causassent impureté, toutes généralement leur communiquaient une pureté admirable.

O que les âmes seraient heureuses de participer à ce grand don ! Ce qu’elles peuvent facilement avec la miséricorde de Dieu, si elles sont fidèles à recevoir telle grâce et à demander instamment par l’amour de Jésus-Christ et union de ces saintes âmes, et si durant tout ce temps que ce divin Mystère opère dans les âmes, elles sont fidèles à en faire fruit par la pratique de la haine et l’éloignement des créatures, faisant aussi en sorte durant tout l’Octave, d’en produire souvent des actes, tâchant de regarder les créatures et toutes les choses créées, par la lumière de ces saintes âmes, se [388] renouvelant aussi souvent en un million de pratiques pour s’en défaire, s’en éloigner et entrer dans leurs aversions, et si les pratiques extérieures manquent, il faut avoir recours aux actes intérieurs qui seront assurément très efficaces en vertu de ce saint et admirable Mystère.

2e jour.

Jésus quittant la terre et entrant dans le sein de son Père, il y plaça par union et emporta avec soi, les âmes de la sainte Vierge et des saints Disciples : car il est certain que Jésus plaçant son humanité sacrée dans le sein du Père Eternel, et entrant dans une jouissance admirable des personnes divines et de la gloire de la divinité, il disposa des grâces et des faveurs, pour que ses membres, je veux dire les âmes qui restaient dans la [390] terre, pussent par amour et foi, jouir des mêmes choses qu’il jouissait par gloire ; de telle manière que par la grâce de ce jour, leurs âmes furent si appropriées et ajustées pour la jouissance de Dieu, que lui seul faisait tout leur centre et leurs plaisirs à la suite, de telle manière qu’il leur fut communiqué une lumière et un amour si pur pour jouir de Dieu, qu’ils ne pouvaient être un moment sans cette vue et jouissance.

Les âmes qui seront fidèles à la dévotion, et à l’application à ce divin Mystère, peuvent espérer grande part à cette grâce ; car Jésus montant et plaçant son humanité dans le sein du Père, comme dans son centre et son lieu de repos, a communiqué grâce dès [391] ce moment, par ce divin Mystère, pour élever non seulement les âmes qui y furent présentes ; mais toutes les autres qui à la suite y participeraient par fidélité : d’où vient qu’il est très certain que les âmes qui sont fidèles, expérimentent que tout ce dont Jésus-Christ jouit en ce jour, est le centre d’elles-mêmes, si elles sont fidèles à en jouir et à en faire usage8.

Que les âmes sont malheureuses, lesquelles n’étant pas éclairées de ce trésor de miséricorde, s’occupent par pensée ou amour, de quelque chose moindre que Dieu dans toute sa grandeur et tout l’amour avec lequel le Père Eternel a reçu en ce jour son Fils dans son sein comme une demeure véritable, non seulement [392] selon l’esprit ; mais selon les sens, non que notre corps monte dans le ciel ; mais certainement si nous étions fidèles, nos sens expérimenteraient aussi bien que notre esprit, que Dieu est le Dieu et le centre de tout nous-même.

Envisagez donc amoureusement tout ce qui se passa dans le ciel, en la venue et en la réception de Jésus-Christ votre Chef9, toute la gloire, la grandeur de Dieu le reçut comme Fils et Verbe divin humanisé, et la sainte Humanité fut glorifiée d’une manière admirable, tous les saints anges lui rendirent un respect et le reçurent avec une joie dûe à leur Dieu.

Il fait bon et est très utile d’envisager la très sainte Trinité, glorifiant Jésus-Christ, et lui [393] communiquant toutes ses perfections ; car l’Humanité sacrée étant placée de cette manière, il donne droit aux créatures pour jouir, comme j’ai dit, de la même grâce dès cette vie en foi.

Que ceci est consolant pour les âmes qui en veulent faire usage, et qui veulent mettre toute leur joie à jouir de Dieu ; mais au contraire, que les pauvres âmes qui le négligents sont malheureuses ; car elle vivent sans consolation véritable et solide.

Tâchez souvent de vous servir de la grâce que Jésus-Christ vous a acquise, envisageant Dieu et ses grandeurs, comme ce à quoi vous devez prétendre10.

Regardez qu’étant membre de Jésus-Christ par sa miséricorde et [394] sa grâce, vous avez droit de jouir de ce qu’il possède, et qui saurait le don et la faveur que Dieu a fait à ses créatures durant sa vie voyagère et en sa sainte Incarnation, de se les unir comme membres, et de se rendre leur Chef, seraient infiniment reconnaissantes envisageant la grâce dont elles peuvent jouir en ce jour, et qu’il est dit que Jésus-Christ notre Chef, est monté dans le sein de son Père, c’est-à-dire qu’il nous y a porté avec lui, pourvu que les âmes soient fidèles à demeurer uni à sa divine Personne par foi, amour et conformité.

3e jour.

Les saintes âmes étant ainsi élevées par amour et placées dans le sein du Père Eternel avec Jésus-Christ, il les renvoie dans la terre, sans cependant quitter le lieu où elles étaient et son aimable union ; car n’étant pas le temps de la gloire, mais de travailler et exécuter les volontés de Jésus-Christ, leur cœur et leurs esprits demeurent bien unis à sa personne ; mais à la charge que chacun irait dans le monde faire ce à quoi Dieu le destinait, c’est [396] pourquoi en ce moment Dieu distribua ses dons à chaque âme selon leurs capacités et leurs mérites, et de cette manière les appropria pour travailler à son œuvre, un chacun demeurant content avec humilité et soumission de la part qu’il lui donna en ses dons, lesquels opérèrent durant le reste de la vie de ces saintes âmes, les deux premiers dons merveilleux dont nous venons de parler, de telle manière qu’à la mesure qu’ils étaient fidèles à faire usage du don reçu, ils recevaient augmentation de grâce pour mourir aux créatures, et pour jouir avec plus de capacité de Dieu.

Ils s’en retournèrent donc de cette sainte Montagne, chacun avec son don et sa grâce de vocation, [397] qui firent fructifier admirablement.

Ressouvenez-vous donc que c’est en ce jour que Dieu a distribué le don de la vocation et grâce pour y être fidèle, et que c’est aussi en vue de ce même jour que Dieu en communique les lumières et les grâces dans les autres temps ; c’est pourquoi ce Jour et cette sainte Fête doit être en très grande vénération, et on doit y avoir une application spéciale pour recevoir la grâce de pouvoir connaître sa vocation, si elle n’est pas encore choisie, ou pour recevoir lumière et grâce, afin de faire un bon usage de celle où l’on est.

Peu d’âmes connaissent la grandeur du don de la vocation et des grâces de chaque état, car peu [398] en font l’usage qu’il faut et l’estiment de la manière qu’il est nécessaire, et cependant il est certain que la grâce de l’état et de la vocation dans la pratique, est la communication de tous les autres dons.

Soyez donc fidèles en ce jour, afin que Jésus-Christ vous distribue et vous renouvelle le don de votre vocation.

Ne perdez jamais un moment de cette grâce, car elle est infiniment précieuse : tâchez de vous unir à cette sainte Compagnie qui s’en retourne, pour opérer et faire fruit du don qu’ils ont reçu, et regardez bien qu’ils l’ont fait fructifier à merveilles.

Trois maximes à pratiquer pour faire usage actuel de cette disposition à la Fête et l’Octave de l’Ascension. [399]

I. Ayez continuellement une aversion du monde et de la vie présente, tâchant de vous en imprimer un éloignement autant en grand que vous pourrez, renouvelant souvent des actes d’aversion et des désirs de n’en être plus et de la haïr de tout votre mieux. Observez-vous aussi autant qu’il vous sera possible, afin de ne permettre à votre cœur aucune chose qui l’incline vers les créatures.

II. Remplissez votre esprit très souvent de la vue de Jésus-Christ glorieux, jouissant admirablement des beautés et merveilles de la Divinité, et tâchez de cette manière de vous y unir par amour fervent, vous renouvelant souvent en telle vue.

III. Tâchez d’aimer et de chérir de tout votre cœur, la grâce [400] de votre vocation, vous conjouissant avec notre Seigneur de la miséricorde qu’il vous a fait de vous appeler dans l’état où vous êtes, lequel vous sera toujours une source de grâce, pourvu que vous soyez fidèles à le chercher et l’aimer purement, par tous les actes de fidélité que Dieu demandera de vous en tel état : pour cet effet envisagez chaque moment de votre vocation, comme un moyen admirable de plaire à Dieu et d’acquérir ses dons. Fin de la 5e retraite. [401]

Avertissement.

Cette retraite ou solitude pour la sainte Fête de la Pentecôte, n’est pas digérée en la manière ordinaire des autres, par méditation et points réglés ; mais seulement par lumières et vérités concernant ce divin Mystère, laissant à la personne qui s’en servira, d’en prendre selon son besoin et appétit ; car telles Vérités supposent déjà une âme, non tout à fait commençante en [402] La pratique des Exercices. L’on a marqué les jours pour empêcher seulement la confusion, et faciliter un peu la distribution. L’on doit beaucoup espérer de notre Seigneur. Que si l’âme est fidèle aux lumières qui y sont couchées, assurément l’Esprit divin secondera la fidélité, et se communiquera en abondance, selon le besoin d’un chacun.

Sixième retraite. Dispositions intérieures pour se préparer à grand et admirable fait de la Pentecôte, afin d’y recevoir le saint esprit et ses dons

Cette sainte Fête doit être dans une vénération particulière à toutes les âmes qui désirent de tout leur cœur plaire (404) à Dieu, et recevoir avec plénitude les largesses infinies de ses miséricordes, ce qui est renfermé dans le don admirable de son sacré esprit, et des dons dont il honore une âme il fait sa demeure. (405)

Premier jour.

Ce Mystère est la consommation et la plénitude de tous les Mystères de la vie de Jésus-Christ, de telle manière que généralement tous les autres Mystères vont formant et disposant une âme à la réception du sacré esprit qui est donné en celui-ci.11

De plus, il est la source féconde dans laquelle les âmes doivent se désaltérer, de l’amour du monde, du péché et d’elles-mêmes [406] ; car l’esprit que l’on y puise, opère admirablement ces merveilles, l’amour divin s’y trouve aussi comme dans sa source ; car ce fut en ce bienheureux jour où la terre en fut remplie, et où il fut vrai de dire que l’amour divin n’était plus contre sa nature retenue dans ce lieu de misère, d’autant que ce feu divin qui y fut communiqué, changea généralement toutes choses en foi, ce qui est exprimé par ces paroles : Repleti sunt omnes Spiritu sancto, ils furent tous remplis du saint Esprit, comme feu invisible ; mais à l’extérieur il parut des flammes de feu qui marquaient le feu véritable qui s’était communiqué en très grande abondance, si bien que depuis ce moment, les âmes ont eu droit de pouvoir faire usage de toutes [407] choses par amour divin, et tout ensemble un aide très facile de s’en servir, d’où vient que les saints Apôtres et Disciples qui reçurent ce sacré feu, furent tellement changés en toutes choses qu’il n’était plus eux-mêmes ; car auparavant leurs esprits ne pouvaient entrer dans les Mystères divins, et la connaissance vénérable de Jésus-Christ qu’avec grande violence et difficultés, n’y voyant pas toutes ces merveilles qui s’opéraient en chaque circonstance des Mystères ; mais aussitôt qu’ils eurent participé à cet admirable Mystère de la venue de l’Esprit divin, l’amour les éclaira d’une telle manière, et furent surpris d’une lumière si profonde, pour découvrir avec admiration la profondeur et toutes les merveilles [408] de chaque Mystère de la vie de Jésus-Christ, qu’ils en furent étonnés et surpris, ce qui se renouvelait à chaque moment dans leurs âmes ; car ce feu divin infiniment actif opérait continuellement et n’a pas cessé de le faire durant toute leur vie : comme nous voyons dans la terre qu’aussitôt que le feu matériel a pris vie dans un sujet, il ne cesse jamais de s’accroître selon la capacité de son sujet, jusqu’à ce qu’il aie tout consommé ce même sujet en lui12. Aussi ce feu divin était si lumineux dans toutes ces saintes âmes, qu’il leur était un paradis dans la continuelle vue qu’ils avaient de Jésus-Christ par son moyen.

De plus, ce même feu divin purgea les saints apôtres d’une certaine crainte et timidité, leur [409] imprimant dans le cœur une Foi13 si forte, généreuse et constante de Jésus-Christ, que dès ce moment la Foi leur était plus forte infinie fois et plus certaine que ce que la raison ou les sens leur pouvait faire voir, de telle manière que les croix, les souffrances et les humiliations de Jésus-Christ leur étaient si pleines d’amour et de conviction, qu’au lieu de leur jeter dans l’esprit quelque ombrage et crainte, cela même était leur force et leur lumière. Ils reçurent aussi une telle force, pour ne craindre en aucune manière, ni la mort, ni les persécutions qu’ils attendaient assurément, selon la clarté qui leur fut donnée sur les paroles divines de notre Seigneur touchant tout ce qu’ils auraient à souffrir. [410]

Mais ce qui est admirable et surpassant tout ce que dessus, ils reçurent une plénitude de l’Esprit divin si prodigieux et si admirable que toute leur Ame14 en fut remplie, cet esprit devenant la vie de leur esprit, et ces dons admirables les mouvements et les productions de ce même Esprit, d’une telle manière que chaque Ame qui eut le bonheur de le recevoir en ce saint jour, en fut admirablement remplie et honorée ; recevant aussi des dons proportionnés à cette demeure, et selon le dessein de Dieu sur chaque âme ; car tous reçurent différemment et la personne du saint Esprit et ses dons, selon sa grâce et ses dispositions et l’emploi auquel Dieu le destinait. Qui pourrait dire la part que la sainte Vierge eut en cette [411] communication [411] de l’Esprit divin, cela ne se peut exprimer15, elle seule le sait ; car comme elle était mère de Jésus-Christ, et par conséquent mère de toute l’Eglise16, sa plénitude a été si générale, si grand et admirable, tant dans le don de la personne divine du saint Esprit que de ses autres dons, que cela est sans expression, tous les saints Apôtres et saints Disciples aussi proportionnellement reçurent cette même plénitude.

Pour ce qui est des effets admirables qu’opéra cette venue et demeure du saint Esprit dans ces saintes Ames, outre ce que nous en avons dit, elle communiqua une affluence de lumières si seconde pour connaître les Vérités divines et jouir de Dieu, que cela ne se peut exprimer comme en [412] vérité il est, d’où vient que chaque âme fut à la suite un petits paradis, où elles jouissaient admirablement de Dieu ; et cela sans peine ni travail, à cause de la fécondité de cet Esprit divin, lequel prenait plaisir continuellement de communiquer abondance de grâce et de lumières à toutes les parties de l’Ame, chacune selon sa capacité, éclairant l’entendement pour connaître et discerner les merveilles de Dieu, la volonté en était tout enflammée s’y communiquant incessamment par amour, et renouvelant continuellement selon la capacité de cette puissance ce même amour.

Pour la mémoire, l’Esprit divin s’en servait admirablement afin d’y former Jésus-Christ, lui fournissant un ressouvenir continuelle [413] de ce Dieu Homme si amoureux et plein de lumière, que cela ne se peut exprimer, et cela conformément à ces paroles, de meo accipiet et annuntiabit vobis, cet Esprit divin que vous recevrez, m’annoncera et me fera connaître : de telle manière que dès le moment que ces bien-heureuses Ames eurent reçu ce don divin du saint Esprit, elles reçurent au même temps une faculté de se ressouvenir de Jésus-Christ et de ne le perdre jamais de mémoire, d’une façon si admirable, qu’incessamment cet Esprit divin ne produisait dans leur intérieur et leur découvrait de plus en plus, ce qui leur était une source d’eau admirables qui les désaltéraient, embrasé qu’ils étaient de l’amour de Jésus-Christ ; car le voyant continuellement [414] et en jouissant, leur cœur était satisfait et leurs amours étaient contents, et il n’est pas croyable combien cette opération du saint Esprit, formant Jésus-Christ dans leurs Ames, leur était une source de grâce féconde pour les purifier, les orner et les remplir de toutes vertus conformes à ce divin original, sentant incessamment dans leurs cœurs un certain mouvement de cet Esprit divin qui les sollicitait continuellement à se conformer par amour, et par fidélité à son opération qui produisait en eux Jésus-Christ : d’où vient que tous ces dons étaient continuellement en action chacun en sa manière, pour parfaire ce bel Ouvrage, d’exprimer distinctement l’opération de chaque don, cela ne se peut, il suffit [415] de dire ici qu’ensuite qu’ils leur furent communiqués, ils ont été continuellement en actes, produisant et opérant chacun en sa manière. Ceci est d’un merveilleux goût et une connaissance très utile à qui a le bon heur de l’avoir ; car assurément l’opération des dons du saint Esprit dans les âmes, est d’une grande efficacité pour produire Jésus-Christ, et y faire un million d’admirables effets et très utiles, de telle manière que toutes ces saintes âmes en reçurent un très grande aide pour les façonner, tant pour elles en particulier que pour les ouvrages auquel Dieu les destinait. Ici il est assez à propos de voir et remarquer en particulier tous les dons du saint Esprit, afin de s’occuper de chacun, remarquant la profondeur [416] et la variété admirable des grâces qu’ils contiennent : il en faut faire autant pour les fruits du saint Esprit ; car toutes ces choses ont été communiquées en ce jour, ce qui servira beaucoup et sera fort utile pour animer les âmes à la dévotion vers le divin Mystère et cette sainte Fête.

Voilà en peu de paroles ce qui fut opéré dans les Ames des saintes personnes qui attendaient avec amour la venue du saint Esprit, et qui avec ferveur et fidélité se disposait à cette sainte solennité, selon l’ordre que Jésus-Christ leur en donna ; car aussitôt qu’ils eurent assisté à sa glorieuse Ascension, ayant reçu tous les dons qui leur y furent communiqués, ils se retirèrent en Jérusalem et là attendirent [417] avec grande Foi les promesses de Jésus-Christ, sur la venue de l’Esprit divin ; car ce divin Sauveur leur ordonna de ne pas quitter ni sortir, jusqu’à ce qu’ils fussent revêtus de la vertu d’en haut et baptisé de cet Esprit admirable.

Ce qui fut opéré en ce jour, comme aussi la promesse de Jésus-Christ se renouvelle encore tous les ans en cette même solennité, et cela de telle manière que qui serait fort fidèle à s’y disposer selon l’exemple de ces saintes Ames, pourrait en recevoir une participation admirable.

Ne dites donc plus que ce grand Mystère est passé, et qu’ainsi les dons ne se communiquent plus comme en ce jour, cela n’est pas vrai ; car il est certain que la sainte [418] Eglise a ce privilège et cette grâce, de nous présenter les divins Mystères dans une plénitude et une vérité si grande, que qui en a l’expérience, sait assurément qu’ils sont passés, sans l’être cependant, vu que la Foi et l’Amour les rend véritablement présents, et très efficace dans les jours auquel la sainte Eglise les solemnise, ce qui doit obliger les Ames à s’y préparer et disposer, comme si c’était la première fois qu’il se fussent passés, ne faisant nulle distinction du présent et du passé.

O qu’heureuse, une âme laquelle avec un désir véritable se prépare tout de bon à cette sainte solennité ; car elle peut et elle doit espérer part à toutes les miséricordes marquées ci — devant, et à une [419] infinité d’autres que la lumière ne me découvre pas, qui furent opérées en ce jour.

2e jour. Dispositions dans lesquelles étaient les saintes âmes attendant la venue du saint Esprit dans le cénacle.

Afin donc que l’âme se puisse mettre en état de beaucoup participer aux dons et grâce que Dieu a communiquées en ce saint jour, il est nécessaire d’être fort fidèle aux [421] dispositions que notre Seigneur demande de cette sainte Compagnie, tâchant de s’unir à leurs Esprits et aux fidélités qu’elles y apportèrent. La première disposition, fut une Retraite des créatures et un éloignement du monde, afin que leur cœur fussent dans une pureté grande, comme nous voyons, lorsqu’on désire qu’un miroir reçoive purement les rayons du soleil, l’on ôte toute les taches et empêchements.

Par cette solitude, Dieu leur imprima un désir de se retirer du commerce de toutes créatures, voyant par la lumière qu’ils recevaient combien l’on s’y faillit facilement, et convient aisément l’on tombe en un million de péchés, cette lumière de Solitude et ce désir véritable de s’y donner, [422] imprimais de plus en plus un désir fort grand de pureté, ce qui était beaucoup augmenté par la communication de toutes les grâces et miséricordes dont nous venons de parler. Conformément à cette disposition, tâchez d’entrer dans un renouvellement et un désir véritable de vous éloigner de plus en plus de tout ce qui est péché et contraire à la sainte volonté de Jésus-Christ, et cela par un amour de Solitude et éloignement des créatures et de vous-même ; car il est impossible qu’une âme puisse être un peu solitaire durant quelques jours, qu’autant qu’elle est fidèle à cette disposition.

La seconde disposition dans laquelle étaient toutes ces saintes âmes, est un profond silence à cause de la communication actuelle [423] des dons et des miséricordes de Dieu sur elles ; car elles savaient par l’expérience de ses dons, que Dieu ne parle en l’âme et n’y communique ses miséricordes qu’autant que l’âme est silencieuse.

Ce silence est de deux manières, l’une extérieure, l’autre intérieur [sic]. Le premier est une fidélité exacte à observer les moindres mouvements des passions, et à donner un règlement fort fidèle et exact au moindre mouvement des sens mal réglés, afin que par ce moyen l’âme intérieurement soit dans un calme pour recevoir avec respect les dons de Dieu. Le second est une observation fidèle, afin de ne dire pas aucune parole qui ne soit dans un bon règlement et de nécessité. [424]

Cette disposition de silence est tout à fait nécessaire en ce saint Temps ou l’âme désire être plus retirée et solitaire afin de recevoir abondamment les dons de Dieu, et si en tout temps de Solitude Dieu promet de parler au cœur, c’est encore tout d’une autre manière en celle-ci : ce qui exige encore plus particulièrement ce grand silence et cette exacte fidélité pour donner ordre aux passions, aux dérèglements intérieurs et à chaque parole. Pour cet effet regardez et envisagez souvent durant votre Retraite et les jours que vous prendrez de solitude, le profond et respectueux silence de toutes ces saintes âmes, lesquelles amoureusement appliquées à Jésus-Christ, prennent un plaisir admirable de l’entendre parler [425] intérieurement, et comme elles sont dans les désirs et dans l’amour de cette manière de silence, il leur est dit des merveilles au cœur, leur apprenant continuellement à faire mourir et leurs passions et leurs sens, afin d’être encore plus silencieuse.

Il est impossible que les âmes participent beaucoup aux miséricordes de cette sainte Fête, que par ce moyen : ce qui doit obliger toutes les âmes amoureuses de ce saint jour, de se résoudre à une fidélité générale dans cette disposition.

La troisième disposition était une Oraison très continuelle dans laquelle ils recevaient les dons et les grâces de Dieu en abondance, et eux réciproquant se donnaient de plus en plus à sa divine Majesté, [426] ce qui causait une communication admirable et un renouvellement continuel de dons.

Leur occupation intérieure était sur les promesses de Jésus-Christ pour ce saint jour, se souvenant de tout ce qu’il leur avait dit de cet Esprit divin qu’ils devaient recevoir.

De plus, recevant la communication et certains avant-goûts des avantages de l’Esprit divin et de ses dons particuliers, il s’élevait en leurs âmes un désir si grand17 que tout fut parachevé et que la plénitude survint en eux, que toutes leurs âmes étaient en Acte et en Amour pour ces effets.

Tachez d’exciter en vous le désir efficace de vous renouveler en la sainte Oraison, et dans l’Esprit vraiment intérieur, et pour [427] cet effet durant les jours que vous prendrez pour vous disposer à cette sainte Fête, [illis.] vous chaque jour des miséricordes et des dons qui s’y donnent ; et que votre Oraison soit sur les sujets ici marqués. Il est fort à propos qu’un jour se passe à voir les miséricordes et la grâce qu’une âme aura de posséder cet Esprit divin.

Un autre jour se passera à considérer un de ces Dons en particulier, et de cette manière successivement faire son Oraison sur toutes les miséricordes, dons et faveurs que Dieu a dessein de communiquer en telle Fête. [428]

3e jour. Maximes nécessaires pour recevoir la grâce de ce saint jour.

Premièrement. Autant qu’une âme voudra avoir part à cette sainte grâce et à la plénitude des miséricordes de ce jour, qu’elle entre dans un désir efficace de se faire vide de tous péchés, et de l’amour du [429] monde présent ; car il est impossible que cet Esprit divin, comme aussi ses dons, soit communiqué à une âme que selon cette mesure.

Deuxièmement. L’Esprit divin ne saurait subsister avec joie dans un cœur, qu’autant que l’on est fidèle à la grâce de sa vocation, et quand l’on ferait des miracles hors cette fidélité, il y serait toujours contristé et y demeurerait comme par force ; car cet Esprit est un Esprit de liberté, pour agir et faire toutes choses selon son dessein éternel sur chaque âme, et les âmes sont infiniment aveugles et connaissent peu les inclinations de cet Esprit qui ne mettent pas tout leur unique bonheur à être fidèle dans les moments de leur vocation, par l’opération et l’aide [430] de cet Esprit divin. Et remarquez qu’en ceci il est très exact, de telle manière que quand bien une âme aurait eu le bonheur de le recevoir, si elle n’établissait sa fidélité en telle exactitude, quoi qu’elle pût faire, il ne serait pas dans un lieu de délices chez elle, selon ces paroles de la sainte Eglise, Audeis hospes animae ? Que le saint Esprit est un hôte tout à fait aimable et qui met la paix par tout.

Troisièmement. Il faut que l’âme se résolve de tout son cœur à se dessaisir continuellement de tout ce qui peut empêcher, non seulement son salut, mais sa perfection, car cet Esprit divin étant un feu d’amour, il ne dit jamais : c’est assez, cependant faute de cette fidélité, il s’éloigne peu à peu comme un [431] feu auquel on cesse de donner de la matière pour se consommer, s’éteint et se tue insensiblement. C’est pourquoi par la vue et l’occupation fidèle de tout les dons et de toutes les miséricordes que vous avez remarquées, qui se communiquent en ce saint jour, renouvelez-vous incessamment sans que votre âme dise jamais : c’est assez.

Heureuse une âme qui par la foi et l’usage de l’amour est certifiée que cette grande fête est aussi bien pour ce temps présent, que pour le jour dans lequel elle s’est premièrement passée : c’est pourquoi soyez fidèle à vous y préparer de votre mieux, et à envisager toutes les choses qui s’y sont communiquées, non pour ce jour la seulement, mais comme [432] dons qui se renouvellent incessamment et de la même manière intérieure, et en chaque fois que la sainte Eglise nous propose cette même solennité : ce qui doit obliger infiniment les âmes à y apporter toute la préparation et fidélité possible, afin que tels dons ne soit point donnés inutilement, et que l’on y puisse avoir grande part. Outre toutes ces dispositions ci-dessus marquées, qui peuvent suffire pour une préparation à cette sainte Fête, et une très bonne occupation intérieure durant son Octave, l’on peut encore se servir très utilement si l’on veut de l’occupation intérieure sur les dons du saint Esprit, tant pour s’animer par amour vers ce divin Esprit, que pour se préparer et disposer à en recevoir [433] grande part dans la communication qu’il en fait en cette sainte fête.

Il faut donc avec amour et application fidèle vers ce Dieu tout d’amour, considérer chaque don l’un après l’autre, tâchant de le demander instamment et de faire quelques pratiques et actes intérieures, ajustés selon chaque don vers cette divine personne, afin d’y obtenir part. De plus, étant éclairée et pénétrée de la lumière de chaque don et de la nécessité que nous en avons pour notre conduite intérieure, il faut profondément s’humilier devant cette source et fontaine d’amour, en vue de notre infidélité de n’y avoir pas puisé selon notre nécessité, ce qui a été la cause d’un million de désordres dans lesquels [434] nous sommes tombés, tant à l’égard du péché que du manque de pratique de vertu dans les occasions.

4e jour. Du don de sagesse.

Ce don est une grâce particulière que le saint Esprit départ aux âmes, dans lesquelles il vient faire sa demeure, afin de leur donner un goût véritable des choses de Dieu, si bien que par ce moyen l’âme est dégoûtée des choses de la terre, les voyant en vérité (selon qu’elle est fidèle à faire [436] usage de ce don) comme un rien et encore moins que rien, peu à peu l’âme s’en dégoûtant par le peu de goût et de vérité qu’elle y trouve et qu’elle y voit, les pauvres gens du monde sont traînés par leur sensualité et par leur amour propre, comme des enchaînés ou esclaves, à cause du goût et de l’inclination qu’ils y ont, et cela parce que véritablement ils n’ont point goûté de ce don ; mais aussitôt que par quelques fidèles pratiques ils tâchent de s’élever un peu à Dieu, et spécialement en cette sainte Fête, ils commencent à en être un peu dégoûtés ; mais faute de poursuivre leur pratique ce commencement de goût se perd.

Outre ce dégoût des choses [437] créés que le don de Sagesse donne à l’âme qui s’en occupe par amour vers le saint Esprit, il communique encore à l’âme un goût des choses divines, de telle manière que Dieu par son moyen paraît aimable et l’âme y trouve du goût, les Vérités éternelles qui sont si cachées aux mondains et aux humains, deviennent peu à peu sapides et délectables, et ce qui devant effrayait, à la suite paraît si raisonnable, si aimable et si désirable, que l’on voit que c’est l’unique que l’on doit rechercher.

Ce don de Sagesse fait voir aussi la folie des âmes qui aiment le péché, et qui pour jouir des créatures qui ne sont que fumier, et qu’une ombre, délaissent Dieu cet auguste [438] Majesté, de telle manière qu’une âme un peu éclairée est surprise ; comme les yeux de son esprit s’ouvrent avec suavité pour voir sans peine et sans force toutes ces Vérités.

Enfin c’est un Soleil qui découvre agréablement et suavement un million de belles choses inconnues aux esprits enfermés dans le cachot de leur amour-propre et de leurs sensualités : et bienheureuse est une âme petite et humble, qui par retour amoureux vers ce divin Esprit, s’occupe durant ces saints jours avec fidélité, afin d’avoir part à cette miséricorde, laquelle est très certainement communiquée aussi bien que la grâce de tous les autres dons, aux âmes de bonne volonté et aux cœurs vraiment [439] sincères, qui entrent en vérité et de leur mieux dans telles dispositions.

Il est à propos pour chaque don de se marquer quelque dévotion chaque jour aux trois personnes divines, au Père qui nous communique cet esprit, au Fils qui nous l’obtient par son amour et ses mérites, et au saint Esprit qui amoureusement et avec largesse le donne.

Il est aussi à propos de se joindre et intéresser toutes les saintes âmes du Cénacle, qui ont goûté avec tant de plénitude et de suavité ces dons, afin qu’ils offrent leurs prières à ces trois Personnes divines, pour vous les obtenir. Pour cet effet l’on peut dire chaque jour la Prose que la sainte Eglise [440] adresse à ce divin Esprit, pour le solliciter de se communiquer à tous ses enfants.

5e jour. Le Don d’entendement.

Ce don est une lumière que Dieu donne à notre âme, par laquelle il lui donne capacité de s’occuper des choses divines.

Cette clarté et lumière est merveilleusement utile, afin de donner un emploi à l’âme, pour s’occuper vers Dieu par les diverses lumières qu’elle puise, avec facilité sur les divins objets. [442]

Ce don découvre la beauté de Jésus-Christ, et ce qui auparavant paraissait bas, petit, rude, et au dessus de ce que l’on pouvait comprendre, pour lors paraît si beau, si magnifique, si admirable, et même si raisonnable, que l’on trouve n’y avoir rien dans la terre, qui soient capable de charmer un cœur et gagner un esprit, comme l’occupation de l’âme vers Jésus-Christ, de telle manière que chaque chose si petite qu’elle soit, qui appartienne à sa vie ou à ses Mystères, est si infinie, si immense, et remplie de tant de grâces pour l’âme qui est éclairée de ce Don, que cela ne se peut comprendre, ce qui la sollicite continuellement à s’occuper de Jésus-Christ, de ses Mystères ou de ses vérités : de [443] plus, il ouvre et éclaircit beaucoup l’esprit pour un million de Vérités nécessaires au salut et à la perfection, lesquelles il découvre avec tant de facilité, que les âmes qui en jouissent sont étonnées comme tant de monde se bouchent et se pochent les yeux, pour ne vouloir point être éclairés : ce qu’ils font par l’occupation d’un million de bagatelles et de bassesse qui les rabaissent continuellement, et cela par l’emploi et l’entretien de leurs pensées vers les choses extérieures, ou par l’occupation du tumulte de leurs passions, de leurs soins inutiles et remplissement d’infinies pensées inutiles, lesquelles comme des atomes et de la poussière crèvent continuellement les yeux, et empêchent que ce divin Don ne les [444] éclaire, si bien que si il paraît quelque bluette de lumière elle est étouffée, et ce qui est déplorable infiniment, ce don qui se communiquait avec autant de largesse en cette sainte Fête n’est connu presque de personne : d’où vient qu’il ne faut pas s’étonner si une chose dont Dieu est si libéral (savoir le don d’Oraison) est cependant si rare.

Avez-vous jamais bien pénétré ces Vérités, tâchez d’en faire usage ; car cela est d’infinie importance.

6e jour. Le don de conseil.

Ce don est une grâce très particulière, par laquelle le saint Esprit rend capable l’âme à qui il le donne de suivre conseil, et cela n’est pas croyable combien d’âmes se sentent abîmées de désordres, et meurent de faim au milieu des trésors et de l’abondance, faute de la participation de ce don. Il [446] la rend souple, simple et soumise aux avis que les personnes qui ont droit sur elle lui donnent, de telle manière qu’elle ne fait point de différence entre les conseils reçus par soumission, et les choses extraordinaires que l’on dit venir immédiatement de Dieu. Par là l’âme a un goût et une facilité à croire conseil, une inclination à le demander, et à ne rien faire que par ce moyen. De plus, elle trouve joie, appui et consolation, je dis divine dans telle pratique, et plus elle fait usage de ce don en cette manière, plus il s’accroît, se communique, et l’âme par ce moyen avance et se fortifie dans tel procédé, lequel lui est d’une lumière infinie, parce que quoiqu’elle soit ignorante de beaucoup de choses, et [447] que Dieu même pour lui faire faire usage de ce don très divin, lui en cache souvent plusieurs, cependant elle sait tout, elle a tout, et est dans une plénitude admirable dans son indigence, par le moyen de ce Don de Conseil ; car par là elle a la science des Docteurs, la Sagesse, le pouvoir, et généralement tout ce que les autres ont, d’autant qu’elle est capable de soumission.

Il faudrait déplorer ici l’aveuglement et le malheur des âmes qui par leurs infidélités n’ont nulle participation de ce don, ou si elles en ont eu quelque communication, elles ne le mettent pas en pratique, ce qui le fait perdre entièrement.

De plus, le don de conseil est une lumière que Dieu donne par [448] laquelle l’âme est capable d’éviter les pièges de Satan, de l’amour propre et du monde. Faute de ce don18, continuellement les âmes sont retardées et sont enchaînées par uin million de désordres qu’elles ne voient et ne peuvent voir, et quand elles y sont tombées, souvent elles sont si surprises comment cela se fait, le moyen de telle chute ayant été pour l’ordinaire peu de chose.

Ce Don est un [sic] aide admirable pour la pureté de l’âme, il est vrai que les âmes qui y participent, ont une certaine adresse divine pour voir et découvrir les pièges dans leur propre conduite, que cela ne se peut comme concevoir, sinon par l’expérience : d’où vient que vous voyez parfois des âmes peu savantes naturellement, [449] qui cependant jouissent de cette adresse pour voir et découvrir les périls et en savoir la conséquence.

Ce Don donc est une netteté d’esprit que peu à peu Dieu donne par la fidélité et pureté de l’âme, par laquelle elle met ordre à ses affaires intérieures et se précautionne d’un million de mauvais rencontres.

Les âmes s’en rendent incapables pour l’ordinaire par la confusion et le peu d’ordre qu’ils établissent dans leur conduite, et comme l’âme en cet état est toujours en désir et en haleine par quelque passion, émotion ou prétention inquiète, aussi n’est-elle jamais capable de la considération sérieuse et de la réflexion solide que tel don cause à l’âme. [450]

Enfin ce don donne capacité, non à tout le monde (car ce troisième effet n’est départi qu’à quelques personnes destinées au travail pour les autres) pour conduire les âmes et leur donner des conseils à propos sur les desseins de Dieu, sur elles et leurs propres besoins. Par ce don une âme est merveilleusement ajustée pour aider aux autres ; car sans travail ni peine elle voit le besoin les autres, leur dit ce qui est tout à fait à point et à propos, et cela leur est une nourriture solide et acommodée à leur capacité.

Ce don se distribue ordinairement par le ministère de la sainte Eglise : d’où vient que les âmes qui se mettent de donner conseil, et qui n’y sont pas établies par ce moyen peuvent faire un million [451] de désordres et quantité d’erreurs : ce qui doit faire beaucoup précautionner les âmes qui n’ont point d’emploi pour aider aux autres, de ne donner jamais d’avis quelques lumières qu’elles croient avoir.

De plus, il est certain que les personnes établies par l’Eglise en supériorité, ont ce don si elles en veulent faire usage par leur pureté propre, et le soin charitable des autres, et les âmes qui leur sont soumises, doivent au-dessus de toute vue de leur esprit humain, s’assurer de tel don en elles, et qu’il aura très assurément son effet, pourvu que de leur part la soumission et la simplicité y soit totale, et si les âmes constituées en soumission savaient les grandes pertes qu’elles [452] font de ne pas puiser au-dessus de leur vue et de leur sentiment dans cette source inépuisable du don de conseil dans les Supérieures, elles seraient inconsolables de n’en faire pas meilleur usage.

Ceci au commencement est difficile et peu lumineux, spécialement quand on remarque quelques défauts aux personnes constituées en Charge ; mais à la suite que l’on fait généreusement crever son amour propre et ses vues trop humaines et raisonnables, il devient une source de suavité et de fécondité, pour remplir les âmes de bénédiction et de grâces.

7e jour. Le don de Force.

C’est une grâce par laquelle les âmes sont fortifiées contre plusieurs obstacles et empêchements qui se présentent pour les détourner de se rendre à Dieu, et d’entrer dans la vérité de son Esprit et de sa conduite.

I. Par ce don l’âme reçoit grâce pour combattre le péché avec générosité et courage, [454] travaillant par ce moyen à détruire l’opposition que les passions et les désordres de la sensualité causent en l’âme, ayant un [e] certaine générosité et longanimité pour ne pas s’ennuyer de tel combat, jusqu’à ce que la purgation voit soit suffisamment faite pour donner le dessus à l’âme et l’établir en certaine paix avec la partie inférieure.

Ce don est très assurément communiqué aux âmes qui se renouvellent en cette Fête et qui tâchent de prendre de véritables et de solides résolutions de se combattre et de ne se rien pardonner, si elles en doivent être certifiées quoiqu’au commencement elles n’expérimentent dans telles résolutions et combat que peines et faiblesses de la nature, [455] cependant à la suite telle volonté se change en force savoureuse et en courage magnanime.

II. Ce don est un bouclier contre toutes les attaques du monde, lequel voyant une âme se vouloir donner à Dieu, fait un million de railleries et de dérisions pour la tirer à soi.

De plus, il est un préservatif et une force contre toutes les tentations qui surviennent de la part des créatures, comme certaines tristesses et ennuis de les avoir quittées, peines de n’avoir plus leur recherche et la satisfaction de leurs agréments, et généralement une aide et un courage contre la force et la violence de toutes sortes de tentations.

Il est vrai que c’est une chose épouvantable que les âmes soient [456] pour l’ordinaire au milieu d’un million de périls, et ne voient pas le besoin qu’elles ont de ce don admirable pour s’en garder, lequel ne s’obtient que par ces trois manières. Premièrement. Par la connaissance du besoin extrême que l’on en a, ne voyant point ses forces suffisantes pour vaincre tels ennemis, et par conséquent une humiliation devant Dieu, en voyant sa faiblesse. Deuxièmement. En demandant instamment la participation de ce don à Dieu, se donnant amoureusement à son sacré Esprit, et cela par désirs forts et généreux de faire usage de son Don.

Troisièmement. Par la pratique et l’opération fidèle que l’on fait à tel ennemi ; car tel don ne s’acquiert pas par la considération spéculative seulement, mais par l’usage et fidélité [457] actuelle que l’âme en fait ensuite des deux premiers moyens, ce qui se fait par le combat qu’elle donne pour la destruction de tel ennemi.

Enfin ce don est donné pour être un rempart à la foi, tant à l’égard de Dieu, pour avoir toujours une croyance et un sentiment de lui digne de Sa Majesté, ce que le Démon tâche de combattre et de détruire autant qu’il peut, affaiblissant la foi, afin de faire tomber en un million de désordres, que pour confesser Jésus-Christ, non seulement dans les attaques que l’on reçoit parfois, et où il est besoin de grande force afin de se marquer son disciple, et une âme qui veut suivre ses démarches ; mais encore pour parler de lui hautement et fortement [458] devant tous ses ennemis, je veux dire les gens mondains et sensuels qui ne cherchent que leur aise, et sont ennemis de la vie crucifiée de Jésus-Christ, et si l’on ne se donne garde de tel gens par la force et la générosité, ils insinuent souvent dans l’esprit des pensées et des sentiments très méchants, et parfois si diaboliques, qu’à la suite ils font douter de toutes choses et dégoûtent infiniment de Jésus-Christ.

Une pauvre âme faute de l’usage de ce don en telles rencontres, se trouve dans un labyrinthe sans remède, et c’est un miracle quand quelque petite lumière de vérité vient lui faire jour en ses ténèbres, cependant cela est fort ordinaire quand l’on écoute et que l’on agrée de certains discours [459] qui touche la foi, Dieu et la sainte Eglise.

Mais ce don de force quand il est mis en usage en chaque moment de telles rencontres, fait soutenir l’âme fortement pour le combat contre telles personnes diaboliques, et à la suite si elle voit que tels combats n’arrête pas le cours de ces paroles envenimées, il faut prendre la fuite, la personne généreusement rompant tels entretiens et telles sociétés.

Au contraire, quand l’âme ne fait pas tel usage du don de force, elle devient peu à peu misérable en tous points, et souvent sans remède.

Finalement ce don de force est donné très particulièrement pour préserver du venin très caché de l’amour des créatures, lequel [460] quoiqu’il ne paraisse pas de prime abord être fort pestilentieux à cause qu’il est agréable et raisonnable, cependant cause des ravages qui ne se peuvent dire ; car peu à peu il éteint la Foi, il obscurcit l’âme, ôte la suavité de Dieu et tourne toute l’âme vers sa sensualité propre.

O que les âmes seraient heureuses en telles Fêtes de la venue de l’Esprit divin, si elles tâchaient d’y puiser abondance de ce don de force par les pratiques susdites ! Faites-le et vous en verrez des effets merveilleux.

8e jour. Le Don de Science.

Ce don est une grâce par laquelle Dieu donne la capacité d’exprimer pour le bien des autres, ce que l’âme goûte de Dieu par les autres dons, et instruire de tout ce que Dieu communique par leur moyen ; car très souvent les âmes ont la connaissance et l’expérience des dons de Dieu en elles, sans le pouvoir [462] exprimer scientifiquement, et par ordre, ce que ce don fait admirablement ; mais il tient tout à fait du don gratuit et qui ne se donne que pour les autres, ou pour mieux dire pour exprimer aux autres les autres dons. Je ne m’y veux pas arrêter, il suffit de savoir qu’ordinairement les âmes qui sont appelées de Dieu pour aider aux autres, en ont participation, dont elles doivent faire grand usage avec profonde humilité, se ressouvenant que tel don ne sanctifie son sujet, qu’à la mesure qu’on s’en sert avec profonde connaissance de son néant, et par grande et pure charité vers les autres, de telle manière qu’il se faut infiniment prendre garde de la complaisance, suffisance et orgueil qui pourraient [463] naître par accident de la fluidité des discours de Dieu et de la perfection.

Mais il est à remarquer que quand tel don est dans une âme, elle ne se manifeste piunt par soi ; mais Dieu la découvre par lui-même donnant un goût à ses paroles, quoi que toujours humbles et basses, et non enflées et élevées par des termes et expressions sublimes ; car la force des paroles du Don de Science est dans la pauvreté et petitesse de l’humble et pauvre Jésus-Christ, ce qui fait la différence de la science humaine, des écoles et du don de science ; car telle science scholastique est en élévation, et l’autre met son sujet en infini rabais.

Il faut tirer de là un fruit [464] tout à fait grand pour l’usage de ce don, et afin que notre Seigneur en départe quelque portion à l’âme dans cette sainte Fête, que tous les discours que l’on fera de Dieu, soit dans les récréations et conversations, soient toujours avec humilité, démission d’esprit et union de charité, ce don étant aussi nécessaire pour donner la facilité de tels discours qui sont beaucoup utiles spécialement dans les Religions, l’on est obligé de contribuer aux conversations et entretiens charitables, et souvent l’on fait contre ce don, quand l’on ne s’y comporte pas de cette manière.

Remarquez bien si vous faites usage de ce don, selon ce que dessus, en la première manière [465] si vous êtes obligée d’aider aux autres, ou en la seconde, si vous êtes personne particulière.

9e jour. Du Don de Piété.

Ce don est une grâce que Dieu communique aux âmes par l’infusion de son esprit, afin de leur insinuer un sentiment vraiment pieux, soit à l’égard de sa divine Majesté, des choses divines. Ce don est infiniment utile et nécessaire afin de traiter saintement chaque chose, et tout ensemble remédier à [467] une infinité de désordres causés par l’impureté et la corruption de notre amour propre, des passions corrompues, et des habitudes et routines que nous contractons au service de Dieu : toutes ces choses insensiblement insinuent en l’âme un esprit élevé, suffisant et peu enclin à la dévotion et au service de Dieu ; mais ce don de piété cause en l’âme certaine syndérèses et remords, lesquels assurément étant reçus avec fidélité, insinuent un sentiment respectueux avec un mouvement de dévotion vers Dieu, qui peu à peu retire l’âme de ses désordres quand elle tâche d’y contribuer et d’y être fidèle ; mais quand elle n’y est pas suffisamment fidèle et retenue en l’emportement de ses passions par cette piété, l’âme [468] devient une emportée, comme un cheval sans conduite, qui se précipite aussi bien dans un million de périls comme dans le beau chemin.

Cela ne se peut exprimer, et combien il est dangereux à une pauvre âme, quand elle remarque en elle que ce don de piété peu à peu s’éteint et ce perd dans ses rechutes et imperfections, ce qui doit beaucoup faire craindre et obliger l’âme d’entrer en considération quand elle expérimente cela en soi.

De plus, ce don de piété est une grâce qui fait faire un usage admirable des choses saintes, comme des sacrements, des lectures et autres saintes actions qui concernent le culte divin ; d’une telle manière, que par ce don et la contribution de l’âme, [469] chaque chose quoique petite en apparence, est cependant beaucoup devant Dieu, et pour son service, au contraire quand l’âme n’y est pas fidèle et qu’elle néglige cette grâce, ne traitant pas les choses saintes avec assez de sainteté ni de piété quoiqu’elle fasse, elle ne fait cependant rien, au contraire ces choses-là mêmes (quoi que saintes en soi) font un très mauvais effet, et souvent il s’ensuit un endurcissement de conscience infiniment périlleux, parce qu’il est causé par les choses saintes.

Mais lors que l’âme est fort fidèle à recevoir ce don et à en faire usage, par son aide et par son moyen, elle trouve en tout une source d’onction, de facilité et de joie qui la pénètre incessamment, si bien que comme les bien [470] heureux par la lumière de gloire, jouissent incessamment de Dieu et de toute chose en lui, aussi par le don de piété tout ce qui touche le culte divin, la vocation particulière de l’âme, et l’ordre de la Providence, sont d’un goût et d’une suavité grande ce qui oblige l’âme à faire usage de telles choses avec beaucoup de respect, y trouvant une certaine plénitude d’onction, quoique que chaque chose paraisse fort petite en soi.

Ce don est assurément une occupation de Dieu en l’âme, très avantageuse, d’autant qu’il sait faire usage de toutes choses, d’une manière qui agrée beaucoup à Dieu, qui cause un million d’effets très avantageux en l’âme, soit pour la purgation des péchés, l’acquisition des vertus et l’occupation [471] facile de Dieu, car c’est par son moyen que Dieu occupe les âmes les plus faibles, leur insinuant dans le cœur un certain sentiment tendre de vers lui, et à l’égard des choses divines.

Pour l’ordinaire c’est par son infusion que les âmes les plus grossières commencent d’être instruites de Sa Majesté, et généralement Dieu s’en sert pour orner les Temples les plus magnifiques et augustes, où Sa Majesté veut faire sa résidence avec éclat et grandeur ; car, selon le degré d’union qu’il veut avoir avec telles âmes ; il communique participation de ce don, afin d’occuper et orner les sens et les puissances : ce qui leur donne une occupation fort pleine de grâce, et beaucoup agréable à cette divine Majesté [472] résidante en l’âme et il est fort à remarquer que selon le degré de cette union de telle union, ce don aussi se communique, et lors que Dieu commence à se retirer de l’âme par quelque défaut, peu à peu ce même don quitte l’âme devenant par ce moyen élevée, suffisante, et hardie pour traiter avec Dieu, et s’occuper bassement des choses divines.

La raison humaine, la suffisance et l’orgueil, sont les ennemis capitaux de ce don, d’autant qu’ils n’estiment que ce qu’ils jugent et voient grand, et ce don a le propre en soi de découvrir une beauté et une grandeur cachée dans les moindres choses, afin d’en faire un usage divin ; ce qui empêche infiniment la corruption de l’âme ; au contraire quand tels ennemis [473] affaiblissaient et empêchent ce don, peu à peu par telle perte, l’on tombe dans un endurcissement et une difficulté extrême d’être touché de quoique ce soit ; au contraire, quand il est vivant et opérant dans l’âme, toutes choses lui sont un moyen avantageux de s’élever, de s’occuper et se convertir avec contrition de la moindre faute que l’âme aperçoit en elle. [474]

10e jour. Le don de crainte.

Ce don est une miséricorde de Dieu très avantageuse à qui Dieu le donne, et dont l’âme peut faire un usage infiniment utile pour toutes choses ; car il est le commencement et la consommation de toutes les miséricordes de Dieu.

Il est le commencement : car c’est par ce don que Dieu découvre à l’âme l’horreur qu’elle doit [475] avoir du péché, étant contre une Majesté infinie, c’est aussi par son aide que Dieu en découvre toutes les laideurs et déformités, ce qui dit au cœur des merveilles pour insinuer une contrition et un éloignement de la moindre chose qui sent le péché.

C’est ce don qui a fait tant de Pénitents et de Pénitentes dans la sainte Eglise, et qui est une source admirable et féconde, dans laquelle les âmes peuvent puiser des miséricordes infinies pour s’éloigner du monde, d’elles-mêmes et du péché ; car quand l’âme est fidèle à faire usage de ce don, il s’écoule incessamment une certaine onction respectueuse ou lumière pénétrante qui lui découvre la souveraineté de Dieu, sa grandeur et sa justice, ce qui est [476] très puissant et efficace pour arrêter tous ces mouvements désordonnés et pour lui faire concevoir une contrition très grande des moindres [péchés] qui ont excédé l’ordre de Dieu.

Le même don cause en l’âme un très grand désir de perfection et de pureté dans toutes les choses qu’elle fait dans sa condition, recherchant continuellement à y satisfaire son âme, laquelle reçoit, selon qu’elle est fidèle à ce don, un certain instinct de tendresse de conscience qui la reprend continuellement des moindres choses qu’elle fait, qui ne sont pas selon l’agrément de cette grâce.

Au commencement et dans le degré susdit, ce don de crainte a quelque captivité et servitude ; mais à la suite, comme elle [477] n’est causée que de la pureté du sujet et non précisément par le don de Dieu, peu à peu elle se dissipe de l’âme et se change dans une liberté pleine d’amour et de respect pour cette Majesté infinie que ce don découvre admirablement : c’est pourquoi l’âme faisant fidèle visage usage de ce don admirable, devient tout autrement respectueuse et pleine de soumission et dépendance à Dieu qu’au commencement : et c’est ce que je crois qu’entendait le prophète par ces paroles, Timere Dominum omnes Sancti ejus : Ames saintes ! Craignez Dieu, c’est-à-dire, soyez toute abîmées de respect devant la face de sa divine Majesté, et c’est aussi par la participation de cette même grâce, que cet ordre si relevé des anges est abîmé de respect [478] devant la face de Dieu, ce qui cause en l’âme qui participe à tel don, un bien qui ne peut s’exprimer et lequel non seulement la purifie beaucoup ; mais encore l’orne d’un émail admirable des plus hautes et relevées vertus, prises dans la communication et l’approche de Dieu : et c’est pour cet effet que ce don est le commencement et la consommation de tous les dons du saint Esprit.

Il est le commencement, d’autant comme je viens de dire, que c’est par lui que l’âme est purifiée et disposée pour tous les autres dons.

Il est aussi la consommation, d’autant que lors que l’âme par tout les autres dons a été fidèle à Dieu, et qu’elle a purifié par le moyen des premiers degrés de ce [479] don de crainte, toutes les fautes qu’elle a faites dans l’usage des autres dons, enfin elle arrive à jouir de la perfection de ce don de crainte : ce qui la met dans une vue et jouissance de Dieu très relevée, le voyant et traitant avec lui comme Majesté souveraine, grandeur infinie et une immensité de tous biens, ce qui lui cause une disposition continuellement et infiniment respectueuse vers Dieu.

De plus, elle voit par cette même lumière toutes les moindres choses du culte divin être si infiniment de conséquence et d’une grandeur si admirable que continuellement et dans l’usage et pratique de la moindre cérémonie ou autre chose qui concerne Dieu et la sainte Eglise, elle a un respect [480] qui ne se peut exprimer, non seulement par les âmes qui ne l’ont pas par expérience ; mais par celles mêmes à qui tel don est donné, d’autant qu’il tient toujours de la grandeur infinie de Dieu, dont elles ont une impression continuelle et admirable dans l’exercice de la moindre chose qui concerne le culte de Dieu. Ce qui fait que telles âmes fidèles à faire usage de ce don, traitent l’usage des sacrements et autres exercices de piété dans une sainteté et pureté admirable, trouvant toujours dans l’exercice de telle chose aux une eau et une source infiniment rassasiante leurs âmes.

Heureuses les âmes lesquelles sont fidèles pour faire usage de tels dons ; car assurément tout ceci se communique par [481] succession, quand on y est fidèle.

Mais ô malheur ! Les âmes travaillent si peu à la pureté intérieure et à la fidélité pour faire usage de tel don, que presque jamais elles ne viennent à recevoir et expérimenter le torrent infini de grâce communiquées amoureusement aux âmes par ce don.

Soyez-y donc fidèles, et tâchez de n’avoir pas ces trésors infinis, sans en faire usage, et assurément vous expérimenterez qu’il ne manque que de fidélité à la créature ; car du côté de Dieu, son cœur s’est épanché en plénitude de dons, je veux dire, le saint Esprit s’est communiqué par des dons infiniment admirables. [482]

Septième retraite. Dispositions intérieures sur le S. Mystère de la Visitation de la sainte Vierge.

Ce divin Mystère est admirable tant pour animer l’âme à l’amour, de Jésus-Christ Homme-Dieu, que pour l’instruire (484) de ce même Amour. C’est pourquoi il faut être fort fidèle à la dévotion vers ce Mystère, et en son Octave l’on pourra utilement s’occuper des Vérités que je vous marque, lesquelles causeront en l’âme assurément si on le fait avec fidélité, l’effet spécial de ce Mystère, savoir une inclination très particulière et un fort amour vers la sainte présence de Jésus-Christ. Car tout ce qui s’est passé dans ce divin Mystère, en découvre des merveilles, et y fait voir une utilité infinie.

L’on pourra aussi très fructueusement se servir de ces mêmes [485] vérités pour faire la retraite en solitude des dix jours, en tout autre temps, qu’en celui de la Visitation ; d’autant que les vérités qui y sont proposées pour chaque jour, sont convaincantes pour imprimer et faire voir la nécessité et l’utilité très grande de la sainte présence de notre Seigneur.

Les Vérités qui sont proposées pour chaque jour, sont courtes, mais substantielles, et par conséquent suffisantes, pour occuper fructueusement une âme durant dix jours, pourvu que l’on vienne en Solitude, avec un grand désir d’acquérir [486] cette sainte présence, et d’obtenir les dons nécessaires pour cet effet. (487)

Premier jour. Effet de la présence de Jésus-Christ en la sainte Vierge.

Aussitôt que la sainte Vierge eut Jésus-Christ en elle, au même instant elle fut remplie d’un d’amour admirable vers Dieu, qui l’anima tellement, qu’elle ne se possédait plus elle-même, et était en quelque manière plus elle-même, ce qui fit de merveilleux effets en elle. [488]

Premièrement. Cet amour de Dieu que la présence de Jésus-Christ lui communiqua, lui fit avec une promptitude admirable exécuter des ordres de cette divine Majesté, ne trouvant rien de difficile ; mais au contraire courant avec agilité et promptitude par les montagnes, sans s’arrêter ni à la difficulté du voyage, ni à aucune raison qui se peut présenter à son esprit. Voyez cette sainte Vierge allant et courant par ces déserts, animés de la présence de Jésus-Christ, qu’elle a en elle. Remarquez le mouvement de son cœur et la vitesse de cette part, combien de travaux, et quel courage pour les surmonter, et cela par cette ferveur qu’elle reçoit de cette divine présence.

Ne vous étonnez pas si les âmes [489] qui ne s’occupent avec amour et fidélité de la sainte présence de Jésus, sont si lâches à exécuter les ordres de Dieu, spécialement quand ils sont pénibles ; car assurément cette divine présence est le principe du mouvement, non seulement du cœur pour concevoir des pensées et des désirs ; mais pour entreprendre les travaux et ce qu’il faut faire, afin d’exécuter l’ordre de Dieu. O que cette vérité est importante ! Admirez-la dans l’exemple de la sainte Vierge, et tâchez de vous en bien convaincre ; car assurément le premier mouvement de la présence de Jésus-Christ, est de faire exécuter les volontés divines avec une ferveur et un courage infatigable. L’âme trouvera toujours dans cette divine présence, courage, force et fidélité, pour [490] ne se rebuter de rien, pourvu qu’elle ne la quitte pas.

Prenez grand plaisir de remarquer la sainte Vierge toute en ferveur, et dans un soin tout plein d’amour, d’être bientôt arrivée ou Dieu lui avait marqué. Assurez-vous que la présence de Jésus-Christ aura ce même effet en vous.

2e jour.

Cette divine présence de Jésus-Christ donna à la sainte Vierge une charité toute fervente pour le prochain ; car il est certain qu’aussitôt que Jésus-Christ s’approche d’une âme, il lui communique une inclination douce, affable, et toute charitable pour le prochain ; comme une inclination très particulière de ce même Jésus-Christ ; ce qui est si propre à cette divine présence de Jésus-Christ, qu’à moins [492] d’y être fidèle, l’on sent toujours éloignement et aigreur pour les autres, spécialement quand ils ne sympathisent à nos inclinations, ou qu’ils nous contrarient ; mais aussitôt que l’âme s’approche de Jésus-Christ, cette divine présence influe tendresse et amoureuse inclination d’aimer le prochain, et de lui faire du bien en vue de Jésus-Christ, dont l'on jouit par sa présence amoureuse.

Voyez donc avec amour et admiration, la sainte Vierge toute occupée et animée de tendresse vers sa cousine sainte Élisabeth, afin de lui rendre quelque service. O qu’il faisait beau voir cette Reine du ciel et de la terre ! Laquelle ne se possédant pas elle-même ; mais animée de la présence de Jésus-Christ en elle, travaillait [493] infatigablement pour soulager et aider sa chère cousine. Une âme peu éclairée des effets admirables et véritables de la présence de Jésus-Christ, croirait qu’aussitôt que la sainte Vierge aurait possédé la présence de ce Dieu d’amour, elle serait demeurée là pour s’en occuper seulement ; non ce n’est pas le propre de cette présence, elle anime et excite à la charité avec ordre ; comme aussi elle donne inclination à la Solitude en un autre temps.

Si vous voulez avoir un vrai amour de votre prochain et être vraiment éclairé et animé pour l’aimer et le servir, occupez-vous de la présence de Jésus-Christ ; de plus, ne croyez pas que cette divine présence fasse l’âme fainéante et paresseuse, elle anime et la [494] rend ingénieuse à servir et aider les autres par amour et charité.

Ne croyez pas aussi que tel amour nuise à cette divine présence ; car c’en est un effet admirable.

3e jour.

Cette divine présence de Jésus-Christ porte l’âme de la sainte Vierge, en rendant la charité à sainte Élisabeth, à pratiquer les choses les plus petites et basses ; car comme Jésus-Christ en la suite de sa vie, devait être amoureusement employé en telles actions petites et basses, aussi donnait-il cette inclination à la sainte Vierge.

Qu’il faisait beau voir la sainte Vierge occuper tout le jour dans [496] le bas service de la maison de sainte Élisabeth ! Les anges l’admiraient la voyant mère de Dieu, et par cette dignité que la présence de Jésus-Christ en elle lui donnait, elle avait même cette admirable inclination.

Ne vous étonnez pas si les âmes ont tand de peine à se rabaisser et à s’occuper de petites et humbles choses. La raison est qu’elles ne s’occupent pas de la présence de Jésus-Christ, qui seul donne cette inclination et cause tel amour : d’où vient qu’une âme qui est bien occupée de la présence de Jésus-Christ et animée de son amour, trouve un Mystère admirable dans la pratique de la moindre et de la plus petite chose que Dieu désire d’elle : ce qui est cause qu’elle s’occupe avec respect des moindres [497] actions, les recherchant même par inclination (si sa condition ne lui en fournit pas ordinairement.)

Soyez fort fidèle à regarder chaque moindre occupation dans la lumière de la sainte Vierge, la voyant s’occuper dans les services les plus bas de sa sainte cousine, tantôt en balayant, ou faisant ce que la nécessité lui présentait.

Et comme la présence de Jésus-Christ donne inclination pour telle occupation, rendant l’âme ingénieuse pour rencontrer des moyens ; aussi l’oubli de la présence de Jésus-Christ éloigne l’âme de telle occupation, et donne inclination de se faire servir, rebut pour les petits emplois, et délicatesse pour chaque chose qui humilie et occupe bassement.

Voir l’effet particulier de la [498] [µ manquent 498 499]

[500] Christ, et désireuse de sa simple présence.

Le premier fut que l’enfant qui était dans le sein de sainte Élisabeth, tressaillit de joie et d’exultation à l’approche de Jésus caché dans la sainte Vierge ; il reçut une vie spirituelle et fut tout rempli d’amour pour son Dieu présent. Qui pourrait exprimer la divine exultation de cet heureux enfant caché dans ce petit cachot ? Cela se peut mieux goûter que dire. Voyez seulement quel il était là-dedans, les ténèbres du péché, lié et garrotté comme un captif, et avec une vie, sans rien faire paraître, que le seul mouvement ; mais aussitôt que le Soleil de Justice s’approche par le moyen de sa sainte mère, aussitôt il pénétra cet enfant, lui donnant la [501] vraie vie qui lui fit adorer et reconnaître son Créateur et l’Auteur de cette divine vie, qu’il recevait par l’approche de sa présence.

Il en arrive la même chose aux âmes fidèles à la divine présence de Jésus et amoureuses de converser avec lui ; cette divine présence, les fait vivre d’une nouvelle vie, et changer leur vie brutale et animale, en une vie d’exultation et d’amour vers leur Dieu, leur principe et leur fin. Il est si vrai que ce Soleil de Justice anime et vivifie le cœur mort à Dieu, qu’il faut l’avoir expérimenté pour le croire.

Occupez-vous, et voyez attentivement cet Enfant dans le sein de sa mère : c’est un ennemi de Dieu enveloppé dans les ténèbres et des effets funestes du péché ; mais [502] aussitôt que l’Auteur de la vie s’approche, il vit, mais une vie divine.

Tâchez de bien goûter cette exultation d’amour de saint Jean, afin que votre âme goûte efficacement l’heureuse opération de la sainte présence de Jésus, sur une âme amoureuse de lui. Ceci est un Mystère pour découvrir l’opération efficace de la présence de Dieu.

Soyez donc fidèle à la chercher et à vous en occuper, afin qu’elle vous anime et qu’elle fasse tressaillir d’amour votre pauvre cœur, et généralement tout ce qui est en votre âme. Si vous avez trop l’approche des créatures par l’oubli de la présence de Jésus-Christ, voyez avec amour ce divin Enfant, et l’heureux rencontre de s’être [503] trouver visité par Jésus. Désirez ardemment que Jésus s’approche de vous ; mais afin que cela soit, approchez-vous de lui.

Présentez-vous amoureusement toute morte comme était saint Jean, devant ce divin Enfant caché, dites-lui du meilleur de votre cœur : votre divine présence me peut visiter. [504]

5e jour.

Cette divine présence remplît du saint Esprit l’âme de sainte Élisabeth, lui communiquant un amour très spécial, et des dons admirables, par lesquelles elle découvrit le Mystère très profond de l’Incarnation, et vit très clairement la grandeur de celle qui visitait, comme aussi la grâce qu’elle possédait.

Regardez chaque don en particulier ; car il est d’une étendue merveilleuse, et voyez que ce sont les fruits de la divine présence de [505] Jésus. Comment être au soleil et n’être pas échauffé et pénétré de ses rayons et rempli de ses effets admirables ? Vous voyez tant d’âmes qui se disent si pauvres, et assurément souvent elles disent vrai ; mais à quoi en attribuer la cause, sinon qu’elles ne sont pas fidèles à s’occuper de la sainte et efficace présence de Jésus. Se trouv-t-il de la chaleur sans l’approche et la présence du soleil ? Et y a-t-il des fleurs dans les parterres sans son influence ?

N’est-il pas vrai que vous n’êtes pas fidèle à vous occuper de lui, vous tenant en sa présence, si bien que vous expérimentez la pauvreté et nudité de tout bien ?

Faites-le, et vous en verrez l’expérience. Travaillez-vous ? Voyez Jésus laborieux et travaillant. Si [506] vous souffrez, voyez le souffrant, et généralement rendez-vous familier ce divin Soleil dans toutes les actions de votre vie, et il y influera abondamment, et même surabondamment, votre pauvreté et néant, devenant riche par ses richesses.

6e jour.

La troisième opération que la divine présence de Jésus fit en sainte Élisabeth, fut de lui imprimer deux sentiments très fructueux.

Le premier, lui donna une connaissance particulière et un amour spécial vers la sainte Vierge ; car il est vrai que comme la sainte Vierge est la médiatrice, pour la communication de la présence de Jésus à votre âme : aussi cette divine présence donne inclination [508] d’amour vers elle, et découvre les beautés et les merveilles dont son âme est remplie, et sainte Élisabeth par une exclamation que la présence de Jésus lui fit prononcer, dit ces belles paroles : Tu es la bénie entre toutes les femmes, et béni est le fruit de ton ventre.

Pourquoi n’aimez-vous pas tendrement la sainte Vierge ? N’est-ce pas à cause que vous ne communiquez pas assez avec Jésus ? Faites-le, et vous aurez des tendresses admirables pour elle, et vous découvrirez des merveilles en elle.

Tâchez d’aimer la sainte Vierge, laquelle assurément vous approchera de Jésus ; mais approchez-vous encore davantage de lui, et il vous la fera de plus en plus aimer, [509] jusqu’à ce qu’il voulait fait honorer et chérir comme mère.

Assurez-vous que vous êtes autant proches de Jésus que vous aimez sa sainte mère.

Tâchez, afin de fructifier en son amour et vous y beaucoup animer, de remarquer tout ce qui s’est passé en ce divin Mystère de la sainte Visitation ; car c’est par son moyen que tout a été opéré. Il faut qu’une âme soit certifiée de n’avoir rien de Dieu, qu’autant qu’elle aime sa sainte mère.

Le second fut un sentiment d’humilité et de connaissance de soi-même. Et d’où me vient ce bonheur, que la mère de mon Dieu vient à moi ? Ceci est si particulier à la présence de Jésus, qu’il est impossible de s’en approcher sans se connaître et s’humilier ; [510] alta à longe cognoscit, il ne regarde que de loin les choses élevées.

Voyez avec application ce sentiment d’humilité, et regardez si étant en la présence de Jésus durant le jour en la sainte oraison, votre âme est étonnée (par humilité) d’être devant Dieu, et qu’il vous souffre proche de lui. Ce sentiment d’humilité pénètre-t-il bien avant dans votre cœur ? Quand l’on vous humilie, en êtes-vous bien aise et joyeuse en la présence de Jésus, vous ressouvenant de lui ?

Toutes les fois que vous avez été en la présence de Jésus, en sortiez-vous humiliée et amoureuse de votre humiliation ?

Allez-vous vous réjouir avec lui, quand vous connaissez votre néant, soit par quelque humiliation [511] que l’on vous a fait, ou par quelque lourdise qui vous a humiliée, ou par quelque défaut, qui vous a fait voir que vous n’êtes pas où vous pensez ?

Assurez-vous que jamais vous n’aurez ni trouverez l’humilité, qu’en la présence et en conversant avec Jésus le Dieu des humbles, et le Principe et la source de l’humilité ; au contraire l’orgueil et l’enflure de cœur vous pénétrera de plus en plus.

Tous ces effets que la divine présence de Jésus opéra dans la sainte Vierge et en saint Élisabeth, ne furent que pour se communiquer à saint Jean, avec une plénitude admirable ; et de cette manière il faut aussi remarquer quelques effets en ce grand saint, afin que l’âme désireuse et amoureuse de la [512] présence de Jésus, soit animée à s’y rendre fidèle par la vue de son opération très merveilleuse en l’âme de ce grand saint.

7e jour. Effet de la présence de Jésus sur l’âme de saint Jean.

Le premier effet et la première opération fut la sanctification de saint Jean dans le ventre de sa mère, ce qui est admirable ; car il était là privé de connaissance de Dieu et de son amour. Et aussitôt que Jésus s’approcha, il le purgea et le sanctifia, anoblissant son âme des [514] vertus et des dons conformément à sa vocation de précurseur : de telle manière, que dès ce moment, son âme fut en acte de connaissance, d’amour, et généralement de toutes les vertus, pour reconnaître Dieu, et adorer le divin Mystère de l’Incarnation ; commençant d’être Précurseur dès ce moment, par tous les signes qu’il donnait par sa mère ; toutes lesquelles grâces, comme aussi les admirables paroles de saint Élisabeth, causèrent cette exultation d’esprit, et cette Prophétie admirable que proféra la sainte Vierge contenue dans le Magnificat. Enfin dès ce moment il parut tant merveilles, que tout le monde en fut dans l’étonnement.

Regardez attentivement que qui veut être dans le degré où Dieu l’a [515] appelé de toute éternité, il doit puiser cette grâce en la sainte présence de Jésus, il doit être très certifié qu’il l’y trouvera, pourvu qu’il y soit fidèle. Regardez attentivement tout ce que Jésus opéra en ce saint Enfant, et voyez que Jésus est le même Soleil et le même Dieu, aussi puissant et aussi bon, si vous voulez lui correspondre. Tâchez de vous simplifier comme saint Jean, il est Enfant, et un Enfant le sanctifie et le remplit.

Enfin espérez aux dons admirables que Dieu tout bon veut donner par sa sainte Incarnation, si vous voulez vous rendre courageux et fidèle à chercher et demeurer proche de lui.

8e jour.

Le second, fut que ce divin Jésus imprima dans ce saint Enfant sanctifié par sa divine présence, amour de silence, de solitude, de pauvreté, et de mortification. Cela n’est-il pas admirable ? Il est sanctifié miraculeusement, et de cette manière éloigné du péché et de la corruption de notre propre nature corrompue par tant de péchés actuels. Il est rempli des dons les plus admirables de la libéralité d’un Dieu tout [517] plein d’amour ; et cependant ce divin Jésus amoureusement appliqué à cette divine âme, ne lui imprime inclination, et ne le pousse au silence, à la solitude, et fuite des créatures, à la mortification et à la pauvreté extrême.

O Mystère admirable qui découvre profondément le secret de Jésus-Christ ! S’il est proche des âmes, ce n’est que pour leur donner telles impressions, et s’il y a autre chose en elles, croyez fermement que ce n’est pas Jésus qui l’a communiqué.

Quoi ? Ce saint si gratifié, ne pouvait-il pas vivre doucement, jouissant à son aise du don de la lumière et d’amour qui lui était communiqué ? Non ; car ce don n’était finalement que silence, solitude, pauvreté et mortification. [518]

Heureuses les âmes qui comprennent ce secret ! Mais assurez-vous que Jésus seul vous le dira au cœur ; n’allez pas aux créatures : car elles vous diront tout le contraire. O qu’il y a d’âmes trompées au fait de la grâce et des dons de Dieu !

Prenez plaisir (et le pesez souvent) de voir saintJean relevé par tous ces dons et toutes ces merveilles qui se sont passées dans la sainte visite de la mère de Dieu : aussitôt qu’elle est mère de Dieu, elle passe les montagnes pour venir trouver sainte Élisabeth. Voyez tout ce qui est opéré en cette sainte. Parcourez en considérant et admirant les merveilleuses grâces qui furent données à la sainte Vierge, selon l’expression du Magnificat, tout ce qui s’est passé en saint [519] Jean, en saint Zacharie son Père ; et après avoir vu tout cela dans le détail, voyez que tout se termina à faire un saint silencieux, solitaire, pauvre et mortifié.

Arrêtez-vous à le voir dans cette grâce éminente que Jésus dit qu’il a, étant le plus saint des enfants des hommes ; et aussitôt voyez-le tout enfant qu’il est, abandonné et délaissé dans un désert, sans habit, sans nourriture, et au milieu d’une infinité de croix fort mortifiante ; qu’elle est ce secret ?

Vous ne le saurez jamais qu’en la présence de Jésus ; et par les lumières de sa communication : au contraire les créatures et la nature ne disent que joie et jubilation fade, c’est-à-dire arrêt au créé, et à ce que les yeux corporels [520] voient. O que ceci est merveilleux à qui le sait ! Prier instamment ce saint, qu’il vous apprenne son secret, et convainquez-vous bien que Jésus silencieux et solitaire au ventre de la sainte Vierge, lui a dit ce profond secret et Mystère, à l’oreille et au cœur. Désirez bien l’apprendre et tâchez de vous retirer auprès de lui, afin de le mériter.

Si vous le dites une fois, prenez garde que les créatures ne vous le dérobent, vous clabaudant par leur bruit importun ; il ne faut pas être si sauvage ; mais plus humainement accommodante : il le faut être (il est vrai) mais gardant toujours son secret au cœur, et cela par pure charité.

Ceci peut fructueusement servir d’une Retraite pour quelques [521] âmes déjà avancées ; car chaque vérité est une source où l’on peut puiser de quoi se désaltérer suffisamment plusieurs jours, pourvu que l’âme s’y applique avec amour et désir de pratique de la sainte présence. Il est très utile aux âmes qui sont simples en l’oraison, afin de voir si leur oraison est vraie et efficace ; car si leur présence de Dieu simple ne porte tels effets, il y a à douter.

Il sera aussi fort utile aux âmes qui veulent être fidèles à telles pratiques de présence de Dieu, et qui ont reçu ces avis, se servant souvent de telle vue et vérité, pour s’entretenir et se soutenir en telle présence, ce qui leur servira beaucoup.

Et finalement il sera infiniment utile aux âmes beaucoup désireuses [522] de l’amour de Dieu et de lui plaire ; ce qui se trouve très efficacement avec Jésus-Christ, et en sa simple présence.

9e jour.

Considérez et pesez bien que Jésus présent à l’âme de saintJean, le fit vraiment humble, lui imprimant un sentiment si profond de sa bassesse, qu’il se voyait continuellement comme un vrai rien : c’est pourquoi je dis en ce qu’il était aux personnes qui l’interrogeaient, il dit qu’il était une voix qui criait au désert, il ne dit pas qu’il était un homme criant dans les déserts : car il se serait dit être quelque [514] chose ; mais une voix laquelle n’est rien comme son expression le marque admirablement : c’est pourquoi il attira tellement les complaisances de Jésus-Christ, qu’il ne peut se rassasier d’en dire des merveilles, et cela par admiration de sa profonde humilité, jusques là qu’il dit de ce saint, qu’il est le plus grand des enfants des hommes, laquelle expressions du Sauveur dit assurément qu’il est le plus petit et humble de tous les hommes, selon cette vérité : celui qui sera le plus petit et humble, sera le plus grand devant Dieu. Outre cette véritable connaissance et amour de son rien que la présence de Jésus-Christ imprima en saint Jean, elle lui communique encore un si humble et respectueux sentiment pour le même Jésus-Christ, qu’il [525] est tout à fait particulier en cette grâce. Il est son Précurseur, son parent, sanctifié dès le ventre de sa mère, et canonisée par sa bouche, et cependant il assure qu’il n’est pas digne de dénouer la courroie de ses souliers.

O que ces deux sentiments et effets sont rares dans les âmes ; mais à la vérité je ne m’en étonne pas, d’autant que la présence de Jésus-Christ à qui il appartient seulement de les communiquer, est entièrement négligé et oublié. Voulez-vous voir quand une âme use et se sert de la bonne manière du don de la présence de Jésus-Christ. Voyez son sentiment pour ce qu’elle est, ce que vous remarquerez en sa pratique, quand elle est choquée et rabaissée ou contredite ; car si cela la fait entrer [526] paisiblement dans son néant, dites que Jésus-Christ est là ; si cela la fait élever, quand vous verriez des miracles, n’en croyez rien. De plus, prenez garde si cette âme, plus elle reçoit le don de Dieu, agit avec lui avec d’autant plus de respect, faisant toujours la distinction de la grandeur infinie d’un Dieu qui s’abaisse au fumier de la créature, et de sa petitesse ; car un cloaque demeure toujours cloaque, quoiqu’il soit honoré des rayons du soleil. Et ainsi les saints quoique remplis des dons de Dieu, ne s’en élèvent jamais ; mais voient toujours leur bassesse enrichie de ses dons19.

Ayez une tendresse et une fidélité particulière pour la pratique de la présence de Jésus-Christ, afin qu’il opère ces deux grandes grâces en [527] votre âme ; travaillez fortement à les acquérir, autrement Jésus-Christ ne se présentera jamais à vous pour le posséder et aimer.

10e jour.

Pesez bien que la présence de Jésus-Christ est un don et une grâce si grande, qu’il n’en prive jamais les âmes ses Amantes qui la désirent et la poursuivent comme il faut : c’est pourquoi Jésus-Christ ayant amoureusement visité saint Jean par l’entremise de sa sainte mère, ne le priva pas de ce merveilleux don : car l’ayant enrichi de tous les dons que nous venons de marquer, il lui donna encore celui-ci qui consistait dans un faculté et une force [529] de se passer de toutes les créatures, pour jouir de Jésus-Christ dans son intérieur : et quoiqu’il quitta extérieurement saint Jean, quand la sainte Vierge s’en retourna en Nazareth, il ne le quitta jamais intérieurement, d’autant que l’âme de saint Jean étant éclairé de la grandeur d’un Dieu fait homme et touché de son amour en son endroit, ne pouvait passer un moment sans que son esprit et son cœur fut tourné vers ce divin objet le centre de ses désirs et de ses poursuites ; si bien que dès ce moment l’esprit de saint Jean demeura si éclairé et animé pour poursuivre Jésus-Christ, qu’il n’était pas un instant sans être éclairé de la lumière de cette divine présence : c’est ce qui fut la cause pourquoi il poursuivit incessamment la mortification [530] de tous ses sens, se retirant dans un affreux désert, et se privant même de l’amoureuse est très simple vue et conversation que ces mêmes sens auraient pu avoir avec Jésus-Christ, son âme étant suffisamment rassasiée de la plénitude de la présence intérieure de Jésus-Christ, dont son esprit jouissait, et dont même il ne voulait se divertir par le regard extérieur de son humanité, sa foi étant assez grande, sans qu’il apprit rien par l’expérience que ses sens lui auraient pu acquérir par la vue et le parler de ce divin Maître. De plus, comme il savait très bien que ce don de présence de Jésus-Christ ne se donne et ne s’augmente qu’à la mesure des privations, connaissant l’ordre de Dieu sur lui qui le voulait dans cet [531] privation, il le veut de tout son cœur : ce qui augmenta merveilleusement le don de la présence de Jésus-Christ : c’est pourquoi il dit des merveilles de sa mortification et de la fermeté et de la stabilité de cette grande âme.

Voulez-vous remarquer si vous avez fait grand fruit et avait reçu beaucoup de grâce dans votre retraite, regardez et réfléchissez sur votre âme, pour voir si elle est véritablement convaincue de la nécessité de la présence de Jésus-Christ, et si elle en est vraiment amoureuse. Faites résolution humblement appuyée sur la bonté et libéralité divine, de ne cesser jusqu’à ce que votre âme aie trouvés son salutaire par la facilité à jouir en tout de sa présence. Faites résolution d’y travailler [532] incessamment ; et pour cet effet donnez-vous une loi de vous mortifier en tout : croyez que cette privation de saint Jean a été très sensible, et cependant il l’a fait pour posséder plus avantageusement Jésus-Christ dans le plus intime de son cœur ; lequel exemple admirable Dieu nous a voulu donner, afin de nous déprendre des dons sensibles des grâces, quand Dieu nous en veut priver ; car vous voyez des âmes qui croient avoir tellement tout perdu, quand elles en sont privées, que souvent elles abandonnent tout. Prenez exemple sur ce saint, et tâchez de demeurer tranquille, humble et résignée, quand Dieu vous soustraira le sensible et la douceur, et pourvu que votre volonté recherche et poursuive [533] Jésus-Christ, assurez-vous qu’il suffit pour jouir et s’accroître dans le don de sa sainte présence. Enfin faites résolution de vous mortifier en tout, et vous ferez venir incessamment Jésus-Christ en votre âme, lequel ensuite il prendra un infini plaisir ; se récréant en elle comme dans un parterre enrichi d’autant de fleurs odoriférantes, que cette sainte présence y aura communiqué des effets marqués aux jours précédents.

Conclusion.

Après que ces dix jours de Retraite seront passés, [534] lesquels se peuvent faire en tout temps, quoi que le sujet soit sur le Mystère de la sainte Visitation, tâchez de continuer votre récollection ensuite, autant que vous pourrez, dans les diverses affaires de votre condition, et pour cet effet continuez à vous servir pour le sujet de vos oraisons, des mêmes vérités marquées dans les jours successifs, tâchant de pratiquer les fidélités conçues en cette Retraite. Et comme vous ne les avez encore qu’en désir, faute des occasions de pratique durant cette Solitude, présentement que vous aurez le moyen de les pratiquer, faites-le, et vous verrez Dieu aidant, que Jésus-Christ comme un beau Soleil, éclairera [535] votre âme à la mesure de votre fidélité : c’est dont je le prie de tout mon cœur.

Huitième retraite. Avant-propos à la retraite des divins attributs.

L’on ne saurait croire combien la connaissance des divins attributs cause de bien dans une âme humble, pleine de foi, et désireuses de (538) servir Dieu. Cette connaissance lui donne de hautes idées de Dieu, et une estime grande de Sa Majesté. De plus, la fortifie merveilleusement pour combattre le monde, le péché et soi-même, et aussi pour la sainte et pure contemplation de sa divine Majesté ; car voyant sa misère (qu’elle expérimente si continuellement, se portant en toutes choses et en tous lieux) elle est rabattue des désirs qu’elle pourrait concevoir par la grâce ; mais s’élevant au-dessus de soi, par la vue de ses divins attributs, elle est merveilleusement fortifiée et animée. Car elle conçoit ce que Dieu est en lui-même, non seulement [539] selon qu’elle le découvre dans la vue et considérations de ses attributs ; mais encore tout ce qui lui est inconnu, et connu à lui seul, est pour elle, et plus à elle qu’elle-même. Si bien que très souvent, son pauvre cœur dans cette vue des divins attributs, se dit à lui-même, Dieu est pour moi, Dieu m’est Puissance infinie, Sagesse infinie, Beauté infinie, etc. Et non seulement pour ma sanctification propre ; mais encore pour m’en servir dans l’exécution de ses divines volontés : de cette manière elle n’est rien et est toute chose, elle ne peut rien, et peut tout, elle n’a rien, et possède toutes choses, non en soi, [540], car elle n’est que misère, mais dans la plénitude de Dieu, où elle a son trésor et sa confiance véritable, appuyée sur une sainte et amoureuse foi, ce qui la fait merveilleusement pratiquer, et mettre en usage ces trésors infinis et lieux d’épargne, pour tout ce qu’elle a à faire et souffrir dans la vie ; mais afin que l’usage de ces divins attributs vous soit plus facile, et que ces lumières vous soient plus accommodées, je vais vous les raccourcir dans dix Méditations sérieuses, qui vous serviront de dix jours d’exercice, accommodés en manière qu’il y aura trois considérations, en chaque Méditation, [541] qui pourront servir pour faire trois heures d’oraison, chacune étant suffisante de nourrir et entretenir une âme. Durant ce temps, vous pourrez vous servir pour lecture de ce qui est dit, des mêmes attributs dans le Livre des Instructions spirituelles20 ; vous pourrez aussi vous servir de plusieurs autres livres qui en ont traité, et je m’assure de la Bonté divine, que si vous le faites, et que vous vous y comportiez comme il faut, que vous y trouverez une grande instruction pour vous corriger de vos défauts, et une puissante source d’eau vive, qui vous désaltèrera du Monde, et vous fera désirer [542] fortement la vie éternelle, où ses divins attributs se voient et possèdent en plein jour, et dans une satisfaction entière. J’en prie sa divine Bonté.

Premier jour. De l’existence divine.

I.

Considérez que Dieu dans toute la plénitude de ses grandeurs, est de toute Eternité lui-même, sans aucun commencement, possédant un infini plaisir de ses perfections, sans avoir besoin d’aucune créature, soit pour sa satisfaction, ou pour le rendre en quelque manière plus parfait. [544]

Après avoir bien pesé ces vérités, considérez que c’est tout le contraire en la créature, laquelle toute l’éternité, n’a été qu’un pur néant, et n’a reçu l’être que de la pure bonté et libéralité de ce premier Etre, que de plus, l’être qu’elle possède, est si plein d’imperfection, à cause de la corruption du péché qui l’a gâté, que ce n’est encore qu’un pur néant.

Tâcher de bien comprendre votre infinie misère par la vue de la grandeur de ce premier Etre, et vous ne sauriez assez savoir par la lumière de Dieu, combien il vous est d’importance d’approfondir fortement la vérité de ce que vous êtes : c’est pourquoi tâchez de bien considérer sérieusement, qu’outre ce que vous n’êtes rien par votre origine, rien en vous [545] même, aussi que vous tendez continuellement dans le néant par vos péchés. Faites une résolution forte de contribuer de votre mieux, afin que cette lumière de vérité subsiste continuellement dans votre âme, pour vous voir toujours comme à rien, et généralement ne vous estimez qu’un rien en toute manière21. N’est-il pas véritable que cette lumière est si rare, et cette Vérité si inconnue à tout homme, que vous ne voyez qu’un mensonge continuel, se croyant toujours être quelque chose, et crevant toutes les fois que nous pensons n’être pas estimées selon le jugement que nous portons de nous.

N’est-il pas vrai que même les gens de dévotion sont si délicats sur l’estime d’eux-mêmes, qu’ils [546] montent aux nues pour le moindre qu’on les touche ? [sic] Voyez un peu devant Dieu combien chaque jour vous faites de fautes contre cette vérité, et vous verrez que cela est l’origine d’un million de maux qui arrivent à votre âme.

II.

Considérez que Dieu, cet Etre infini, est l’origine et la source de tous les êtres, leur donnant par sa puissance infinie existence, de telle manière que demeurant par lui-même ce qu’il est, c’est-à-dire infini en toute manière, il y a créant et communiquant l’être à ses pauvres créatures, si bien qu’il n’y a rien en nous, qui ne doive continuellement adorer ce premier être, comme son premier Principe, et [547] sa source originaire dont il est émané.

En vue de cette grande vérité, entrez dans une profonde adoration de Dieu comme votre Principe, et voyez avec les yeux de la foi que vous n’êtes point à vous ; mais à Dieu comme premier Principe, de telle manière que lorsque vous vous oubliez tant, que de ne pas vous regarder dans cette subordination, et dans ce respect profond que vous lui devez, vous lui faites un larcin d’infinie conséquence.

Réfléchissez bien sur tout le particulier de vous-même, voyant que votre entendement, votre mémoire, votre volonté, et votre corps selon toutes ses parties, doit reconnaître Dieu comme son origine, et son premier [548] Principe, et ainsi lui être tout consacré.

Voyez encore par cette même lumière, combien vous devez vivre dans une profonde connaissance de votre néant, étant toute de Dieu, et rien de vous, et de plus, combien vous devez estimer tout ce que vous êtes, comme émané de Dieu ; car en cette sorte vous êtes quelque chose de grand22, que vous salissez continuellement, et mettez dans l’ordure toutes les fois que vous vous laissez emporter à vos passions et désirs produits par la corruption du péché.

Regardez derechef Dieu dans son Etre infini, étant le principe du vôtre, vous êtes d’une excellence très grande, ce que vous détruisez toutes les fois que vous vous précipitez dans quelque désordre [549] enfin tâchez de bien approfondir ceci ; car il est d’infinie conséquence, et vous en recevrez un bien infini, si vous en êtes bien convaincue, tant pour vous retirer de vos défauts actuels, que pour concevoir une véritable contrition, chaque fois que vous ferez vos examens.

III.

Considérez que Dieu par son Etre infini et par ses infinies perfections, va faisant subsister pour toute éternité, les hommes et les anges, si bien qu’à chaque moment l’être des uns et des autres, dépend plus de son actuel secours et de la communication de ce qu’il est, pour les faire subsister, que les rayons du soleil ne dépendent actuellement du corps du soleil. [550]

Voyez que tout votre être est actuellement dépendant de cet Etre divin, n’y ayant pas un moment que vous puissiez dire, je suis à moi, sans être dans la crainte de ne pas tomber dans le néant23. Tâchez de bien envisager, et vous convaincre fortement, que tous les moments futurs de votre vie, que celui aussi où vous êtes présentement, est un actuel écoulement et don pur de la libéralité, qui émane de ce souverain Etre ; car vous n’avez été rien de toute éternité, vous ne serez quelque chose dans toute l’Eternité, que par sa continuelle et libérale communication. Si les hommes voyaient bien ceci, ne seraient-ils pas dans la peur continuelle, quand ils offensent Dieu : tâchez donc très souvent [551] de vous en ressouvenir, et assurément votre âme en retirera grand fruit.

Détrompez-vous des créatures, lesquelles dépendant si actuellement de Dieu, n’ont pas un moment à vous donner, dont elles soient assurées, et ainsi seront toujours cause de beaucoup de peine lorsque vous les perdrez, après y avoir mis votre cœur. Mais au contraire voyez qu’aimant Dieu, vous le pourrez posséder sans crainte.

Tâchez encore en vue de cette vérité, d’approfondir la connaissance de ce que vous êtes, n’étant en toute manière rien que ce que Dieu veut que vous soyez par la communication de son Etre ; car de toute éternité vous n’êtes rien, dans le temps présent vous n’êtes [552] que dans une actuelle dépendance de lui, et pour l’éternité vous ne pouvez être que par sa communication.

Retenez bien que de la connaissance de Dieu et de votre néant, dépend votre bonheur, votre paix et votre perfection.

2e jour. De l’Immensité divine.

I.

Considérez que Dieu par son Immensité vous est très intimement présent, vous remplissant de lui-même, si bien qu’il ne se peut jamais rien concevoir de plus intime à toute votre âme qu’il l’est en vérité, il pénètre votre entendement, et y [554] est comme lumière divine pour l’éclairer, afin que par lui vous le connaissiez, il est dans l’intime de votre volonté, et généralement, il est plus intime à toute votre âme infinies fois, que votre âme ne l’est à votre corps.

Après avoir bien pesé cette importante vérité, voyez qu’elle est la source de toute grâce dans une âme qui en fait usage, voyant toujours cette divine Majesté si présente, pour voir et pénétrer tout ce qu’elle fait, ou ce qu’elle pense, vous n’avez pas une pensée, pas un mouvement extérieur pour aucune action, que Dieu n’assiste par sa présence. Si donc vous étiez fidèle toutes les fois que vous voulez offenser Dieu, de vous souvenir de cette vérité, ne vous mettrait-elle pas dans le respect [555] et dans la confusion devant elle, cette divine Majesté ? Faites cette pratique toutes les fois que vous vous verrez en danger d’offenser Dieu, savoir de vous mettre en sa présence, et là vous ressouvenir qu’il est dans le plus intime de votre âme, qui vous voit.

De plus, n’est-ce pas une infinie consolation à une âme, de savoir qu’elle a un objet en soi d’une infinie beauté ? Dans lequel sont toutes les merveilles du ciel et la terre, et qu’elle n’a pas affaire [sic] de sortir hors de soi, pour en jouir, étant dans le plus intime d’elle-même24. Que ceci vous porte donc à vous en ressouvenir souvent, et à vous en occuper amoureusement ; car par là vous remédierez à infinies fautes ; et [556] vous considérerez beaucoup Dieu, qui ne demande que l’occupation de votre cœur vers lui.

Voyez quelle a été votre vie, et l’oubli que vous avez fait de cette divine Majesté si intimement présente : faites une forte résolution de ne passer point de jour, que vous ne vous se ressouveniez plusieurs fois de cette intime présence, et concevez bien que son oubli est la source unique de vos péchés.

II.

Considérez que Dieu est intimement présent en l’âme, y est appliqué à elle et pour elle, comme si il n’était en aucune autre, lui donnant part à ses divines perfections et les appliquant à son bien, chacune en sa manière, sa sagesse, l’éclairant actuellement, [557] son amour l’aimant, sa providence soignant à ses besoins, etc. comme si elles n’avaient aucune autre objet de leurs soins et de leur application. Pénétrée de cette admirable vérité, et tout à fait consolante instruction, confondez-vous devant Dieu, dans la vue de votre infidélité, et peu d’usage que vous avez fait de la présence d’un Dieu d’une infinie Majesté, si amoureusement toute appliquée à vous et pour vous. Voyez au nom de Dieu chaque péché de votre vie dans cette lumière, et remarquez qu’au lieu de correspondre par fidélité, à l’action et à l’application des infinies perfections de Dieu, pour votre bien et votre perfection, vous n’avez fait que vous faillir continuellement, et vous retirer injustement de la subordination [558] que vous devez à un Dieu si amoureusement appliqué à vous-même25. Qui pourrait comprendre cette vérité dans son étendue, comprendrait assurément ce que c’est que le péché ; car il saurait le mal qu’il fait à son âme, en le commettant. Tâchez de vous appliquer fidèlement à la vue de ce Dieu tout d’amour, et faites résolution de ne passer point d’heure que vous ne vous en ressouveniez. Vous êtes si fidèle aux besoins de votre corps par la nécessité que vous en expérimentez, et Dieu est dans votre âme appliqué à elle, et désirant infiniment votre correspondance, et vous n’y pensez pas. N’est-il pas vrai que très peu d’âmes savent le trésor qu’elles possèdent, et dont elles peuvent faire usage par fidélité à [559] ce Dieu d’amour. Quand vous mourrez, sachez que vous ne répondrez pas seulement des péchés commis ; mais des dons perdus, manque de fidélité, et cette divine présence ainsi appliquée à votre âme, en communique incessamment.

III.

Considérez et pesez bien, que Dieu dans toute sa grandeur et toute sa Majesté, est dans chaque âme, se connaissant et aimant, et jouissant de toutes ses infinies perfections pour sa béatitude, comme il l’est dans le ciel, afin d’associer chaque âme à ce bonheur : ce qui est d’une consolation infinie aux âmes lesquelles méprisant le soin des créatures, veulent s’appliquer à cet objet tout infini : c’est aussi une condamnation étrange pour [560] celle lesquelles oubliant ce Dieu d’infinie Majesté s’occupent bassement des créatures. Voyez combien il vous est facile tout le jour d’être saintement et hautement occupé, puisque la foi vous apprend que Dieu dans toute la plénitude de sa béatitude, et de ses grandeurs, est en vous, pour être l’objet de votre application, et réfléchissez bien qu’au lieu de vous en servir, vous vous appliquez continuellement très bassement, soit de vos passions, inclinations naturelles, et autres choses qui vous portent au péché et à l’oubli de Dieu. Faites ici réflexion sur l’application des puissances de votre âme, et voyez comme votre entendement est occupé, votre mémoire, votre volonté, car elles sont capables [561] de la plénitude de Dieu qui les remplit, et cependant je suis très certain qu’elles ne sont que dans un vide continuel, et une préoccupation perpétuelle pour quelque chose de créé, ou pour le péché.

Ne perdez pas cette lumière faite une résolution forte d’occuper votre âme tout d’une autre manière, en faisant usage du don de Dieu.

Étant bien pénétrée de cette divine lumière de la présence de Dieu, n’êtes-vous pas confus en vous-même, remarquant la préoccupation que vous avez pour les créatures. En vérité, qu’ont-elles, qui puisse être comparé au moindre moment de la jouissance de cette infinie Majesté dans votre intérieur ? [562]

Faites un peu de réflexion sur cette rêverie continuelle de pensées chimériques qui vous occupent en tous rencontres. Il ne vous faut que dire un mot de travers, qu’une Supérieure vous aie reprise de quelque chose, enfin qu’une inclination soit contrariée, tout est en alarme en vous, et c’est un oubli de Dieu entier, pour adorer et cultiver ces chimères.

De plus, ne remarquez-vous pas que faute de tenir votre esprit élevé par la vue agréable de cette divine Majesté, vous vous affaiblissez continuellement et être hors de garde à tout moment, pour de si petites choses que cela est ridicule, et au contraire vous sentez une force et vigueur, quand vous vous occupez de cette divine [563] présence, et qui vous soutient dans les plus cruelles et inopinées attaques.

3e jour. De la simplicité et pureté divine.

I.

Considérez que Dieu dans sa Majesté infinie est un Etre très simple, lequel quoi qu’il soit dans une action continuelle vers soi, et vers les créatures, ne se multiplie en aucune manière ; mais demeure toujours dans sa véritable simplicité [565] et pureté, sans se mélanger et contracter l’impureté des créatures, les hommes au contraire ne sont en soi que multiplicité, ce qui est la cause pourquoi ils n’arrivent presque jamais à la connaissance de Dieu, lequel ne se peut connaître ni goûter que par des cœurs vraiment simples, c’est-à-dire qui cherchent Dieu en vérité et en simplicité, non pour leur intérêt grossier, mais pour sa gloire.

Découvrez donc bien par cette vérité l’importance de chercher Dieu en simplicité de cœur, autrement jamais vous ne le trouverez : Je vous dis en vérité, que si vous ne devenez comme des enfants, vous n’entrerez pas au Royaume des cieux (dit notre Seigneur) c’est-à-dire que si vous ne me cherchiez [566] purement, comme aussi ma gloire dans ce que vous ferez : voyez un peu de la manière que vous agissez, n’y a-t-il pas de duplicité en ce que vous faites, soit à l’égard de Dieu ou de votre prochain, je vous le répète, Dieu est infiniment simple en soi, et ne se possédera jamais que par un cœur simple26.

II.

Considérez et pesez bien l’importance infinie que l’âme à de se simplifier, non seulement dans la pureté de son cœur, mais dans l’opération de son esprit, ce qui se fait par l’usage de la foi, par laquelle l’âme découvre cette divine Majesté, laquelle assurément ne peut être connue en cette vie que par cette divine lumière, de telle manière, que qui n’en fait pas usage, ne peut jamais rencontrer [567] la demeure de Dieu, qui réside dans une infinie simplicité, étant une très simple essence. De plus, elle se met en état de ne jamais pouvoir découvrir ce que Dieu fera en elle de bien ; car comme il est dans une infinie simplicité en lui-même, aussi opère-t-il par la même simplicité ce qu’il cache à notre vue grossière et impure, et le détourne à la seule Foi27 : voyez le malheur des âmes lesquelles ne font pas usage de ces divines vertus par une habitude trop humaine de leur raison, et de leur esprit. De plus, remarquer que jamais Dieu ne donne cette foi qu’aux cœurs humbles et obéissants, de telle manière que qui se retire de l’humilité et de la vraie petitesse de l’obéissance, se bouche les yeux à la belle lumière [568] de foi, ce qui est un malheur extrême, se mettant dans l’impossibilité de découvrir Dieu et son opération : faites une résolution forte de captiver continuellement votre jugement en ce qui concernera Dieu et sa volonté, faisant usage de la Foi en toutes choses, et assurément par là vous découvrirez Dieu : croyez-moi, et faites-en l’expérience, soit devant le saint-Sacrement, ou en chaque moment vous mettant en sa présence, pourvu que vous vous en serviez, vous le trouverez.

III.

Considérez que notre Seigneur Jésus-Christ voyant l’importance infinie que les âmes ont de s’approcher de Dieu par cette simplicité, afin de le connaître et de faire usage de ses opérations amoureuses, [569] la recommande très particulièrement, comme une chose indispensable pour approcher de Dieu, selon ses paroles, simplices sicut columbae, il faut que les âmes soient simples comme des colombes, et en un autre, il dit qu’il n’y a que les enfants qui puissent approcher de lui, tant il est vrai que l’esprit de simplicité est la voie par laquelle l’on trouve Dieu.

Convainquez-vous fortement de ceci, et tâchez de vous de tout votre cœur d’aimer la simplicité, condamnant tout votre procédé non vraiment simple, prenez bien garde à toutes vos actions particulières, et vous découvrirez très ordinairement des défauts en cela.

Sachez aussi que voilà la raison pourquoi très souvent vous [570] avez des démêlés avec les unes et les autres ; car votre âme n’étant pas vraiment simple et un enfant en la présence de Dieu, elle cherche ses intérêts en diverses choses, ce qui est cause qu’elle a du débat ordinairement pour les soutenir.

Faites donc résolution de chercher uniquement Dieu et sa gloire, et assurément vous trouverez le solide dans cette simplicité, autrement ce ne sera que confusion et multiplicité, laquelle insensiblement vous portera à la division de Dieu, dans l’embarras des créatures.

Finalement, remarquez bien deux choses qui vous font commettre infinis défauts contre la simplicité. La première est le peu de droiture que vous avez en [571] agissant avec votre Supérieure, ce qui est cause qu’il faut trouver un million de finesses pour vous cacher et lui ôter la connaissance de ce qui vous touche par de faux prétextes.

La seconde est pour les amitiés particulières, et attaches que vous avez à certaines personnes que vous savez fort bien en votre conscience, que Dieu ni votre Supérieure n’approuvent pas, et ainsi afin de soutenir ce défaut (dont vous ne voulez pas vous détacher) vous vous remplissez d’un million de duplicités et d’équivoques, ce qui vous fait prendre un procédé infiniment éloigné de la vraie simplicité chrétienne et religieuse. De plus, vous remplit le pauvre esprit de tant de diverses pensées creuses et chimériques [572], que cela vous éloigne et vous rend incapable de converser avec Dieu. Ne vous flattez pas sur ceci ; mais approfondissez fortement devant Dieu, ce que vous savez qui vous incommode et vous garrotte, vous empêchant de travailler comme il faut, à être selon le cœur de Dieu, et je m’assure que si vous en consultez comme il faut votre conscience, que vous connaîtrez que c’est uniquement le manque de simplicité qui êtes qui en est la cause, et qui vous met toujours l’esprit dans un état emprunté, sans véritablement posséder votre âme en paix et repos.

Apprenez solidement de tout ceci, que pour être bien-heureuse dans une vie religieuse chrétienne, il se faut simplifier en toute manière, et faire toutes [573] choses dans un esprit vraiment simple, ce qui plaira infiniment à Dieu, et vous conservera dans une charité solide avec vos sœurs.

4e jour. De l’Immortalité et de l’Immutabilité divine.

I. 

Considérez que Dieu a l’Immortalité pour partage, étant lui seul immortel, par lui-même, et le Principe de l’immortalité ; car comme il est le souverain de toute chose, et le premier principe qui leur donne l’être, il ne peut avoir rien [575] dessus de soi, qui le puisse rendre mortel.

La créature tout au contraire a pour partage la mortalité, n’étant pas seulement sujette à mourir dans quelque temps limité ; mais encore à tout moment, n’ayant droit de soi de jouir d’aucun temps de sa vie dont elle puisse être assurée et exempte de la mort. Cela n’est-il pas étrange ? Tous les hommes savent cette vérité, et cependant très peu l’approfondissent d’une solide manière, l’on n’a pas un moment sans avoir la mortalité dans le cœur, et cependant l’on n’y pense pas. Tous les jours l’on voit cette vérité dans autrui, sans s’en rendre savante, au contraire très souvent l’on fait ce qu’on peut pour l’étouffer et l’ôter de l’esprit, afin [576] que telle lumière n’incommode pas, et n’empêche la propre sensualité de se plaire dans la vie présente. Dieu tout bon, cependant ne cesse d’opérer dans les âmes par son immortalité, afin de les éclairer, et leur faire voir la vérité de leur mortalité, par certaines pensées et lumières qui souvent touchent l’esprit.

Adorez avec respect l’Immortalité divine, et tâchez de désirer de tout votre cœur, que toutes les créatures rendent hommage à ce divin Attribut, disant et répétant souvent, Dieu seul est immortel, toutes les créatures sur lesquelles je me fie et m’appuie, en vérité et devant Dieu, ne sont rien, puisque je ne suis pas certaine d’un moment de leur possession.

Détachez-vous de vous-même [577] et de la vie présente, par la vue de cette divine lumière ; car c’est son propre en faisant voir la mortalité de toutes choses.

Heureuse une âme, et mille fois heureuse, éclairée de cette divine lumière ! Car à son aide, elle voit les choses sans les voir, elle les possède sans en être embarrassée, et généralement, le temps présent lui est plus ennuyeux que délectable, ne pouvant trouver du plaisir que dans celui ou elle pourra jouir de l’immortalité.

Avez-vous jamais bien compris cette vérité, qui doit généralement pénétrer toutes les âmes, étant comme la base et fondement de toutes les autres lumières : tâchez donc chaque jour de vous en ressouvenir, et assurément cela vous sera infiniment utile. [578]

II.

Considérez que Dieu par son Immortalité opère continuellement dans les âmes, et communique incessamment participation à ce divin Attribut28.

1. En leur donnant des grâces pour les retirer du péché, qui est une mort véritable, pour conserver les autres, afin qu’ils n’y tombent pas. Ces grâces sont certaines vues et lumières qui font voir la grandeur de Dieu, sa souveraineté, au-dessus de toutes choses, etc. De plus, découvre la misère et pauvreté des créatures, comme aussi certain dégoût de la vie présente, ennuis de la vie pécheresse, et plusieurs autres lumières que Dieu communique à l’âme, pour la retirer du péché ou la soutenir, si elle n’y est pas. [579]

2. Une participation de lumières qui élève les âmes qui y correspondent fidèlement, par laquelle Dieu les associe et les unit à son Immortalité dès cette vie, les faisant plus vivre en son Immortalité, et de son Immortalité, que d’elles-mêmes, non pas que Dieu rende par là leur corps immortel ; mais par l’union qu’il leur communique à son Immortalité, il fait tellement négliger ce qui est du corps et de l’esprit, qu’elles ne prisent que Dieu et n’estiment que ce qu’il possède. Leur joie donc est qu’il soit immortel, et leur plaisir consiste à s’unir à son immortalité. Et par ce, elles sont immortelles dans la mortalité même : ce qui est en vérité et par expérience29 un paradis de délices, dont les âmes très souvent sont privées vivant [580] malheureusement de la mort, ou plutôt agonisant continuellement ; car ici est le solide et unique plaisir de la vie, dont Dieu jouit lui-même, et auquel il veut associer incessamment toutes les âmes, ne les ayant créées que pour cet effet.

Attristez-vous du peu de lumière que vous avez eu dans la vue de tant de peines que vous avez portées incessamment pendant votre vie, dont vous auriez pu être délivrée, ou du moins très soulagée, si vous vous étiez remplie amoureusement de ces très solides vérités. Et ne me confesserez-vous pas après cette connaissance, qu’une âme est bien malheureuse de se faire continuellement malheureuse elle-même, pouvant se rendre bienheureuse par le fidèle [581] usage des lumières, qui découlent incessamment de l’Immortalité divine dans son âme.

Toutes les fois qu’il vous vient quelque tristesse ou ennui, élevez amoureusement votre cœur à Dieu, afin que cette divine lumière d’immortalité le pénètre et fasse dissiper tous ces nuages qui sont des entre-deux qui empêchent que votre cœur n’aime purement et solidement Dieu.

III.

Considérez que Dieu est également immuable, comme il est immortel, ne changeant jamais en quelque manière que ce soit.

1. Il est ce qu’il a été de toute éternité, et il ne sera pour toute éternité.

2. Ses desseins et ses pensées sur les créatures sont si infiniment [582] incompréhensibles en leur immutabilité, quoi que selon nos pensées et nos vues, elles nous paraissent changer : cependant elles sont dans une immutabilité qu’il nous faut adorer, et non comprendre.

3. Quoi que Dieu agisse continuellement et produise infinis effets en nos âmes, il ne laisse de subsister dans son immutabilité divine et infinie.

Enfin généralement pour tout, Dieu est et subsistera dans toute l’Eternité, dans sa même immutabilité ; car comme il nous a aimé de toute Eternité, qu’il a pensé à nous, et qu’il s’est appliqué à nos besoins, aussi le fera-t-il de la même manière, tout le changement qui y surviendra, n’étant que de notre [583] part, et non de la sienne.

Voyez en vérité ce que vous êtes, n’étant que changement continuel, et une infinité de faiblesse si grande, une infirmité de faiblesse si grande, soit dans ce que vous faites, ou en vos desseins et vos désirs, que vous avez en vérité pour votre partage la mutabilité continuelle.

Tâchez de vous élever à Dieu et vous unir fortement à lui, afin d’établir et d’affermir vos desseins et vos résolutions, que vous croyez souvent défaillir, par ce que Dieu vous manque et change en votre endroit ; mais cela est faux, tout le manquement ne venant que de vous : travaillez donc fortement à vous affermir et à remédier à cette mutabilité continuelle, ne faisant incessamment que faire et défaire, [584] et ne vous établissant jamais solidement. Ne remarquez-vous pas votre humeur changeante et continuellement vacillante ? Car aujourd’hui vous êtes en ferveur, et promettez merveilles aux personnes qui ont soin de votre conduite, et aussitôt il n’en est plus de mention : tantôt vous voulez une chose, tantôt l’autre, vous êtes si bizarre en vos desseins, que ce n’est qu’une perpétuelle confusion que votre intérieur : de telle manière que très souvent vous causez, et à vous et aux autres de la confusion, d’autant que consultant les peines qui vous viennent de cette mutabilité à des personnes qui ne vous connaissent pas, vous les tirez dans votre sentiment, et de cette sorte vous vous faites infiniment du tort à vous — [585] même : tâchez donc de vous stabi [li] ser saintement, ce que vous ne ferez jamais que par l’union à Dieu, et le renoncement à vous-même.

5e jour. De l’Infinité et Incompréhensibilité divine.

I.

Considérez que Dieu est un Etre et une Majesté infinie selon tout ce qu’il est, ses perfections étant infinies en toute manière, soit selon ce qu’elles sont en elles, soit aussi selon leur opérer vers les créatures, [587] de telle manière, que Dieu est en toute façon incompréhensible : c’est-à-dire surélevé au-dessus de la compréhension humaine et angélique, ce qui est meilleur et plus à propos d’adorer que de le vouloir comprendre : ce qui condamne tout à fait les esprits trop curieux qui s’amusent avec trop de recherche à vouloir pénétrer les grandeurs de cette Majesté souveraine, et qui trouve aussi incessamment à redire à ce qu’il fait et à ce qu’il ordonne de ses créatures ; car ce qu’ils ne comprennent par leur sens tout à fait grossier, ils ne l’approuvent en aucune manière. Au contraire le désapprouvent, si bien qu’ils sont continuellement sur les plaintes de ce que Dieu n’agit pas avec eux comme il le devrait, qu’il n’a [588] point de bonté pour eux, etc. Ce qui est très faux, car quoiqu’ils ne puissent comprendre, sinon par une respectueuse soumission30, souvent ce qu’il fait et ce qu’il permet (étant incompréhensible) tout ne laisse d’être très bien fait, et par une bonté infinie.

N’est-il pas vrai que vous perdez infiniment du temps à vous dépiter et chagriner quand tout n’est pas selon votre caprice : et certainement, si vous pouviez avec une humble soumission, adorer Dieu et son ordre sur vous, vous vous rempliriez admirablement de lui, son incompréhensibilité en ce rencontre sur-comblant amoureusement l’humble démission de votre esprit et de votre volonté en lui.

Toutes les fois que vous [589] approchez de Dieu, soit pour faire oraison, ou pour l’adorer dans le Saint Sacrement, ou vous mettant en sa sainte présence dans votre intérieur, prenez cette idée de l’incompréhensibilité de Dieu, et de son infinité31, ce qui vous fera tenir dans un humble maintien intérieur, et en amour respectueux vers cette infinie Majesté.

Quand vous parlez de Dieu, que ce soit avec des paroles respectueuses, évitant la suffisance d’esprit ; car tout ce que vous en pouvez dire, est si peu à l’égard de son infinité et incompréhensibilité, que tout ce que jamais les Docteurs en ont écrit, tout ce que les hommes et les anges en ont jamais connu, n’est pas une goutte d’eau comparée à tout l’océan.

Voyez souvent au contraire combien [590] vous êtes trompée en votre occupation, et amour vers les créatures, n’étant rien en vérité, et encore moins que le rien, ce que souvent vous ne découvrez qu’après vous êtes très volontairement trompée en vous y occupant.

N’est-il pas vrai que celles qui vous ont le plus charmé après quelque temps, ne vous paraissent qu’imperfection, que faiblesse, et un vide de tout, qui a pourtant quelque montre extérieure ? Tâchez donc de vous détromper par cette belle vue de l’infinité de Dieu ; car votre âme en est capable, et si cela est, assurez-vous d’être la plus heureuse du monde ; car vous serez pleinement contente. [591]

II.

Considérez que Dieu étend infini selon tout ce qu’il est, peut à l’infini opérer dans les âmes, n’y ayant rien qui lui puisse résister, pourvu que l’âme veuille, se soumettant amoureusement et humblement à son opération : ce qui est une consolation infinie ; car souvent l’on est rabaissé par la difficulté des choses, ou bien par la grandeur que l’on y envisage ; mais lorsqu’une âme est bien convaincue de l’infinité de chaque perfection en Dieu, elle ne peut douter de rien, et elle ne peut craindre rien, appuyée qu’elle est sur cette infinité. De plus, le peu de temps que l’on a à faire quelque chose qui paraît grand, abat encore le courage ; car les créatures [392] jugeant toutes choses à la manière de la créature, ne s’élevant pas au-dessus de soi-même, sont abaissées et découragées par le peu de temps qu’elles ont à faire quelque chose de grand pour leur salut et perfection ; mais envisageant cette infinité en Dieu, elles se confient, et de cette manière acquierent beaucoup en peu de temps.

Prenez bien garde que vous êtes tellement accoutumées à avoir vos yeux dans la bassesse et dans la faiblesse de la créature, que vous êtes continuellement retardée et découragée, par ce que vous sentez et expérimentez de votre corruption ; mais si vous pouviez élever votre âme par une vue de Foi, vers l’infinité de Dieu (outre que cela la consolerait merveilleusement) cela l’encouragerait beaucoup, [595] appuyée qu’elle serait sur l’infinité divine.

Tâchez donc souvent de remplir votre âme de cette belle lumière : toutes les perfections de Dieu sont infinies, et peuvent infiniment travailler en mon âme, si je veux être fidèle à correspondre à leur opérer.

N’êtes-vous pas infiniment coupable, et plus que vous n’avez jamais compris, étant pauvre et dénuée des trésors divins et de ses grâces, comme vous l’êtes, vu que Dieu selon toutes ses perfections, peut et veut travailler en vous à l’infini.

Quand vous aurez et expérimenterez quelque faiblesse en vue de vos misères, ou de quelque obstacle pour la gloire de Dieu, qui vous paraissent insurmontables ; envisagez [594] Dieu de la manière susdite, et cela vous fortifiera beaucoup, et vous causera une certaine netteté d’esprit bien contraire à quantité d’âmes toujours remplies de vétilles, d’inquiétudes, et par conséquent continuellement occupées d’elles-mêmes et autour d’elles-mêmes.

N’êtes-vous point de celles qui se plaisent tant dans le vacarme de leur intérieur, et dans un secret amour propre qu’elles trouvent dans la confusion d’esprit, qu’il est presque impossible de les mettre en soumission, pour leur faire voir clairement le prompt et très facile secours de Dieu, dans la vue et amoureuse union à son infinité.

III.

Considérez que l’infinité en Dieu lui est si propre et si particulière, [595] que non seulement il la possède, parce qu’il est une Majesté infinie en toute manière, et ses perfections étant infinies, et pouvant opérer à l’infini toutes choses plus excellemment ; mais encore ce qui est admirable, chaque chose pour petite qu’elle soit, qui soit de ses mains, contenant et renfermant infinies merveilles, de telle manière que si vous considérez de près la création d’un moucheron, vous y trouverez tant de choses merveilleuses, que vous avouerez que Dieu est infini dans la moindre de ses opérations. Ce que je dis d’un moucheron, s’entend aussi d’une feuille d’arbre, d’un brin d’herbe, et généralement de tout ce que Dieu fait dans la terre : ce que peut-être vous n’avez jamais compris, ne [596] vous arrêtant pas à voir les merveilles de Dieu en la lumière de vérité, ou pour mieux dire par Dieu même.

Étant bien convaincue et éclairée de cette vérité, voyez la pauvreté et l’indigence des créatures dans leurs plus beaux ouvrages, et leurs actions les plus merveilleuses, vous n’y découvrirez en vérité rien qui approche qu’infiniment loin, de la moindre petite chose que Dieu fasse, et cependant très souvent, spécialement au fait de la grâce, l’on méprise ce que Dieu fait, ou ce que Dieu ordonne, par ce qu’il est petit ; je dis la même chose généralement de tout ce qui est l’ordre de Dieu, une cérémonie de l’Eglise, une simple petite régularité de religion qui est dans l’approbation de cette infinie Majesté, [597] reçoit de lui une infinité merveilleuse : ce qui ravit admirablement les âmes fortes éclairées qui humblement s’en occupent.

Enfin apprenez que généralement tout ce que Dieu fait ou approuve, communique à son infinité, et en est rempli pour les âmes qui sont fidèles en faire usage.

Ne m’avouerez-vous pas que toute votre vie vous n’avez fait que négliger les petites choses, à cause que votre esprit les voyait petites, ne les regardant pas, par la lumière de Dieu ?

Occupez-vous souvent de cette lumière, voyant par son moyen ce que la créature est de soi-même et assurément vous découvrirez son infinie pauvreté, bassesse et à digérer ce indigence et en toutes manières. Au [598] contraire vous verrez très agréablement et à votre consolation et utilité l’infinité de Dieu, qui vous fera voir la beauté de la moindre des plus petites choses que vous négligez tous les jours ; car vous promenant dans un parterre, et généralement voyant quoi que ce soit de créé, vous vous pourrez élever à Dieu, par son moyen, y entendant un certain langage, Dieu m’a créé et a renfermé en moi infinies merveilles, pour vous aider à vous élever à la Sa Majesté.

Prenez bien garde de mal user de la moindre créature, sans référer son usage à son créateur, puisqu’elle renferme en soi tant de merveilles.

6e jour. De la vérité divine.

I.

Considérez que Dieu en tout ce qu’il est, est vérité et l’unique vérité, n’y pouvant rien avoir dans la terre qui puisse être véritable, que par rapport à lui, c’est ce qui est cause que les âmes qui s’occupent de Dieu et de ses perfections, y trouvent tant de solide, et un attrait [600] si fort, que du depuis [sic] qu’elles en ont goûté, elles ne sont jamais satisfaites que par le continu de leur application vers sa divine Majesté. Et la raison est, qu’étant vérité unique et le fond de toute vérité, elles trouvent là seulement du solide et de quoi les rassasier. Tout le contraire est dans les créatures, d’autant que tout ce qui paraît et qui charme les cœurs, n’est que mensonge : c’est pourquoi on ne les aime que lors que l’on ne les connaît pas ; mais les ayant un peu pratiquées avec application sérieuse, l’on n’y trouve qu’une apparence de bonté ou de beauté mensongère, qui couvre une infinité de défauts, si bien que l’on expérimente la vérité de ces profondes paroles, omnis homo mendan c’est-à-dire qu’il n’y a point [601] de vérité solide dans la créature.

Heureuse une âme qui s’applique tout de bon à Dieu, ; car là elle peut trouver de quoi se rassasier et se contenter, tout y étant vérité, c’est-à-dire solide, ce qui console infiniment un cœur, quand on tâche de poursuivre cette vérité d’une bonne manière.

Tout au contraire, qu’une âme est malheureuse de se contenter de vent et d’ombre ; car en vérité, qu’est-ce que c’est que la créature dans sa plus belle apparence, qu’un ombre mensonger ? Qui trompe tout le monde qui s’en occupe, et y met son cœur, ne faisant qu’affamer une pauvre âme, et non la rassasier solidement, comme fait la jouissance de Dieu.

Détrompez-vous, au nom de Dieu, une bonne fois des créatures, [602] et pour le faire solidement, voyez par expérience si celles qui vous occupent, vous remplissent de vérité, et si vous y trouvez un solide qui arrête votre cœur. N’est-il pas vrai qu’il est toujours famélique et insatiable, ne rencontrant pas ce qu’il veut et ce qu’il désire ?

Enfin approfondissez un peu ces paroles de la sagesse éternelle parlant de la vérité de Dieu : Ceux qui me mangent, ont encore faim de moi, et ceux qui me boivent, sont toujours altérés, car plus on me goûte, plus on me veut goûter, tant il est vrai que la vérité divine en Dieu, a des charmes pour attirer les cœurs, et pour les charmer amoureusement, quand ils sont fidèles à s’en occuper de Dieu par la désoccupation des créatures. [603]

Compatissez à infinies âmes qui vivent dans le mensonge et meurent dans le mensonge, sans jamais voir ni goûté la vérité de Dieu : et ce qui est plus pitoyable, cela se rencontre très souvent dans les maisons Religieuses, où les pauvres âmes, sans y penser, s’occuperont de petites bagatelles, niaiseries, affections particulières, discours inutiles, et généralement de tant de petites bassesses qui font tout l’emploi et l’occupation infructueuse de leur esprit, que cela est digne de compassion à qui le sait. Il y en a qui vont jusque-là, que d’être presque toujours dans de petits débats pour des bagatelles, des dits et des redits, et un million d’autres choses qui choquent la charité, et qui continuellement met les âmes dans un trouble de [604] confusion, sans avoir en elles rien de solide. Ne vous flattez pas, voyez tout de bon devant Dieu si vous ne participez pas à ceci, et par là vous verrez si votre âme est dans le mensonge, donnez-y ordre ; car assurément tout ce que vous pouvez faire sans cela, n’est rien : d’où vient que plusieurs âmes Religieuses vivent et meurent dans le mensonge et la tromperie, sans qu’elles y fassent réflexion solide, d’autant qu’elles ne font point état de tout ceci.

II.

Considérez que Dieu est pareillement l’unique source de toute vérité en tout ce qu’il fait, ou dans ses desseins sur les créatures, n’y ayant rien dans le monde qui puisse être vérité que par rapport et union, à l’action et [605] au dessein de Dieu, et ceci est la cause pourquoi les âmes qui ne correspondent pas à tout ce que Dieu fait en ellesd, et ordonne d’elle, sont toujours dans le mensonge.

Remarquez bien cette importante vérité ; car comme Dieu est la source de toute vérité, soit en lui ou en son opérer, aussi la créature et généralement en elle et en ce qu’elle fait, l’origine de tout mensonge, ce qui doit détromper toutes les âmes, et les détacher de leurs propres actions, ne les estimant et ne les croyant que ce qu’elles sont devant Dieu, et qu’autant qu’elles sont conformes à tout ce que Dieu fait dans leurs âmes et à ses desseins sur elles.

Et voici la source de quantité [606] de tromperie en plusieurs âmes, ne considérant pas assez de près si elles sont suffisamment dans la soumission et subordination à Dieu, pour toutes les aspirations et les bons mouvements qu’elles ressentent, ou bien si ce qu’elles font, est conforme aux desseins de la page de sa Majesté sur elles, connus par les Supérieures et les règles de l’état et condition où elles sont. Si cela n’est pas, sachez assurément que ce n’est que mensonge, tous ce que vous faites par précipitation, préoccupation d’esprit, ou persuasion de vos inclinations corrompues, n’étant en vérité que tromperie et mensonge, quelque apparence de bien et bon intention que vous ayez.

Voulez-vous donc être conduite [607] par la Vérité divine en toutes choses, unissez-vous humblement à ses inspirations et bons mouvements intérieurs (réglés par les personnes que Dieu vous a donné) de plus, tâchez en toutes choses de remarquer le dessein de Dieu, soit sur ce que vous avez à faire dans votre condition, ou ce que vous y avez à souffrir, ou généralement ce qui vous arrive dans tous les accidents de la vie, comme la vérité qui doit sanctifier votre âme, et l’unique vérité que vous devez poursuivre sans relâche.

Remarquez que ceci est de si infinie conséquence pour le salut et la perfection des âmes, que le démon et la nature se joigne continuellement pour mettre opposition à la fidélité constante, [608] qu’une âme doit avoir vers ces choses ; car il n’y a rien qui soit si pénible que d’être fidèle à faire tout ce que Dieu veut dans la condition où l’on est, l’on désirerait volontiers toutes autres inspirations que celles que Dieu donne en l’âme, les providences actuelles sont tout à fait fâcheuses et pénibles et ainsi généralement l’on aime et l’on désire tout autre chose que ce que l’on a ; car la vérité de l’opérer de Dieu, a ce propre d’écraser et de ruiner l’amour-propre, comme cette même vérité en Dieu fait désirer sa communication. Et ne remarquez-vous pas que les pauvres âmes qui ne se joignent pas assez fidèlement à ce que Dieu désire et fait, sont toujours faméliques, voulant toute autre chose que ce qu’elles ont. [609]

Arrêtez-vous à considérer ceci par détail dans votre âme, et vous remarquerez que c’est une vérité presque générale à tout le monde : ce qui est la cause que très peu font usage de ce qu’elles ont, et de l’état où elles sont, et de plus, que leur esprit et leurs volontés sont toujours remplies de desseins creux et vague qui jamais n’ont leur effet.

Soyez donc fidèles à cultiver les inspirations de Dieu, et généralement tout ce qu’il veut de vous dans l’état où vous êtes, dans les providences et accidents qui vous arrivent, dans les rencontres les plus inopinées, car par tout cela Dieu vous marque sa volonté actuelle sur vous, ce qui sera le principe de votre salut et de votre sanctification, et tout le reste que vous, [610] pourrez faire ou désirer, et qui ne sera point dans cette union et dans cette correspondance (même par bonne intention ou beaux prétextes) sera toujours tromperie et mensonge.

Tâchez donc de vous rendre fidèle et de remédier présentement à tous les défauts que vous remarquez avoir fait contre ceci, car cela est d’infinie conséquence.

III.

Considérez que Dieu est si véritablement la première et unique vérité, qu’il est la règle de toute vérité, par ses paroles contenues dans la sainte Ecriture, chacune renfermant des vérités infinies, de telle manière que les hommes s’en doivent servir pour voir en tout la vérité, et découvrir le mensonge de chaque chose ; car elles [611] expriment admirablement le jugement que Dieu en fait.

Conformément à ceci, ayez grand respect pour chaque parole de la sainte Ecriture, est très spécialement pour celles que Jésus-Christ Vérité éternelle a prononcée par lui-même, pour vous être une règle de vérité.

Voyez aussi par elles, quel est le jugement qu’il porte de toutes choses ; car c’est celui seul que vous devez suivre, ne les estimant, ne vous en occupant, et ne les désirant, que selon l’approbation qu’il en porte.

Et afin de discerner cela plus clairement, réfléchissez sur la vie de Jésus-Christ et sur ses paroles, et remarquez qu’il a choisi la pauvreté, la souffrance, le mépris, et cela par préférence aux richesses, [612] aux honneurs et aux délices de la vie : il a dit le même en divers passages, condamnant ces mêmes choses, comme des empêchements au salut et à la perfection. De plus, ne voyez-vous pas que généralement dans tous les discours qu’il a tenu à ces saints Apôtres et aux Peuples, il a condamné le monde, et généralement tout ce que le monde trouve de plus délicieux, choisissant pour son partage et celui de ses bien-aimés disciples, les peines, les tristesses, et généralement tout ce qui se trouve de crucifiant la nature et les sens : c’est pour cet effet qu’il a dit que la béatitude de cette vie est dans toutes les choses contraires à celles que le monde estime béatitude, comme celle-ci : [613]

Bienheureux sont les pauvres ; car à eux est le Royaume de Dieu. Bienheureux ceux qui souffrent persécution. Bienheureux ceux qui pleurent, etc.

Après avoir pesé tout ceci l’un après l’autre, réfléchissez sur vos pensées et sur le sentiment que votre cœur porte de son contraire, et vous verrez que votre âme a été continuellement dans le mensonge, et courant après le mensonge. Croyez-moi, il est d’infinie conséquence pour votre salut et perfection, que votre âme soit fortement convaincue, qu’en ceci est l’unique vérité, afin qu’elle se détrompe du jugement qu’elle porte de chaque chose, et qu’elle prenne une autre route qu’elle n’a pas fait. Toutes les fois donc que la nature, le [614] Démon ou le péché vous voudront tromper par de fausses lumières et de fausses persuasions, découvrez leurs mensonges par la lumière infinie de vérité contenue dans les sacrées paroles de la sainte Ecriture.

Vous êtes souvent en peine de discerner la vérité de votre intérieur, et si vos actions sont dans l’ordre de Dieu, voyez si Jésus-Christ les approuve : c’est-à-dire si elles sont conformes au jugement qu’il a porté de chaque chose, et de la voie unique qu’il faut tenir, pour être dans son amour et marcher sur ses pas dans la voie de salut et de perfection.

Ne m’avouerez-vous pas que très peu marchent dans la vérité, faute de faire assez réflexion sur la lumière admirable du saint Évangile, [615] ne soyez donc point, au nom de Dieu, du nombre de ces personnes, et servez-vous de cette sainte Retraite et Solitude pour vous détromper.

7e jour. De la sainteté divine.

I.

Considérez que Dieu dans tout ce qu’il est, soit selon les personnes ou ses attributs divins, est infiniment saint, ou pour mieux dire la sainteté même, étant tout appliqué vers lui-même, en connaissance, et en amour : ce qui le sépare de [617] tout le créé, se contentant de lui-même, et étant suffisant à lui-même, sans avoir nécessité d’aucune créature qui lui puisse faire contracter quelque impureté par leur mélange : les pauvres créatures tout au contraire ne sont qu’impureté en elles-mêmes, pour deux raisons.

1. Parce qu’elles ne s’occupent pas de Dieu en le connaissant et l’aimant, ce qui est la seule cause et origine de la sainteté ; mais au contraire continuellement s’occupent des créatures, et se remplissent de leur amour, n’ayant presque aucune application que vers elles.

2. Parce qu’ayant le fond de corruption en elles, qui les fait continuellement pencher vers les créatures et vers le péché, au lieu [618] de se faire violence pour s’appliquer à Dieu par amour ; elles sont très suavement traînées vers l’impure occupation des choses créées, ce qui leur cause l’impureté continuelle et très naturelle, c’est-à-dire sans qu’elles sentent aucune inclination qui contrarie cette pente.

Avez-vous jamais bien réfléchi sur cette vérité, que l’occupation de Dieu seul et son amour, est le principe de la sainteté ? Voyez présentement que vous ne devez nullement vous étonner pourquoi vous remarquez tant d’impuretés dans votre âme, l’extrémité d’occupation en est la cause, d’autant que vous vous appliquez si peu à Dieu durant le jour, et aussi avec si peu d’amour et de fidélité, que je m’assure que vous en êtes reprise [119] très souvent. N’est-il pas vrai que vous l’êtes aussi ordinairement à cause de l’inclination très grande que vous avez de vous entretenir avec les unes et les autres d’un million d’affaires sans nécessité. De plus, c’est une fluidité de paroles oiseuses, de discours inutiles, souvent des railleries, et autres telles occupations qui marquent véritablement votre oubli de Dieu, et l’inclination naturelle que vous avez de vous occuper des choses créées.

Enfin cet embarras de passions que vous en ressentez si souvent, n’est-ce pas un nuage qui continuellement empêche et rabaisse votre âme, quand bien vous voudriez faire quelque effort pour vous appliquer à Dieu ?

Toutes ces choses sont la cause [620] [µ manquent 620 et 621] [622]... haïr soi-même, et à combattre ses inclinations corrompues, afin d’en jouir, de telle manière que quoiqu’un qu’un cœur soit fort éloigné de Dieu, si cependant on est un peu fidèle à se faire violence, pour s’occuper de lui, assurément, et de passionné qu’il était, pour s’occuper des objets créés, devient désireux de se quitter et mourir à soi pour jouir de Dieu. De plus, l’occupation de Dieu, comme objet de sainteté, insensiblement ravit l’âme de sa beauté ; car peu à peu en le considérant, elle y rencontre tant de beauté, dans un goût de sainteté si délicieuse, qu’insensiblement elle est attirée à s’en occuper, et en faire l’objet de ses poursuites et de son amour : d’où vient que souvent [623] vous trouvez de pauvres âmes toutes enjouées de l’occupation et amour des créatures, être en peu changées dans leurs sentiments, et en leurs désirs, s’étant un peu occupées de Dieu.

N’est-il pas vrai que vous êtes infiniment coupables, faisant maintenant réflexion sur le peu que vous vous occupez véritablement de Dieu, ne faisant autre chose que de vous occuper de vous-même et de vos inclinations ? Faut-il être étonné si vous voyez peu de véritable sainteté dans votre âme, et au contraire une source continuelle d’impuretés.

Cet ennui, ce chagrin, cette mélancolie, qui vous rend souvent insupportable à vous-même, et qui fait que vous rôdez à toute heure de celle en celle, et de coin [624] en coin dans la maison pour déchirer l’une et l’autre. Tout cela ne vient-il pas véritablement de ce que vous n’avez point d’objet qui occupe et rassasie votre âme, c’est-à-dire que Dieu n’est pas l’objet de votre amour ?

De plus, toutes ces petites intrigues, ses confidences les unes avec les autres, ne sont-elles pas encore des marques que cet objet divin n’est pas l’occupation véritable de votre âme ? Car si cela était, le simple regard imprimerait en vous une désoccupation des choses dont vous n’avez que faire, et un désir d’union véritable avec votre prochain.

Sachez donc que jamais vous ne trouverez la sainteté corps remédiant à toutes ces choses, et que pour y remédier, il faut puiser [625] la grâce pour cet effet en Dieu seul, vous occupant de Dieu comme l’objet véritable de la sainteté. Ne vous flattez pas ; jusqu’ici, vous avez badiné au fait de la dévotion. N’est-il pas vrai que vous avez cru que c’était assez pour vous sanctifier, de vous occuper tellement quellement de Dieu en une demi-heure ou une heure d’oraison, sans travailler fortement à y puiser la sainteté, qui n’est autre en vérité que remédier à tout ce que vous venez de voir, et que vous sentez dans votre âme, pour vous occuper amoureusement et solidement de Dieu l’objet de toute sainteté ?

III.

Considérez et pesez bien que Dieu est tellement la sainteté [626] même et primitive, qu’il est l’origine de toute sainteté dans les créatures, n’y en pouvant rencontrer que par participation à la sienne : ce qui est cause que par une bonté infinie, il opère incessamment en ces pauvres créatures, afin de les garantir de leur propre corruption, et les élever à la connaissance et à l’amour de lui-même.

De plus, il est le modèle de toute sainteté. Soyez saints comme votre Père Céleste est saint, dit-il, ce qui est la cause pourquoi lui seul est le modèle parfait de toute sainteté, de telle manière qu’il est impossible d’en avoir aucune, que par ressemblance à ses perfections, et soumission à ses ordres et volonté, enfin il est tellement la sainteté de toutes créatures raisonnables, [627] que c’est par la communication de lui-même qu’il les sanctifie, étant leur sainteté formelle : ce qui dit un amour admirable et une inclination vraiment amoureuse de se communiquer aux pauvres créatures ; car voyant le besoin et la nécessité qu’elles ont de se sanctifier pour se retirer de la corruption infinie d’elles-mêmes, et que cela ne se peut, que par son union et sa communication, il est continuellement dans le désir de le faire, si l’on n’y apportait un empêchement très notable.

Après vous être convaincue fortement de ces grandes et importantes vérités, voyez combien vous perdez de grâce, d’autant que Dieu amoureusement plein de bonté pour vous, fait découler [628] sans cesse une influence céleste, pour vous retirer de votre propre corruption, et cependant faute d’y être fidèles, vous vous coulez et précipitez de défauts en défauts, et vous vivez toujours de la même manière. Combien de mouvements, de lumières, de touches amoureuses pour vous découvrir la corruption où est actuellement votre âme, et tout cela n’opère rien.

De plus, faites un peu de réflexion sur le peu de participation et de ressemblance que vous avez avec Dieu, où est cette patience, cette douceur, cette charité, toute bienfaisante à tout le monde, et qui prend tout en bonne part sans juger personne ; mais au contraire, qui emporte tout, cachant adroitement et charitablement les [629] défauts des autres. N’est-il pas vrai en vérité que vous n’avez rien de solide pour cette ressemblance ? Vous contentant de certains désirs, sans qu’il y aie rien d’effectif, et même si parfois on vous en dit quelque chose, vous montez aux nues.

Enfin, n’êtes-vous pas infiniment dignes de compassion ? Dieu étant pour vous, et pouvant jouir de lui : et cependant vous postposer cette faveur si signalée à une bagatelle, à un je ne sais quoi, qui occupe votre cœur et remplit votre esprit de soins inutiles, et sollicitudes creuses. Ne voyez-vous pas que tout le monde n’est pas un atome, comparées au bonheur qu’une âme possède par cette faveur ? Et cependant vous la négligez pour si peu de chose. [630]

Faites ici réflexion solidement sur ce qui occupe actuellement votre cœur depuis quelques jours, et voyez si cela est comparable à l’union et à la jouissance de Dieu, qui est un bien infini.

qui est un bien infini.

8e jour. De la Sapience et Providences divine.

I.

Considérez que la divine Sagesse est une perfection infinie, par laquelle Dieu se connaît et contemple lui-même dans toutes ses grandeurs et perfections, prenant de là un plaisir infini en lui-même. Cette divine Sagesse étant la lumière par laquelle Dieu se connaît avec un goût infiniment [632] délectable, est aussi la véritable lumière qui doit éclairer toutes les âmes qui sont assez heureuses d’être élevées à la connaissance de la Majesté divine : elle seule a droit de leur découvrir les beautés de Dieu, et de leur donner un goût admirable pour les attirer à leur union et participation : c’est pour cet effet que Dieu tout bon la fait découler incessamment sur les âmes.

Étant pénétrée de cette vérité, voyez la perte infinie que vous faites de ne vous mettre pas en état de participer à ses divines perfections, voyant bien que que la raison pourquoi votre esprit est si bouché pour les choses divines, et votre cœur si peu amoureusement et suavement attiré, est que vous participez peu, ou poiont du [633] tout à cette divine Sagesse, laquelle assurément ne se révèle qu’aux petits et nets de cœur, c’est-à-dire sevrés d’un million de plaisirs et satisfactions humaines.

Quel plaisir au contraire, quand un esprit se voit éclairé de cette divine et amoureuse lumière ; car c’est son propre de faire voir et goûter toutes les merveilles de Dieu, ce qui console et anime beaucoup un cœur.

Ne vous étonnez point du tout de vous voir souvent dans la pauvreté et aridité ; car assurément cette divine Sagesse ne se communique qu’autant que l’âme est fidèle à en faire usage : ce que vous remarquez fort bien n’être pas, par tous les défauts actuels que vous commettez. Et comme un atome en l’œil brouille et empêche [634] la vue, aussi tous ces manquements, que vous jugez et appelez petit, sont autant de poussière qui actuellement et aussi continuellement vous empêchent cette belle et agréable lumière.

Prenez donc bien garde de ne pas juger les défauts être petits, quels qu’ils soient ; car assurément ils ne sont pas tels, étant remarqués comme un empêchement à cette divine sagesse.

II.

Considérez que Dieu par cette même divine Sagesse par laquelle il se connaît et contemple, va aussi produisant ses créatures, pourvoyant à leurs besoins, les conservant, et généralement y soignant, jusqu’à la moindre chose qui les touche, prenant un plaisir admirable en la communication de [635] cette divine sagesse, pour cet effet n’ayant d’autre regard en cela que sa gloire et son plaisir infini, ce qui est d’une consolation extrême aux âmes qui approfondissent ces vérités ; car par là elles goûtent combien Dieu a de plaisir au milieu de ses créatures qui rapportent tout ce qu’elles font, et tout ce qu’elles peuvent à cette Sagesse infinie, faisant toutes choses par sa conduite et l’entreprenant rien qu’après l’avoir consulté ; car comme c’est à elle à tout conduire pour la gloire de Dieu, par des fins admirables et infiniment relevées, aussi se prennent-elles garde de l’empêcher en quoi que ce soit ; mais plutôt font-elles tout ce qu’elles peuvent pour être dans une soumission et une subordination profonde à sa conduite. [636]

Adorez souvent cette divine Sagesse dans votre création, et dans le soin qu’elle prend de tous les moments de votre vie : arrêtez-vous souvent, quand il vous arrive quelque chose de fâcheux et de pénible pour voir que c’est l’infinie et toute amoureuse Sagesse de Dieu qui conduit cet accident pour sa gloire et votre amour, ne laissez pas passer de jour sans reconnaître le soin toute amoureux de cette divine Sagesse, et admirer son application infatigable pour tout ce qui vous touche.

Condamnez souvent vos vues trop courtes qui veulent continuellement se mêler de votre conduite, et dire que la Sagesse divine n’y entend rien ; car tous ses soins empressés de ce qui vous [637] touche, toutes ces inquiétudes de ce qui vous arrivera, ces peines à obéir à une Supérieure et à votre conduite, qu’est-ce autre chose que de dire que la divine Sagesse n’y entend rien, et ne faites point les choses à point et à propos comme il faut.

Et enfin aimez de cœur cette divine Sagesse qui a pensé à vous de toute éternité, comme à tout moment elle le fait, n’y ayant pas un instant en votre vie, où elle ne soit appliquée à toutes choses qui vous touchent, soit intérieurement ou extérieurement : cela n’est-il pas d’une infinie consolation aux âmes qui en font usage ; mais aussi d’une condamnation égale à celle qui l’oublient et le négligent ! [638]

III.

Considérez que comme Dieu a une Sagesse infinie, aussi a-t-il une Providence également infinie, laquelle est incessamment appliquée aux créatures, pour pourvoir à leurs besoins et nécessités, selon les vues et les desseins de cette divine Sagesse, n’y ayant pas un instant, ni un moment qu’elle ne soit en action pour pourvoir à toutes choses, les conduisant à leur fin, les perfectionnant, et généralement leur fournissant tous les secours nécessaires. De dire la manière comme cette divine et adorable Providence sait ajuster toutes choses, et se servir de toutes pour le bien de la Créature32 et la gloire du Créateur, cela est impossible, il vaut mieux l’adorer que le vouloir comprendre ; car [639] elle se sert si admirablement de toutes choses les plus éloignées et les plus contraires, que qui les verrait clairement, comme sera découvert dans l’Eternité, serait dans une admiration continuelle, jugeant certainement qu’il est très vrai ce que dit le saint Esprit,
Filii Altissimi, que nous sommes les Enfants du Très-Haut ; car il n’y a point d’enfants de Prince auxquels l’on prenne tant de soin, et pour lesquels l’on aie plus d’application, généralement pour toutes choses, que Dieu en prend par sa Pivine providence, pour chaque âme.

En vérité, cela n’est-il pas étrange de voir des âmes si peu profité d’un soin si second et si admirable ? Et cependant il est très certain que cette divine providence [640] qui ne se trompe jamais dans ses desseins, ne réussit pas toujours à notre bien, selon qu’elle le voudrait, ce qui est un mal et une perte infinie.

De plus, cette divine Providence est si admirable, que qui serait fidèle à s’abandonner à sa divine conduite, et au soin de son application amoureuse, il n’aurait qu’à recevoir ses influences secondes pour porter un fruit de bénédiction continuelle, n’y ayant rien dans la vie qui ne soit conduit et dirigé par son moyen : ce qui donnerait une facilité admirable de faire usage de la moindre chose (même des plus éloignées et contrariantes) pour la gloire de Dieu et son salut propre.

Ne vous choquez donc pas, et [641] ne vous attristez, quand il vous arrive quelque chose qui vous contrarie et qui semble vous éloigner de vos desseins conçus pour la gloire de Dieu ; car assurément cela vous conduira, si vous êtes humbles et soumise, à la conduite de la divine Providence.

Quoi que ce soit qui arrive, ne vous amusez jamais à discuter et à vouloir comprendre les ressorts de la divine Providence, dans un million de rencontres, il vous suffit de l’adorer humblement, croyant fortement qu’il n’y a rien qui échappe à la divine Providence, sans être conduit et dirigé par elle aux fins de la divine Sagesse.

Que votre cœur donc ne soit plus si alarmé ni troublé, quand il vous arrive quelque chose ; car [642] au lieu de vous troubler comme vous faites, et de vous en prendre à la créature, demeurez abandonnée à la divine Providence de dessus de vos vues et connaissances, et vous verrez à la fin que tout réussira à merveille.

N’est-il pas vrai que ceci vous fait commettre un million de défauts, vous en prenant à l’une et à l’autre, quand une Supérieure vous reprend de quelque chose, ou que l’on vous donne quelque avertissement charitable ? Votre esprit est en quête qui a fait cela, sans voir par une vue tranquille et abandonnée, c’est Dieu qu’il l’a fait ; car la divine Providence se sert de tout, et est généralement en tout, pour le bien de la créature.

Enfin, si l’on vous oublie en [143] quelque chose, soit pour les nécessités de votre corps, de votre esprit, que l’on dise quelque médisance de vous, ou même que vous ne fassiez seulement que le préjuger, tout est en alarme pour vous justifier, pour vous enquérir et pour faire entrer les autres dans vos sentiments, afin de vous soutenir, et vous ne voyez pas cette adorable Providence, qui par une manière admirable, conduit tout cela. Soyez donc plus sage et plus fidèle à vous abandonner amoureusement à cette divine conduite, et vous expérimenterez, paix, joie, et facilité tout à fait grande pour arriver au dessein de Dieu sur votre âme. Si au contraire vous êtes infidèle, vous n’aurez que [644] de la confusion, du désordre, et une âme continuellement empruntée pour tout bien.

9e jour. De la Bonté et Amour divin.

I.

Considérez que Dieu est une bonté infinie, renfermant en soi tout ce qui se peut jamais concevoir de bon, non seulement par les hommes et les anges ; mais par lui même : car il est la plénitude de tout bien, et cela dans une [650] perfection si infinie, que tout ce qui s’appelle bien dans les créatures, n’étant rien en vérité devant la Bonté divine, et si peu qu’elles en aient, étant seulement une émanation et un écoulement de cette source seconde et infinie, ce qui console extrêmement les âmes amoureuses de Dieu, le voyant si infiniment parfait et plein de bonté, non seulement parce que cela a rapport à elles ; mais encore d’autant que cela l’élève au-dessus de tout le créé, c’est la cause pourquoi toutes les âmes peuvent trouver en lui seule la plénitude de tout bien.

Après avoir bien pénétré cette vérité, tâchez de convaincre fortement votre âme de la suite, savoir, que jamais vous n’aurez de solide consolation, ni de rassasiement [647] parfait en aimant les créatures ; car comme c’est la bonté que l’on aime en elle, l’y trouvant si peu votre pauvre âme sera toujours si affamée et si peu satisfaite, que vous aurez plus de mal infinies fois que de joie.

Détrompez-vous des sentiments que vous avez touchant les choses de la terre, assurément vous n’y rencontrerez que des défauts, et une bonté mensongère : ce qui mettra continuellement votre âme en suspens, n’y trouvant rien de vraiment solide : ce qui amuse cependant beaucoup de les pauvres âmes, lesquelles n’en sont pas détrompées qu’après un long temps, et avoir bien perdu des années à courir après un [sic] ombre. Au contraire si votre cœur se tourne vraiment et de la bonne [648] manière vers Dieu, il y trouvera tout bien et en pourra jouir dans une facilité si admirable, que je m’assure que vous direz bientôt à cette bonté infinie, par une reconnaissance d’amour, qu’en le trouvant, vous avez trouvé tout bien, et qu’en se découvrant à vous, il a fait voir à votre âme l’union et l’assemblage de tous les biens.

N’allez donc plus mendiant votre pauvre vie chétivement parmi les créatures et vos inclinations, tournez-vous amoureusement vers ce Dieu de toute bonté, et très assurément il remplira votre âme.

Retenez bien sans jamais l’oublier qu’une des raisons plus fortes pourquoi vous vivez une vie si pauvre, et si peu solidement établies [649] dans la vertu (au milieu des richesses infinies du christianisme) est le peu de connaissance et d’estime expérimentale que vous avez de Dieu tout bon. Convainquez-vous donc fortement et très souvent, que tout ce que jamais vous pouvez comprendre et concevoir de perfection dans les créatures, n’est rien comparé à la plénitude de la Bonté divine.

II.

Considérez que la bonté infinie de Dieu, le rend si infiniment communicable à toutes ses créatures, qu’ils sont en quelque manière hors de tout lui-même pour leur bien, toutes ses perfections étant chacune en leur façon appliquées vers elles, si bien qu’il ne se peut jamais exprimer comme chacune travaille [650] à la production, conservation et perfection de toutes les créatures. Tout cela n’est encore rien, en comparaison de la communication toute bienfaisante de la Bonté divine, pour départir les grâces et les miséricordes qui sont nécessaires pour le salut et la sainteté des âmes ; car c’est avec tant de bonté et tant de profusion, que l’on peut dire en quelque manière, que cette divine perfection bouche les yeux à la Majesté d’un Dieu, afin qu’il se puisse ravaler et rabaisser à ses pauvres et indignes créatures, s’y communiquant par une largesse surprenante et au dessus de tout ce que l’on pourrait jamais espérer ; car ni les péchés, ni les indignités du sujet, ni généralement quoi que ce soit, ne peut empêcher cette profusion du [651] don de Dieu sur les âmes. Lui-même n’en rend point d’autre raison, sinon, quia bonus sum, parce que je suis bon. Cela ne doit-il pas fait rougir les créatures, profitant si peu de l’abondance des dons de Dieu, lesquels assurément se devraient multiplier à l’infini, vu que cette Bonté se communiquant, ne dit jamais, c’est assez, mais seulement est retenue dans sa communication, par le peu d’amplitude du sujet : ce qui est causé par les infidélités continuelles et le peu d’usage que l’on fait des dons de Dieu.

Réfléchissez un peu sur votre occupation intérieure et extérieure, et voyez si incessamment vous tendez à vous remplir de cette bonté infinie, par les diverses pratiques de vertu qui se rencontrent ; [652], car cette Bonté toute bienfaisante, se proportionne à vous pour se communiquer par telles pratiques.

Dieu par son infinie Bonté, est infiniment communicatif à tout le monde, à ses ennemis, et à ses amis, n’étant empêché, ni de la bassesse, ni de la misère, ni de l’indignité de la créature, et vous, vous êtes si chiches pour faire du bien aux autres, et pour soulager ceux qui en ont besoin, que souvent même vous en êtes reprise intérieurement. De plus, vous êtes si partagée dans vos affections, et dans les plaisirs que vous pouvez faire aux autres, qu’il n’y a que vos bonnes amies qui y aient part, n’y regardant que la nature et vos inclinations, jusque-là même que dans la distribution [653] des choses de la sainte Religion que vous avez en main par office, vous regardez continuellement le sang et la chair, corrompant ainsi le don de Dieu. Si l’on vous a fait quelque chose qui vous aie choqué, quoique que de peu de conséquence, c’est assez pour n’avoir plus de part en votre amitié, et ne recevoir plus aucun bien de vous, gardant toujours quelque froideur dans le cœur, et souvent des paroles mal-gracieuses, donnant à tout moment le fait, quand il s’en rencontre quelque occasion, ce qui est tout à fait contre l’inclination de Dieu, qui oublie si facilement ce que nous avons fait contre lui, et attends avec tant de patience les moments de ce pouvoir communiquer à notre cœur, pro ad ostium et pulfa ie [654] toujours à l’ouverture du cœur, et le frappe incessamment pour y pouvoir rentrer et y être reçu avec amour.

Tâchez généralement pour imiter Dieu en sa bonté, de vous rendre bienfaisante en toute manière, agréable en vos paroles, charitable en vos entretiens, supportant les défauts des autres, et toujours prête de faire du bien à toutes celles que vous verrez en avoir besoin, sans autre distinction que de la plus grande charité.

III.

Considérez que Dieu est aussi également amour qui est Bonté infinie.

1. S’aimant lui-même par un amour infini et égal à lui-même.

2. En nous aimant d’une manière [655] si infinie, qu’elle ne se peut jamais comprendre par aucune créature, nous aimant par le même amour, par lequel il s’aime, étant aussi ancien que le sien propre, puisque c’est de toute éternité, et que ce sera dans toute l’éternité qui nous aimera selon ses desseins.

Enfin, c’est par une profusion si amoureuse de toutes ses grandeurs et de toutes ses bontés, que cela est surprenant à qui le considère attentivement ; car il n’y a rien en lui-même dont il ne fasse part, par amour aux âmes qui sont assez heureuses de correspondre à ce divin amour, s’inclinant et se rabaissant avec tant d’excès, pour s’approprier à la capacité de la créature, qu’il est certain que tout ce que l’on dit [656] de l’amour profane, n’est rien d’égal à l’amour divin : Sic Deus dilexit mundum, etc. Dieu a tellement aimé le monde, qui a livré et donné son Fils pour ses pauvres créatures, afin de les délivrer du péché et de leurs misères : ce qui dit un amour infini, d’autant que le présent qu’il donne est infini, et qu’il expose ce même Fils, qui est la tendresse de son cœur, au tourment, au mépris, aux souffrances, et généralement à tout ce qui se peut trouver de pénible, afin d’en délivrer ses très chéries.

Cela n’est-il pas surprenant à qui considère sérieusement cet amour divin, et tout ensemble, ne donne-t-il pas une confusion infinie aux pauvres âmes qui ne peuvent avoir de cœur, que [657] pour aimer les créatures, et une infinité de bagatelles, oubliant un amour si infini et si admirable.

Voyez un peu dans votre âme, en vérité ce que vous aimez, et si jamais vous avez réfléchi à tout ceci de la bonne manière.

En vérité que faites-vous pour se divins amours, n’est-il pas vrai qu’au plus vous vous concentrez de ne pas offenser Dieu ? Mais de l’aimer, hélas ! Vous ne savez ce que c’est ? Et cependant Dieu a fait de son amour une béatitude en commençait pour les âmes qui savent aimer.

Quand Dieu par amour vous demande quelque chose, vous croyez être misérables, et vous [158] lui donner comme une chose très pénible, parce que vous ne prenez nul plaisir à me contenter amoureusement. Et au contraire tous les plaisirs de Dieu hors de lui-même, sont d’être avec vous, et de s’y communiqué.

Humiliez-vous profondément en la vue de toutes ces vérités, et désirer aimer Dieu de tout votre cœur, et tâchez de prendre une résolution forte de l’aimer incessamment, et assurément il vous octroiera cette grâce, si vous lui demandez avec humilité et confiance ; car non seulement il le désire amoureusement ; mais il vous la commandait absolument : tu aimeras ton Dieu de tout ton cœur de toute ton âme et de toutes tes forces.

10e jour. De la Puissance divine.

I.

Considérez que Dieu a une puissance infinie, ou plutôt est la même puissance, toutes ses perfections ayant un pouvoir infini : ce qui dit des merveilles en Dieu, et le relève infiniment au-dessus de [661] tout le créé, toutes les créatures n’étant qu’un atome, ou plutôt n’étant pas devant ce pouvoir divin ; car toutes reconnaissent Dieu pour leur Créateur, et celui qui leur a donné tout ce qu’elle possède.

De plus, tout ce qu’il y a de puissance dans le monde, relève de son autorité, comme les rayons du corps du soleil : ce qui est assurément admirable à considérer en Dieu, voyant toutes ses perfections l’une après l’autre, chacune dans son pouvoir faisant des merveilles, dans la création, la conservation et la perfection de toutes choses, n’ayant nulle borne ni limite en leur opérer, pouvant faire des choses infinies, plus belles et plus excellentes que celles qui paraissent. [662]

Voyez bien et considérez attentivement que la vue de ce divin Attribut est admirable et infiniment consolante à un cœur qui aime Dieu, d’autant que l’amour rend commun toutes choses aux personnes qui s’aiment : et de cette manière l’on se peut approprier cette admirable et infinie puissance divine, s’en servant et ses besoins, et se fortifiant par son pouvoir contre les attaques que l’on peut souffrir.

Sachez que la communication et la participation de cette divine puissance en Dieu, ne se fait en la créature qu’à mesure qu’elle s’apetisse et s’humilie : d’où vient que pour tout pouvoir, et être infiniment forte, il faut être et se reconnaître infiniment faible : j’en dis autant du pouvoir de toutes [663] les autres perfections ; car afin que la Sagesse soit toute-puissante dans une créature, il est besoin qu’elle détruise fortement sa sagesse humaine, devenant saintement folle : afin que l’amour divin soit infiniment puissant, il faut que l’amour humain agonise et meurt, et ainsi généralement de toutes choses ; car Dieu n’est infiniment puissant en une âme, et pour une âme, que lors qu’elle lui livre tout son pouvoir, se réduisant au non pouvoir33 ; mais quand cela est, qu’une âme est heureuse dans sa pauvreté, son indigence, et la connaissance très grande de sa misère ! Puisque véritablement elle peut faire usage en cet état, de tout le pouvoir divin : c’est ce qui faisait trembler les démons devant saint Antoine, et beaucoup d’autres [664] saints, ce qui faisait aussi que les Lions, les Soldats, et généralement toutes les créatures armées contre de pauvres et faibles Solitaires, étaient désarmées de leur pouvoir, et réduites dans une impuissance générale de leur nuire.

Mais au contraire, parce que les créatures ne sont qu’orgueil et suffisance en elles-mêmes, s’appuyant sur leur pouvoir, elles sont infiniment faibles ; car elles ne sont rien. C’est ce qui a été la cause que plusieurs personnes, se confiant en leur force, ont été vaincues et surmontées, par des gens qu’ils croyaient infiniment au-dessous d’eux : d’autres qui se croyaient très sages, faire des folies et des faiblesses d’esprit incompréhensible, etc.

Tâchez donc de faire usage [665] de ce Don admirable, et de dire souvent à votre âme, Dieu m’est Toute-puissance, si je veux en user comme il faut.

II.

Considérez que cette Toute-puissance divine éclate admirablement dedans l’étendue de son pouvoir, vu qu’elle ne peut pas seulement faire des choses à l’infini, infiniment plus belles et plus parfaites ; mais encore peut faire toutes ces choses en un instant, ne demandant nulle succession pour se perfectionner : ce qui est tout différent de la créature, qui n’a de pouvoir qu’en succession, et qui ne peut perfectionner les choses qu’avec le temps, ne pouvant passer de l’imparfait au parfait en un moment. Mais le divin pouvoir, au contraire, est aussi [666] prompt que son vouloir, pouvant infinies choses en un moment, et en infinis lieux distincts et éloignés, ne demandant non plus rien pour lui aider, lui étant aussi facile de les tirer du néant, que de les perfectionner, avec le secours des causes secondes. Un atome devant ce divin Pouvoir, est égal à la créature la plus parfaite qui soit dans le monde, puisqu’il ne peine pas plus pour l’un que pour l’autre, toutes choses lui étant également faciles, quoi qu’elles paraissent plus difficile les unes que les autres au pouvoir humain.

Après avoir considéré sérieusement toutes ces importantes Vérités, tâchez de réfléchir sur vous-même, pour vous humilier dans le peu de pouvoir que [667] vous avez de perfectionner ce que vous entreprenez, et au même temps, entrez dans une grande confiance appuyée sur le pouvoir divin ; car qui peut résister à cette Toute-puissance ?

Ne vous laissez jamais abattre en la vue de votre faiblesse, soit pour la pratique des vertus, le combat de vos imperfections, ou l’entreprise de quelque chose pour la gloire de Dieu, qui vous paraisse difficile : confiez-vous et faites usage du Pouvoir divin, et assurément vous pourrez tout.

Lors que vous vous sentez attaquée de quelque tentation fâcheuse, ou de peines d’esprit qui paraissent vous vouloir abîmer dans leurs excès, demeurez fermes et constants dans la vue [668] et le regard des beautés, de cette divine Toute-puissance : je puis tout en celui qui me conforte.

III.

Considérez enfin que cette divine puissance est si admirable, qu’elle est généralement le soutien et la base de toutes choses, les renfermant et les unissant toutes en elle, afin de les faire subsister dans une vérité admirable : d’où découle tout le pouvoir que les créatures ont pour le gouvernement du monde ; de telle manière, que les Rois, les Seigneurs, les Princes, et généralement toute Créature qui a quelque pouvoir dans la terre, doit reconnaître ce divin Attribut, comme l’origine et la source du pouvoir qu’elle possède, et [669] comme la cause qui lui conserve ce même pouvoir.

Ceci est d’infinie conséquence ; car très souvent ce qui devrait élever les âmes à Dieu, les rabaisse et les en éloigne, d’autant qu’elles s’enflent du pouvoir qu’elle possède par-dessus les autres, en mal-usent, à la perte et au dommage de leur prochain : et enfin se perdent pour l’ordinaire, se l’attribuant par orgueil, n’y ayant rien cependant dans la créature, qui doivent tant reconnaître et se rapporter à son origine, que la participation de cette Puissance.

Si Dieu vous a donné quelque pouvoir sur les autres, humiliez-vous devant sa divine Majesté, et prenez bien garde de vous l’approprier ; car c’est un [670] larcin d’infinie conséquence, et qui porte un très grand dommage à une âme méconnaissante, l’orgueil et la vanité étant toujours la suite de telle ingratitude.

De plus, les âmes qui ne font pas usage du pouvoir que Dieu leur commet, pour l’ordinaire tombent dans de très grands aveuglements, et des fautes très lourdes. Au contraire celles qui en savent user de la bonne manière, en glorifient beaucoup Dieu, et le font régner dans les autres, ce qui est infiniment agréable à sa divine Majesté.

Honorez le pouvoir de l’autorité que vous remarquez dans les autres sur vous, non comme un pouvoir de la créature ; mais [171] de Dieu, et toutes les fois que votre Supérieure, ou quelque autre personne qui aie pouvoir sur vous, vous ordonne quelque chose, que cela vous fasse ressouvenir de l’étendue du pouvoir divin : et de cette manière envisagez Dieu seul dans leurs paroles et leurs ordonnances ; ce que je m’assure que vous ne faites pas, ayant un million de réflexions sur ce que l’on vous ordonne : comme,

L’on m’ordonne cela, et l’on ne le fait pas aux autres.

C’est par intérêt et par passion que l’on me l’ordonne, s’amusant à rechercher les défauts d’une Supérieure, et à la suite en parler à ses confidentes, pour s’en décharger comme d’un grand tort et injure que l’on vous aura [172] fait, de vous ordonner quelque chose qui vous sera un peu pénible ; ou pour votre perfection.

De plus, il faut qu’une Supérieure se rabaisse si humainement, et s’ajuste tellement à vos volontés pour vous marquer quelque chose, que proprement ce n’est pas Dieu qui parle, mais vous-même qui vous ordonnez.

Enfin ce divin pouvoir communiqué aux Supérieures, est envisagé avec tant d’humanité, et d’impureté, que je m’assure que si vous y réfléchissez comme il faut, vous en aurez honte devant Dieu, n’ayant peut-être jamais envisagé une seule fois Dieu purement, vous ordonnant ou vous corrigeant par le ministère de votre Supérieure. [673]

Faites une bonne réflexion sur cet article, et je m’assure que vous trouverez votre âme toute remplie de fautes notables, et d’empêchements très grands de vous rendre à Dieu.

Neuvième retraite. Ou solitude pour passer 10 jours, afin d’exciter l’âme à l’amour de Jésus-Christ.

Avertissement.

Cette retraite qui parle des qualités admirables et toutes pleines d’amour de Jésus-Christ, est très utile pour produire en nous un (676) grand et fort amour vers lui : ce qui nous est tout à fait nécessaire ; car notre cœur est d’une nature qu’il se gagne par l’amour, et cet amour s’engendre en l’âme, s’y enflamme, s’y accroît et s’y conserve par la connaissance des belles qualités de la chose que nous voulons aimer : tout amour ne se portant vers un objet, qu’à cause du bien que l’on y rencontre, et encore plus, quand les mêmes qualités ont du rapport à nous ; car un amour se gagne très facilement par un autre amour. Et comme Jésus-Christ est si infiniment rempli d’amour pour nous, il est presque impossible avec l’aide de la grâce, de le considérer un peu attentivement et avec dessein de l’aimer, qu’insensiblement on ne se laisse gagner à ses inclinations toutes bienfaisantes.

Je crois certainement que si l’on s’appliquait davantage à connaître Jésus-Christ, on l’aimerait aussi davantage, et serait-on dégoûté de l’amour des créatures qui nous charment si adroitement, et nous ravissent une faculté qui ne nous est donnée de Dieu que pour aimer cet Homme-Dieu le centre véritable de notre cœur.

Je m’assure aussi que toute personne qui fera cette retraite avec foi et humilité, y trouvera (678) facilement l’amour, pour aimer un Dieu infiniment aimable, et du même temps expérimentera qu’en ce seul objet l’amour est dans son centre et lieu naturel ; mais qu’étant attaché en une créature, il y est par violence et par un charme trompeur, quoi qu’en vérité il paraisse quelque temps n’y avoir rien de plus doux et agréable, que d’aimer cette personne qui nous a gagné le cœur. Nous expérimentons cependant à la suite, que notre amour ne s’y peut tenir paisible sans un million de peines : ce qui fait que jamais nous ne sommes contents ; comme ont très bien expérimenté ceux qui ont aimé sans ordre ; mais tout au contraire aimant Jésus-Christ, tout y est tranquille.

Premièrement. À cause que l’on aime un objet infiniment aimable.

Deuxièmement. Qui aime plus, et plus solidement que nous n’aimons.

Troisièmement. Dont nous pouvons jouir à tout moment, sans que rien nous le puisse dérober.

Quatrièmement qui est tel, que plus on le connaît et qu’on l’aime, plus on est désireux de le connaître et l’aimer.

Cinquièmement. Qui n’est pas changeant dans sa bonne volonté, comblant de faveurs et marques solides de son amour incessamment et de plus en plus les âmes qui l’aiment. (680)

Tout ceci est si véritable que le voyant dans cette retraite, par les considérations que vous aurez chaque jour, je m’assure qu’avec l’aide de Dieu votre cœur sera éclairé et animé à l’aimer, et excité à se défaire de l’amour trompeur des créatures, et des objets qui vous attirent ; car vous trouverez par expérience (sans qu’on vous le dise) que tout le contraire de ce que je viens de dire, l’amour de Jésus-Christ est en l’amour des créatures : ce que l’on expérimente très souvent ; mais faute de prêter l’oreille à la grâce qui seconderait cette expérience pour aider à s’en retirer, l’on se bouche les oreilles, et l’on se veut faire malheureux, étourdissant toutes les peines que cet amour nous cause par son emportement violent vers l’objet qui nous attire.

Prêtez donc l’oreille, au nom de Dieu, étant en repos et en solitude par cette Retraite, et dites : J’entendrai tranquillement ce que Jésus-Christ me dira au cœur, et tâcherait de juger sainement et en vérité des mouvements de mon cœur, pour le déprendre du faux amour et pour l’exciter vers le véritable.

Assurez-vous que si vous le (682) faites de la bonne manière, vous expérimenterez cette divine parole : Je mènerai cette chère âme en solitude, et je parlerai à cœur, en le lui gagnant agréablement et amoureusement par la vue de mes beautés et de mes amours vers elle.

De plus, cette solitude est encore nécessaire, d’autant que le cœur étant parfaitement gagné pour Jésus-Christ, il se portera agréablement et avec plaisir dans le travail solide que l’âme doit entreprendre pour se conformer à lui ; et comme ce travail n’est doux que pour les Amants de Jésus-Christ, et très rude pour ceux qui aiment la terre, sans doute il est de la dernière conséquence qu’un cœur soit gagné, afin de faciliter sa peine, et que l’on puisse à grands pas courir après ce divin Maître.

La lecture se doit prendre dans le Livre des Enseignements spirituels, où l’on traite de l’amour de Jésus-Christ, et de la dévotion envers ce Dieu-Homme.

Prenez courage, quoi que vous vous voyiez beaucoup plongée dans l’amour des créatures, et en vous-même ; car si vous vous comportez en cette retraite comme il faut : c’est-à-dire avec beaucoup d’humilité, foi et désir de connaître (684) pour aimer Jésus-Christ, et vous déprendre de vos mauvaises inclinations, assurément notre Seigneur vous assistera.

Afin de beaucoup profiter de cette retraite, il faut pour l’ordinaire être déjà un peu exercé par les précédentes, qui traite du péché et des pratiques fortes, la purgation, d’autant que celle-ci commence à donner la grâce plus pure.

Ce n’est pas que parfois l’on peut sentir un désir de se convertir et de se donner à Dieu, d’une telle manière qu’elle sera fort utile dès le commencement afin d’éclairer et détromper fortement l’âme.

Finalement il faut durant tout le temps de la retraite avoir grande dévotion vers les saints et les saintes qui ont aimé spécialement Jésus-Christ Dieu homme, et en rechercher afin de s’y adresser ; mais particulièrement à la sainte Vierge, aux saints Apôtres, sainte Magdeleine et autres qui l’ont conversé, et ont reçu les prémices de son esprit. Vous devez inventer plusieurs moyens pour les honorer, et vous unir à leur grâce et leurs zèles, pour l’aimer, vous servant de fois à autres de quelque parole amoureuse vers ce divin Jésus, afin de vous (686) veiller et vous exciter à l’aimer. Je prie notre Seigneur de vous donner abondamment sa grâce pour cet effet.

I.Jour. Jésus-Christ Dieu homme. Méditation. Un.

µ Suite à corriger

Considérez que cet homme que vous voyez infirme et faible, né dans une crèche, si pauvre dans son métier et si abject dans sa conversation et dans sa mort (688) est un Dieu, la grandeur même, Fils de Dieu, égal à son Père, lequel lui adresse ces paroles : je t’ai de toute éternité engendrée dans la splendeur des saints. Sa génération éternelle étend leur béatitude par la communication de toutes ses divines perfections, qu’il possède par unité avec le Père et le saint Esprit.

Les pauvres hommes qui ne voient que ce que leur vue très grossière leur découvre, et leur sens trompeur leur manifeste, ne jugent pour l’ordinaire de Jésus-Christ, que comme d’un homme tel qu’il le voit, sans s’élever par la foi au-dessus de même, pour découvrir la divinité cachée sous le voile de son humanité, voyant la splendeur de sa génération éternelle, quoique que dans le temps, découvrant la beauté de toutes ses grandeurs et est infinie perfection toujours éclatante dans le sein de son Père, quoique que cacher dans la faiblesse d’un pauvre homme, et voilée par l’obscurité d’une vie très basse,

toutes les fois que vous envisagez Jésus-Christ, que la première chose que vous découvrirez en lui, soit la divinité et l’éclat de ces infinies perfections, et assurément chaque état de sa sainte vie vous paraîtra infiniment digne de respect : ce qui vous fera sera un moyen admi érable pour pénétrer avec grande efficace les divins Mystères.

Quand vous voyez la grandeur infinie de Jésus-Christ qui vous aime avec tant d’heureux de vérité, cela ne (690) (690 à 693 manquent µ)

(694) manifestant par l’humanité, que par le mérite infini et les grâces très grandes, dont ses Mystères sont la source : ce qui ravit continuellement une âme dans la vue de tous les Mystères de ce Dieu homme, et ce qui fait que des aussitôt que l’on a commencé à découvrir ainsi la divinité dans l’humanité un cœur ne peut être satisfait qu’en continuant cette même vu dans les moindres choses qui touchent ce Verbe incarné : d’où vient qu’une seule parole, la plus petite action, et la moindre circonstance qui touche Jésus-Christ, lui paraît une merveille si admirable, qu’elles ne mettent pas de différence entre la vue de Dieu en sa Divinité ou son humanité.

Ceci est infiniment consolant pour une âme qui veut s’occuper de Jésus-Christ de la bonne manière : d’autant que la vue des moindres choses de son humanité, l’occupe si agréablement et si pleinement, que celui est un continuel rassasiement auprès de Dieu, je dis plus un commencement de béatitude ; car quelle joie tous les ans dans les renouvellements des Mystères, de voir et découvrir un Dieu se communiqué si amoureusement à sa créature : et une des raisons pourquoi très peu boivent avec très grande plénitude dans ses sources infinies est, qu’elle ne s’habitue pas à voir et découvrir Dieu dans son humanité, ou plutôt que tous ces Mystères sont les Mystères d’un Dieu.

N’est-il pas vrai que vous avez (696) perdu infiniment de temps en ces saintes fêtes, faute de cette lumière, et que souvent vous vous plaignez de ce que Dieu ne vous console pas, parce qu’il ne se communique pas à vous ? Et tout cela est, faute de découvrir cette vérité, laquelle supposée, ce renouvellement des Mystères chaque année, est une communication continuelle et une effusion perpétuelle de Dieu pour nous.

Au que si vous saviez ce secret ! Vous ne pourriez jamais prendre de plaisir dans la terre, qui peut être comparable en aucune manière, au délice perpétuel qui se trouve dans la vue de Jésus-Christ homme Dieu. Et toutes les fois que vous seriez tristes, ou que quelque affliction vous menacerait, au même temps vous tourne auriez vers ce refuge et cette consolation, et vous y trouveriez toutes choses pour vous satisfaire.

Je dis plus, il n’y a pas de tentations, pâtes faiblesse, pas de penchant de la nature, pas de fautes commises, dont cette vue ne soit un remède.

Enfin c’est la source et l’origine de l’amour ; car qu’y a-t-il de plus aimable de plus charmant à un cœur, que de voir à Dieu se faire homme et souffrir ce qu’il a souffert, faire ce qu’il a fait pour gagner nos cœurs ?

Tâchez donc très souvent pour exciter ce divin A mourant vous, de vous servir de la vue ordinaire de Jésus-Christ Dieu homme. Et je m’assure que si vous le faites de la bonne manière, vous (698) y réussir et avantageusement.

III.

Considérez que non seulement l’humanité sacrée a été divinisée par l’union du Verbe divin, et par une même suite toutes les actions de ce même Dieu ont été divines ; mais encore ce qui est plus admirable, il a divinisé d’une très éminente manière toutes les choses qu’il a portées en son humanité sacrée, comme la pauvreté, le mépris, les souffrances, et généralement tout ce que ce Dieu homme a pris pour son partage : car étant pauvre, il a divinisé en lui généralement toute la pauvreté qui sera souffert dans le monde par union à lui et en son esprit ; je dis la même chose généralement touchant toutes les dispositions dans lesquelles il a été durant toute sa vie : ce qui est d’une entre étendue admirable et d’une très grande consolation pour les âmes amoureuses de Jésus-Christ, d’eau d’autant qu’elles peuvent à tout moment jouir de sa sacrée présence d’une manière très relevée, pouvant avec très grande facilité souffrir quelque chose, ou être en quelque disposition de pauvreté ou de mépris ; car comme ces choses sont très ordinaires dans la vie, une âme qui sait ce secret, peut par disposition intérieure en faire usage, et ainsi avoir véritablement Jésus-Christ.

Devant que le Verbe se fut incarné, souffrir la pauvreté, le mépris, ou quelque douleur, etc. était une chose sainte ; mais après que le Verbe incarné les a divinisés en sa personne, ce ne (700) sont plus pratiques seulement saintes, mais divine. Et qui a goûté par expérience ce Mystère, c’est si certainement cette vérité, qu’il ne fait nulle différence de la présence intérieure de Jésus-Christ, dont parlent tous les Pères spirituels, et d’une fidélité à souffrir quelque chose en esprit intérieur et d’union à lui : d’où vient qu’une telle âme explique ces paroles de notre Seigneur, en promettant sa présence continuelle jusqu’à la fin des siècles de cette même manière.

Ceci est d’une étendue si merveilleuse pour les âmes qu’il expérimente pour peu que ce soit, qu’insensiblement elles deviennent amoureuses et désireuses des moindres pratiques par conformité à Jésus-Christ. Et ne croyez pas que ceci soit trop relevée, c’est un don que Jésus-Christ a fait à tout le monde ; car s’incarnant, il s’est fait tout à tous pour les enrichir tous.

Prenez donc bien garde conformément à cette grande et importante vérité du christianisme, de ne regarder jamais aucune chose qui ait été en Jésus-Christ (soit de pauvreté, souffrances, mépris, etc.) que comme lui-même, c’est-à-dire infiniment digne de respect, d’honneurs, et d’amour. Pour cet effet, rendez-vous fort fidèle à la moindre occasion, dans les sens passer aucune, sans la cultiver, comme un don du ciel, et à présent d’infinie conséquence. (702)

certifiez-vous continuellement dans telles pratiques, que le cœur tout divin de Jésus, l’portant dans sa sacrée humanité, les âmes non seulement divinisées, parce qu’elle partait d’un support divin ; mais encore les assure comblées par l’abondance de son cœur tout divin, lequel en ces temps s’offraient à son Père Eternel pour obtenir une plénitude de grâce, pour les âmes lesquelles par union à lui serait fidèle à telles pratiques.

N’hésitez donc jamais d’être en la présence de Jésus-Christ, toutes les fois que vous avez quelque chose à porter qui vous fait souffrir, ou vous donne quelques peines intérieures ou extérieures ; et que ceci soit un remède aux scrupules qui vous peuvent venir de fois à autres, savoir si votre âme est unie à Jésus-Christ. Vous passez d’temps infini à consulter tous les Pères que vous pouvez ; mais assurez-vous que ceci est infaillible et même la Pier de touche pour discerner le vrai et faux, de quantité de bonnes pensées qui vous viennent en l’esprit.

Ne vous amusez donc pas assez chimères, mettant la présence de Jésus-Christ ou elle n’est pas ; et assurez-vous que si vous êtes fidèles à la pratique de toutes ces vérités qui ont fait l’occupation de tout ce jour, votre cœur concevra une très grande reconnaissance vers Jésus-Christ, (704) et un amour très fort de le posséder et d’en jouir, quoi qu’il vous en coûte point

II. Jour. Jésus sagesse éternel. Méditation. Un.

Considérez que Jésus-Christ est la sagesse du Père, par laquelle il se connaît et se contemple de toute éternité : par lui seul il comprend toutes ces infinies grandeurs, ce qui est sa (706) joie et sa béatitude si infiniment regorgeant de délices, qu’il n’a besoin de quoi que ce soit hors de lui, pour se satisfaire et contenté. Cette même sagesse éternelle se communiquant aux créatures est la source de toutes les connaissances qu’elles ont et peuvent avoir de Dieu, aucune ayant droits ni pouvoir de contempler sa divine Majesté, que par elle et en son union ; car comme il est la connaissance du Père ; il est aussi leurs connaissances et leur lumière. De plus, il est la source et l’origine de tous les goûts et de tous les plaisirs qu’une âme peut trouver en Dieu, et c’est par lui seul et par son union qu’elle trouve abondance de délices dans sa divinité : cela est si vrai, ou plutôt l’unique vérité, que jamais notre âme ne jouira et ne sera honorée d’aucune connaissance, ni goût de Dieu en quelque manière que ce soit, que par lui : ceci ne doit-il pas porter des âmes à un grand amour et respect pour Jésus-Christ, tâchant d’être fidèle à désirer son union et sa jouissance véritable ? Car qui pourrait exprimer les infinies est très épaisses ténèbres qui sont dans un esprit, quand ils ne l’éclairent pas, l’on n’en serait surpris : c’est en vérité comme un aveugle, qui n’a aucune satisfaction de ce qui est sur la terre, et qui a tout moment est en hasard de se précipiter en beaucoup de périls ; semblablement une âme sans Jésus-Christ, ne voient goutte aux grandeurs ces merveilles de Dieu, et aux choses de son salut, étant aussi privée de toute joie en (708) la participation des grandeurs de la divinité, lesquels étant la joie éternelle de Dieu, le peuvent aussi être de nos âmes par la lumière que sa sagesse éternelle leur communique.

Peu d’âme s’approfondit cette vérité. Tâchez de vous unir souvent à Jésus-Christ présent à votre âme, et soyez toute amoureuse de son union ; car assurément il sera en vous une source de connaissance et de délices admirables cachés aux âmes enfouies en elle-même, et renouveau révélait aux petits et désireux de Jésus-Christ. Ne passez pas de jour sans remercier ces vérités en votre esprit ; car en vérité si vous les goûtiez et en saviez l’importance, vous vous passeriez plutôt infini fois du soleil qui lui tous les jours pour vous éclairer et faire voir les créatures, que de Jésus-Christ sagesse éternel, pour vous découvrir les infinies grandeurs de Dieu, et vous y faire participer par le goût divin de sa sagesse. Enfin retenez cela éternellement qu’elle sonne est la source et l’origine de toute lumière et goût de Dieu.

Aucune âme est malheureuse ment malheureusement dans un très profond cachot (quoique fort brillant te est éclairée pour les choses du siècle) dans son sent son union et sa participation !

II.

Considérez aussi que Jésus-Christ est la sagesse éternelle du Père dans le temps, étant le modèle qui le conduit pour se communiquer, et toutes ses grâces aux âmes, ayant d’autre opération (710) en la terre que conforme à l’idée qu’il a de cet admirable original, le faisant aussi que le former en toutes les âmes, selon les desseins éternels de cette même sagesse, et la capacité et correspondance du sujet : de telle manière que jamais Dieu n’opère à rien dans les âmes, soit peu, soit beaucoup, que ce ne soit une participation de cette sagesse Jésus-Christ Dieu homme, conformément à l’idée de cette même sagesse sur chaque âme.

Peu de personnes approfondissent fortement cette vérité : si elle le faisait, elles auraient un respect et une inclination toute autre pour Jésus-Christ Dieu homme, et non pas le rebut qu’elles ressentent, ni ayant rien de si oublier et si mépriser en la terre, que lui ; je dis plus, que l’on mettant en horreur ; car il est scandale à plusieurs, ayant honte de le professer et se dirent chrétien : et souvent dans les lieux de plus grande piété, rougissant de paraître reconnue dis-je, silencieuses et appliquées à lui, ou bien supportant quelqu’un jure. De plus il est folie ; car assurément on le rebute, ne voulant pas entendre parler de lui qu’il ait été pendu, le rebut du monde, et l’opprobre de tous les hommes. C’est cependant la sagesse unique du Père, qu’il va communiquant tous les jours dans la terre.

Honorer spécialement Jésus-Christ. Premièrement. Vous convainquant fortement de ces vérités. Deuxièmement. Désirant que toutes les créatures en ce soit convaincu. Troisièmement. Si Dieu (712) vous fait la miséricorde de lettres, et de désirer son union et sa conformité, vous appliquant fortement à lui, afin que le Père Eternel vous le communique en abondance ; mais arrêtez-vous à le voir et à le désirer, tel qu’il a donné dans la terre, savoir pauvreté pauvre, abjects, souffrant et méprisé, et attendez-vous que jamais il ne fera sera autre chose, que ce communiqué-t-elle ; car étant sagesse éternelle, cela est sans changement. Enfin ne m’avouerez-vous pas qu’il se trouve peu de véritable communication de Dieu dans sa la terre ? Car il se trouve peu de cette sagesse divine Jésus-Christ homme Dieu, aimez-le, et le demander instamment au Père Eternel, à qui il appartient de le donner

III.

Considérez que Jésus-Christ est aussi la sagesse éternelle de du Père, par laquelle il béatifiait glorifie les bienheureux dans le ciel ; car dans toute l’éternité, Dieu ne glorifiera ses serviteurs qu’en communiquant Jésus-Christ son Fils, et comme dans la terre il le communique comme source de grâce et de mérite par la participation à ces états. Aussi communique-t-il le même glorieux Couronnée récompense. Si bien que ceux qui sont assez heureux de participer dans le temps, à sa communication pénible, jouissent de sa communication glorieuse dans l’éternité. Que tous les hommes approfondissent fortement cette vérité, étant d’une très grande (714) conséquence pour connaître Jésus-Christ est l’aimée, et pour condamner les personnes qui n’en veulent pas dans la terre. Jamais vous n’aurez de lumière de gloire, que dans la communication glorieuse de cet homme Dieu, lequel se communiquant à toutes les âmes glorieuses, ne fera qu’un Jésus-Christ par une union admirable. Quoi nous ne serions glorieux dans toute l’éternité, que par la communication de Jésus-Christ, et en lui nous aurons toutes choses ? Cela est l’unique vérité. Que feront donc les pauvres âmes qui ne l’ont pas aimé ni désirer dans la terre ? Ne faites pas de même ; désirez-le au nom de Dieu, car il le mérite infiniment, et assurez-vous qu’en l’ayant, vous aurez toutes choses.

Renouvelez vous autant que vous pourrez dans son amour en la vue de ces 3 admirables vérités, et répéter souvent dans les méditations suivantes : Jésus l’amour de mon cœur est sagesse éternel, en l’éternité divine dans le sein du Père, dans le temps, et dans l’éternité de la gloire. Cela n’est-il pas infiniment consolant une pauvre âme qui tâche de le vouloir aimer et se conformer à lui par imitation et désire ?

Entrer souvent dans une complaisance amoureuse de ses grandeurs, et quand votre âme veut aider quelque chose, arrêter là par cette vue ; car elle n’est rien comparée@jésus-christ.o que si une bonne fois vous deveniez fortement amoureuse de (716) Jésus-Christ vous auriez la béatitude en commencer, en pouvons jouir à tout moment !

III. Jour. Jésus-Christ est le roi des rois. Méditation. Un.

Considérez que Jésus-Christ étant Verbe du Père et la seconde personne de la très adorable Trinité, il a par origine la qualité de roi des rois, toutes les puissances de la terre (718) étant soumise et subordonné à la sienne. Et comme cette qualité est infinie en excellence et dignité (étant la très souveraine) aussi a-t-il tous les droits qui suivent cette souveraine puissance ; d’où vient que tous les rois de la terre doivent le reconnaître comme leur souverain et leur monarque, duquel ils dépendent entièrement, et devant l’autorité duquel la leur ne paraît et n’ai rien. Ils lui doivent aussi tout honneur, se reconnaissant comme ces esclaves et ses pauvres créatures. La même chose se doit dire de toutes les autres créatures, lesquelles doivent, à Jésus-Christ par le droit de souverain et de roi des rois, tout ce qu’elles sont, tout honneur et respect, et aussi toute obéissance à ses lois et à ses volontés.

Avez-vous jamais bien compris que Jésus-Christ qui vous poursuit à chaque moment pour vous gagner par amour, est de cette qualité et à ce droit sur vous ? Même il pourrait par cette qualité de très souverain, vous faire faire toutes choses, et disposer de vous comme il faudrait, sans que vous lui puissiez demander raison de rien, cependant par amour il poursuit votre cœur, la siège partant de caresse pour le gagner, que qui le saurait, (comme en vérité il est) mourrait de honte qu’un Dieu, un souverain, sera baissa temps inutilement pour gagner un cœur si rebelle.

Pesez bien, que lorsqu’une personne de qualité nous fait quelque (720) bien, cela nous gagne plutôt le cœur que si c’était quelqu’un de moindre qualité : si c’est un prince encore davantage : mais si c’est un roi, c’est par excès : et encore si ce roi oubliant par amour sa qualité, nous cherche et fait 1 million de choses infiniment rabaissant de sa dignité, pour nous gagner le cœur. Qu’est-ce que tout cela comparé à Jésus-Christ le roi des rois ?

Compatissait par amour à ce divin roi amoureux de ses créatures, lequel étend méprisé, que très souvent il est postposé à une horrible et indigne créature, et par un mépris infini de toutes ces poursuites, lesquelles sont négligées, comme celle de la plus chétive créature.

Regarder souvent par amour Jésus-Christ comme le roi des rois, voyant toutes les créatures n’être rien en sa présence, et désirer de tout votre cœur que toute créature l’adore, le reconnaisse, et se soumettent à son pouvoir.

Quoi craignez-vous craindre et vous quelque chose, sachant bien par la foi que Jésus-Christ le Dieu de votre cœur, est le très souverain ? L’on se confie à un roi de la terre, parce qu’il a du pouvoir, et l’on n’a pas de confiance et d’assurance sur le pouvoir très souverain de Jésus-Christ.

Soyez fidèles dans tous les rencontres fâcheux, de vous souvenir de Jésus-Christ, et aussi tôt calmer votre pauvre cœur.

II.

Considérez et pesez bien ces (722) belles paroles de saint Paul : (722) belles paroles de saint Paul : que toutes créatures fléchissent le genou, soit les anges, soit homme et les démons, et qu’il reconnaisse sa souveraineté suprême.

Les premiers regardent continuellement Jésus-Christ comme leur roi, de qui ils dépendent en tout, et sont par une suite dans un respect et une adoration continuelle de ses grandes : que tous les anges l’adorent. De plus, ils reçoivent par cette même souveraineté, généralement tous les dons et toutes les faveurs qu’il est relève au-dessus de toutes les autres créatures, étant pour cet effet chacun selon son degré dans la reconnaissance vers Jésus-Christ leur souverain : ce qui les met dans une vue très profonde de leur rien et de leurs dépendances entières. Enfin ils lui sont si soumis, qu’il n’y a aucune créature qui soit plus souple à ses ordres, que ces célestes esprits : c’est pour cela qu’ils nous sont si fidèles, ne nous quittant pas pour un instant, et n’y ayant rien en nous et hors de nous à quoi il ne soigne, nous traitant même avec beaucoup de respect, et tout cela par la dépendance, qu’ils sont à l’ordre très souverain de Jésus-Christ leur roi et leur monarque : si bien que comme qui verrait dans les saints anges, le respect et l’adoration dans laquelle ils sont à tout moment devant Jésus-Christ comme leur roi et souverain, en serait ravi : ce qui est en eux une opération (724) de Jésus-Christ très relevé.

Les seconds qui sont les hommes, lui doivent aussi la même adoration et reconnaissance, n’ayant rien qu’ils ne doivent continuellement sacrifier pour reconnaître sa souveraineté. Ce qui est (outre ce que j’ai dit en la première vérité) un don spécial donnait à Jésus-Christ en son incarnation sur les créatures : toute-puissance m’a été donnée : si bien que les hommes sont obligés (par le droit de ce don, et ensuite de l’incarnation du Verbe) de reconnaître spécialement, et d’adorer par une adoration particulière la puissance suprême et souveraine de Jésus-Christ homme Dieu.

D’3e ressente et expérimente sa puissance suprême ; car comme cette souveraineté de Jésus-Christ sur les anges, et sur les hommes les obligent à une reconnaissance et à une soumission amoureuse, ce qui est au premier une source très grande de gloire, et au second aussi une source d’amour, et autres infinis dont ses miséricordes, quand ils sont fidèles à lui rendre par amour et respect ce devoir.

L’3e qui sont les démons, ressentez expérimente sa puissance suprême ; ce qui les tourmente infiniment, en rageant de dépendrez de reconnaître Jésus-Christ homme Dieu, pour leur très souverain, qui exercent sur eux par justice des tourments continuels. Et comme cette (716) souveraine puissance en Jésus-Christ, est par amour une source de gloire spéciale et particulière dans les anges, et est aussi dans les hommes l’origine de l’infini don, quand par amour et respect il rende à cet homme Dieu leurs adorations et hommage, aussi cette même autorité suprême de Jésus-Christ, par justice tourmente incessamment les démons dans les enfers.

De plus, ils sont tellement liés et garrottée en leurs puissances par Jésus-Christ leur souverain, qu’ils ne peuvent rien faire dans le monde que par sa permission, paraissant continuellement en sa présence dans un tremblement et une dépendance telle, que l’on peut dire, que depuis l’incarnation, le diable n’a pas de pouvoir que celui que lui que nous lui donnons nous-mêmes. Il faut en tout qu’il prenne les ordres de leur souverain monarque, et de cette manière ils sont très forts ; et très faible, très fort quand nous de l’nous ne servons de l’autorité de Jésus-Christ sur, très faible quand par union à Jésus-Christ, nous nous mettons à couvert sous son pouvoir et son autorité.

N’est-il pas vrai que les hommes doivent avoir un respect infini pour Jésus-Christ ayant de lui tout autre estime, qu’ils n’ont pas ? Hélas ! Chose pitoyable, les saints anges sont dans une adoration continuelle de la souveraine Majesté. Et devant le saint-Sacrement, et en l’église, l’on n’y est dans un orgueil et une (728) mot illisible indécence ? Très criminelle. De plus, n’est-il pas vrai que jamais vous n’avez bien pensé à cette souveraine puissance de Jésus-Christ sur vous, qui vous demande et dépendance continuelle et un sacrifice de vous-même sans fin ?

Enfin si vous ne vous rendez par amour à ses respects, il s’y faudra rendre comme les démons, par contrainte, et enragé une éternité.

Assurez-vous que pourvu que vous alliez et vous vous rendiez à Jésus-Christ, vous ne devez nullement craindre le démon ; car il est tout à fait dépendant de Jésus-Christ, et ne peut rien faire que par sa permission ; voyez combien il vous importe d’être parfaitement à lui, comme votre souverain.

III.

Considérez qu’outre cette obligation que les hommes ont d’adorer la souveraineté de Jésus-Christ, marqué à la vérité précédente, ils sont encore dans une plus spéciale dépendance de cette suprême autorité pour tout ce qui touche leur corps et leurs esprits ; car l’un et l’autre doive être dans une dépendance continuelle, recevant les lois de leur souverain par le règlement de leur de la et de l’autre, si bien qu’il ne peut y avoir rien de fait ni d’ordonner, qu’à la mesure de la soumission véritable, à garder les ordres que Jésus-Christ leur a donnés (la sainteté véritable consistant dans cette dépendance entière) n’ayant nul droit d’agir par nous-mêmes pour (730) quoi que ce soit ; mais par dépendance de Jésus-Christ notre souverain ; lequel incessamment travaille et opère pour le bon gouvernement de tout nous-mêmes, il met en notre esprit les lumières, en notre volonté il y ordonne la charité.

Notre imagination et nos passions sont réglées par son soin, et généralement tout notre corps, selon tous ses membres, reçoit une certaine influence d’autorité qui les règle et les purifie, quand l’on est fidèle à recevoir la loi que Jésus-Christ nous a donnée, faisant crucifier et tourmenter les siens pour être leur exemple et leur modèle de telle manière que généralement Jésus-Christ comme roi et souverain, a un domaine particulier surtout l’homme, ne pouvant être dans sa rectitude véritable, que lors qu’il est dans une soumission sincère et amoureuse à son opérer.

Ce qui condamne toutes les âmes lesquelles ne peuvent presque jamais vivre sans avoir le domaine continuel d’elle-même, et qui souffriront plus volontiers une peine très grande prise par leur choix, qu’une très petite soumission à l’ordre de Dieu. De plus, vous voyez quantité d’âmes qui prétendent à la dévotion et sainteté ; mais à leur mode et selon leur fantaisie, faisant tantôt une chose, tantôt l’autre, par violence et propriété de nature : ce qui empêche en (732) elle une influence de grâce infinie qui découlerait de la soumission souveraineté de Jésus-Christ dans les puissances de leurs âmes, et même dans leurs sens si elle demeurait paisiblement et tranquillement subordonnée à l’autorité de ce divin roi.

Enfin sachez que vous n’avez rien en vous qui ne sois à Jésus-Christ, et qui ne doivent se gouverner et se régir actuellement par son ordre, étant votre souverain et votre roi : c’est pourquoi faites une revue dans les puissances de votre âme et voyez si elles dépendent assez de son autorité.

Remarquez aussi si vos sens ne se révoltent pas contre cette autorité, et si cela est, soumettez l’amoureusement ; car assurément vous y trouverez une source de grâce et d’amour infini. (734)

Méditation. Un.

Considérez que Jésus-Christ est la vie de toutes créatures ; car il en est le principe, toutes choses vivantes en lui, et toute la vie qu’elles ont, émanant de lui, d’une telle manière, que sans lui nous ne serions rien, et nous tomberons l’ont incessamment dans le rien : c’est aussi par sa communication qu’elles en reçoivent la conservation et la perfection ; car les enjeux les hommes n’en ont que par lui, les propter ne vivant dans la gloire et dans l’éternité que par sa participation, comme vie de leur vie, les seconds n’ayant la vie de la grâce aussi que par son moyen, si bien qu’il est très certain, que la vie, que les saintes vertus, et toutes les pratiques intérieures et extérieures communiquent à notre âme, est une participation de la vie de Jésus-Christ : d’autant qu’elle opère une union à Dieu, qu’elle ne causerait pas si Jésus-Christ par son incarnation de leur avait (736) communiqué cette vie divine ; ce qui la fait à toutes les autres pratiques qui sont l’emploi de la vie chrétienne, d’une telle manière que l’on peut dire généralement, que comme Jésus-Christ et vit en lui-même, et la vie de toute chose, aussi comme uniquement aussi communique-t-il une vie vivifiante à toutes les pratiques qu’une âme doit faire pour accomplir les volontés de Dieu et l’ordre de sa vocation.

Regardez donc Jésus-Christ incessamment comme la vie de votre vie, et n’estimer au nom de Dieu aucunement la vôtre, que pour la sacrifier par hommage à la sienne, et être un sujet capable d’être vivifié et animé de sa divine vie.

Souvent repasser par votre esprit cette grandeur admirable de Jésus-Christ, je ne puis avoir de vie et je n’en ai pas véritablement, que par le pur don de Jésus-Christ, comme vie de moi-même.

Porter compassion aux pauvres âmes qui ne connaissent pas Jésus-Christ, et qui ne l’aime pas, ayant souvent rebut pour lui, cependant elles ne peuvent vivre un moment que par lui, et ne peuvent acquérir aucune vie vertueuse que par sa communication.

Regarder souvent que Jésus-Christ infiniment amoureux de nos âmes, nous communique avec plaisir son esprit, qui est sa vie, désirant plus qu’aucune chose que nous vivions en lui : et par lui, et si les hommes savaient la conséquence de ce (738) bonheur, il mourrait de reconnaissance pour Jésus-Christ, dans le seul ressouvenir qu’il est leur vie.

II.

Considérez que l’homme ayant perdu la vie surnaturelle par le péché, Jésus-Christ la lui a redonné par son incarnation, lui communiquant sa vie divine, qui n’est autre chose qu’une participation de lui-même ; paix infiniment amoureux, il nous reste suscite et nous la redonne par la multiplication de ces grâces, autant de fois que nous retombons dans le péché ; car il est certain qu’un péché mortel tu véritablement notre âme, et qui pourraient voir aussi facilement l’affreux vissage de la mort spirituelle causée par un péché, comme nous le pouvons voir dans la mort naturelle des corps, il en serait si épouvanter, qu’il lui serait impossible de le voir sans mourir ; car il n’y a point de différence entre cette mort et l’enfer, sinon que la justice est suspendue pour l’exécution du supplice ; mais pour la mort véritable de l’âme, elle est égale, et comme la mort naturelle prise d’eau corps de cette beauté qui paraît sur nous vissage, et en nos membres, nous ôte ce bel opérer cette puissance de faire une diversité d’action, soit de l’esprit, comme de penser, vouloir et généralement le reste dont il est admirablement capable, ce que nous voyons dans les beaux ouvrages que ces génies merveilleux font tous les jours, soit aussi de nos corps, les privant du (740) pouvoir de faire 1 million de belles choses auxquelles ils sont habiles, et qui entretiennent le commerce que l’on a tous les jours avec les autres. La mort spirituelle causée par un péché mortel en fait une autant sur nos âmes ; car elle leur cause une laideur si épouvantable, que cela ne se peut voir ni concevoir que par des yeux très éclairés, les privant de toutes les beautés qu’elles ont reçues de Dieu, et n’ayant plus de capacité ni débilité d’habilité pour les œuvres surnaturelles dentelle était capable étant vivantes.

De plus, comme la mort naturelle est le principe de la corruption, et que nos corps étant morts, cours incessamment à la pourriture, aussi nos âmes étant mortes, vont de péché empêcher, d’une telle manière qu’il faut avoir l’expérience pour comprendre combien un péché est une disposition, non seulement éloignée, mais prochaine, je ne dis pas à un autre péché, mais à une infinité, et à une corruption totale ; car il est certain qu’un péché aveugle tellement les puissances de l’âme, corrompt tellement les passions, et donnent à tel penchant à toute la créature vers la corruption du péché, qu’à moins d’un miracle, l’on roule de péché empêcher.

Cachée, aidée de la lumière de la foi et de votre expérience, de pénétrer solidement ces vérités ; et vous verrez qu’elles sont une expression très simple de ce qui se fait dans les pauvres âmes par le péché, et au même temps vous (742) découvrirez aussi comme Jésus-Christ par sa grâce vient justifier une âme, en retirant.

Avez-vous jamais reconnu cette faveur de Jésus-Christ, et n’en avez-vous remercié ? Vous êtes si reconnaissante pour un je-ne-sais-quoi qu’une âme vous fera temporellement, et vous l’estimez pas une faveur infinie. Au nom de Dieu, pesez bien solidement toutes ces vérités l’une après l’autre ; car je m’assure que si une fois vous les découvrait par la lumière de la grâce, et un cœur touchait, d’amour pour Jésus-Christ, vous vous en tiendrez infiniment obliger à sa bonté.

Si un saint avait obtenu de notre Seigneur (étant mortes corporellement) votre résurrection, vous auriez des reconnaissances tout à fait grandes de cette faveur, vous ne l’oubliera auriez jamais, et vous prêcheurs aient partout cette grâce, vous exhorte auriez tout le monde, et anime rien et tous vos amis pour avoir dévotion vers lui ; ne pouvant assez vous contenter de leur exprimer comment il vous aurait gratifié en vous ressuscitant, et généralement il n’y aurait pas le moyen dont vous ne vous services sciaient pour le faire connaître, et lui faire rendre des respects.

Vous seriez vous feriez toutes ces choses pour un très petit don, comparé à celui que Jésus-Christ vous a fait pour une seule fois qu’il vous a ressuscitée, et si vos yeux étaient éclairés de la foi, vous découvrirez lier qu’en vérité il n’y a non plus de comparaison entre l’un et (744) l’autre, qu’il y en a entre un grain de sable et toute la grosseur de la terre

. Multipliées encore toutes les fois que ce même don vous a été donné, vous ayant ressuscité en toutes les rencontres que vous l’avez offensé mortellement.

Si vous n’avez pas encore reconnu cette faveur, tâchez de le faire maintenant de tout votre cœur.

III.

Considérez et pesez bien la grandeur et l’excellence de la divine vie que Jésus-Christ communique à nos âmes ; car en vérité elle est si belle, que qui s’arrêtent sérieusement à l’envisager, mais encore davantage à en jouir et à l’expérimenter, en est ravie : et comme vous venez de voir dans la considération précédente, les particularités qui rendent la mort spirituelle épouvantable, aussi est-il de conséquence, pour savoir priser le don de Dieu, de considérer de près les qualités admirables de la divine vie que Jésus-Christ nous communique.

Le divin Sauveur de nos âmes voulant exprimer la manière avec laquelle il nous communiquait sa divine vie, comme aussi la nécessité indispensable d’en être animé, nous donne la comparaison d’une vigne et de ses sarments : je suis la vigne et vous êtes les branches. N’est-il pas vrai que la même vie qui anime la vigne, anime aussi ses branches, puisque c’est de la vigne que les branches (746) ont des feuilles et porte des fruits ?

Pesez bien la force de cette comparaison, afin de voir fort clairement le grand don de Dieu, dans la communication du même esprit dont Jésus est rempli et animé.

Le saint Apôtre se sert encore d’une comparaison très claire, pour découvrir aux chrétiens que Jésus-Christ leur a communiqué sa même vie, dont il doit vivre et être animé selon tous ce qu’ils sont : nous ne sommes qu’un corps en Jésus-Christ, lui étant le chef et nous les membres. N’est-il pas vrai que mon cœur vie de la vie de ma tête, ou plutôt que la tête influent sur tous les membres une même vie, n’y ayant rien en chaque membre qui ne soit animée, plus et vit fier ? Enfin comme le moindre mouvement de moi-même, de mon pied, et la moindre action de mon corps, est une suite de la vie qui m’anime, aussi le moindre acte de retour, le moindre pensée saintes, le plus petit mouvement d’amour, sont autant de mouvement de cette divine vie de Jésus-Christ comme chef des chrétiens, qui ne fait qu’un même corps avec eux.

Jésus-Christ poursuivant sa comparaison, fait voir aussi l’indispensable nécessité de vivre de cette vie unique avec lui, à moins que d’être mort ; car tout de même, dit-il, qu’une (748) branches ne tirent pas la vie de la vigne, qu’autant qu’elle l’est unie. Aussi une âme sans cette vie que Jésus-Christ lui influe comme chef, est vraiment morte et sans aucune opération.

Vous pouvez lire toute la suite de cette comparaison dans le saint Évangile, car elle est ravissante pour exprimer cette importante vérité.

De vous exprimer toutes les qualités de cette divine vie de Jésus, cela serait très difficile ici. ; Il suffit seulement que vous faisiez avec attention que c’est véritablement la vie d’un Dieu homme qui vous est communiqué. Et par conséquent que vous avez droit et que devez vivre par cette vie à vie divine, selon tout ce que vous êtes, c’est-à-dire que votre entendement doit être vivifié et éclairé par l’entendement de notre Seigneur Jésus-Christ, votre volonté animée par sa volonté, et ainsi du reste de vos facultés intérieures. Vos sens extérieurs doivent être aussi visités vivifier et animé par les siens d’une réelle manière, qu’ils ne doivent pas avoir le moindre mouvement que par subordination au sens de Jésus-Christ, et par la communication de cette divine vie en nous, chaque partie participe aussi aux excellences, aux mérites, et généralement à tout ce que Jésus-Christ a fait, soit par l’occupation de son (750) esprit, ou par l’action de son corps.

Vous pouvez vous arrêter ici à considérer attentivement la grandeur de la vie d’un Dieu homme, combien elle est simple, élevé et rassasiant en toute manière, et ensuite dire à votre pauvre âme : Jésus est vie, et je dois vivre uniquement de sa vie : cela ne doit-il pas toucher un cœur d’amour et de reconnaissance pour Jésus-Christ ? En vérité si l’amour ne peut rien sur votre âme, à tout le moins que la crainte y puisse quelque chose ; car de devant et ne pouvant vivre que de la vie de Jésus-Christ, voyez si cela est. Si cela n’est pas, voulez vous vous présentez devant lui comme une personne morte ?

Ne m’avouerez-vous pas qu’il y a bien plus d’âmes mortes dans le monde que l’on ne pense : et pour vous au nom de Dieu, faites usage de cette divine lumière, et tâchez de priser le don de Dieu, et reconnaître par amour Jésus-Christ.

Prenez plaisir à voir la beauté des puissances de notre Seigneur, et aussi de ces sens, l’un après l’autre, afin de remarquer la beauté de cette divine vie, qui les anime, et vous verrez par la, si vos puissances sont menées par cette divine vie, si vos sens aussi extérieurs en sont remplis. Tâchez particulièrement de faire un détail sur ceci, voyant (752) l’emploi de votre esprit, et l’opérer de vos sens, savoir de votre langue, vos yeux, votre goût, etc.

V.Jour. Jésus-Christ lumière de nos âmes. Méditation. Un.

Considérez que Jésus-Christ est en soi une lumière infinie, ou pour mieux dire la lumière même, lumière de lumière, lumière engendrée du (754) Père des lumières de toute éternité. De plus il est Candor lucis aeternae. La pureté de la lumière éternelle, et la source de toutes celles que les hommes possèdent ; car c’est par lui qu’ils sont tous illuminés, 200 pouvant trouver dans la terre d’autres, qui puisse avoir le nom de lumière en sa présence, toutes n’étant que des frais ténèbres comparées à lui.

Enfin c’est un soleil admirable dans l’éternité : Sol justiciae. Qui par amour et pur miséricorde, s’est communiqué en la terre.

Étant pénétrée de toutes ces vérités, envisagez souvent Jésus-Christ comme la belle et unique lumière, qui doit éclairer vos yeux, n’y ayant rien de beau dans la terre sans le soleil qui manifeste la beauté de chaque chose, aussi s’en Jésus-Christ tout le monde ne serait qu’un chaos de confusion et d’erreurs étranges.

Qui expérimentent très le plaisir d’une âme qui sait jouir de Jésus-Christ comme lumière éternelle, on n’en serait étonnée, car telle âme trouve tant de satisfaction de voir que le monde les créatures ne sont que ténèbres, et qu’il n’y a rien d’agréable pour notre esprit dans leur conversation, qu’elle ne s’en peut assez contenter.

Réfléchissez souvent sur cette importante vérité, voyant que ces êtres en ténèbres, que de n’être pas éclairé de Jésus-Christ, quoi que vous soyez très clairvoyance aux choses du monde, et (756) en 1 million d’affaires qui ne touchent pas le salut et la perfection, si bien que vous trouvez souvent de pauvres âmes, qui en vérité sont des hiboux à l’égard de Jésus-Christ lumière éternel, ne pouvant fixement le regarder ; mais aussitôt qu’elle envisage, sont aveuglés par le bel aspect de sa lumière, et ne trouvant de plaisir, d’autant qu’elles sont enfoncées dans les ténèbres obscures et épaisses de leurs inclinations et recherche d’un million de satisfactions étrangères, de telle manière que vous voyez incessamment ces pauvres âmes se satisfaire de telles ténèbres, et être toujours inquiète et mécontente, en tout autre lieu où Jésus-Christ paraît un peu.

Habituez-vous peu à peu et doucement à cette belle lumière de Jésus-Christ, vous la rendant insensiblement fréquentes par le ressouvenir de quelqu’un de ses Mystères, outre ou de sa sainte présence en votre âme.

Ayez grande dévotion vers Jésus-Christ, et lui demander souvent lumière afin de le connaître et d’être éclairé de lui ; car autrement jamais vous n’aurez d’entrer en la sainte oraison, ni ne pourraient réussir au pratique solide de vertu et de perfection. Sachez bien que que l’unique lumière pour faire une bonne oraison, est la connaissance de Jésus-Christ, ce qui est cause que plusieurs l’font peu de fruit ; car il se serve peu de cette lumière, ne se contentant que de certains efforts trop violents par pure (758) raison humaine, au lieu de se laisser doucement et humblement à notre Seigneur, et de cette manière s’occupait de lui, et par lui voir ce qu’il nous fait découvrir en l’oraison.

II.

Considérez que Jésus-Christ n’est pas seulement lumière éternel dans le sein du Père, mais qu’il sait encore également fait homme, c’est un soleil d’infinie clarté qui éclaire par tout ce qu’il est comme homme Dieu : c’est une lumière qui éclaire dans les ténèbres de la terre. En telle manière que chaque Mystère de la vie de ce Dieu homme est un soleil infiniment éclatant et éclairant. Je dis plus, chaque circonstance de tous les Mystères, est aussi un soleil ; car comme Verbe divin, il est une lumière est un soleil d’une immense beauté, aussi comme Verbe incarné, il est également lumineux par chaque chose qui la ou qu’il fait : sa naissance donc dans les tables, et un soleil qui brille en infinies manières. Sa vie cachée. Sa fuite en Égypte. Sa prédication. Sa mort. Enfin chaque Mystère est en cet homme Dieu un soleil d’une lumière toute différente l’une de l’autre, quoiqu’une même lumière, par l’union du Verbe ; mais différentes cependant pour la diversité des merveilles que chaque Mystère renferme. Sa naissance est infiniment éclatante par sa pauvreté, simplicité, innocence, etc. sa fuite en Égypte, par sa solitude, son silence et son abandon en toutes choses :. Sa vie (740) cachée par son humilité et son labeur, et ainsi du reste de ses Mystères, dont la moindre circonstance est aussi également lumineuse et éclatante, par l’union du Verbe qui en est le principe, lequel leur communique son infinie clarté : et c’est ce qui que le saint Apôtre veut dire par ces paroles : que le Verbe en s’incarnant nous a amoureusement transporté des ténèbres ou nous étions dans l’admirable lumière de ces divins Mystères.

Cette divine lumière qui est répandue par la beauté des Mystères, est merveilleusement efficace pour éclairer l’âme et à nourrir solidement : d’où vient que celles qui n’eussent pas de ce moyen divin, sont très souvent en ténèbres et dans une aridité sèche, ne trouvant à quoi occuper leurs esprits, et étant de cette manière très souvent vague et incertaine dans leur lune conduite intérieure.

Votre âme n’est-elle pas de ce nombre ? Il faut de vous appliquer avec humilité, selon que ces divins Mystères vous sont communiqués par la sainte église, n’êtes-vous pas souvent en sécheresse, sentire fruit de vos oraisons et communion ?

Assurez-vous que la vue de Jésus-Christ dans ses divins Mystères rend une âme tout à fait heureuse, lui facilitant par ce moyen toute chose ; car par là elle trouve de quoi s’entretenir et s’occuper très facilement et très hautement ; mais les yeux des pauvres créatures enfouies dans le fumier d’elle-même (762), ne peuvent découvrir avec facilité cette vérité, d’autant qu’il est impossible de voir cette beauté infinie de Jésus-Christ, et être éclairé de cette divine lumière, que selon qu’un cœur est humble et mort à soi-même.

III.

Considérez que Jésus-Christ Dieu homme étend un soleil d’une lumière infinie, opère incessamment dans les créatures, leurs communiquant et sa lumière et ses effets admirables, comme 1 million de bons moments et des touchées amoureuses qui les élèvent à lui, il est dispose à son union, de la même manière que nous volons voyons le soleil matériel attaché au firmament, ne cesser d’opérer infinis effets nécessaires pour le besoin de chaque créature : cela n’est qu’une faible expression de l’opérer de ce soleil infini Jésus-Christ homme Dieu, lequel est dans l’église comme son vrai soleil, qui ne cesse de se communiquer pour le bien et la perfection de toutes ses créatures ; mais qui est peu découvert aux âmes, faute de fidélité à en faire usage.

Soyez certaine qu’il n’y a personne qui se puisse cacher à ses regards favorables : étant appliquées un chaque âme, mais spécialement à celle qui en font usage ; car selon l’exposition que nous avons aux rayons du soleil matériel, aussi recevons d’où son opérer, la même chose se fait en l’opération admirable de Jésus-Christ homme Dieu, laquelle (764) n’a son effet que selon la fidèle correspondance de l’âme, et qui pourrait dire tous les effets merveilleux que ce Dieu homme opère en nos âmes, en serait ravi d’étonnement, ce qu’assurément l’on ne verra manifestement que dans l’autre vie ; car il n’y a pas de moment dans lequel ce Dieu homme ne soit appliqué au bien et à la perfection de chaque âme, lui fournissant incessamment des lumières pour toutes choses, soit pour découvrir les pièges du démon, la pratique des vertus, et la beauté des choses qui contribuent davantage à la perfection, afin de les faire plus fortement aimer et pour suivre.

L’on ne s’aperçoit de cette lumière si continuelle, et si efficace de Jésus-Christ homme Dieu, qu’après que les âmes sont un peu dégagées du bourbier d’elle-même et de leurs inclinations ; mais quand cela est une fois, elles comprennent très certainement ces beaux mots du saint Évangile : que la lumière luit au milieu des ténèbres, dont on pourrait jouir incessamment, si on s’élevait un peu au-dessus de soi-même ; mais souvent les hommes elle mieux leurs ténèbres, que le beau jour de cette divine lumière : ils ont mieux aimé leurs ténèbres que la lumière.

Tâchez donc de vous ressouvenir souvent de Jésus-Christ homme Dieu et homme, et assurément étant (766) rempli de sa lumière, vous ne pourrez jamais être en ténèbres : au contraire, se ressouvenir produira incessamment un certain jour et clarté, qui vous découvrira et fera voir des merveilles : de telle manière que vous direz à vous-même : mon âme tu n’as 4 approcher de Jésus-Christ pour être illuminé.

Ne vous inquiétez pas lorsque vous voyez priver de lumière, ou que quelque créature vous marque, par laquelle vous en recevez, allez confidemment à Jésus-Christ, et vous trouverez tout ce dont vous avez besoin pour être éclairés sur toutes choses.

6e jour. Jésus-Christ notre unique espérance. Méditation un.

Considérez que Jésus-Christ est le souverain bien de la plénitude de tout ce qu’il y a de grand, de saint, de pure de parfait et puissant, lesquelles choses (768) étant l’raison pourquoi nous nous appuyons par espérance en quelqu’un : assurément nous devons en avoir une infinie entre Jésus-Christ. Si de plus, nous joignons à ce parfait moyen de satisfaire nos espérances, la volonté et l’inclination d’amour très grand que Jésus-Christ a pour les hommes. Comment donc ne pas se confier à une personne infiniment puissante commet Jésus-Christ infiniment sage, pour voir tous les moyens de faire réussir les choses, et généralement plus infinies fois désireux de notre bien que nous-mêmes ; car en vérité tout l’amour que nous avons pour nous-mêmes n’est rien comparé à celui que Jésus-Christ a pour nous et pour ce qui nous touche.

Concluez de la, que cette en Jésus-Christ que notre cœur doit mettre son espérance, comme en sa dernière fin, étant lui seul capable de le rassasier et l’assuré pleinement : c’est pourquoi, au âme ! Qui désirez commencer votre béatitude en cette vie, occupez-vous les grandeurs et qualité de Jésus-Christ, et assurément vous verrez qu’il charmera votre cœur ; et que vous y mettrez votre unique espérance, ne pouvant trouver hors de lui dans les créatures, rien qui puisse la fixer ; car qu’ont-elles en vérité ? Vous expérimentez incessamment leur peu de suffisance pour vous y appuyer ; et cependant vous ne vous guérissez jamais du mal de voir toujours quelque chose à espérer de leur côté, tantôt d’une façon, (770) tantôt de l’autre, et cela vous vient de ce que vous ne croyez de réel et de solide que ce que vous voyez de vos yeux. Croyez par la foi ; mais faiblement que Jésus est capable de satisfaire vos espérances ; mais cependant comme cette créature en qui vous espérez, fais montre actuellement de quelque secours plus sensible, vous vous y attachez plus fortement qu’à ce que la foi vous dit de Jésus-Christ ; cependant assurez-vous que la foi vous doit assurer plus certaine quand du secours de Jésus-Christ, et que vous y devez mettre plus particulièrement votre espérance, qu’en tout ce que vous pouvez voir de vos yeux et posséder parmi les créatures.

Cependant que l’aveuglement qu’elle aveuglement : l’on s’assurera plutôt et l’on espérera davantage dans un faible homme, dans une bagatelle de néant, et dans une idée que l’on a dans son esprit appuyer sur soi, que sur Jésus-Christ tel que vous le venez de voir.

Ne m’avouerez-vous pas que voilà l’origine des vicissitudes si continuelles qui sont dans votre esprit, tantôt vous voulez une chose, tantôt une autre, tantôt vous avez une inclination, et aussitôt vous la changer, la raison unique de tout ce changement vient de ce que vous ne fixez pas votre espérance en Jésus-Christ qui est sans changement, et qu’au contraire vous la mettez en quelque chose moindre que lui, qui a pour partage un changement continuel. (772)

voulez-vous être toujours paisible, satisfaite, n’ayant besoin de quoi que ce soit, espérez uniquement en Jésus-Christ.

II.

Considérez que jamais nous ne pouvons recevoir aucun bien, selon le corps, ni l’esprit que par le moyen de Jésus-Christ, tous les secours que nous recevons, selon l’un et le rouleau autre et l’autre, soit la conservation, les providences, les soins de Dieu sur ce qui nous touche, etc., ne pouvant nous venir que par son moyen : et pour ce qui est de l’esprit encore plus spécialement, toute lumière, toutes les grâces, toutes les touches amoureuses n’étant que des effets de sa libéralité, et ainsi nous devons conclure que lui seul doit être notre unique espérance pour tout cela ; ce que nous devons voir plus particulièrement par de raison très convaincante.

Premièrement. Parce que c’est un décret éternel de la sagesse divine, que jamais le Père Eternel ne communiquera rien à nos âmes, et ni opérera que par Jésus-Christ, ce qui est une résolution générale, qui ne touche pas seulement les choses les plus principales ; mais jusqu’aux moindres, ne pouvant jamais recevoir aucune lumière de Dieu ; aucun bon mouvement, aucune capacité de faire quelque action pour Dieu, aucune force pour résister au mal, aucune providence ni soin il me trouve qui nous touche, soit selon le corps et l’esprit, que par la main toute aimable de Jésus-Christ notre Seigneur : (774)

deuxièmement. Nous ne pouvons non plus jamais rendre aucun de nos devoirs à Dieu, soit pour l’adorer, le contempler, aimer, ou lui rendre généralement aucun respect qui soit bien reçu en sa présence, que par Jésus-Christ, ayant par lui seul accès au Père des lumières.

Et comme dit la sainte église (dans le sacrifice le plus auguste qu’elle offre à cette divine Majesté) c’est par lui que les saints anges, chacun en leur degré, lui rendre leurs devoirs et leurs adorations. C’est par la Majesté de Jésus-Christ que les anges louent la grandeur de Dieu, que les dominations l’adorent, que les puissances tremblent, et généralement que toute la milice céleste, par une exultation admirable chante ses louanges,. La même église nous exhortant de nous joindre avec cette milice céleste, afin que par Jésus-Christ nous rendions à la souveraineté de Dieu, nos louanges, nos adorations et nos hommages.

Étant convaincu de ses solide vérités, ne concluez-vous pas que c’est en Jésus-Christ seul que nous devons mettre notre unique espérance, et non en ce que nous avons, que la créature nous puisse fournir, et ceci est la clé de la perfection ; car faute d’être éclairé solidement de cette lumière, l’on garde toujours en (776) soit quelque suffisance, sur ce que l’on est, ou que l’on peut faire, ce qui empêche tout à fait que Jésus-Christ ne travaillant notre âme, selon l’étendue de son dessein éternel : ce qu’il ne fera jamais que lors que nous serons humiliés et dans la connaissance véritable de ceci, lui avouant humblement que c’est en lui seul et non en la créature que nous devons mettre toute espérance.

Tachez autant que vous pourrez de vous tenir dans le véritable esprit d’humilité, que l’on doit appeler la vérité du christianisme, et assurez-vous que faisant de votre mieux pour exécuter les ordres de Dieu sur vous par cet esprit, vous y réussirez toujours admirablement.

III.

Considérez que Jésus-Christ Dieu homme doit être encore notre unique espérance, d’autant qu’il est le mérite et celui qu’il nous mérite, sans lequel nous ne sommes pas dignes, non seulement d’avoir part aux bonnes grâces de Dieu, et à ses dons, mais encore de vivre ; car il faut savoir qu’au même instant que nous péchons, nous perdons le droit de vivre, nous sommes condamnés par le péché même à la mort, et ou flammes éternelles, cependant Dieu en vue des mérites de Jésus-Christ son Fils, nous conserve la vie, et suspend sa condamnation, et encore plus nous donne droit à ses dons et assez bonne grâce, étant par lui seul, que nous méritons toutes ces toutes les (778) lumière, et toutes les grâces qui nous aident pour la vie éternelle. Le moindre acte d’amour, de contrition, d’humilité, et généralement de toutes les vertus, étant un effet unique des mérites de Jésus-Christ.

Les âmes qui sont ou fort éclairée de notre Seigneur, ou beaucoup expérimentée dans leurs Mystères, savent très bien que la raison ou tous ses efforts ne sont suffisants, pour les retirer du péché d’une inclination mauvaise, etc., ou pour les porter à une perfection plus avancer, sans la participation des lumières des mérites de Jésus-Christ, et en vérité sans ce secours admirable, nous serions comme de pauvre cadavre pourri, sans force ni vigueur qui les anima.

Qui s’appliquerait avec esprit d’humilité, pour approfondir cette importante vérité, outre qu’il en serait très convaincu par 1 million d’expériences, il en serait encore par la animée pour aimer et remercier Jésus-Christ notre Seigneur, espérant uniquement en ses mérites, et non en ces lumières, efforts et soins : c’est que le prophète voyait en esprit prophétique de Jésus-Christ. Sachez que vous aurez à Sauveur, et que vous puiserez avec joie des mérites pour tous vos besoins dans ces fontaines, c’est-à-dire dans ses plaies.

De plus, ce n’est pas seulement en vue et par les mérites de Jésus-Christ, parce qu’il peut tout, que nous avons et nous pourrons touche choses ; mais encore, par ce (780) qu’il est lui-même la cause du mérite, ayant donné tout ce qu’il est, et ayant fait de tout lui-même une source infinie de mérites, si bien qu’mérites infinis de sa divine personne unie à l’humanité, ces souffrances, cette plaie, c’est mépris, son sang précieux, et généralement toute sa vie, humainement divine, et continuellement devant le Père Eternel, pour le fléchir et l’incliné d’amour vers : j’ai vu l’agneau (10 agents) comme oxyde devant la Majesté divine pour le salut des hommes. Ce qui est de la mérite infini.

Ajoutez encore à cela, les désirs infinis qu’il au étend pour la terre sur la terre, que ces grâces fussent en nous avec grande efficace et plénitude, s’offrant incessamment et tous ces mérites au Père Eternel pour cet effet : j’ai seul presser le pressoir, pour vous donner de quoi vous ennuyez dans mes mérites et les miséricordes.

Ne conclurez-vous pas de toutes ces vérités qu’une âme est infiniment obligée à Jésus-Christ, qu’elle doit faire une très grande estime et un usage spécial de tout ce qu’il lui a mérité ?

Avez-vous jamais approfondi fortement ces vérités, et votre âme s’est elle élevée, comme elle le doit à lui, par l’espérance de son secours, en vue de ses mérites infinis ?

Sachez donc au âme ! Que si vous avez une bonne volonté et (782) une résolution forte de vous donner à notre Seigneur pour accomplir ses saintes volontés, que vous trouverez tout en lui, par surabondance et grande plénitude, pourvu que vous espériez en ses miséricordes.

Ne craignez jamais quoi que ce soit, appuyer sur cette espérance, et répéter souvent ces beaux mots du prophète Royal : MonSeigneur j’ai espéré en vous, et jamais je ne serai confondu. Dites aussi souvent à votre pauvre âme, au milieu de vos tristesses, afflictions et ennuis : que bienheureux est celui qui espère en Jésus-Christ.

Après tout cela, serait-il possible que votre cœur mais m’a pas solidement Jésus-Christ ? (784)

VII. Jouir. Jésus notre unique aide et secours. Méditation. Un.

Considérez que Jésus-Christ est notre véritable aide, d’autant qu’il nous secourt en choses les plus importantes pour nous, et ou autre que lui ne peut ne nous peut aider. (785) (785) premièrement. Il nous conserve d’un million de pêchers dans lesquelles assurément nous tomberont ions si ils ne nous secoueraient, tant à cause de la très grande fragilité de notre nature corrompue, qui ne se porte au mal, de nos inclinations qui sont continuellement penchées vers la terre, que de la grande faiblesse de nos puissances pour réprimer cette corruption de la nature ; car notre entendement est si obscurcit pour tout bien, et au contraire si naturellement ouvert pour tout mal, que le péché semble son centre et sa joie, la volonté est si lente et énervée, qu’il semble qu’elle n’est plus de force pour s’élever au-dessus du mal, et fuir les délices de la vie, l’imagination est aussi si dépravée, qu’elle ne se porte (786) qu’à des extravagances, les passions sont comme des harpies pour entraîner incessamment les puissances plus spirituelles dans le mal, et généralement tous nos sens sont dans une telle faiblesse, que cela ne se peut exprimer que par l’expérience que l’on en fait spécialement quand on est un peu éclairée de la grâce.

2. Joignez à cela l’astuce du démon et ces combats continuels, qui sont assurément en infinies manières, se servant de nos inclinations corrompues, pour nous tromper et adroitement nous enchaîné dans toutes sortes de maux.

3. Enfin les occasions et rencontres dans lesquelles il est très difficile de parler sans être secouru et aider spécialement, cependant Jésus-Christ, comme notre très fidèle, par infini moyen connu à sa sagesse et bonté, nous aide continuellement, étant la près à chaque moment pour nous fournir ces grâces.

Au qui pourrait jamais exprimer ceci comme il est, et la grâce que Jésus-Christ fait à une pauvre âme ! Je sais que cela est peu sensible à plusieurs, d’autant qu’ils ne savent pas peser un péché, et qu’ils n’ont jamais pénétré ni bien réfléchi sur cette vérité qu’à moins de ce secours, il faut mourir et périr misérablement dans le péché et la corruption ; notre âme demeurant comme une pauvre captive, l’faire aux pieds et aux mains, sans se pouvoir délivrer de son cachot, et (788) ne voyant pour se délivrer de ce malheur que le seul secours de Jésus-Christ son aide unique, qu’il ne manque pas de donner avec tant d’amour, tant de soin, de vigilance et de patience, que quand on s’y applique avec fidélité, on est ravie d’amour et de reconnaissance vers Jésus-Christ pour ce bénéfice très grand.

Combien de fois perte en l’secours actuel de ce Dieu tout plein d’amour, ne faisant pas usage des lumières et des touches amoureuses qu’il va continuellement donnant à l’âme ? Ce qui est cause que ce secours et cette tête très grande de Jésus-Christ n’a pas son effet, au plus en a très peu.

Toutes les fois que vous expérimenterez la corruption et le penchant au péché, user de ce don de Dieu, et tâchez de vous élever à Jésus-Christ, afin qu’il vous aide, et assurément vous en retirerez un très grand profit.

Si une bonne fois vous est assez heureuse d’être un peu délivrée du péché et de vos imperfections, vous goûterez avec tant de suavité cette grâce de Jésus-Christ, que ce sera une de celle qui vous touchera plus puissamment d’amour, et vous animera davantage à le faire régner sur votre cœur.

Au lieu de vous dépité et d’abandonner tout, quand vous vous voyez dans la faiblesse, et comme terrassée est rendue à l’impossible par vos imperfections et le poids de votre propre corruption, élever vous amoureusement vers Jésus



erreur à garder

(306) enfant, lequel à l’extérieur et selon la lumière humaine, paraît si pauvre, si petit et si méprisable. Il y voit donc cette grandeur infinie ; car Jésus-Christ lui fait connaître qu’il est Dieu, le souverain et le roi de toutes les créatures, et qu’il est Sauveur de tous les hommes, de telle manière qu’il connût et la dignité de sa personne, et l’infini bonheur qu’il possédait de leur connaître. Cette grâce lui donnait à saint Siméon, d’autant (dit l’Évangile) qu’il était juste, qu’il allât autant en esprit, et qu’il attendait la rédemption d’Israël. Remarquez ces 3 circonstances nécessaire absolument pour trouver Jésus. La première et qu’il était juste, c’est-à-dire fidèle à ce que Dieu demande de lui. Vous voyez tant d’âmes qui voudraient trouver la divine lumière, sans se purifier ni travailler à se défaire d’un million d’obstacles qui leur bouchent les yeux, cela ne se fera jamais : regarder si votre corps cœur et droit, et si vous voulez vous défaire de tout, non de volonté, mais d’effet. (308)

II. Jour. Méditation.



(790) Christ ; voyant en lui votre véritable aide et secours, et assurément toutes les plus grandes difficultés ne vous paraîtront que des atomes, cette vue communiquant à votre âme une patience divine, pour seconder l’amour sans mesure de Jésus-Christ. Que ceci aussi anime votre âme pour imiter Jésus-Christ, aidant aux pauvres âmes, afin de les retirer du péché, soit par vos prières ou par vos secours, si vous êtes en état d’aider aux autres.

Répéter souvent ces beaux mots : Jésus-Christ est mon aide, c’est pourquoi je mépriserai tous mes ennemis.

II.

Considérez que Jésus-Christ, non seulement nous conserver nous aide, afin que nous ne tombions dans le péché ; mais encore nous empêche de tomber dans la damnation éternelle en quantité de rencontres. Toutes les fois que nous sommes dans un péché mortel, méritons l’enfer : et cependant il nous en a préservé jusqu’ici, et n’a pas permis au démon de nous y précipiter. Cette grâce est admirable qui a des yeux pour le découvrir : ce que nous ne verrons clairement qu’au moment de notre mort, ou les choses nous seront manifestées dans la vérité, et selon qu’elles sont ; mais si par la lumière de la que la grâce, cela nous était découvert tel qu’il est, nous aurions un cœur tout plein de reconnaissance pour une bonté si infinie, qui nous secours si à propos, et dans un besoin si (792) extrême, et ou nous le méritons si peu. Et afin que votre cœur soit encore plus pénétré d’amour pour Jésus-Christ votre véritable secours, et votre esprit plus convaincu. Réfléchissez sur tous les péchés mortels que vous avez faits en toute votre vie, ayant mérité par chacun la damnation éternelle. Combien de personnes sont elle mord au moment qu’elles ont péché, et par conséquent d’amener ? Et Jésus par amour vous en a délivré : ce qui vous engage à une reconnaissance et à un amour autant multiplié, et à l’infini que Jésus-Christ par amour vous adonnait est redonné de foi cette grâce.

L’on ne saurait croire combien cette miséricorde de notre Seigneur est peu connue des âmes, parce qu’en vérité on n’y réfléchit peu, soit manque de fidélité, ou bien manque de lumière pour découvrir la beauté, la conséquence et la grandeur de cette faveur ; mais lors que la lumière pénètre une âme, et que l’on découvre ce don un peu selon ce qu’il est devant Dieu, il devient un des motifs plus particuliers qui fêtent aimer, honorer et respecter spécialement Jésus-Christ.

Si une personne était toute prête d’être exécutée par la justice, et que tout fut préparé, et que le coût fut prêt de donner, le roi étend touché de bonté et d’amour pour le pauvre patient, ne lui serait-il pas une signaler faveur, qu’il reconnaîtrait tout le reste de sa vie, si à ce moment il lui faisait miséricorde : ce que même, il (794) trouverait bien plus agréable, plus il aurait été proche de la mort.

Au âme qui que vous soyez ! Sachez que ce même coup de grâce vous a été donné autant de fois que vous avez multiplié vous pêcher.

Ne passait pas de jour, que cette miséricorde et cette tête spéciale de Jésus-Christ ne soit reconnue de votre âme, par quelque acte de reconnaissance et d’amour, avouant que lui seul est celui qui vous a fait la grâce entière.

Vous êtes souvent en peine de trouver des motifs qui vous pénètrent le cœur, pour aimer notre Seigneur : tâchez de vous occuper de celui-ci, et assurément il vous sera fera grand effet.

De plus, toutes les fois qu’il vous vient quelque peine des jugements de Dieu, ou des craintes de la mort, à cause de la damnation, ayez grand appui et confiance en Jésus-Christ, votre véritable et très fidèle aide, et assurez-vous qu’il vous secourt aura, si vous tâchez de faire ceci d’une bonne manière.

III.

Considérez que le secours de Jésus-Christ notre Seigneur, et son aide, s’étant encore davantage ; car il est toujours prêt pour nous défendre de la moindre attaque de tentations dont la vie est pleine. De plus, pour nous conserver de la moindre faute ou imperfection, et spécialement quand il y a quelque acte de vertus à pratiquer, et que la nature et le diable vous en voudrait détourner. Enfin et généralement il (796) se rend si à point à tout, pour être notre aide, sachant l’importance de la moindre chose, que qui le verrait tel qu’il est, en mourrait d’amour et de gratitude ; car en vérité ce Dieu tout plein de bonté, est incessamment appliquée à détourner les tentations, ou les occasions dans lesquelles nous pourrions être faibles, ou bien telles occasions ne se pouvant éviter, à nous donner des grâces et des lumières, pour nous donner d’saints Thérèse et certaine touche, qui nous peuvent soutenir en telles rencontres : ce que nous verrons fort clairement dans l’éternité ; car la nous avouerons qu’il y a eu aucune occasion en toute notre vie, ou ce Dieu tout plein d’amour, ne nous est présentée la main pour nous secourir et nous fortifié dans la faiblesse et le penchant : ce qui souvent étonne les âmes éclairées ; car il leur semble que Jésus-Christ, et si continuellement faisant cet office à leurs égards, qu’il leur paraît n’être que pour elle, est appliquée à elles. Et si tout le monde ne découvre pas ce divin Sauveur ainsi travaillant, ce n’est pas que cela ne soit ; mais faute de lumière et de pureté, qui empêche que les yeux de l’âme ne voient et n’expérimentent ce secours si actuel, et amoureux d’un Dieu tout plein de bonté et de zèle pour sa créature. Il nous garde et nous conserve comme la prunelle de ses yeux. (798) il nous a sous-entendu sous l’étendue de ses elle, comme une poule garde ses poussins, étant continuellement en soin et vigilance, de peur que les oiseaux sauvages leur fassent du mal.

Il a étendu ses ailes pour le conserver, il l’a pris entre ses bras, et la porter sur ses épaules. Ce que le prophète dit de l’amour de Jésus-Christ envers nos âmes, exprimant par la tout ce qu’un cœur plein d’amour peut suggérer pour secourir la personne aimée, dans cette nécessité.

Tâchez de peser toutes ces vérités l’une après l’autre ; car en vérité elles vous doivent causer une très grande confiance, et vous guérir d’un défaut très notable, lequel empêche presque toutes les âmes d’avancer à la perfection, et de se défaire d’un million de défauts qui sont vont incessamment rongeant leur meilleure substance ; car faute de se servir de l’aide de Jésus-Christ, par un esprit de confiance en lui, l’on est toujours au combat, sans rien avancer, et souvent même long Père et l’on abandonne le travail que l’on a fait plusieurs années.

Soyez donc fidèles en tout rencontres, d’être fort amoureuse de Jésus-Christ, les vous servir bien a point de son aide dans toutes vos nécessités, et vous y trouverez un secours admirable. (800)

VIII. Jour. Jésus-Christ notre protecteur fidèle. Méditation. Un.

Considérez que les anges et les hommes ayant péché, méritait la mort éternelle, et n’avait plus aucun droit pour la vie bienheureuse, ni pour recevoir aucune grâce de la part de Jésus-Christ ; mais au contraire d’être éternellement réprouvé, et l’objet de son ire, indignation et oubli : cependant par une miséricorde spéciale de sa protection sur les hommes, il les a préférés et les a conservés de cette damnation, les a rendus capables de son amitié, de ses grâces, et finalement de la vie éternelle.

Avez-vous jamais bien pesé cette protection admirable de Jésus-Christ ? Il a laissé l’ange (une créature si belle, si relevés, capable de le corps glorifiés et d’exécuter 1 million de beaux s’ouvrage par son ordre) et a choisi et préféré l’homme (qui est la pauvreté même, l’assemblage de toutes misères [802], une faiblesse qui ne se peut exprimer, et dont la capacité n’a rien d’égale à celle des anges) pour être l’objet de ses amours, et pour le relevé à une dignité et à une excellence si admirable, qu’il l’a mis au-dessus des anges, et même l’a unie dans une même personne avec son Fils naturel : ce qui a donné une dignité si admirable à l’homme, qu’il en est infiniment relevé au-dessus des anges, d’une telle manière, qu’il a été vrai de dire ensuite cette élévation de l’homme : mais délices sont d’être avec les enfants des hommes.

Que ceci est admirable, et cependant oublier faute de le considérer comme il faut ! Si cela se faisait, tous les hommes seraient ravis d’amour, de reconnaissance, et étonnée de cette préférence, pour secourir l’homme et abandonner les anges. O âmes ! Si tu savais maintenant comme tu le sauras dans l’éternité, la profondeur infinie de ce secret divin, et l’immensité don d’amour, renfermée dans cette protection et préférence, tu en serais ravi à jamais, et cela serait suffisant pour faire ton occupation pour l’éternité, ne te pouvant contenter d’admirer le conseil éternel de Dieu en ce rencontre, d’y voir son amour et sa protection pour l’homme, et y remarquer généralement toutes les suites admirables que vous allez voir dans les considérations suivantes

. Ne soyez donc pas méconnaît sentent de cette grâce si signalée ;(804) (804) mais plutôt, vous unissant avec la sainte partie des anges qui a participé à cette protection, adorer Jésus-Christ avec eux, et soyez incessamment en dans un esprit de sacrifice en sa présence : que tous ces anges l’adorent. Croyez certainement que cela vous est dit infini fois plus calme, par toutes les raisons de reconnaissance que vous devez à Dieu plus que.

Et afin d’approfondir encore davantage cette vérité si importante, pour vous donner un solide amour de Jésus-Christ, voyez par les yeux de la foi ses anges réprouvés, et remarquez qu’au moment qu’ils ont péché, sont tombés dans ce lieu de misères, est devenu l’objet de l’ire de l’indignation de Dieu.

L’homme au contraire, au moment qu’il est tombé, a été secouru et protéger ; arrêtez-vous encore un peu, pour voir et remarquer ses flammes, cette éternité de misères, et cette punition sans fin dans les oranges, et au même temps voyez l’élévation de l’homme dans les dons de grâce, et les privilèges admirables que vous verrez à la suite, et si vous faites cela d’une bonne manière, vous direz en vérité, et de cœur, ces beaux mots : que ça été en vue de Jésus-Christ et de ses miséricordes, que toute cette protection vous a été donnée.

Ne m’avouerez-vous pas que tout ceci est admirable et (806) extrêmement touchant un cœur, lequel s’applique sérieusement à considérer et à peser ses solide vérités ; et je m’assure que si vous le faites de la bonne manière, vous changerez beaucoup de sentiments, estimant tout autrement la grâce que vous avez d’être chrétienne, et d’avoir droit aux bonnes grâces de Dieu, et à l’éternité, tout cela vous étend donné par une référence si particulière d’amour.

N’ayez donc pas, au nom de Dieu, des idées si basses, comme pour l’ordinaire vous avez, de ce que Dieu demande de vous ; car puisqu’il vous a préféré à des anges si relevés, pour vous donner droit à l’adorer et à l’aimer, croyez qu’il estime beaucoup quand vous le faites de la bonne manière, et qu’au contraire, son cœur est autant touché de la négligence du mépris que vous à réparer en ne faisant pas, que sa présence et infini.

II.

Considérez qu’ensuite de cette admirable protection de Jésus-Christ, il y il a eu toujours des hommes comme c’est très cher, les protégeant et conservant en toutes manières ; mais spécialement en de très particulière.

La première a été comme ces enfants, agissant en toutes choses comme un vrai Père : quoi, n’est-ce pas Dieu qui est votre Père (dit le prophète) qui fait 1 million de merveilles pour vous ? Vous ayant au milieu de son (808) cœur, et vous ayant créé avec une bonté infinie : ce qui est cause qu’il agit à l’égard de chaque créature, comme envers un enfant uniquement cher, et les délices de son cœur, ne traitant pas avec nous, comme les hommes avec les hommes, c’est-à-dire à la négligence et par intérêt ; mais au contraire, satisfait son cœur en nous concernant et en soignant.

De plus, il n’y a rien qu’ils ne fassent pour chaque créature en cette vue ; car tout le monde heureux beauté que nous le voyons, dans cette diversité d’ouvrages qu’il contient : toutes ces variétés de fleurs, de fruits, et généralement jusqu’au dernier brin d’herbe, et créé et conservé de Dieu, pour sa créature, soit pour leurs nécessités, utilité, ou récréation ; parce qu’il est Père, et que ce sont ses enfants.

Enfin représentez-vous un roi qui a un Fils unique vérité, héritier de son royaume, très accomplie en tout, les délices de son cœur, et le centre de tous ses soins et application. Voyez ce Père, depuis le matin jusqu’au soir, soigné et travailler, et généralement agir en tout, pour ce qui touche ce cher enfant. Cette expression du soin d’un Père pour un enfant si cher, mais rien d’égal à ce que Dieu a pour le moindre homme ; car il est appliqué par ce cœur de Père à tout moment à soigner à ses besoins, à sa conservation, à l’éloignement des choses qui lui peuvent nuire, et à travailler généralement à tout ce qui peut lui (810) être utile et nécessaire pour son bien et pour sa perfection.

Et qui verrait ceci en vérité et comme il est en serait ravi : ce que l’on ne peut découvrir que par une lumière très grande ; mais afin de vous en donner quelque petite idée, voyez Jésus-Christ comme il travaillait pour chercher les âmes, les assister dans leurs besoins, et enfin généralement leur fournir avec une charité admirable tout ce dont ils avaient besoin pour leur salut ; car ce soit extérieur, cet accueil si favorable des pécheurs, ce désir si extrême qu’il avait de souffrir pour eux, cette patience infinie, quoique rebutée, est non seulement une marque ; mais un modèle de son soin et protection particulière sur chaque âme.

Tâchez donc avec fidélité de vous y appliquer solidement à cette vérité, et vous en convainquez fortement, vous abandonnant à son soin et à sa protection dans toutes les rencontres ou vous en aurez quelques besoins.

Quoi que vos sens souvent ne vous puissent dire des nouvelles, de cette protection paternelle de Dieu, consulter la foi sur ce sujet, et assurément elle vous en dira des merveilles ; car de vous les dire toutes l’une après l’autre, cela est infini et ne se peut, vous ne le verrez clairement que dans l’éternité.

Ne perdez donc pas de moment que vous ne vous rendiez à cette protection et à se soin ; car ce n’est pas comme les Pères du monde, dont le soin est seulement (812) extérieur pour leurs enfants ; mais celui de Jésus-Christ, comme Père, et extérieurs et intérieurs. De plus, les Pères du monde, quoique que très aimant leurs enfants, ne les peuvent par nécessité toujours voir ; mais Jésus-Christ à ce privilège ne perdre pas un moment de vue et de soins actuels aucuns de ces enfants. Enfin, les Pères peuvent soigner à certaines choses plus principales, mais il faut qu’ils en commettent une infinité au soin des autres ; mais le cœur de Jésus-Christ comme vrai et unique Père, ne peut souffrir cela, il commet bien quelquefois ou ce se ou soin aux saints anges ; 7 à charge que tout se fera d’une telle manière, que l’on peut dire en vérité, que c’est lui-même.

Tout ceci en touchera-t-il. Votre cœur, pour aimer et vous confiez solidement au soin et à la protection paternelle de Jésus-Christ ?

III.

Considérez que le cœur amoureux de Jésus-Christ n’est pas encore satisfait de cette protection si avantageuse pour sa chère créature, elle est trop les délices de son cœur pour s’en tenir là, d’une telle manière, que non seulement en son incarnation, il nous a donné et à qui de droit d’enfants de Dieu, et par conséquent c’est obligé par amour à nous soigner et protéger comme c’est très cher enfant. Mais il nous a élevé à une dignité si relevées et éminentes, qu’elle mais tout le ciel en étonnement, en considérant les grandeurs et des merveilles (814) qui s’y rencontrent ; car il nous a estimé comme lui-même, et il nous a associé est uni à une telle et si infinie union, que le Père Eternel, les saints anges, et généralement tout le paradis, ne regarde une âme chrétienne que comme Jésus-Christ : c’est ce qu’il fit dire à ce divin Sauveur, convertissant saint-Paul persécuteurs des chrétiens : ça au, pourquoi me persécutent tu ? Il ne dit pas pourquoi persécutent tu mes amis, mes enfants, mes disciples ? Mais moi, comme nommant sa propre personne. Et ce même saint-Paul étend devenu chrétien, dit ces beaux mots : je ne vis plus mais Jésus-Christ vit en moi : ce qui est encore manifesté dans 1 million de passages de la sainte écriture, qui marque que Jésus-Christ nous a élevé à cette grâce, que d’être fait lui-même, et par conséquent que les soins que Dieu prend de nous, c’est en vue de Jésus-Christ en nous : ce qui dit un soin si admirable, une occupation de toutes les perfections divines, pour soigner à nous et nous perfectionner, si prodigieuse que cela ne se peut comme expliquer, les saints anges qui sont occupés à soyez pour leurs nécessités spirituelles corporelles, les traites en cette vue avec tant de respect, qu’il faut le voir pour le croire tel qu’il est, les démons aussi consument frayeur tout à fait grande 7e et souveraine : d’où vient de prime abord qu’il tente ce n’est qu’au qu’avec (816) craintes et tremblements. C’était pour cet effet qu’il répond dire une fois étant interrogé pourquoi leur charme n’avait pas de pouvoir sur une âme chrétienne, que celles qui étaient honorées de cette qualité étaient si élevées qu’il ne pouvait rien contre. Enfin généralement toutes les créatures porta respect tout à fait grand à cette dignité : ce que l’on a vu en plusieurs saints, que les lions et les bêtes les plus farouches venaient servir par respect et hommage.

En vue de cette éminente dignité que Jésus-Christ nous a acquise est communiqué, il nous traite comme lui-même, c’est-à-dire avec tout un autre soin, une autre vigilance, une autre application, que comme d’un Père à un Fils : il dispose de nous et agi en notre esprit en droit avec respect.

Imaginez-vous donc, ou plutôt penser tout ce que jamais un soin, une application, et généralement ce qu’un cœur divin, comme celui de Jésus-Christ peut faire, et croyez qu’il a fait, et le fait à tout moment pour nous, nous protégeant de la manière que j’ai dit

. Ou donc tous ses soins crus que Jésus-Christ vous oublie, qu’il n’a pas soin de vous, que si vous êtes à l’oraison, et à quelques autres exercices que vous soyez un peu sèche ou arides, il ne pense pas à vous. Éloignée de votre esprit toutes ces pensées, comme très fausses ; et au contraire (818) remplissez-le agréablement de toutes ces vérités, en croyant encore infinies fois plus que je ne vous en ai exprimées.

IX. Jour. Jésus plein de miséricorde pour sa créature. Méditation. Un.

Considérez que Jésus-Christ est une fontaine des miséricordes, laquelle est infinie et ne tarit jamais, pour trouver des inventions et des desseins, (820) afin de faire miséricorde à tout le monde (pourvu que l’on le veuille) n’y ayant aucun secret l’adresse que sa sagesse puisse inventer et trouver, pour adroitement gagné le cœur dont il ne se serve.

De plus il n’y a pas de moyens dont il nullus, se servant de sa puissance, de sa justice et de son amour, trouvant 1 million de moyens selon les sujets, pour faire réussir ses miséricordes, pour mieux exprimer, pour faire miséricorde il y a non plus de dessins de miséricordes dont son cœur ne soit rempli ; car qui verrait ce cœur tout divin et miséricordieux, le trouveraient tout rempli de pensées de miséricorde, d’une telle manière qu’il semble à une âme qui est assez heureuse d’en découvrir quelque chose par la lumière de la grâce, que ce cœur ne pense, ne désire et n’ai soucieux que d’exercer la miséricorde : c’est miséricorde surpasse à l’infini tous les autres beaux ouvrages. Vous êtes en vérité un Dieu d’une douceur, d’une suavité et d’une miséricorde admirable, dit le prophète. Et comme le cœur divin de Jésus est infiniment, car voyant, infiniment puissant, bon, sage, amoureux, etc. Aussi se sert-il très avantageusement très avantageusement de toutes ces belles qualités pour assiéger un cœur, afin de lui faire désirer, et le disposer, pour le faire miséricorde. Combien de bonnes pensées lui donne-t-il de se convertir, (822) lui découvrant la laideur du péché, l’état pénible et misérable d’une âme éloignée de Dieu, qui suit ses passions ? Combien de désir lui insinue-t-il au chœur, de pratiquer des saintes vertus, et enfin de jouir de son bonheur dans la possession de Dieu ? Ce qui fait dire au prophète, en en vue de l’infinie miséricorde de Dieu sur les hommes : que Dieu a été infiniment miséricordieux de toute éternité, et le sera encore à jamais. Et en un autre lieu : qu’en vérité c’est miséricorde surpasse en beauté et grandeur l’étendue des cieux.

Étant convaincu de toutes ces vérités, prenez plaisir d’envisager souvent Jésus-Christ dans la vue de ses infinies miséricordes, et quoiqu’il vous arrive, ne perdez jamais courage : car les miséricordes de Dieu sont infinies.

Répéter souvent en vue de Jésus-Christ miséricordieux ces beaux mots qu’il dit de lui-même : j’aime mieux faire miséricorde que de tirer justice de ceux qui l’offensent.

Attachée en toute rencontre d’aimer chèrement cette qualité de Jésus-Christ, faisant tout ce que vous pourrez pour limiter, en faisant bien aux autres, et assurément ce que vous leur ferez sera la mesure de ses miséricordes.

Serait-il possible que votre cœur envisageant forte souvent un Dieu si bienfaisant et miséricordieux, (824) ne fut point touchée d’amour ? Je m’assure que si vous êtes fidèles à le regarder avec un œil humble et plein de confiance, que vous l’aimerez de tout votre cœur.

II.

Considérez et envisagez encore plus particulièrement cette infinie miséricorde en Jésus-Christ laquelle il exerce si admirablement et si amoureusement, en pardonnant les péchés des hommes, et remédiant par ses mérites et par ces grâces à tous les dommages qu’ils causent dans les âmes, que qui le considère avec un esprit humble en est ravie : car quoique que cette beauté bonté infinie soit persécutée par les péchés des hommes, et par l’été ingratitude infinie, réitéré une si grande quantité de foi, et entendent manière ; cependant tout cela n’est pas capable de diminuer ses desseins des miséricordes ; au contraire très souvent, plus il trouve une âme pécheresse enfoncer perdu dans le péché, plus aussi, par son infinie miséricorde en a compassion, et l’Soignes utiles ; afin que la prévenant de ces grâces, insensiblement il y a le cœur et lui fasse changer le dessein de l’offenser. Et cela est pour l’ordinaire d’une telle manière qu’il paraît que toutes ses offenses sont contre une autre personne, que contre lui-même, tant il demeure immobile et fidèle dans la pensée de faire miséricorde.

Et ce qui est encore de plus admirables, c’est que la réitération très fréquente de tant de péchés, si grand et si énorme, ne diminue (826) en rien son désir de faire miséricorde aux pauvres âmes. Ce qui le fait travailler incessamment, nonobstant tous les rebuts que les pécheurs lui font, toutes les résistances et les recherches rechutent, afin qu’insensiblement et peu à peu, il tire de leur cœur quelque bon mouvement ou résolution de changer de vie, d’une telle manière que parfois ce Dieu tout d’amour travaillait à goûter 15 et 20 ans après une âme, et après tout ce travail ne l’empêchera que très peu de péchés ; mais enfin très souvent, en donnera-t-il quelqu’une sur la fin de leur vie ; ce qui assurément étonnerait beaucoup, si on considérerait de près la grandeur infinie de ses miséricordes en ces rencontres, ce Dieu n’a d’amour n’a pas agi avec nous selon nos péchés, et il ne sait pas régler dans ses miséricordes, selon nos iniquités.

Ce qui est encore ravissant dans la miséricorde de Jésus-Christ, est que quoiqu’un cœur soit tout gâté et usé par les péchés, cependant, par son infinie miséricorde, il ne dédaigne pas de le visiter (se repentant de son péché) et avec une bonté qui ne se peut exprimer, il de la, il ne guérit, et très souvent il oublie entièrement les péchés qu’il a commis ; et cela d’une telle manière, que qui le considère attentivement, est ravie d’étonnement en la vue des miséricordes de Dieu ; lequel Thierry si bénigne m’en nos plaies, et (828) remédient avec tant d’amour à nos péchés, quoi que sans aucun mérite de notre part, mais en vue de sa seule miséricorde. Ce qui faisait dire aussi au prophète ces beaux mots, mon cœur est si ravi de joie me voyant infiniment indigne en vue de mes péchés, que vous me regardiez et que vous ayez quelques considérations pour moi, que voyant que vous le faites avec tant de miséricorde, mon cœur ne peut cesser de chanter à jamais vos louanges, et dire à tout le monde vos miséricordes.

Vous ne sauriez jamais assez envisager Jésus-Christ dans ce beau regard de ses miséricordes sur une âme pécheresse, le faisant avec humilité et désire d’attirer ce même regard sur votre âme : car assurément il est fécond en grâce, et attendri un cœur plus qu’on ne le saurait dire, spécialement quand il expérimente par grâce sa propre corruption ; car cela le soulage admirablement dans sa peine, voyant son Dieu si incliné par miséricorde vers les pauvres âmes, et la trouvant son remède.

Si vous travaillez tout de bon à votre perfection, assurez-vous que la vue de Jésus-Christ miséricordieux pour les pécheurs, est un des grands moyens pour vous tenir toujours en ferveurs, et en désir de travailler fortement. Car par la vous remédierait à tous les découragements et à tous les abattements tristes qui vous pourraient survenir. (830)

mettez-vous souvent au pied de Jésus-Christ, comme la sainte amante, croyez et espérer qu’un déluge de miséricorde découle incessamment de son cœur divin, pour laver, purifié et remédier à vos péchés et aux tâches qu’ils ont faites en votre âme.

III.

Considérez que Jésus-Christ notre Seigneur, infinie en sa miséricorde, ne se peuvent satisfaire en pardonnant facilement les offensent des hommes, et en y remédiant avantageusement, guérissant leur plaît et l’avant leur tâche avec une bonté si miséricordieuse, que cela se peut mieux goûter que dire ; mais encore pour se satisfaire entièrement par un surcroît et une démarche plus avantageuse, il prend un infini plaisir de les enrichir, les élever les anoblir l’infini don : ce qu’il fait avec tant de soins et de vigilance, qu’il semble qu’il naît d’autre action que pour exercer ses miséricordes en élevant sa créature.

Premièrement. En lui communiquant quantité de vertus, qui ôte la laideur que le péché l’avait mis, et y repart image de Dieu gravé en elle par la création, est renouvelée par la rédemption au saint baptême.

D’exprimer le travail admirable et ingénieux de la divine miséricorde, pour rendre l’âme capable de ces divines vertus, on ne le peut en vérité, comme il est : d’où vient que les âmes, sur lesquelles ce Dieu de miséricorde les opère, sont seulement un (852) étonnement d’une si grande miséricorde, sans l’exprimer, ne voyant pas de raison, sinon que Dieu tout miséricordieux le veut.

De dire encore toutes les fatigues sans fatigue, cependant que Jésus-Christ tout miséricordieux exerce dans les chutes et rechutent que les âmes font, dans telles pratiques de vertu, cela ne se peut, car quantités ne font autre chose que faire et défaire, et presque jamais donner le parfait contentement et satisfaction à ce Dieu de toutes miséricordes pour faire à son aise et à son plaisir ce qu’il veut opérer en l’âme pour réparer cette belle île divine image de la divinité en son âme.

Premièrement. La divine miséricorde ayant opéré des saintes vertus en ce premier degré dans une âme, ne s’en peut contenter, il faut, si l’âme est fidèle à suivre, qu’elle passe outre, et qu’elle se fasse éclater plus magnifiquement et hautement la hauteur, et l’excès de son pouvoir, associant l’âme, et l’élevant à la plus haute qualité à la plus magnifique qualité que ce Dieu de miséricorde possède : car comme il est Fils du très haut par nature, aussi donne-t-il pouvoir à la créature de devenir enfant de Dieu, et être par grâce ce qu’il est par nature, et cela par la communication de son véritable esprit, lequel lui donne des qualités si grandes et magnifiques qu’une âme qui en est anoblie devient les délices du ciel, et les richesses de la terre, (834) vous avez reçu l’esprit d’adoption des enfants de Dieu, par lequel vous avez droit d’appeler Dieu votre Père : par, car ce même Esprit vous rend témoignage que vous êtes enfants de Dieu.

Enfin la divine miséricorde ne peut dire en cette vie vient : c’est assez, c’est pourquoi, quoiqu’elle est anoblie et élever une âme jusqu’à la filiation divine, et à la possession de Dieu, d’une si éminente manière, elle n’est cependant pas contente jusqu’à ce qu’elle est consommée est couronnée son œuvre, qui ne sera que dans l’éternité. C’est pourquoi et travail avec tant de vigilance et tant de soin, pour disposer les âmes fidèles aux grâces susdites, pour l’éternité, que lors que ce temps approche, elle redouble ces dons et ses opérations plus magnifiques, faisant encore voir davantage, qu’en vérité le cœur de Jésus-Christ et tout plein de miséricorde, ce qui donne une telle consommation consolation aux âmes, et une telle espérance d’une fin heureuse, qu’elles ne peuvent qu’elles n’espèrent incessamment jusqu’au dernier soupir de leur vie.

N’est-il pas véritable ce que le prophète a dit O mon Dieu que vos ouvrages sont magnifiques ! Vous avez fait tout en sagesse infinie, et toute la terre et remplie de la possession de vous-même : car en vérité qui a-t-il de plus (836) magnifique que les ouvrages de cette divine miséricorde, que Dieu va incessamment faisant à toutes les créatures, selon leur disposition : étant aussi très vrai en se rencontre : de la même manière qu’un Père tout aimant n’a pas de mesures à l’égard d’un enfant très chéri, ainsi Dieu a exercé sa miséricorde sur ceux qui le craignent.

Ne m’avouerez-vous pas qu’il faut être bien crus à soi-même, de ne faire pas usage et profit d’une si infinie et si libérale miséricorde, et qu’il faut être très dur, ou plutôt un cœur de diamant, pour n’avoir pas de tendresse et de reconnaissance pour un Dieu qui porte pour un titre spécial, le Dieu de 1000 des miséricordes, et de toute consolation ?

Prenez à tâche au nom de Dieu, de le faire régner magnifiquement sur votre cœur, et que toutes ses miséricordes est un effet permanent en vous, et je m’assure, si cela est, quand peut vous en saurer plus par votre expérience que vous n’en pourriez concevoir par vos pensées. (838)

X. Jour. Jésus-Christ patience et longanimité. Méditation. Un.

Considérez que Jésus-Christ quoiqu’infinie Majesté, infiniment voyant et pénétrant toutes choses, jusque-là même dans les abîmes, dans nos pensées et nos desseins les plus secrets et cachés ; enfin devant lequel tout est très présent, toutes choses se faisant en sa présence, ne laisse, par sa longanimité et amoureuse clémence, de patienter, dissimulant nos péchés et nos irrévérences, et généralement tout ce que nous faisons contre sa suprême grandeur : il dissimule nos péchés, dit le prophète, nous attendant à pénitence, il les tolère et souffre un long temps premier que d’en faire la punition.

De plus, elle reçoit des hommes une ingratitude infinie, et un mépris de ces grâces et faveurs très grandes, recevant souvent telles injures 2, que le plus misérable (840) du monde serait à bout ; combien de dérision de sa divine personne ? De profanation de ses dons, grâce et sacrement, soit de la confession communion ? Combien d’âmes le refusent, préférant une créature, une inclination, une tâche à Jésus-Christ leur Dieu ? Parfois il les sollicitera d’une telle manière, et leur gagnera le cœur d’une telle façon, et avec tant d’amour, qu’enfin il les convaincra, et concurrents ont un dessein de les faire régner en elle ; mais et tout aussitôt il vient une petite occasion qui n’est rien, une crainte de déplaire, la privation d’une petite satisfaction, ces âmes sont emportées par ce rien, et donne la préférence à la bagatelle, chassant honteusement Jésus-Christ de leur cœur, qui était entré, et qui commençait à y vivre par son seul bon dessein, ce qu’elles font 1 million de fois le jour.

Arrêtez-vous à voir toute la difficulté que Jésus a de gagner quelque chose sur votre cœur, et vous verrez clairement qu’il faut avoir une patience et une clémence infinie. Combien de fois (jusqu’à ce moment) avez-vous commencé à ne plus vouloir offenser Dieu, et tout aussitôt vous avez rompu votre résolution ? Combien l’a-t-il que vous avez certaine la perfection que Jésus-Christ combat en vous ? Et cependant tantôt vous y travaillez, et aussitôt vous abandonner travail, et suivez votre nature corrompue ; quelle patience à un Dieu, en demeurant (842) toujours de même, c’est-à-dire également amoureux de vous est prêt à vous recevoir ?

Après vous êtes fortement occupés de ces vérités, tout à fait importante est consolante, tâchez de prendre de fortes résolutions de faire usage de cette patience Jésus-Christ, toute amoureuse et pleine de bonté : car en vérité elle est une source infinie de grâce pour une âme, laquelle, quoiqu’infiniment pauvre et faible, tâche cependant d’en bien usait, faisant de son mieux.

Premièrement. Pour être delà animé au travail et aux soins de sa perfection : car en vérité, que peut-il y avoir jamais de plus touchant, et convainquant un cœur pour se donner à Dieu, que de savoir Jésus-Christ si amoureusement passion pour le gagner, le purifier et le rendre capable d’amour ?

2. De plus utile pour venir à bout des imperfections les plus enracinés de notre nature, et des péchés les plus invétérés : car pourvu que la nature ne s’impatiente et ne laisse la le travail, elle est assurée de la patience Jésus-Christ, qui lui aidera sans jamais lui manquer, si de sa part elle et contribue de son mieux.

Ne m’avouerez-vous pas en vérité que cette vue de Jésus-Christ patient, rend infiniment coupables les âmes qui en mes usent, et que vous vous condamnez à ce moment de très grandes infidélités, et vous voyez (844) très criminelle sans excuse aucune ?

II.

Considérez et pesez bien, afin de vous convaincre fortement de la patience et longanimité infinie de Jésus-Christ, que cette divine patience est exercée d’une manière que l’on peut mieux savoir par expérience que par paroles ; car outre qu’il y a en a des sujets en général dans tout le monde, par les pêchées et toutes les choses qu’il a à souffrir, comme vous venez de voir, aussi dans le particulier la chose est très utile et nécessaire à considérer : c’est pourquoi appliquez-vous à voir combien chaque âme fait de péchés ; mais spécialement, la vôtre ; combien de recherche à quelques mauvaises habitudes vous contractait, et par la, combien vous salissez et détruise et ruiner les puissances de votre âme ? D’une telle manière, qu’à la suite, c’est au plus, si après bien de la patience de Jésus-Christ vous vous pouvez retirer par sa grâce, de quelque péché notables. Ces chutes et reçu chute, ses mauvaises habitudes, vous m’êtes presque comme dans une nécessité d’être toujours sa l’est dans la résistance ; de plus vous éloignent tellement de la perfection et de la pratique des saintes vertus, que c’est une chose admirable quand un cœur en s’ainsi gâté, en peut pratiquer quelqu’une.

Cependant ce Dieu patient et longanimité, comme vous le voyez par expérience dans votre âme, ne vous abandonnent jamais ; (846) n’est-il pas vrai qu’au milieu de tous vos péchés vous sentait certain remords, vous avez certaines lumières dans votre esprit qui vous donne de la peine, et enfin votre cœur ne peut être en repos dans cet assiette ? Qui fait tout cela, sinon Jésus-Christ infiniment patient et amoureux de nous ? Lequel demeurant dans notre cœur, nous aide incessamment pour nous retirer. Combien de bonnes résolutions nous insinue-t-il dans le cœur et combien de touche amoureuse dans notre volonté ? Certaines ouvertures qu’il nous donne pour rompre nos liens, et de telle manière que les chutes et rechutes n’empêchent pas que ce Dieu tout l’amour ne continue, je dis même jusqu’à la mort : ce qui faisait dire au prophète ces beaux mots : vraiment mon Dieu vous est infiniment miséricordieux et longanimité, et vos miserationum n’ont pas de terme, étant toujours prêt de secourir.

De plus, votre expérience ne vous fête telle pas voir que si vous concevez le dessein d’un peu travailler à votre perfection, c’est encore ou Jésus-Christ a plus de besoin de patience ? Car combien de chutes et de rechutes ? Il faut qu’il donne 1 million de grâces à ses dépens, pour retirer un seul petit acte de vertus, comme fruit de ces travaux, et cela parfois des 15 et 20 ans. De plus, plusieurs même, ayant goûté coûter infiniment à sabots bonté, par (848) ses soins visions, vigilance et travaux, tout d’un coup perdent tout, et il faut que ce Dieu a infatigable par amour, recommence, comme si il n’avait rien fait ; si bien qu’en vérité une âme éclairée de Dieu, voit que cette patience et longanimité en Jésus-Christ ne l’si amoureusement, qu’il faut par nécessité qu’elle lui ferme les yeux, lui empêchent les mains, et ainsi amoureusement captifs, le débarrasse pour ne pas se venger. Car avoir nos péchés, la corruption de notre âme, les recherches, les rechutes, et le peu de capacité pour la vertu, causée par la faiblesse de l’âme, et le peu de fidélité, et cependant à la sa patience a toujours persévéré et attendre notre pureté inférieure, et que nous soyons capables de quelque vertu, cela surprend.

N’avez-vous jamais fait réflexion, allant à confesse, et demandant pardon à Dieu des fautes que vous avez commises, que voilà peut-être la millième des 2/1000 fois que vous lui promettez la même chose ? Ne faut-il pas une patience admirable pour cela ? Et cependant Dieu tout bon le soufre, et vous pardonne encore aussi amoureusement la dernière fois que la première, pourvu que votre regret soit véritable. Cela doit plus toucher un cœur et reconnaissant et qui est capable d’aimer que tout ce qu’on lui peut dire de grand en Jésus-Christ ; c’est pourquoi en vue de cette infinie patience à vous supporter et à vous aider, aider le à l’infini ; et quoi que votre pauvre cœur, toussa le, tout imparfait (850) et user de péchés, ne puisse aimer que très faiblement, aimez cependant, et tâchez de reconnaître cette amoureuse patience, et vous en servir pour gagner toujours quelque chose sur vous-même, soit en combattant quelque péché ou imperfection, soit en pratiquant les saintes vertus de votre mieux.

III.

Considérez que notre Seigneur Jésus-Christ a voulu faire voir si spécialement ces divines vertus en lui pour le bien est la consolation des âmes, qu’en tout rencontre il la fait voir, soit en supportant les pauvres pêcheurs, comme une qu’un année, une femme adultère, une Samaritaine, etc., soit en faisant voir par des paraboles les figures qu’elle il était, spécialement sous celle de l’enfant prodigue, qui assurément, est un art et admirable des merveilles que cette divine vertu est dans le cœur de Jésus-Christ. Cet enfant fait souffrir à son Père 1 million de choses, étant chez lui, l’oblige enfin de lui donner la part de son bien, laquelle ils dépensent empêcher aient choses tout à fait méchantes, se réduit à la dernière misère et honte ; mais elle lui se ressouvenant de la patience touche amoureuse de son Père, se résous de l’aborder pour lui demander pardon.

Voyez ce Fils dans l’état ou il était, tout déchirait, honteux, et ayant consommé généralement tout ce qu’il avait.

Remarquez aussi se perd toute passion, qui le reçoit en cet état, (852) lui va au-devant n’attend pas qu’il ouvre sa bouche pour lui dire un mot, il s’est son cœur, il n’embrasse, et sans faire aucune réflexion sur tout ce qui la fait qui la vérité, il ordonne qu’on leur habit, et qu’on leur remette dans son premier degré, faisant pour cet effet une fête particulière.

Son frère ne sachant la cause pourquoi son Père agit de la manière en est étonné : hélas ! Il ne sait pas que c’est la patience et longanimité qui l’est aveugle amoureusement ce cœur paternel, et qui lui fait trouver plus de délices dans son enfant qui était perdu et qui est retrouvé que dans lui qui a toujours été fidèle, et c’est pour cela même aussi, que les saints anges divinement éclairés de Jésus-Christ font une plus grande solennité de quelques âmes, quoiqu’en petit nombre, qui se convertissent, que de quantité de juste qui demeure dans leur degré de sainteté.

Voilà un flambeau admirable, pour connaître Jésus-Christ et savoir qu’elle il est, conformément à ces belles paroles de saint Paul, qui l’a bien connu, que vraiment Jésus-Christ est un Dieu patient, de consolation et de douceur.

De toutes ces vérités ne serez-vous pas convaincus d’aimer tout de bon notre Seigneur, lui sacrifiant pour jamais votre cœur, puisqu’en vérité, toutes ces qualités, spécialement celle-ci, sont capables d’emporter et de vaincre les cœurs les plus rebelles.

Sachez que comme la patience (854) et longanimité est une qualité en Jésus-Christ infiniment admirable et infiniment pleines d’amour vers les créatures, aussi est-elle très fructueuse à nos âmes, lors que nous tachons de la pratiquer dans les occasions qui s’en présentent, d’autant que Jésus-Christ, par les divers actes qu’il en a faits, souffrant et patientant des hommes, comme vous avez vu, en a fait une source infinie et très ce féconde de grâce, pour toutes les pratiques de patience que l’on fait exercera ; ce qui dit une chose admirable à qui la considère de près et qui en fait usage.

Conclusion.

Cette retraite est assurément très utile et beaucoup pleine de grâce pour les âmes amoureuses de Jésus-Christ, lesquels avec grande fidélité, ne se contente pas seulement de se servir de ces considérations, durant quelques jours de solitude ; mais encore après telle solitude tâche doucement de s’occuper de Jésus-Christ par leur moyen, le voyant tantôt sous une qualité, tantôt sous l’autre, et ainsi s’entretenant doucement en sa présence, et se servant agréablement des vérités qu’elles contiennent en recevront beaucoup de fruit.





CONCLUSION DES RETRAITES 168434

III

LES DEGRÉS D’ORAISON

CONCLUSION des RETRAITES/Où il est traité des degrés et des états différens de l’oraison, et des moyens de s’y perfectionner,/A Paris, chez Jean-François Dubois, rue saint-Jacques, à la Reyne du Clergé & à l’Image S. Denis, vis-à-vis S. Yves./1684 1.35

Approbations

Nous soussigné Docteur en la sacrée Faculté de Théologie de Paris, avons lu et soigneusement examiné le livre intitulé Conclusion des Retraites, avec l’explication des degrés d’oraison, que nous avons trouvé conforme à la Foi Catholique, Apostolique et Romaine, et à la sainteté des bonnes mœurs et rempli de sentiments très pieux et efficaces, pour les personnes Religieuses et Ames saintement désireuses de leur progrès spirituel à une haute perfection et à l’estime de la sainte Oraison : dont il explique les voies les plus secrètes, avec un grand ordre et netteté, qui marque la grande expérience de l’Auteur de ce livre, dans la conduite des âmes et les voies intérieures. Fait à Paris, ce 1er septembre 1663, VIN. DE MEUR

Nous soussigné Docteur en Théologie de la Faculté de Paris, certifions avoir lu un livre intitulé Conclusion des Retraites, avec l’explication des degrés d’oraison ; dans lequel nous n’avons rien trouvé de contraire à la Foi ni aux bonnes mœurs. Fait à Paris ce 12e septembre 1663. M. GRANDIN.

Extrait du privilège du Roi

Par grâce et privilège du roi du 18e mars 1678, signé DALENCE : il est permis à Madame Françoise RENEE de LORRAINE, Abbesse de la Royale Abbaye de Mont-Martre, de faire imprimer un livre intitulé Conclusion des Retraites, avec l’explication des degrés d’oraison, et défenses sont faites à toutes personnes, d’imprimer ou faire imprimer ledit livre, à peine de tous dépens, dommages et intérêts, et autres peines portées par ledit privilège.

Registré sur le livre de la Communauté des Imprimeurs et Libraires de Paris, le 19 avril 1678. E. COUTEROT, syndic.



TABLE de ce qui est contenu en ces Conclusions des Retraites 36:

[1] [Introduction sans titre ni annotation marginale]

[15] DEGRES D’ORAISON.

[15] De l’oraison d’affection.

[32] De l’oraison de simplicité

[62] De l’état de l’oraison passive

[75] Premier degré de la mort passive

[104] Second degré de la contemplation passive

[121] Troisième et dernier degré d’union, à laquelle parviennent les âmes qui sont assez heureuses pour être appelées à faire un grand progrès dans ces routes de l’oraison, et qui s’y rendent fidèles.

[133] Marques pour discerner quand une âme passe de l’oraison de simplicité dans l’état passif.

[140] Eclaircissement sur plusieurs difficultés de ces degrés d’oraison, qui pour l’ordinaire donnent beaucoup de peine aux âmes qui ne sont pas instruites.

[Pourquoi on ne dit rien des révélations – Comme on se doit servir du sujet dans l’oraison d’affection et les autres degrés – Comment se font les examens, actes de contrition et autres pratiques dans les divers degrés d’oraison – Comment on est certifié de son état – Que doit être le directeur – Abus ordinaire des âmes qui sont dans les ténèbres – Différence des véritables obscurités et des fausses – On doit parler des degrés d’oraison avec méthode – Abus de quelques spirituels – Si l’on doit généralement conseiller l’oraison – Comment on doit conseiller l’oraison, selon la capacité de la personne – Prétextes malheureux qui font quitter l’oraison]

CONCLUSION

Où tous les degrés d’oraison sont expliqués, les marques pour connaître quand on y est, y sont données, et les effets de chaque degré sont aussi marqués.

[189-210] Manières d’agir dans les maladies et à la mort pour chaque degré

  1. µ Il ne s’agit pas seulement d’une précaution oratoire, mais fait écho au conseil que Bertot donna à la jeune Mme Guyon.

Si elles [les âmes] que nous corrigeons ici en s’ils. Nous corrigerons au cours du texte, sans toujours le signaler, les archaïsmes grammaticaux.

On trouvera de nombreuses précisions entre parenthèses — peut-être s’agit-il de corrections qui ne proviendraient pas de Bertot, à l’instar de celles de Poiret apportées sur les écrits sans repentir de Mme Guyon.

Le but en vue. Prétention : « visées, intentions » (1671). (Dict. Rey).

[INTRODUCTION]

Ce recueil des exercices a été ajusté37 sans aucun dessein de le mettre au jour ; mais seulement quelques personnes ayant divers papiers de Retraites, les ont voulu faire imprimer pour leur commodité. Et comme cela peut tomber entre les mains d’autres, (2)38 qui n’ont pas reçu les instructions pour en faire usage, il est assez à propos d’appliquer39 ici les degrés d’oraison plus avancés ; et comme au commencement, dans la préface40 il a été parlé de la méditation et des autres exercices qui l’accompagnent et la suivent ; de même dans cette conclusion, on donne quelques enseignements sur les autres degrés. Ce qui sera assez utile, comme je crois, pour plusieurs raisons.

1. Pour retirer les âmes d’une erreur très commune et très préjudiciable. L’on croit qu’aussitôt que l’âme est tirée des limites de la méditation, pour avoir quelque entrée dans l’oraison d’affection, et [dans] les autres degrés qui [3] suivent, il faut au même temps la sevrer des saintes méditations et des objets divins. Et quantité de Directeurs seulement savants par les lectures et non par une solide expérience, y donnent lieu trop promptement, croyant beaucoup faire avancer les âmes qu’ils conduisent parce qu’ils les retirent de l’occupation vers ces objets. Mais souvent au lieu de contribuer à les remplir de vertus et de saintes lumières pour les conduire, ils leur donnent lieu de s’occuper de chimères et, en vérité, de mener une vie très vide de Dieu dans l’intérieur et aussi très éloignée de la fidèle et très fervente pratique à l’extérieur41. [4]

2. Pour animer les âmes à l’amour de l’oraison, voyant que Dieu est infiniment riche dans Ses dons, [Lui] qui ne Se contente pas de Se communiquer à elles par le degré de méditation, mais qui est encore tout prêt et infiniment désireux de S’y donner par tous les degrés dont nous allons parler.

Ce que beaucoup, avec la grâce de Dieu, pourraient expérimenter s’ils42 se rendaient fort fidèles à faire leurs oraisons chaque jour, pratiquant toutes les saintes résolutions que le saint-Esprit leur communiquerait — si de plus elles [les âmes] étaient fort exactes à faire leurs retraites chaque année, qui sont un moyen dont le saint-Esprit se sert pour renouveler tous les [5] bons sentiments et purifier les fautes et les faiblesses commises par le propre poids de notre corruption — si enfin (ce qui est indispensablement nécessaire)43 elles se tenaient fidèlement dans un degré d’oraison. Comme l’on voit qu’un voyageur qui entreprend quelque grand voyage – quoiqu’il en ait la fin en prétention44, qu’il y pense souvent et qu’il s’en entretienne même avec ses amis, – cependant dans l’exécution il va de lieu en lieu, d’hôtellerie en hôtellerie.

Ainsi les âmes qui prétendent à l’union véritable avec Jésus-Christ, et qui par un amour fervent la désirent infiniment, y pensent souvent, s’en entretiennent avec les [6] personnes qui ont la même grâce (c’est-à-dire qui désirent la même union). Mais pour l’exécution de ce grand voyage, il faut indispensablement qu’elles aillent de lieu en lieu, courant tout le pays de la méditation, auparavant qu’elles passent [outre]45 et que l’esprit de Dieu les mette dans l’oraison d’affection.

Il faut aussi qu’elles en fassent autant touchant cette oraison d’affection, avant que l’Esprit de Dieu les introduise dans la simplicité pour de là passer dans celle de la nue foi, et ainsi se conduire dans les autres degrés46. Je ne comprends point ces autres personnes qui limitent les temps pour chaque degré, comme si c’était aux hommes de conduire les âmes dans ces routes : ils [7] peuvent bien y aider et faciliter les choses, mais de les faire passer quand et comme ils veu —



lent, je ne crois pas que cela soit. Car il faut par nécessité, comme je viens de dire, qu’une âme, auparavant que de quitter un degré d’oraison pour être introduite en un autre, ait reçu toute la lumière, toute la purgation, et toutes les vertus que ce degré renferme en soi, non pas que chaque âme reçoive également la lumière et les pratiques par chaque degré, mais selon le dessein où Dieu l’appelle47. Car de dix personnes qui seront dans la méditation, et qui y marcheront avec fidélité et sans tromperie, toutes peut-être seront différentes de degré quoique par la [8] même pratique, et de cette sorte elles passeront à l’oraison d’affection fort différemment.

Quand j’ai dit indispensablement, j’entends sans un miracle, que Dieu fait fort rarement. Par exemple, si tout d’un coup après une conversion, une âme est introduite dans l’oraison d’affection, de simplicité ou d’autre degré et que le Directeur le juge véritable, et non imaginaire, il faut qu’il remarque en cette âme toute la lumière et toute la pratique communiquée extraordinairement des états qui précèdent celui où elle est mise. Car si cela n’est pas, ce peut être une simple affection et quelque bon mouvement, mais non pas un établissement de [9] degré véritable et solide d’oraison qui doive entretenir et occuper l’âme48.

3. Enfin [troisième raison pour cet enseignement], pour faire voir qu’en quelque état où l’âme se trouve en cette vie, elle ne doit point dans la vérité quitter les objets divins de Dieu et de Jésus-Christ. Elle change bien son occupation, sa manière de les voir et d’y être unie, mais sans les quitter et abandonner. Car comme dans l’éternité, la lumière de gloire a toujours pour objet la divinité et l’humanité sacrée, aussi en la terre, la foi, en quelque élévation qu’elle soit, s’occupe toujours du même objet.

Et il faut remarquer que les différents degrés d’oraison ne sont autre chose en une âme que [10] les différents dons de foi. La méditation n’étant qu’une lumière de foi plus sensible par le raisonnement et l’occupation de l’esprit vers un objet. L’oraison d’affection est une foi plus épurée élevant la volonté : et ainsi de tous les autres degrés d’oraison. D’où vient que la dernière union où l’âme peut arriver en cette vie, n’est qu’une communication de Dieu en elle par une lumière de foi fort pure, et dégagée du sensible et de tout ce que notre esprit peut former et concevoir au-dessous de Dieu.

Cela supposé (ce que je crois très véritable, et que je soumets cependant aux personnes plus expérimentées et plus éclairées que [11] moi), ces sujets d’exercices que vous avez remarqués dans ces retraites pourront beaucoup servir aux âmes selon le degré d’oraison où elles seront. Les premières [retraites] aideront beaucoup celles qui commencent, et les autres seront fort propres pour celles qui sont assez heureuses pour être introduites dans les degrés plus avancés. Elles seront aussi fort profitables aux autres âmes, afin de les affectionner à l’oraison et à l’amour vers Sa divine Majesté. Mais spécialement vers Jésus-Christ, pour faciliter Son imitation et la sainte pratique des vertus conformes à Ses saints états.

Assurez-vous49 que si vous donnez à vos oraisons le solide fondement [12] que ces Exercices vous marquent, vous serez certaines50 que non seulement votre oraison sera excellente, mais de plus, que vos démarches pour l’union de votre âme à Jésus-Christ seront solides et hors de l’illusion et de la tromperie. Et comme j’ai vu en plusieurs âmes un défaut très notable sur ceci, je n’ai pu m’empêcher par charité de le dire. Car très souvent, outre qu’elles s’égarent et qu’elles perdent la route d’aller à Dieu, elles perdent même la capacité d’y pouvoir être remises51.

Ayez aussi cette consolation que, dans la voie de l’oraison et dans les saintes démarches de ces degrés, une âme y est vraiment [13] heureuse, puisqu’elle y trouve sa paix, sa joie et sa béatitude. Ces âmes n’attendent pas l’éternité pour commencer d’être satisfaites et contentes, mais assurément elles expérimentent un avant-goût du bonheur éternel dans leurs oraisons et communications avec Dieu52.

Ce qui les dégoûte beaucoup du monde et de ses embarras, et leur fait tant désirer la perfection de la sainte oraison que, quoique patiemment humbles et résignées en chaque degré, même dans les premiers et les moins avancés, elles ne laissent pas de s’abandonner humblement entre les mains de Dieu pour tous les degrés suivants — leurs pauvres cœurs désirant insatiablement [14] que Dieu les leur communique, quoiqu’avec toutes les croix et toutes les difficultés qu’elles savent très bien, par expérience et par goût divin, que ces degrés d’oraison mènent et attirent avec eux. [15]





DEGRES D’ORAISON

De l’oraison d’affection

Quand une âme a été fort fidèle à la pratique de la méditation et qu’à son aide elle s’est purifiée de ses passions plus grossières et enrichie des vertus conformes à ce degré, comme de l’humilité, de la patience, de l’obéissance — et généralement [s’est purifiée] des défaut plus particuliers qui dérèglent les sens, les [16] ordonnant dans une sainte modestie — pour lors et non autrement, Dieu d’ordinaire commence à élever un peu l’âme dans son procédé d’agir avec Lui, la rendant plus amoureuse de Sa grandeur et plus capable de converser avec Lui par amour.

[Différence de la méditation et de l’oraison d’affection]53

Car, comme dans la méditation l’âme est toute tournée vers elle pour se purifier et pour s’orner des vertus comme j’ai dit, par l’oraison d’affection Dieu commence de faire cesser cette action, inclinant l’âme davantage devers Lui-même en lui donnant peu à peu l’occupation d’amour 54: ce qui est encore plus efficace que ce qu’elle faisait en la méditation. Quoiqu’elle ne soit pas si agissante vers elle-même [17], mais ainsi simplement occupée d’amour vers Dieu, Il fait ce que cette âme ferait55 par son action propre.

Il est à remarquer que ce degré d’affection vient peu à peu comme celui de la méditation et que l’âme ne devient pas tout d’un coup parfaitement amoureuse. Mais elle augmente insensiblement à mesure qu’elle exerce cette oraison d’affection et qu’elle s’en sert pour se purifier de quantité de choses que la méditation n’a pas pu effectuer. Elle lui sert aussi pour acquérir des vertus plus solides, plus intérieures et plus insinuantes, une plus pure conformité à Jésus-Christ.

Car c’est dès ce degré que Jésus-Christ [18] commence un peu à Se découvrir à l’âme, comme une très belle aurore qui la surprend et qui la met dans l’étonnement56 : ce qui excite beaucoup sa volonté pour aimer, et, pour mieux dire, ce qui met la volonté en quelque manière seule en action. Car insensiblement elle trouve Jésus-Christ si aimable, qu’elle ne saurait voir rien de Lui, ni entendre une parole qui Le touche, qu’insensiblement son cœur ne soit excité par l’amour.

[Ce que c’est que l’oraison d’affection]

Cette oraison d’affection consiste donc dans une simple occupation de la volonté vers la Divinité, ou bien vers Jésus-Christ hommeDieu, et quelqu’un de Ses Mystères, tantôt l’un, tantôt l’autre, [19] selon la touche d’amour qui sera communiquée.

Ici l’entendement fait peu de choses à l’égard du temps de la méditation mais il envisage simplement et s’occupe de son objet. Et par là, la volonté qui est toute agissante en cette oraison, commence à travailler de toutes ses forces, tantôt en aimant, une autre fois en se soumettant, etc. Ainsi par une variété de mouvements affectifs, elle s’occupe saintement de son objet.

Cette occupation est souvent fort distincte en l’âme, découvrant fort clairement tout ce qu’elle y fait et le colloque amoureux qu’elle a avec Sa divine Majesté. Quelquefois aussi cette occupation de volonté [20] et d’amour est fort inconnue, sinon que l’âme sait toujours qu’elle aime et qu’elle entretient amoureusement une bonté infinie, ne voulant pas s’occuper, et même ne le pouvant pas, pour arranger dans sa volonté et dans son esprit ses discours.

[Deux sortes d’oraisons d’affection]

Cette oraison d’affection n’est pas toujours [présente] dans chaque âme d’une même manière. Tantôt elle y est sensiblement et affectueusement perceptible. Une autre fois et surtout quand elle est déjà un peu avancée, elle y est avec sécheresse, obscurité et ténèbres. Ce qui n’empêche pas l’amour de la volonté au contraire [qui] l’excite et l’anime, comme nous voyons que dans les amours de la [21] terre, les absences et les éloignements, au lieu de diminuer les véritables amours, les augmentent.

En ces deux façons d’oraison d’affection, qui à la vérité ne sont pourtant qu’une même, mais se succèdent l’une à l’autre par conduite divine, l’âme doit remarquer la manière dont il faut qu’elle se comporte :

En la première, elle n’a doucement qu’à occuper sa volonté à l’aide de la simple considération, comme j’ai dit, et comme elle y a du sensible, cela lui est bien facile et quelquefois trop, à quoi elle doit prendre garde. Car insensiblement et sans s’en apercevoir, elle deviendrait gloutonne du goût qu’elle y reçoit et peu [22] à peu se forcerait la tête et s’échaufferait la poitrine, spécialement quand l’âme est d’un naturel affectif.

En la seconde, elle n’a qu’à se fortifier contre le découragement. Se voyant dans la sécheresse, les obscurités et les distractions, qu’elle ait patience et qu’elle aime en se soumettant et en s’abandonnant, comme en la première elle le fait en jouissant. Qu’elle se donne de garde de se trop bander la tête, mais qu’humblement elle demeure abandonnée, sa volonté agissant et faisant son affaire d’une manière qu’elle n’entends pas. Nonobstant ses ténèbres, qu’elle soit fort fidèle à prendre ses heures d’oraison sur [23] les sujets qu’elle se sera proposés, ses temps de retraite, ses examens et les autres pratiques.

[Effets de l’oraison d’affection]

Ici la présence de Dieu commence à être d’un grand goût et l’amour peu à peu s’en occupe hors l’oraison avec une intime affection, d’autant que c’est un des effets particuliers de ce degré de commencer à approcher l’âme de Dieu, la simplifiant comme j’ai dit. Et comme il faut être fort fidèle à son oraison et aux autres pratiques, aussi faut-il être fort exact à ce commencement de don de présence de Dieu qui augmente à mesure que l’âme croît en en pureté par ce degré.

Ce même degré d’oraison d’affection dégage beaucoup l’âme [24] des choses du monde, la rendant désireuse et amoureuse des éternelles, ce qui lui cause un soin et une vigilance qui vont57 toujours croissant et s’augmentant pour la plus pure et la plus exacte mortification de ses passions et de ses inclinations. Car comme l’amour est ici la lumière de l’âme, et qu’il a des yeux plus pénétrants que le raisonnement de la méditation, aussi découvre-t-il plus subtilement les fautes et les impuretés que l’âme ne voyait que très peu dans le degré méditatif. Il en faut dire autant pour la plus pure pratique des vertus qui assurément commence ici à être plus exacte, et l’âme se sent davantage sollicitée à une plus simple, plus amoureuse [25] et plus particulière conformité aux vertus que Jésus-Christ a pratiquées.

Enfin, selon que ce degré d’affection croît en l’âme, et qu’elle y est fidèle par la correspondance, son amour se simplifie, devient calme et paisible.

Au commencement il est fort actif, bouillant et fervent, et continue ce que Dieu veut, un très long temps de cette manière ; mais ensuite, à mesure que ces effets s’effectuent en vérité dans l’âme, cet amour tendant toujours à son Centre [qui est l’amour et l’union à Jésus-Christ]58, il se simplifie, devient peu à peu calme et tranquille. Ce qui ne se fait pas tout d’un coup, mais par [26] une vicissitude, l’âme étant tantôt un peu plus agitée d’amour et d’affection. Et tout cela par une conduite admirable de Dieu, afin d’introduire l’âme, Sa fidèle, dans le degré suivant de simplicité dont nous allons parler, après avoir expliqué les marques véritables que l’on doit voir en une âme qui est dans la méditation et qui doit passer dans ce degré d’oraison d’affection.

[Marques pour connaître quand on doit quitter la méditation pour passer à l’oraison d’affection]

1. La première marque est, comme j’ai déjà touché au commencement, de voir en une âme un avancement notable de pureté intérieure causé par le degré de méditation. Cette pureté doit consister dans un degré déjà avancé de mortification des passions, des [27] inclinations et des attaches naturelles aux choses créées, et dans une certaine impatience amoureuse quand l’âme a commis quelque défaut.

Cette première marque est absolument nécessaire. Car comme Dieu ne fait jamais rien inutilement, élevant l’âme à l’oraison d’affection, Il la dispose davantage pour Son union et par conséquent Il doit la mettre dans une pureté plus avancée, qui doit nécessairement s’accroître par la fidélité de l’âme en correspondant à mesure que Dieu l’a fait avancer.

Il faut voir un renouvellement d’amour tout particulier en l’âme, qui ne doit pas être [28] passager comme certaines ferveurs et bons mouvements que plusieurs âmes ont aux bonnes fêtes, ou bien après avoir vu ou entendu quelque serviteur de Dieu qui en parle, ou fait quelque lecture dans les livres qui en traitent. Mais il doit être constant, stable et approuvé par le Directeur un long temps, tenant l’âme toujours dans son degré de méditation. Et si cet amour est une véritable vocation à l’oraison d’affection, il ne cessera nullement pour cela, mais au contraire, il s’augmentera.

Et afin d’être encore plus assuré que cet amour soit véritable et solide pour ce degré, il doit produire à vue d’œil l’humilité, pour ne pas contredire un Directeur qui contredit ce sentiment. Et même ce Directeur doit prendre garde et s’informer des personnes qui hantent59 cette âme, si en vérité cette vertu commence à croître manifestement : car si cela n’est pas, l’amour n’est point vrai. De plus, ce même amour fait germer admirablement la soumission et la docilité d’esprit avec une paix ordinaire, pour se soumettre à l’aveugle et trouver tout bon sans contradiction. D’où vient que cette âme commence à être ordonnée admirablement pour garder la société charitable et paisible, excitée qu’elle est continuellement par ce commencement d’amour qui lui est communiqué. Enfin le dégagement des [30] choses créées et de ce qui n’est point Dieu commence à éclairer son âme, demeurant toute étonnée comment elle a aimé des choses si basses, Dieu commençant à lui paraître si uniquement aimable.

La troisième marque qui suppose absolument et indispensablement les deux premières, est de remarquer l’âme tendre à la simplicité, et ne pouvoir plus tant raisonner et se multiplier par diversité de pratiques, de considérations et d’affections arrangées comme elle avait accoutumé. Cette simplicité est toujours accompagnée d’un certaine étonnement de l’âme qui voudrait toujours continuer son premier [31] degré de méditation, mais qui ne le peut. Et plus elle se fait d’efforts, plus aussi Dieu la gagne amoureusement, et de cette manière [elle] est introduite [auprès de Lui] sans s’introduire elle-même.

Remarquez bien que ces trois marques doivent être nécessairement dans une âme et que si aucune des trois manquait, elle ne serait pas en état de passer en ce degré affectif et de cette manière elle se nuirait beaucoup si elle le faisait. Mais ces marques supposées en vérité dans une âme, qu’elle soit fidèle et reconnaissante de la grâce que Dieu lui fait ! D’autant qu’Il la dispose assurément [si elle est constante à y contribuer] pour être Sa [32] bien-aimée et un trésor où Il mettra à la suite Ses plus riches dons.

De l’oraison de simplicité

Après que Dieu a beaucoup exercé l’âme dans le degré d’affection, et que peu à peu Il a réduit son amour dans un calme et une simplicité grande, presque insensiblement, et sans que l’âme s’en aperçoive, elle passe de l’oraison d’affection dans l’oraison de simplicité.

[Pourquoi cette oraison s’appelle de simplicité]

Que j’appelle [oraison] de simplicité à cause que l’âme s’y simplifie entièrement. Plusieurs auteurs lui donnent divers noms. Mais je trouve celui-ci plus à propos et plus convenable, à cause de l’effet que Dieu prétend mettre en [33] l’âme par Son moyen qui est de la simplifier, c’est-à-dire, de la rendre vraiment simple et sans mélange. Non seulement dans l’impur causé par la corruption de la nature, mais encore la dégager et la défaire de la multiplicité des actes, tant de l’entendement que de la volonté, afin qu’étant ainsi simple et tranquille, elle soit plus capable de l’union qui doit suivre. Et la raison est que comme Dieu est la simplicité même, pour approcher l’âme de Lui, il faut qu’Il la rende simple60.

[Différence de l’oraison d’affection et de simplicité]

L’oraison d’affection a commencé à simplifier l’âme mais encore fort grossièrement, car ce n’a été que dans les raisonnements et les actes produits par propre industrie, [34] la volonté gardant toujours par nécessité de ce degré une multiplicité d’actes. Lesquels, quoiqu’ils ne paraissent pas si formés que dans la méditation à cause qu’ils sont en amour, cependant sont fort actuels, multipliés, et raisonnant par l’union de l’entendement, qui va comme une sainte abeille, doucement et paisiblement, cueillant les raisons d’aimer sur les belles fleurs de la divinité, de l’humanité sacrée, et des Mystères de la vie de Jésus-Christ.

Mais dans l’oraison de simplicité, la volonté commence à se taire et à n’être pas la première agissante. C’est l’entendement qui, par une simple vue plus surnaturelle qu’en l’autre degré, voit [35] de prime abord tant de beautés par ce simple regard, que la volonté est obligée et suavement contrainte de se rendre et de suivre sa vue. Si bien qu’en ce degré de simplicité, l’occupation de l’entendement est toute différente de l’autre61. Car au premier il discourt doucement et suavement, mais en celui-ci, sans aucun discours de sa part, dans le simple regard de Jésus-Christ ou d’une vérité éternelle, il y voit tant de choses que, sans se multiplier en considérations, il est rempli d’une multiplicité sans multiplicité, qui tient beaucoup de Dieu. Car comme il est dans sa multiplicité toute chose, aussi ce regard renferme en soi une multiplicité et une [36] multitude de tant de choses qu’il est très certain que pour exprimer ce regard, il faudrait quantité de paroles.

La volonté n’a pas de peine de suivre avec une pareille simplicité cet entendement ainsi simplement éclairé, et de cette manière ces deux puissances réunies en repos et en simplicité festinent62 agréablement et fort à l’aise. Car ici peu à peu Dieu commence à ôter les grandes fatigues que l’âme a prises dans les premiers degrés pour se purifier, acquérir les saintes vertus, et se conformer aux ordres sacrés.

[Définition de l’oraison de simplicité]

Pour définir en peu de paroles l’oraison de simplicité, ce n’est, selon ma pensée, autre chose qu’un regard simple et amoureux [37] de l’âme vers Dieu ou quelques vérités éternelles. Ce regard se fait depuis que l’âme y est introduite, sans adresse, ni recherche comme dans les autres degrés d’oraison. Mais comme l’âme y est plus simplifiée et par conséquent plus proche de Dieu, aussi boit-elle plus facilement à la source de tout bien. Ce qui est cause que, quand l’âme est fidèle à ce degré d’oraison, il n’y a ni temps ni mesure à garder. C’est-à-dire qu’en tout temps l’âme est en facilité et en capacité de faire cette oraison, non qu’elle ne prenne ses heures particulières et réglées par son directeur, mais comme ce regard est si facile et attirant, elle le continue volontiers, spécialement [38] quand elle y est déjà un peu avancée et accoutumée.

Pour ce qui est de l’oraison réglée, l’âme commence à n’y avoir plus tant de peine, trouvant son pain cuit (comme l’on dit communément) dès aussitôt qu’elle s’y met, n’ayant besoin que d’un simple envisagement ou de se souvenir d’un mot de la sainte Écriture, et à même temps une sainte occupation attirera suavement ses puissances.

En cette oraison les recherches inquiètes des vertus (comme au commencement), les imperfections et les autres adresses63 de l’âme sont bannies. Car après ce simple regard amoureux, Dieu commence de faire en l’âme ce que [39] l’industrie faisait au commencement par les activités multipliées.

L’âme y cesse aussi ses résolutions et les autres saintes pratiques, exercées par son industrie. Car Dieu dans ce simple regard amoureux, y fait toutes choses, éclairant l’entendement pour tout ce que l’âme a besoin et échauffant et animant la volonté à poursuivre le bien et les saintes pratiques selon que l’exige ce degré d’oraison. Vous voyez avec admiration et avec joie une âme croître de jour en jour dans les saintes vertus, et son entendement plein de lumières sans lumière. Car ici la lumière de l’entendement est si simple, si pure et si dégagée du sensible, que l’âme [40] paraît toute lumineuse dans ses paroles, dans ses effets et dans ses pratiques.

Et cependant si vous lui demandez en vérité si elle est lumineuse, elle vous répondra qu’elle ne peut pas dire qu’elle soit en ténèbres, d’autant qu’elle voit assez ce qu’elle doit faire et que son cœur en sait assez pour aimer et pour continuer ce simple regard amoureux, qui la satisfait et qui la contente, mais qu’à vrai dire elle ne sait si c’est lumière à cause que c’est une lumière fort pure, simple, et dégagée du sensible, et que pour exprimer bonnement ce que c’en est selon sa pensée, c’est un je ne sais quoi qui remplit insensiblement et qui ravit agréablement sa volonté, de [41] manière qu’elle ne peut passer son simple regard, y trouvant tout ce qu’il lui faut.

D’où vient qu’en son oraison réglée du matin et du soir, son simple regard lui suffit. Durant le jour souvent elle continue ce même regard qui l’occupe et quand cela est, elle s’en doit contenter. Mais aussi quand il s’évanouit, qu’elle le laisse aller, et qu’elle s’occupe de la simple présence de Dieu, qui est donnée avantageusement en ce degré (d’où vient que même il est appelé très souvent, oraison de simple présence) !

Mais surtout qu’elle soit fidèle à la récollection, au silence et au dégagement des embarras extérieurs qui ne sont pas ordonnés ni [42] réglés par sa profession. Qu’elle s’observe ponctuellement durant tout le jour, afin d’être dans une grande fidélité à ce que Dieu demande d’elle, soit pour l’intérieur à ses inspirations, soit pour l’extérieur pour la paix avec le prochain, l’exactitude à tout ce qui est de sa condition et une grande fidélité aux moindres choses où il pourrait se trouver quelques défauts.

[Effets de l’oraison de simplicité]

Pour les effets particuliers de cette oraison, j’en trouve trois essentiels :

1. Le premier est de rendre l’âme fort silencieuse et amoureuse de la solitude, selon la vocation et l’état où elle est. Car si la personne qui a ce don est d’une condition libre [43] et qu’elle puisse être solitaire, tout son plaisir est de se retirer pour être en repos et en silence, goûtant là admirablement la suavité de sa simple oraison. Et ce regard est facile, l’âme continue souvent son oraison en cette solitude, ce qui lui aide beaucoup. Car elle voit de jour en jour son oraison croître et son âme s’avancer dans cette sainte simplicité.

Si au contraire la personne est attachée par vocation au travail du prochain ou dans les embarras d’une condition qui exige une multiplicité d’actions, elle ne doit point tirailler contre soi-même pour se dérober injustement de l’ordre de Dieu afin d’être solitaire selon son goût. Elle doit se [44] contenter de ce que Dieu lui donne et être solitaire intérieurement, tâchant de se servir de l’amour qu’elle a pour la solitude extérieure afin de s’en pratiquer une intérieure ; et d’être dans les affaires humblement recolligée64 et saintement fidèle à ce que Dieu lui donnera intérieurement, ce qui sera toujours ordonné pour faire avec perfection ce que Dieu exige d’elle à l’extérieur.

J’avertis cette âme que, quoiqu’elle doive toujours être fidèle à ce que Dieu demande d’elle à l’extérieur, cependant par révérence et par respect au grand don que Dieu lui fait, elle doit prendre autant de temps qu’elle pourra pour s’appliquer à la sainte [45] oraison. Car comme en ce degré l’âme n’est pas hors des limites de sa correspondance (l’opération de Dieu ne faisant qu’un peu commencer), si elle cessait de correspondre pour chercher avec vigilance le temps d’oraison, de retraite et de solitude, elle pourrait facilement déchoir de son degré et le perdre. Ce qui n’arriverait pas sitôt dans le degré suivant de l’oraison plus passive qu’active, à cause de la plénitude de l’opération divine, quoiqu’il y ait toujours quelque action de la part de la créature, car alors l’âme n’a qu’à suivre doucement cette opération divine et ne doit pas tant agir par son industrie propre.

2. Le second est de mettre en l’âme [46] un don de présence de Dieu très particulier qui l’augmente65 peu à peu tous les jours par la fidèle correspondance de l’âme à ce degré d’oraison. Car pour exprimer véritablement ce que c’est, je ne puis le mieux faire que le comparant au lever du soleil qui commence par son aurore, et qui se lève insensiblement jusques à un plein jour et jusqu’au midi66 : aussi cette divine présence de Jésus-Christ, comme une aurore, commence à se lever dans l’âme dès le moment que ce degré de simplicité commence et peu à peu va s’augmentant selon son accroissement, jusques à ce que cette Présence vienne jusqu’à une clarté et une chaleur telle qu’elle fait [47] changer de degré, qui fera l’oraison comme passive et d’union dont nous parlerons après.

3. Le troisième effet qui consiste en la pureté et au dégagement de toutes choses, est produit en l’âme par les deux premiers, mais bien d’une autre manière qu’aux degrés précédents, qui ont purgé l’âme des passions et des inclinations de la nature corrompue et produit la séparation des choses extérieues plus grossières. Mais la pureté de ce degré purifie l’âme plus excellemment et la fait puissamment mourir à elle-même. Ce qui correspond fort bien au remplissement de grâce que Dieu fait dans ce degré [en] donnant Sa présence. Car en Se donnant, Il [48] vide l’âme d’elle-même. Cette pureté s’augmente peu à peu et la personne qui a expérience de ces choses voit admirablement ces trois effets se suivre et s’aider l’un l’autre, et par là elle discerne facilement où en est l’âme.

Avant que je passe à donner les marques que l’on doit découvrir dans une âme pour l’introduire de l’oraison d’affection à ce degré de simplicité, il est à propos d’avertir pour la consolation des âmes qui marchent dans ces voies que cette oraison de simplicité n’est pas toujours sensiblement suave, mais souvent elle a des sécheresses, des aridités et des insensibilités. Mais l’âme en ces différentes manières doit être égale en fidélité, [49] continuant son simple regard sans ferveur sensible ni expérience de la correspondance de Dieu. Car quoiqu’elle n’aperçoive rien, son oraison est égale. Tout ce qu’elle a à prendre garde est de continuer fidèlement en conservant sa tête, c’est-à-dire n’étant point d’une trop grande application.

Elle pourra aussi quelquefois se voir toute découragée et comme reculant et retombant dans les degrés inférieurs. Mais nonobstant tout cela, qu’elle poursuive sans s’arrêter à réfléchir avec inquiétude sur ce qu’elle fait, se tenant fidèle à tout ce qui a été dit.

[Comment l’âme agit dans l’oraison de simplicité]

Il est aussi à propos d’instruire l’âme qu’en cette oraison de simplicité elle y agit véritablement, [50] pour la tirer d’une erreur assez ordinaire à plusieurs personnes qui disent qu’ils n’agissent point et qu’ils n’y font rien. C’est mal parlé et sans expérience, car dans la vérité l’âme y agit. Mais comme cette action est déjà beaucoup mêlée de l’opération de Dieu, on croit que ce simple regard et cet amour si paisible n’est point une action, ce qui donne de la peine aux personnes savantes à cause de cette mauvaise expression. Je dis plus, sur la fin même de cette oraison de simplicité où l’âme commence beaucoup de défaillir à soi-même et à sa propre opération, il67 ne laisse pas d’être toujours mêlé de quelque action de l’âme.

Et c’est par là que [51] les Directeurs expérimentés voient que ce degré de simplicité est sur son déclin et près de changer du degré de simplicité au degré d’oraison comme passive par l’opération divine. Car pour lors, l’opérer de l’âme devient comme une personne mourante qui peu à peu, après avoir combattu contre la mort même, se rend enfin paisiblement, expire insensiblement et rend doucement son esprit à son Créateur. Aussi l’âme dans tout le degré de simplicité va peu à peu mourant. Et quand elle approche de la fin, il s’élève quelques combats contre la mort même, c’est-à-dire que Dieu donne des désirs et des lumières plus particulières pour soupirer et désirer [52] de mourir à soi-même, non seulement de la mort qui fait mourir à ce qui est corrompu et déréglé, mais de cette mort heureuse qui fait défaillir l’âme à son propre opérer, afin que Dieu vive en elle et par elle.

Ces désirs sont fort savoureusement et délicieusement en l’âme, mais l’effet de mort y est sensible. Car si l’âme a vu par expérience qu’elle a eu de la peine au commencement de se simplifier, elle remarque aussi qu’à la fin elle a encore bien plus de peine à mourir à son opérer, ce qui est une chose assez rude quoique Dieu l’opère en elle. D’où vient que je comprends peu ces âmes qui croient se mettre elles-mêmes [53] dans la mort de leur propre opérer et qui se croient satisfaites et contentes d’y travailler. Pour moi (si je l’entends) je crois qu’étant un opérer purement de Dieu, il est si pénible et si rude à la nature et à l’esprit qu’il est certain que s’il était au choix de l’âme, pour lors elle l’éviterait, si ce n’est que cette mort (obscure et dans les ténèbres) est souvent éclairée d’une lumière qui lui fait voir les richesses futures et les beautés d’une vie qui la fuit.

L’âme marche en cet état mourant et enfin, après avoir agonisé un assez long temps, elle rend heureusement l’esprit, mourant à son opérer pour donner lieu à l’opérer divin et cessant de vivre [54] à elle-même afin que Jésus-Christ commence de vivre en elle et par elle.

Et ici commence l’oraison passive dont nous allons traiter, après que nous aurons donné des marques pour connaître véritablement quand il faut qu’une âme passe de l’oraison d’affection à cette oraison de simplicité.



16. µ se recueille.

[Marques pour juger quand une âme doit passer de l’oraison de simplicité à l’oraison passive]

1. La première marque est lorsque l’âme, perdant l’effort et l’activité d’aimer, comme aussi la manière de s’occuper et de connaître les vérités, tombe insensiblement dans un certain vide de ces choses et peu à peu dans une impossibilité morale de s’en servir, ne pouvant opérer ni de la volonté, ni de l’entendement dans le [55] commerce avec Dieu, que par une manière simple, qui de prime abord est seconde en lumière et en amour. D’où vient que plusieurs personnes se trompent fort selon ma pensée, qui croient que c’est assez pour être dans la simplicité que de regarder un objet sans discourir, et même s’y mettent elles-mêmes. Ce simple regard, qui est oraison de simplicité n’est pas tel, car celui que l’on produit soi-même, sans lumière surnaturelle, n’a point la fécondité de l’autre. Ce qui est très aisé à connaître quand un directeur a de l’expérience.

2. La seconde marque est lorsqu’une âme est surprise d’un amour tout particulier pour Jésus-Christ, [56] non pas par une inflammation amoureuse comme au degré précédent, mais par un désir qui peu à peu lui vient insatiable de se conformer à Ses états, de connaître et de se former selon Son esprit. Et cet amour n’est pas une certaine joie du cœur qui se contente d’aimer mais plutôt un appétit véritable, qui ne peut se satisfaire que de la nourriture de Sa sainte vie. La pauvreté, l’abjection, le mépris et généralement toutes les inclinations de Jésus-Christ la charment, tout ce qu’Il a aimé ou tout ce qu’Il a fait, lui paraît si beau et uniquement aimable qu’elle néglige tout le reste pour en pouvoir jouir. Ce qui est cause qu’en quelque manière, sans [57] qu’elle y pense, elle se simplifie et laisse les multiplicités de l’oraison affective pour regarder uniquement Jésus-Christ : comme ferait une personne qui, étant surprise de quelque beauté, comme par admiration cesserait de regarder ailleurs et de s’occuper de toute autre chose, pour avoir les yeux fixés sur elle. D’où vient que le commencement de cette oraison de simplicité est en quelque façon comme une admiration de quelque chose qui surprend et que l’on n’a pas recherchée.

3. La troisième marque est un amour tout particulier de la solitude, du silence et de la retraite. Et cette âme, quoique toujours gaie, paraît continuellement [58] dans une disposition de silence et de solitude, comme une personne qui se préparerait à quelque chose de grand et à quelque affaire d’importance, de manière que, sans que l’âme presque y pense, elle se retire des embarras des affaires et recherche incessamment la solitude. Non par un esprit mélancolique et mécontent, mais pour jouir d’une certaine plénitude d’onction qui lui est communiquée plus abondamment et avec plus de pureté. Et même si elle est appliquée aux affaires par nécessité, elle sent une certaine inclination pour la solitude intérieure et son esprit se recollige68 sans travail, apercevant, comme de loin, que le centre de son [59] plaisir est une certaine simplicité qui la conduit à l’unité, ce qui est beaucoup selon son cœur et son désir.

Ces marques supposées en une âme, il n’y a nul danger mais au contraire un très grand fruit pour elle qu’elle passe heureusement de l’oraison d’affection en celle de simplicité, qu’elle soit fidèle aux opérations de Dieu, se simplifiant peu à peu comme il a été marqué ci-dessus, nonobstant les peines qu’elle pourra avoir qu’elle ne fait rien ou très peu de chose.

Le Démon même s’y joindra, qui souvent lui mettra dans l’esprit qu’en vérité elle est inutile. Et pour le lui persuader encore plus facilement, il lui brouillera l’esprit [60] de tant d’inquiétudes et de pensées vagabondes qu’il lui fera croire que ce n’est que chimères et perte de temps. Souvent aussi des personnes peu expérimentées dans ces voies lui diront qu’elle perd son temps et que plusieurs s’y sont perdus, tombant dans des illusions fâcheuses, et ensuite dans des égarements d’esprit importants, en citant même des exemples (car il est fort ordinaire d’en trouver présentement).

Qu’elle ne se mette pas en peine, mais qu’elle soit fidèle à sa grâce, se servant même de tous ces combats pour mourir à elle-même. Car quoiqu’il soit très vrai qu’il se trouve quantité d’âmes qui, par un désir mal réglé et souvent faute de [61] conduite, se mettent sans vocation dans ces états (ce qui leur cause un dommage très notable), cependant il est constant, cependant je m’assure que toutes celles qui auront les marques que je viens de dire, approuvées par quelque serviteur de Dieu expérimenté en ces voies, y pourront marcher assurément sans crainte aucune, car ces routes ne sont dangereuses qu’aux âmes qui s’y introduisent elles-mêmes.

D’où vient que je ne puis aucunement comprendre ce que disent quantité de personnes, que ces voies sont à fuir parce qu’elles sont dangereuses, que l’on s’y perd et que l’on est à la veille d’une illusion continuelle — ce qui peut [62] donner de la peine à beaucoup d’âmes. Et je crois que ces personnes étant fort savantes ou bien expérimentées, entendent toujours parler des âmes qui, par un désir mal réglé et souvent par orgueil, ou bien par quelque autre raison et non par une vocation réglée par un bon directeur, sont introduites dans ces voies.

De l’état de l’oraison passive

Quoique l’oraison passive soit un océan sans fond et sans rive, tant à cause de la multitude des merveilles que Dieu y communique à l’âme et des dons particuliers dont Il l’honore pour l’embellir et l’enrichir, la choisissant [63] pour Son épouse, que par la quantité des degrés qu’elle renferme, dont les auteurs les plus éclairés ont traité, je ne laisserai cependant de vous en dire quelque chose, raccourcissant le tout de mon mieux, afin d’y donner de la clarté. Et quoique ce dernier état passif, selon tout ce qu’il contient, soit fort sublime et rarement communiqué de Dieu69 (à cause du peu de fidélité que les âmes ont aux degrés précédents, et que même ce n’est pas toujours le dessein de Dieu de le donner, toutes n’étant pas appelées à un degré si éminent), cependant il peut être utile d’en traiter pour animer les âmes à être fidèles à un Dieu si [64] aimable et qui Se communique si libéralement à Ses créatures ; et de plus, ce qu’on en dira sera fort profitable à celles qui y ont vocation.

Car pour ce que l’on dit ordinairement, qu’il est plus dangereux que profitable d’expliquer ces degrés si relevés, à cause que plusieurs s’ingèrent et se mettent dans ces oraisons sans vocation, leur imagination étant imprimée des choses qu’elles ont lues, je réponds qu’il est vrai que quantité d’âmes s’en font fort accroire70 sur ce sujet, prenant souvent l’imagination des choses pour leur réalité. Mais selon ma pensée, cela arrive particulièrement quand ces âmes lisent des écrits où toutes choses [65] particulières ne sont pas bien éclaircies, et où les avertissements pour connaître quand ces oraisons ne sont pas véritables mais contrefaites, ne sont pas aussi bien expliquées qu’elles doivent l’être. Car quand cela est, il faut se vouloir tromper soi-même pour s’en faire accroire.

Ce n’est pas qu’il n’y ait des âmes si amoureuses d’elles-mêmes et si désireuses de leur propre excellence que même elles vont jusques-là : que de s’aveugler sur ce point et souvent cacher à leur directeur leurs imperfections, lisant aussi des livres qui traitent de ces matières et leur disant ce qu’elles ont lu comme des choses qui viennent d’elles [66] et des dons qui leur ont été communiqués.

Mais pour les âmes qui vont bonnement et simplement, quoiqu’elles ne soient pas dans ces degrés (et même qu’elles n’y arriveront jamais), la lecture de ceci ne leur saurait être qu’utile pour leur donner le désir de travailler tout de bon à plaire à Notre Seigneur dans le degré et l’état où Il les appelle, et Le bénir des miséricordes qu’Il fait aux autres par une complaisance charitable qui fait prendre part au bien d’autrui comme si c’était le sien propre.

Cette oraison passive est une communication de Dieu à l’âme, par laquelle Il opère en elle d’une manière si forte et si dominante [67] qu’il semble qu’elle ne fasse que recevoir l’opération, quoiqu’il soit vrai qu’elle agit toujours, même en recevant. Cette opération de Dieu dans tout cet état passif se peut diviser en trois degrés particuliers, qui se succèdent l’un à l’autre.

[Divers degrés de cette oraison]

1. Le premier se doit appeler une mort véritable, et qui n’est pas seulement en désir et en lumière comme dans les autres degrés. Car remarquez que sur la fin du degré de simplicité, j’ai dit que Dieu faisait écouler et comme cesser les lumières amoureuses de ce degré, afin que l’âme, n’ayant point de facilité à faire usage de son simple regard amoureux, peu à peu mourût à son activité. [68] Dieu, pour y contribuer, au lieu de ces lumières amoureuses, lui communique des désirs de mourir, ce qui la fait agoniser et même mourir à elle-même. Mais cette mort n’est encore qu’en lumière et en désirs. Celle-ci de l’état passif est une suite de ces désirs et même l’effet que Dieu accorde à ces âmes.

2. Le second degré est une contemplation surnaturelle par laquelle les puissances de l’âme après être mortes à elles-mêmes (c’est-à-dire tirées des limites de leur propre opération et passées dans la lumière éternelle) : l’entendement voit et découvre les choses éternelles selon qu’il lui est donné ; la volonté aime, [69] non par son propre effort, mais par un amour qui l’élève à une opération fort surnaturelle ; la mémoire, sans travail comme au commencement, est abondante en ressouvenirs continuels des miséricordes de Dieu, et est comme une source féconde qui donne continuellement des eaux pour rassasier l’entendement et animer la volonté.

3. Le troisième degré est l’union intime de Dieu qui se fait dans le centre de l’âme où Il vit et règne absolument, l’âme n’ayant plus de mouvement qu’en Lui et par Lui. Si elle connaît la grandeur de Dieu ou les merveilles de Son pouvoir et de Ses miséricordes, ce n’est plus par ses propres [70] connaissances, ni seulement par des lumières surnaturelles comme au second degré, mais en Dieu et par Lui. Si elle aime Sa divine bonté, c’est par Son même amour. Pour la mémoire, elle n’est plus remplie de Dieu ni de Ses merveilles par des idées et des lumières surnaturelles comme au second degré, mais étant réduite dans son Centre et dans la source de tout bien, elle en jouit d’une manière qui se peut mieux goûter qu’expérimenter, je veux dire en Dieu71.

Et afin d’éclaircir ces choses assez obscures d’elles-mêmes, quand les âmes n’en ont pas l’expérience, je crois qu’il est fort utile et même nécessaire de [71] déduire un peu au long chaque degré pour en donner une connaissance plus particulière, et aider les âmes à y être fidèles.

Il faut remarquer que je ne mets que trois degrés de cet état passif pour ôter la multitude et l’embarras des divisions, mais que l’on doit supposer que chaque degré en a plusieurs subalternes (selon que les auteurs les plus éclairés en ont traité) et tous ces degrés subalternes ne sont autre chose que le commencement, le milieu et la fin de chaque degré72. Par exemple le degré ou l’état de mort : à son commencement, [états] qui sont certaines lumières éteintes et autres effets de mort que Dieu opère en l’âme, [à] son milieu [état qui] est une [72] mort plus avancée et plus forte, [et] sa fin n’est autre chose que ce que Dieu a de plus exquis73 pour tourmenter une âme et la faire mourir. Car ici l’Amour n’aime pas en caressant, mais en crucifiant. Et autant que l’Amour divin est fort et a de grandes prétentions sur une âme, autant aussi la fait-Il mourir avec une espèce de cruauté. J’en dis autant de tous les autres degrés et états comme de ce premier.

Je crois qu’il est aussi bon d’avertir une fois pour toutes qu’en ces degrés d’oraison, sans en excepter même le dernier, l’âme a toujours sa véritable coopération2274. Et de dire que l’âme ne fait rien en ces états purement [73] surnaturels et passifs, est une fausseté. Car très assurément sa correspondance y est si nécessaire qu’il n’y a point d’état dont on ne puisse déchoir quand l’âme manque de fidélité pour ce qu’elle y doit faire.

Il est vrai qu’elle est passive et non active comme aux premiers degrés dans lesquels elle fait tout par soi-même (aidée et soutenue de la grâce), mais ici tout s’y fait passivement, l’âme étant élevée par une opération plus particulière de Dieu – qui ne lui ôte pas cependant sa correspondance mais qui l’élève à une manière d’agir plus surnaturelle – si bien qu’il est vrai de dire que l’âme correspond en recevant les dons de Dieu plus [74] passivement qu’activement, comme saint Denys l’exprime par ces deux mots : patitur divina, et en faisant un bon usage de la même manière.

D’où vient que quantité de personnes se trompent en ceci, qui par une fausse expression disent que l’âme demeure comme un tronc, sans vie ni mouvement. Et quand les auteurs se servent de ces comparaisons, ce n’est pas qu’ils entendent ce non-opérer que quelques-uns veulent dire, mais bien cette manière d’opérer plus passive qu’active qui se rencontre dans ces degrés et qui fait leur pureté. Car comme dans les premiers, l’âme est autant fidèle qu’agissante, ici elle [75] l’est autant qu’elle est purement passive, simple et docile, pour donner lieu à l’opération divine qui n’opère qu’autant que l’âme est morte à elle-même75.

Premier degré de la mort passive

[Degré de mort]

Tous les degrés de méditation, d’affection et de simplicité que nous venons d’expliquer, ont disposé heureusement l’âme afin de soutenir les opérations de Dieu dans ce degré de mort, lesquelles [opérations] assurément sont fort pénibles et plus qu’on ne le saurait croire, si l’on n’en a l’expérience.

[Pourquoi ce degré est premier]

La raison pourquoi Dieu commence ce degré ou état passif par la mort est que, voulant [76] donner de grands dons à l’âme par ce moyen, il faut par nécessité qu’Il la fasse sortir d’elle-même (son soi-même étant trop limité et rétréci pour la grandeur et la sublimité de ces dons), et ainsi Il la fait mourir à tout ce qu’elle est, tant selon les sens que selon les puissances et le fond même de l’âme, selon ces paroles : Nemo videbit me et vivet. Personne n’aura le bonheur de me voir sans mourir, aussi bien spirituellement que corporellement.

Car comme la lumière de la gloire pour l’ordinaire n’est donnée qu’après la mort corporelle, aussi la lumière surnaturelle de contemplation n’est communiquée à nos puissances, et la lumière [77] éternelle et essentielle n’est manifestée dans le centre de notre âme, qu’à la mesure et après que nous sommes morts à nous-mêmes.

[Différence de la soustraction de cet état, et de l’état de simplicité]

Dieu donc commence cette mort par son opération passive en cachant Son opérer à l’âme et en Se soustrayant en quelque manière d’elle, ce qui de prime abord la surprend fort. Car, par le dernier degré de simplicité, elle a bien été habituée à la soustraction de quelque opération sensible, mais non pas d’un je ne sais quoi qui animait toujours le plus intime de son âme. Et ce je ne sais quoi, qu’elle ne connaissait pas en ce temps, était une union et une présence de [78] Dieu qui la soutenait toujours et l’animait secrètement, si bien qu’elle agissait nonobstant ses sécheresses.

[Dépérissement de cet état de mort]

Mais ici c’est une soustraction même de ce secours de Dieu et de Sa présence perceptible qui met les pauvres sens et toute l’âme dans un certain abattement et un tel vide de Dieu qu’il semble à l’âme peu à peu qu’au lieu d’avancer, elle se perd de plus en plus et qu’ainsi Dieu S’éloigne, de telle façon que cette pauvre âme de prime abord se tue de courir après Lui et de vouloir suivre Sa divine Majesté ; mais plus elle fait d’efforts, plus elle remarque qu’ils sont inutiles. De manière qu’après quantité de prises, de reprises et de soins à penser [79] s’ajuster à Dieu, enfin succombant, elle avoue à Sa divine Majesté qu’Il doit aller et venir comme il Lui plaira et que pour elle, [elle] demeurera passive et abandonnée à Ses allées et venues.

Ce que je dis là en peu de paroles est souvent de longues années à s’effectuer, Dieu ne Se soustrayant et ne Se cachant à l’âme que peu à peu, car elle ne le porterait76 pas. De plus, cette soustraction est tantôt d’une manière et tantôt d’une autre, elle est une fois plus pénible et l’autre fois moins. Mais lorsque Dieu trouve une âme forte, Il change peu à peu Sa manière d’opérer et va avec constance, opérant [80] en l’âme par ce commencement d’oraison passive ce que la faim opère en nos corps, laquelle peu à peu exténue les forces et fait mourir77. Je ne me veux point arrêter dans tout le détail de cette première opération : les livres en sont pleins. Il suffit que vous en ayez cette première teinture, pour vous soutenir et vous conduire en cet état.

[Effets de ce degré de mort]

Dieu commence donc la mort de l’âme de cette manière, ce qui est assurément très rude à cause de l’inclination très amoureuse pour Jésus-Christ qui est déjà gravée très avant dans toutes les puissances de l’âme, de manière que Dieu Se cachant, chaque puissance tombe dans une langueur et une [81] mort qui se peut mieux expérimenter que dire.

[Dans l’entendement]

Par les oraisons précédentes, l’entendement avait été aussi éclairé d’une lumière surnaturelle qui lui faisait trouver un goût merveilleux et une consolation très grande, se ressouvenant de Jésus-Christ ou de quelques-uns de Ses Mystères. Mais en ce degré de mort, il commence peu à peu à perdre cette belle lumière et devient, nonobstant ses efforts, insensiblement si aveugle et privé de lumière, que non seulement il souffre comme dans les autres obscurités, mais peu à peu il languit et se meurt, non pas sans beaucoup de travail de sa part. Car combattant contre sa propre mort, il se remplit de tant [82] de pensées vagabondes et inquiétantes, qu’au lieu de se soulager par une humble démission et mort de soi-même entre les mains de Dieu, il augmente encore ses douleurs, ce qui le fait tomber dans une mort plus profonde. Je ne veux pas expliquer davantage tout ce qui se passe en cette agonie, non plus que dans les autres de la volonté, et de la mémoire dont je vais parler. Car comme c’est une opération passive de Dieu en l’âme, il vous suffit d’en être instruite de cette manière.

[Dans la volonté]

La volonté ne tombe pas avec moins de peine dans les filets de cette mort : car assurément elle est encore plus surprise et plus [83] étonnée que l’entendement. Comme elle est plus vigoureuse, plus active et plus impatiente dans son opérer et dans la jouissance de ce qui la contente, aussi devient-elle plus surprise et plus abattue dans la suppression de sa vie. Et si l’entendement souffre beaucoup en mourant, il est sûr que la volonté souffre quelque chose de bien plus cruel dans ce passage. Dieu donc, pour la faire mourir, lui supprime cette joie qu’elle trouvait auprès de Lui, et peu à peu, non seulement elle en est entièrement privée, mais (ce qui lui est très rude) elle expérimente encore une absence constante sans espérance de retour de ce qui faisait [84] uniquement sa joie, son contentement et son bonheur.

Et comme elle est une puissance tout autrement active que l’entendement, aussi se met-elle bien plus en peine de Le chercher partout, soit dans les créatures soit dans les bons livres, [cherchant] de quoi vivre et se contenter et ne trouvant rien sur la terre ; elle passe jusques dans le ciel, importunant par ses soupirs Sa divine Majesté pour Son retour. Mais tout est de bronze à son égard, ce qui la fait entrer dans des impatiences, humbles cependant et toujours respectueuses. Cette peine va insensiblement s’augmentant plus elle se tourmente, et si Dieu ne la soutenait, le corps et l’âme en [85] pâtiraient beaucoup par une mélancolie profonde, et un dégoût même de la vie. Car ne trouvant plus sa chère consolation par la jouissance de l’Objet de son amour, elle ne vit qu’en tristesse, ou plutôt elle va toujours mourant. Mais après beaucoup de résistance et d’efforts pour penser se contenter, elle se détermine amèrement à vivre dans la mort et sans joie en cette vie.

Après qu’elle a fait cet abandon qui lui coûte si cher, au lieu de gagner le cœur de Dieu pour qu’Il lui accorde quelques caresses sensibles, elle Le gagne pour qu’Il l’afflige encore davantage. Car au lieu que dans toute cette première opération, Dieu ne [86] lui a fait porter que la peine de Son éloignement, Il la redouble dans un excès qui lui donne le coup de la mort. En effet ce cœur qui ne peut vivre que du plaisir d’aimer et de la joie qu’il a que son Dieu soit satisfait et content, et qu’Il soit toujours l’objet de son amour, est pénétré et accablé de certaines peines intimes et violentes que Dieu lui fait souffrir, comme par exemple celle-ci qui lui persuade que Dieu ne l’aime point, mais qu’au contraire Il l’a en aversion, qu’Il est tout à fait mal satisfait de sa manière d’agir. De plus, Il imprime si vivement en elle ce sentiment qu’Il n’aura plus jamais de douceur ni d’amour [87] pour une créature si infidèle que toutes les fois qu’elle y pense, elle frémit d’horreur. Je dis mal « toutes les fois », car c’est toujours qu’elle y pense, ce qui la fait cruellement souffrir et enfin peu à peu rendre les derniers soupirs, après s’en être prise un million de fois78 à elle-même — à ses yeux par quantité de larmes, à son corps par des austérités et le non-souci même du boire et du manger — ne vivant que dans la langueur et la tristesse après la perte qu’elle a faite sans pouvoir jamais la réparer.

[Dans la mémoire]

La mémoire meurt aussi pour ainsi dire, et les idées des choses saintes s’y effacent de sorte que cette puissance qui avait [88] accoutumé d’être remplie de saintes pensées et de réflexions consolantes sur Jésus-Christ, devient si aride, si sèche et si turbulente, qu’au lieu de consoler l’âme dans ses tristesses, elle l’afflige continuellement par des souvenirs fâcheux et des pensées même effroyables79. Insensiblement cette puissance se perd et agonise, non pas sans combat de sa part, car dans les réflexions particulières qu’elle fait sur la vie de Jésus-Christ ou sur quelques-uns de Ses Mystères, elle tâche de son mieux de se former quelque idée. Mais tous ses efforts sont nuls, ne pouvant avoir que la première appréhension des choses, dont tout aussitôt elle perd la mémoire, et elle [89] devient remplie de ces idées fâcheuses qui l’accompagnent partout, soit qu’elle agisse ou qu’elle soit en repos et en solitude.

La crainte d’offenser Dieu est grande en cet état et quand l’on ne trouve pas un directeur ou un confesseur qui soit d’expérience pour juger de ces choses, l’on tombe dans une confusion épouvantable80. Après que cette puissance a beaucoup souffert et combattu, Dieu redouble encore Ses coups par un million d’autres peines qu’il n’est pas nécessaire de déduire81, et enfin peu à peu la met dans une telle confusion qu’elle rend heureusement les armes et expire.

Toutes ces trois puissances étant [90] ainsi réduites dans le sépulcre et ne se remuant plus par leur vie propre, mais vivant, pour ainsi parler, dans leur mort, Dieu, au lieu d’en avoir pitié, commence de les surcharger encore de peines tout de nouveau. Et comme par les premières douleurs Il les faisait mourir, ici Il les fait comme pourrir82 dans leurs sépulcres, c’est-à-dire qu’Il permet qu’elles trouvent au dehors de quoi souffrir, par les rebuts et les contradictions.

Non pas que ces âmes commettent des imperfections qui soient contre le prochain, mais Dieu, par un secret tout adorable, commence à les mettre en butte à tout le monde. Insensiblement chacun indique la conduite de ces [91] âmes-là et leur façon d’agir, et l’on ne trouve rien de bien fait en ce qu’elles entreprennent. On les accable d’opprobres et de calomnies, et généralement tout ce qu’il y a d’abject et de méprisable paraît leur partage. Si elles sont dans la Religion83, insensiblement tout ce qu’il y a de crucifiant les vient trouver, spécialement pour le mépris et l’abjection ; si elles sont dans le monde, elles perdent leurs biens et il semble que tout malheur leur arrive. Pour l’ordinaire, leurs amis les plus intimes les crucifient. Et même les serviteurs de Dieu ne les épargnent pas par une bonne intention.

De plus, pour [atteindre à] un dernier excès [92] qui fait expirer et mourir les sens, Dieu supprime la vue et le goût secret qui leur restait de quelques vertus, spécialement de l’obéissance, de l’humilité, de la patience, etc., de sorte qu’elles paraissent à leurs yeux toutes superbes, désobéissantes et impatientes, quoiqu’elles n’en fasse des actes que très rarement, qui sont suivis d’une humiliation prodigieuse pour elles et d’une satisfaction admirable pour Dieu. Ce qui leur cause donc cette vue, est un renouvellement de pure lumière qui commence à paraître et qui leur fait découvrir une pureté toute autre que celle dont elles jouissaient, ce qui les tourmente extrêmement pour [93] la délicatesse que ces âmes ont pour les choses qui regardent le péché ou la vertu.

Elles demeurent longtemps dans ce sépulcre, où elle ne font qu’être accablées et surchargées de toutes ces peines et de ces croix. Mais étant ainsi réduites à néant et dans la totale mort à ellesmêmes, Jésus-Christ, comme un beau soleil, vient amoureusement et miséricordieusement visiter le sépulcre de ce pauvre Lazare, et par un rayon de Sa clarté et un ton de Sa voix, qui pénètre intimement ces âmes et ces corps gisant dans le sépulcre et dans la pourriture, commence à les revivifier84. Et ici commence le second degré de l’oraison passive, [94] qui est la contemplation surnaturelle, communiquée après que l’âme est morte à elle-même, dont nous allons parler, après que nous aurons fait encore quelques remarques sur ce premier degré.

[A.]85 La première remarque que je trouve de grande conséquence, après avoir déduit tous ces travaux qui ont causé cette mort et qui ont fait ce premier degré d’oraison passive, est de vous faire faire réflexion sur plusieurs choses d’importance touchant cette mort.

[Différences des peines de cet état et de celles des précédents et comme elles doivent être portées différemment]

La première est [donc] que Dieu n’opère cette mort comme passive qu’après un long temps d’exercice dans les saintes vertus et après avoir passé la [95] méditation, l’oraison d’affection et de simplicité. Durant ces temps, l’âme a des souffrances, mais elles ne sont nullement de la nature ni de la qualité de celles-ci : d’où vient qu’elle y doit correspondre, et en faire usage tout d’une autre manière qu’en ce degré de mort. Car si ces souffrances sont des peines corporelles, elle les doit porter avec une patience vertueuse et humble. Si ce sont des sécheresses, elle ne doit pas en faire usage en les souffrant comme passivement comme en ce degré, mais plutôt tâchant de se remplir l’entendement de bonnes lumières et la volonté de saintes affections, selon le degré où elle sera. Si enfin ce sont des peines [96] d’esprit, comme très souvent plusieurs âmes ont des mélancolies naturelles, des maux qui leur cause de l’affliction, leur donnent des frayeurs des jugements de Dieu, de la damnation, et d’autres pareilles croix, pour lors elle les doit outrepasser et négliger, les jugeant telles qu’elles sont, c’està-dire des faiblesses et des maux naturels dont elle peut faire un bon usage de vertu et d’une sainte patience.

[Abus touchant les peines des premiers états]

Mais non pas faire comme plusieurs personnes qui qualifient ces peines de travaux opérés passivement de Dieu et ainsi, au lieu d’y remédier par une bonne pratique active et vertueuse, en font usage selon ce degré de mort [97] qu’elles ont lu dans quelque livre, et de cette manière se font un tort infini. Car elles s’habituent à [de] telles chimères et insensiblement l’esprit n’est rempli que de ces peines, perdant par ce moyen toute route d’oraison et l’usage des saintes vertus. Car quand ces âmes sont convaincues que ces peines sont surnaturelles et divines et que quelque directeur non expérimenté a porté ce jugement, il est bien difficile de les détromper86.

[Marques pour faire le discernement des peines de ce degré et des précédents]

[B.] La seconde remarque infiniment de conséquence, est pour connaître quand les peines et les travaux d’une âme sont de l’état de mort ou des souffrances du commencement, et de l’ordinaire des états de l’oraison. [98]

La première marque est déjà touchée dans ce que je viens de dire [à] savoir que Dieu fait tout avec ordre, et qu’Il n’opère point ces travaux passivement en une âme qui n’a point parcouru en lumière et en pratique les premiers degrés qui précèdent ces opérations passives. D’où vient que lorsque vous trouvez des âmes qui vous font des expressions outrées – qu’elles sont dans des cachots les pieds et les mains liées, qu’elles sont l’objet du courroux de Dieu, qu’il n’y a plus de pardon pour elles et autres excès – il ne faut point s’étonner, mais voir un peu ce que je viens de dire. Car s’il y a plusieurs années qu’elles sont dans les premiers [99] degrés avec grande fidélité comme j’ai dit, pour lors il ne faut pas encore tout à fait se rendre, mais voir et remarquer si la seconde marque que je vais dire, accompagne cette première.

Voyez si l’effet que doivent causer les peines passives et de mort s’y rencontrent. Telles souffrances opèrent bien plus surnaturellement et effectivement les vertus éminentes d’humilité, de patience, d’obéissance, de charité et de douceur avec le prochain, d’amour, de l’abjection et du mépris, que ne faisaient les lumières et l’amour des états précédents. Car quoiqu’il ne paraisse point à l’âme d’avoir des lumières durant ces travaux, c’est [100] pourtant une véritable lumière de foi qui les opère, laquelle comme un beau soleil, non consolant l’âme, mais cependant la vivifiant, produit secrètement ces vertus.

D’où vient qu’au lieu que ces peines excessives (comme vous les avez vues exprimées en ce degré de mort) causent dans les commencements du découragement et de l’éloignement de Dieu, au contraire en celui-ci plus elles sont grandes, plus l’âme a de faim et de désir de s’en approcher, traitant avec la divine Majesté avec beaucoup de respect et un humble aveu que Ses jugements sont justes, ordonnés et réglés par une sagesse éternelle. Et quoique la nature et l’esprit [101] crèvent87 en ces souffrances, un je ne sais quoi est en adoration, en respect et en amour.

Au lieu que les souffrances qui ne sont pas de ce degré et qui sont dans ces excès que j’ai exprimés, dissipent l’âme et sont infructueuses. Car examinez la vie de ces personnes, vous la trouverez très souvent remplie de propre estime, de suffisance, d’impatience, et sans aucune docilité pour les petites pratiques de l’état où elles sont, comme d’obéissance et de soumission. Ou bien, si elles sont dans le monde, de dépendance pour les personnes avec qui elles sont, rejetant toujours leurs imperfections sur l’accablement de leurs états [102] intérieurs. De plus elles n’agissent point avec Dieu en respect et souvent leurs esprits (même avec consentement) voudraient s’en prendre à Dieu, avec une certaine impatience et aigreur intérieure remplissant tout le monde de leurs plaintes et de leurs états élevés, qui le sont seulement en expression mais non en effet. Car vous les voyez toujours vivre de la même manière sans aucun avancement dans la vertu.

Quand les peines sont telles, il ne faut pas décourager ces âmes : car elles iraient dans des extrémités ; mais il faut les détromper de l’idée éminente qu’elles en ont conçue, et leur montrer comment elles doivent faire un [103] usage de vertu, selon ce qui a été dit.

Il arrive tant de mal par cette tromperie et ces peines contrefaites, que j’ai cru être de conséquence de donner ces avertissements, et de faire voir le plus clairement qu’il m’a été possible combien ces peines passives diffèrent des tentations et des souffrances qui accompagnent les premiers degrés. Car chaque personne qui prétend à l’oraison, doit toujours supposer que tous les degrés d’oraison ont leurs croix et leurs tentations, mais très différentes les unes des autres, et que de cette manière il faut procéder tout différemment, dans l’usage et les [104] combats que les âmes portent en ces états.

Second degré de la contemplation passive

Comme je viens de traiter du premier degré de l’état passif, savoir de la mort passive que Dieu opère en l’âme, il est assez à propos de dire aussi quelque chose de la contemplation passive qui suit cette mort et qui est la vie qui commence à animer cette pauvre âme morte et gisante dans ce tombeau.

[En quoi consiste ce second degré et la différence dans les autres degrés et états]

Cette contemplation passive est une lumière surnaturelle que l’on doit appeler proprement lumière éternelle, pour la distinguer des [105] lumières surnaturelles des autres états qui précèdent celui-ci et qui sont passagères. Car ces lumières sont bien surnaturelles, mais accommodées par la sagesse de Dieu à la très grande faiblesse de la créature. Pour celle-ci [la contemplation passive du second degré], elle est nommée éternelle, d’autant qu’elle participe beaucoup plus de Dieu et qu’elle approche intimement l’âme de Sa divine Majesté par sa très grande pureté et par une certaine qualité vivifiante qu’elle a.

Car les âmes qui par expérience savent sa nature, voient fort clairement que, par son aide et par son moyen, elles découvrent les vérités éternelles, les grandeurs de Dieu et la profondeur infinie de Jésus-Christ [106] tout d’une autre manière qu’elles ne faisaient par les lumières les plus éclatantes des degrés précédents. De plus elles expérimentent qu’outre cette différence, leurs puissances sont relevées et fortifiées par une certaine vie et une force qui les soutient plus elles contemplent et plus elles jouissent de cette lumière, ce qui les étonne d’abord. Car comme elles voient et découvrent tant de merveilles, elles s’aperçoivent cependant que leurs puissances, qui se fatiguaient autrefois, au lieu de se lasser, en sont soulagées.

De plus, cette lumière éternelle de contemplation passive a encore une qualité fort [107] différente des lumières surnaturelles des autres états, laquelle [lumière] assurément est fort avantageuse aux âmes assez heureuses de la posséder et de pouvoir contempler les choses éternelles à son aise.

[Effets de ce degré]

Cette qualité est que très souvent, en un moment et en un clin d’œil, Dieu en remplit les puissances suffisamment pour pouvoir contempler plusieurs jours sans pouvoir se satisfaire des merveilles que l’âme y découvre. Et selon ma pensée, la raison de ceci est que comme cette lumière approche beaucoup l’âme de Dieu par sa pureté, aussi rend-t-elle les puissances capables de s’occuper et de jouir des choses éternelles dans une certaine unité, laquelle, [108] quoique très simple, contient cependant des merveilles infinies. De manière que l’entendement demeurant dans un repos et une sérénité admirable, sans être toujours comme à l’enquête comme aux autres états, jouit par sa très simple vue de tout ce qui lui est manifesté. La volonté comme maîtresse d’elle-même, étant très calme et très libre, possède son Dieu avec joie. Pour la mémoire, elle est ici comme abîmée et comme perdue dans cette divine lumière, car elle inquiéterait plus l’âme qu’elle ne lui servirait. Dans les autres degrés, elle est fort utile, à cause qu’elle sert et aide à l’industrie et à la coopération active que l’âme y doit avoir. Mais comme [109] en ce degré la lumière éternelle et divine s’y communique dans sa source et en son origine, l’âme n’y a plus besoin de ses industries sinon pour être souple au bon plaisir de Dieu, exécuter ponctuellement Ses ordres et être très docile pour recevoir Ses mouvements et Ses inspirations.

J’ai parlé de la nature de cette lumière qui est essentielle à cet état afin d’en donner la connaissance entière, et que l’on puisse voir la différence qu’il y a entre la contemplation et l’oraison de simplicité la plus lumineuse et la plus pleine d’effets de grâce.

Comme je vous ai fait voir (parlant de la mort, que le premier degré de l’état passif opère) [110] que cette mort ne vient pas tout d’un coup mais peu à peu, Dieu gardant en tout certaines mesures, aussi dans l’état de contemplation passive, la lumière et par conséquent la vie n’est communiquée à l’âme, qui est comme morte dans son tombeau, que peu à peu. Si bien que l’âme est toute étonnée qu’elle voit de jour en jour sa joie et sa vie sortir comme de l’obscurité d’un sépulcre ou d’un profond cachot, pour jouir d’une belle et agréable lumière, qui non seulement la récrée et la rassasie par sa beauté qui lui était auparavant inconnue, mais encore qui lui fait voir et qui lui découvre des merveilles qu’elle n’avait jamais vues. [111] Et remarquez ce mot : inconnue. Car assurément l’éclat de cette lumière, pour peu qu’elle rayonne dans un entendement après sa mort [mystique], est si différent de toutes les autres lumières de grâce dont elle a eu la jouissance jusqu’ici, qu’elle en est toute surprise et étonnée. Il me semble que c’est comme un aveugle-né qui n’a jamais vu la beauté du soleil. Il en a bien ouï parler et on a tâché de lui expliquer le plus clairement qu’il a été possible ce que c’est que la clarté de cet astre. Cependant quand les yeux lui sont ouverts, il est tout surpris, et véritablement il peut dire que tout ce qu’il a entendu de la beauté du soleil n’est pas ce que c’est. [112]

[L’entendement est revivifié]

Pour ce qui est des merveilles qu’elle découvre et qu’elle fait voir peu à peu à cet entendement, cela est comme incompréhensible. Pour lors il est élevé par son moyen à une très pure contemplation des grandeurs de Dieu, découvrant continuellement des merveilles dans cet océan et cet abîme. Jésus-Christ lui est manifesté d’une manière tout à fait particulière, et il trouve tant de sagesse et de richesses dans cet homme-Dieu qu’il ne peut se rassasier par la contemplation de ces divins Mystères et des actions de Sa sainte vie. C’est ici que les divins trésors des Mystères de Jésus-Christ lui sont ouverts, et de jour en jour et à la mesure [113] que cette lumière croît, il y découvre encore de plus infinies et de plus admirables merveilles. Insensiblement les jours se passent fort agréablement dans ces vues contemplatives d’où naissent quantité de mouvements dans son cœur, comme de reconnaissance vers un Dieu si aimable de S’être incarné si avantageusement pour enrichir et pour sauver tous les hommes. Et souvent au milieu de cette lumière, il se dit à soi-même : « ô que si les hommes savaient et voyaient ce que je vois, ils auraient moyen d’être heureux dès cette vie, et d’assurer leur salut éternel ! 88»

[La volonté est vivifiée]

La volonté suit également l’entendement et est vivifiée par [114] cette contemplation de lumière éternelle, selon l’ordre que je viens de dire pour l’entendement, mais avec une grande différence pour ce qui est de la manière. Car je vous ai dit, parlant de sa mort, qu’elle était fort active et impatiente dans ses agonies. Aussi la vie lui étant redonnée, pour peu qu’elle en ait, elle entre dans une joie comme excessive de n’avoir point perdu Celui qui est sa vie.

Un fort long temps, cette volonté tout étonnée ne peut se rassasier d’aimer à la mesure que cette divine lumière et cette vie vivifiante lui est communiquée : c’est comme une personne presque morte de faim qui trouve [115] de quoi se rassasier. De prime abord, elle s’y jette avec impétuosité, pensant ne le pouvoir faire assez tôt. Mais elle remarque que plus elle aime et plus elle veut se rassasier en aimant, plus l’objet de son amour lui est manifesté. Ce qui calme un peu son impatience et la fait jouir en repos de son bonheur tant désiré. Misit ignem in ossibus meis et erudivit me89. Il a envoyé un feu dans mes os, et par là Il m’a instruite.

[La mémoire est vivifiée]

Pour la mémoire, elle est vivifiée tout d’une autre façon que les deux autres puissances, se perdant heureusement dans l’océan de lumière et d’amour qui est communiqué en ce degré. Car l’âme en cette jouissance se délecte bien [116] d’une autre manière dans l’actuelle possession de cette lumière et de cet amour que dans tous les ressouvenirs qu’elle pourrait avoir à l’aide de la mémoire. Tout ce qu’elle peut servi90 en cet état est que, lorsque l’âme commence son oraison réglée du matin et du soir, elle s’en sert pour représenter le sujet qu’elle prend de prime abord. Car comme je vais dire un peu plus bas, ces âmes (quoique contemplatives) ne laissent pas de commencer leurs oraisons par l’envisagement de quelques vérités de Jésus-Christ ou de Ses Mystères.

Cet état de contemplation dans les puissances dure plusieurs années et souvent même quantité [117] y meurent heureusement et saintement sans passer au dernier état d’union. Et comme je vous ai dit qu’en son commencement il vient peu à peu, aussi Dieu communique-t-Il son accroissement et sa perfection avec ordre et mesure. Car ici l’âme ne va pas selon son gré, mais selon que l’Esprit de Dieu la conduit et que la lumière lui est communiquée.

[Des sécheresses et tentations de cet état]

Dans cet état de contemplation que vous venez de voir si plein de lumière et d’amour très véritable, il y a des sécheresses, mais passagères, qui durent de fois à autre quelque temps et qui ne laissent pas d’incommoder les âmes à cause de l’habitude qu’elles ont de jouir de cet heureux [118] état. Il y a aussi des tentations. Mais comme l’âme commence d’être forte, les unes et les autres, au lieu de causer du mal à l’âme, lui causent pour lors un renouvellement tout nouveau de lumière et d’amour. C’est comme ces forgerons qui jettent de l’eau dans leur feu, non à dessein de l’éteindre, mais de l’animer et de le revivifier.

C’est pourquoi, l’âme sachant ce secret, ne s’étonne nullement de ce qui lui arrive en ces rencontres. Car elle sait fort bien que les croix qui viendront de Dieu, des hommes et des démons, seront des instruments tous propres pour purifier son oraison et la disposer à de plus grandes [119] grâces.

[Marques de la fin de cet état]

Enfin quand l’âme expérimente qu’un débord de lumière se fait dans son entendement et que cette lumière devient si pure qu’elle la met comme dans un abîme où des vérités infinies lui sont découvertes, non [pas] si manifestement comme au commencement et au milieu de ce degré contemplatif, mais au contraire qu’elles [ces vérités] tiennent toujours de la nature de ce même abîme, ne les pouvant aucunement discerner — mais seulement ce qu’elle en peut exprimer est que son entendement se perd heureusement dans un abîme qui lui semble ne pouvoir être que Dieu même —91, pour lors elle doit juger qu’elle approche [120] de la fin de ce degré.

La volonté devient aussi si amoureuse et si désireuse de la jouissance de Dieu même qu’elle est dans une impatience de s’y pouvoir unir. Elle ne peut plus s’arrêter à la jouissance des belles lumières qu’elle a eues durant tout cet état. Ce sont seulement des nouvelles, dit-elle, de son Bien-aimé, mais c’est Lui-même qu’elle veut et qu’elle désire. Il est vrai que ces lumières lui ont fait connaître ce Bien-aimé, et à leur aide elle en a goûté, ce qui la met dans cette impatience dont elle ne pourra être délivrée que par l’état d’union qui suit, dans lequel l’entendement et la volonté heureusement réunis dans leur [121] centre, jouiront avec plaisir de leur fin.

Troisième et dernier degré d’union

à laquelle parviennent les âmes qui sont assez heureuses pour être appelées à faire un grand progrès dans ces routes de l’oraison, et qui s’y rendent fidèles.

Ce dernier degré d’oraison est d’une nature qui se peut mieux comprendre par expérience que par paroles. Car en vérité tout ce que l’on en dit et tout ce que l’on en peut dire n’est nullement ce que c’est. Cependant [122] pour la consolation de quelques âmes, je crois qu’il est à propos d’en dire quelque chose. Ce qui pourra profiter pour les animer et les encourager dans les premiers degrés, et même fortifier les personnes qui y sont.

[Ce que c’est que ce dernier degré]

Ce degré d’union pris dans toute son étendue, je veux dire dans son commencement, son milieu et sa fin, est la jouissance de Dieu dans le centre et le plus intime de l’âme, où tout l’esprit, s’étant peu à peu perdu, se retrouve heureusement animé et mû par l’Esprit de Dieu. D’où vient qu’en ce degré il devient par grâce comme une même chose avec Lui. Là il perd toutes ses propriétés, n’agissant plus par [123] lui-même, mais vivant en Jésus-Christ et par Jésus-Christ : chaque partie de l’âme est élevée par Son moyen à un opérer tout divin. Et afin de vous donner une intelligence, la plus claire qu’il me sera possible de ce degré si relevé, concevez ce que fait notre esprit dans notre corps et vous verrez une image de cette sainte et sacrée union.

[Comparaison qui exprime bien cet état]

Notre esprit uni au corps lui communique la vie, ce qui le préserve de la corruption et de tous les autres accidents où il est sujet, comme une masse pesante de terre qu’il est. De plus, c’est par son moyen que les yeux voient les beautés et découvrent les raretés de toutes les [124] couleurs et des merveilles dont Dieu enrichit le monde. Ces mêmes yeux, par le moyen de l’esprit, servent à conduire et à éviter les mauvaises rencontres, et ils sont nécessaires à une infinité de choses. Le goût n’opère que par son moyen. Et généralement remarquez l’élévation des belles conceptions des personnes savantes, leurs excellents ouvrages, leurs bons desseins, et toute l’industrie dont l’homme est capable, et vous verrez que cela est en lui par l’union de notre esprit au corps.

Ainsi une personne, heureusement réduite par union dans le centre de son âme, devient par grâce une même chose avec Jésus-Christ, si bien qu’en vérité [125] Il devient le principe de tous ses mouvements, de toutes ses paroles, de toutes ses pensées et de ses lumières. Ici il n’y a plus d’autre lumière que Jésus-Christ même dans le centre. Il devient également son amour. Et pour dire les choses fort clairement, l’âme ayant défailli et étant perdue dans une heureuse unité, c’est Jésus-Christ qui connaît, qui aime et qui agit en elle92.

Tout son soin, sans soin, est de demeurer heureusement jouissante de ce trésor, soit qu’elle agisse soit qu’elle contemple, sans se mettre en peine de rien. Car réduite qu’elle est en Dieu, son esprit, de quelque côté qu’il se tourne, ne peut voir que Dieu. [126] Et cela dans une facilité admirable qui ôte tout doute à l’âme et toute hésitation de ne pouvoir incessamment jouir de Jésus-Christ. Comme une personne tombée dans la mer, laquelle de quelque côté qu’elle se tourne, haut ou bas, ne voit que des eaux et ne rencontre toujours que la même mer. Diriez-vous, je vous prie, que cette personne eût de la peine à trouver l’eau ? non, car elle en est toute entourée93.

D’où vient que je ne conçois aucunement plusieurs âmes qui se disent en cet état et qui l’expriment incessamment par des pertes et des obscurités de cachot. Non, cela n’est point tel en ce degré. Car ou il est éclairci (comme [127] je viens de dire et que je vais poursuivre encore), ou bien il est dans une certaine sérénité et perte de soi-même, dans un abîme que l’âme expérimente fort bien être Dieu, ce qui l’assure et la calme dans toutes les vicissitudes qui peuvent arriver en ce degré. Ce certain abîme dont je parle, contient en éminence (selon l’expérience de l’âme) tout ce que l’autre lumineux découvre manifestement en Dieu.

Pour ce qui est de l’état lumineux, je veux dire lorsque l’âme voit clairement en Dieu, elle y voit la grandeur de Dieu, et Sa divine Majesté Se plaît à lui faire découvrir la beauté de chaque attribut et la merveille de Jésus-Christ [128], mais94 spécialement à la rassasier du secret admirable de cet homme-Dieu. Ce qui la satisfait tellement qu’elle ne voit rien de beau [ailleurs], elle ne remarque aucune sagesse qui puisse se comparer aux merveilles et à toute l’économie des divins Mystères. Dans cette même lumière qui est Dieu même, elle y voit les saints et en jouit avec une facilité admirable. Ne croyez pas que cette vision soit de la nature de celles dont on parle si ordinairement dans les livres, qui sont imaginaires ou au plus intellectuelles. Celle-ci est d’un degré plus relevé et beaucoup plus facile. Car l’âme réduite dans l’unité de son Centre, y peut voir toutes choses [129] sans travail parce que là son esprit est fait un avec Celui qui est toutes choses.

Sachez bien que ceci ne se fait pas en sa perfection, comme je le dis, tout d’un coup dans une âme, mais avec beaucoup d’ordre et de succession.

[Du commencement de cet état]

Le commencement est tout occupé à peu à peu réduire l’âme dans une certaine unité tout à fait simple et relevée, et cela en dénuant l’âme peu à peu de son degré de contemplation qui consiste, comme je vous ai dit, en une lumière éternelle et divine, mais qui n’est pas celle du dernier degré, – cette lumière contemplative faisant toujours voir les choses hors de Dieu et avec [130] quelque distinction, – mais pour celle du fond et du centre, c’est toujours en unité, comme j’ai dit.

Cette réduction de l’âme à l’unité dans son centre est parfois fort longue et de plusieurs années, l’âme ayant beaucoup de peine à se réduire dans cet abîme et à se perdre dans cet océan, comme aussi à s’accoutumer à ne voir et ne jouir des choses qu’en Dieu.

[Du milieu de cet état]

Le milieu de cet état, quand l’âme est ainsi réduite dans son fond, est occupé à découvrir et à jouir, comme j’ai déjà dit, des grandeurs de Dieu, des merveilles de Jésus-Christ, etc., ce qui fait perdre à l’âme insensiblement tout opérer [131] propre et la vie qu’elle peut avoir encore par soi-même, pour jouir heureusement du bonheur qui lui est manifesté.

Ce milieu donne la jouissance véritable de Jésus-Christ par une union qu’il vaut mieux goûter qu’exprimer, dans laquelle l’âme vit, opère, et jouit de toutes choses. Jusqu’à ce que l’âme soit arrivée en ce dernier degré par le moyen des deux premiers que je viens de marquer, elle jouit bien de toutes les merveilles de Dieu en Dieu, mais non par un parfait calme et repos selon ces belles paroles : Tenui eum nec dimittam95, je l’ai possédé et je ne le laisserai plus aller, son union étant ma vie et mon bonheur. [132] Il arrive ici à l’âme ce que nous voyons en une pierre, qui, tombant, ne peut s’arrêter par un repos entier qu’elle ne soit dans son centre96.

Vous me direz peut-être que puisque cette âme est arrivée dans son dernier repos et dans son calme : « Que doit-elle faire en cet état sinon passer dans la gloire ? » Je vous dis qu’elle ne doit plus rien faire pour acquérir la jouissance du bonheur qu’elle a désiré dans tous les états précédents et même dans les deux degrés du dernier, mais qu’elle doit tout faire et être tout autrement fidèle dans la jouissance du bonheur qu’elle possède, si bien qu’ici jouir et posséder est tout le [133] travail et le bonheur de sa vie, si longue qu’elle puisse être.

Marques pour discerner quand une âme passe de l’oraison de simplicité dans l’état passif.

[Première marque]

La première, que cette âme doit être comme un jardin fleuri en vertus qui donnent chacune leur odeur, sans une adresse si grande de l’âme comme dans les autres états. Vous voyez cette âme donner une odeur si agréable de l’humilité qu’au lieu d’être incommode par les actes extérieurs qu’elle en produit dans les rencontres, elle cause au contraire une certaine joie et satisfaction avancée. Car elle fait les [134] choses sans façon et sans tant les rechercher, ces vertus émanant agréablement de son âme. Ce que je dis de l’humilité, jugez-en autant de la docilité d’esprit, de l’obéissance, de l’union charitable avec son prochain et généralement de toutes les autres vertus qui touchent son état. Et c’est proprement ce qu’entend le saint-Esprit dans le Cantique des cantiques, où il dit que le Bien-aimé est descendu dans le jardin pour voir si les vignes ont fleuri et si les fleurs donnent leurs odeurs agréables, si enfin les grenadiers et les pommiers ont des fruits, etc.97 Cette descente du Bien-aimé n’est autre chose assurément que Son écoulement [135] dans le fond de l’âme, comme nous avons dit par l’oraison passive, et ainsi ces odeurs de fleurs et ces fruits sont nécessaires pour solliciter cette heureuse visite.

[Seconde marque]

La seconde est lorsque l’âme, sans effort et sans industrie de sa part, tombe dans un certain néant d’elle-même sous l’opérer de Dieu, toute sa joie étant d’envisager qu’avec l’aide de Sa divine Majesté, Il fera tout en elle, et elle ne fera rien. Ceci ne peut pas être contrefait sans qu’une âme d’expérience le connaisse. Car il y a une grande différence entre une certaine cessation des pensées formées et des actes de volonté produits pour n’être occupé que d’une idée de néant [136] — car ce rien forgé dans lequel quelques-uns se mettent est toujours avec quelque bandement sec et aride98 et jamais sans pensée de néant ou de Dieu. Mais le néant dans lequel l’âme tombe par l’opérer de Dieu est toujours dans une certaine plénitude. Ce n’est point l’âme qui le produit, mais Dieu qui l’opère. Cette manière est sans contrainte, sans violence, et l’âme s’y trouve plutôt qu’elle y a pensé. Car elle n’a aucune pensée de néant et elle est remplie du néant. Et sans penser à Dieu, elle jouit d’une plénitude en ce même néant – et pourvu que la personne que l’on consulte ait marché dans ces états, elle ne s’y peut pas tromper. [137]

[Troisième marque]

La troisième [marque] est lorsque l’âme est seconde en désirs naturels de la réelle conformité à Jésus-Christ, ayant un certain instinct en elle que jamais elle n’acquerra parfaitement ce bonheur (qui est l’unique qui la peut consoler et réjouir) que dans un certain état, où l’âme mourant à soi et à tout son opérer vit uniquement en Jésus-Christ. Et pour voir si ses désirs sont efficaces et véritables, remarquez si elle est saintement soigneuse et avide des moindres abjections, souffrances et mépris. Ces désirs, quoique tranquilles, sont cependant violents, en ce que l’âme, sans qu’elle le veuille, le désire toujours, et tout autre chose ne la peut contenter. [138]

[Combien l’état passif est périlleux sans vocation]

Il ne faut point se tromper dans le discernement que l’on doit faire de cet état passif, étant un don de Dieu très relevé, et il est plus périlleux que je ne le puis exprimer de s’y introduire sans vocation. Car ne me dites pas que cette âme qui est introduite fait toujours beaucoup de bonnes choses dans cette pensée de haute oraison, qu’elle se retire de plusieurs occasions au-dehors, qu’elle se met en oraison plusieurs heures, qu’elle prend des disciplines et autres austérités très grandes. Tout cela est bon en soi, mais comme il s’opère par un principe faux de vanité et de propre excellence, au lieu de faire du bien à l’âme, il la perdra assurément [139] et la fera tomber dans des illusions de conséquence.

Ressouvenez-vous de ce banquet somptueux des noces où quelqu’un se présenta sans son habit décent, ce que je crois n’être pas seulement la grâce mais la vocation, laquelle (comme vous avez vu dans toute la déduction de cet état passif) est comme une robe très enrichie, dont Sa divine Majesté orne l’âme, Sa bien-aimée épouse.

Mais ces marques supposées dans une âme, et par conséquent la vocation y étant assurée, que ne doit-on point espérer de cette âme et de son bonheur ! Puisqu’en vérité elle n’est pas moins que l’épouse du Très-Haut et un [140] objet qui doit être les délices de Dieu.

ÉCLAIRCISSEMENTS

sur plusieurs difficultés de ces degrés d’oraison qui pour l’ordinaire donnent beaucoup de peine aux âmes qui ne sont pas instruites.

Avant que de finir ce petit ouvrage des degrés d’oraison99, je crois qu’il est à propos de résoudre ici plusieurs difficultés générales, qui souvent arrêtent les âmes, et qui sont cause que beaucoup de personnes savantes crient avec raison contre l’oraison passive [141].

[Pourquoi on ne dit rien des révélations]

[1.] La première que l’on peut demander : pourquoi, ayant traité selon mon peu de capacité de toutes les voies de l’oraison, je n’ai rien dit des visions, révélations et extases et que cependant quantité de personnes en font grand état dans ces états. Je réponds à cela que comme ces grâces extraordinaires ne sont que des choses passagères et non le solide de l’oraison et de l’opérer de Dieu, je crois qu’il est plus à propos et plus utile aux âmes de s’attacher à ce solide que de courir après ces grâces par quelque estime qu’elles en avaient — et que même, très souvent, elles empêchent l’âme et l’embrouillent dans cette voie. Car quoiqu’elles [142] soient vraies, elles ne laissent pas de causer du mal à l’âme, d’autant que le démon ordinairement se sert de ces choses pour donner de la propre estime ou pour faire éclater et paraître les âmes au-dehors et ainsi les retirer de l’opérer de Dieu en elles. De plus, quantité de directeurs ou amis spirituels sont si avides de ces grâces extérieures (n’en sachant pas la conséquence) qu’ils font dire et redire ces communications et ainsi vont adorant ces personnes.

Mais ce que je crois bien plus difficile est de discerner quand il y a de la vérité [dans ces visions etc.]. D’où vient que généralement il est d’une grande conséquence de les outrepasser [143] et les tenir pour ce qu’elles sont devant Dieu, sans s’amuser ni s’arrêter à leur discernement100.

Et en vérité ce procédé glorifiera plus Dieu que toute la discussion que l’on en peut faire. Pour l’utilité de l’âme, il n’y a point de comparaison entre le profit qu’elle tire, y agissant de cette manière et celui qu’elle pourrait avoir par la certitude d’un million de visions, de révélations ou d’extases. Enfin il est certain, selon l’expérience des directeurs plus éclairés, que ces moyens sont bien audessous de ceux dont j’ai parlé et qui ne peuvent pas conduire à une union si éminente que la pure foi. Ce que sainte Thérèse a fort bien connu après sa [144] mort, comme elle l’a révélé à une de ses plus intimes filles, pour le dire à son Père Général101. Ce n’est pas qu’il faille intimider les âmes qui en ont, quand elles en donnent de bonnes marques par la pratique des vertus, mais selon ma pensée (que je soumets aux plus éclairés que moi), le plus assuré est de retirer doucement leurs esprits de ces idées pour leur donner l’ouverture de marcher par la lumière de la foi — et ainsi, en se perdant, elles se retrouveront heureusement en Dieu.

[Comme on se doit servir du sujet dans l’oraison d’affection et les autres degrés]

[2.] La seconde est de dire comment l’âme doit se servir des sujets d’oraison dans l’état passif. Car [145] pour les autres, nous avons déjà dit qu’en celui d’affection, l’âme doit doucement s’occuper de son sujet, la volonté y travaillant de son mieux pour ne le jamais quitter quand on se remet en oraison quoique l’on voit en soi quelque onction. Autrement peu à peu l’âme se viderait de l’opérer de Dieu et deviendrait inutile.

Pour l’oraison de simplicité, il faut aussi envisager simplement son objet et s’en occuper selon ce qu’il a été dit. Mais c’est une tromperie de se présenter à l’oraison sans quelque sujet duquel on doit se servir si Dieu [ne] donne lumière par Son moyen. Mais si l’onction du saint-Esprit se communique et vous fait voir autre chose qui soit de ce degré (c’est-à-dire quelque solide vérité de Jésus-Christ ou de Ses Mystères), pour lors appliquez-vous-y, et faites-en votre oraison tout le temps que cela durera. Mais si cette lumière manque, recourez à votre sujet, car en vérité vous ne seriez point dans l’assurance sans en être soutenu. Et certifiez-vous généralement que l’appui du regard simple et amoureux de ce degré est le sujet d’oraison, pris de la manière que je l’ai expliqué.

Pour l’état passif, dans tous les trois degrés qu’il contient, c’est où est la difficulté et où plusieurs personnes manquent, faute d’entendre [147] les livres ou d’être aidées de directeurs d’expérience. Car elles croient qu’aussitôt qu’elles sont certifiées d’être dans l’état passif, il faut continuellement se perdre et s’abandonner à Dieu, soit qu’elles expérimentent l’opérer de Dieu qui remplit leurs âmes ou qu’elles ne l’expérimentent point. D’où vient que très souvent elles se présentent à l’oraison et ne jouissent pas de cet opérer et ainsi sont vides, ce qui cause un très grand mal.

Et selon ma pensée, je crois qu’il est de conséquence pour tout cet état de commencer toujours son oraison par quelque simple envisagement de quelques autorités, soit des grandeurs de Dieu, soit des états [148] de Jésus-Christ ou des autres vérités qui le concernent. Et l’âme ayant fait cette petite diligence de sa part (qui n’est pas une activité, car c’est ordre de Dieu), l’une de ces deux choses arrivera : ou Dieu l’éclairera passivement sur ce même sujet, ou bien Il lui découvrira quelque autre merveille, lui communiquant Son opérer selon Son bon plaisir. Ce qui arrivera de bien aux âmes qui en useront ainsi est qu’elles s’appuiront fortement contre l’illusion. Car il est certain que les vérités éternelles ont cette bénédiction qu’en les envisageant, elles approchent toujours de Dieu. De plus ces vérités ainsi prises pour sujet en cet état ne [149] peuvent jamais rendre l’âme active, mais au contraire l’affermissent encore dans l’oraison passive, d’autant que tout ce que l’opérer comme passif de sa part produit dans les âmes est très souvent détruit dans ces vérités.

Et je ne connais point102 certaines personnes qui craignent même d’envisager les images et de se servir d’autres dévotions approuvées de l’Église (toujours selon la manière dont il a été marqué) par crainte d’être actives. Mais qu’elles me croient, ce n’est point en cela que consiste l’activité en ce degré, mais bien à faire les choses par soi-même. L’âme qui prend ces petites aides par soumission et dépendance de l’esprit de Dieu, ne sort point [150] assurément de son état passif et, lorsqu’elle a pris son sujet, et que Dieu lui donne autre chose, qu’elle le laisse écouler, se rendant fidèle à ce que Dieu lui communique.


[Comment se font les examens, actes de contrition et autres pratiques dans les divers degrés d’oraison]

[3.] La troisième difficulté est touchant les examens, les actes de contrition dans les confessions, les lectures spirituelles et les autres pratiques de vertus, qui doivent faire l’emploi d’une âme en quelque état qu’elle soit.

Pour les examens, c’est une chose générale qu’en quelque degré qu’on soit en cette vie, il en faut faire. Et tout ce qu’il y a à remarquer est que la manière est différente selon le degré où l’âme est. En la méditation, il se [151] fait par une grande industrie et application sur ses défauts, se servant de plusieurs aides et lumières pour cela. En l’oraison d’affection, l’âme y est un peu plus simple, mais toujours examinant et recherchant ses fautes ; et Dieu, selon ce degré ne manque point de donner la lumière conformément à l’oraison de l’âme, pour voir ses fautes. En l’oraison de simplicité, l’âme y procède encore plus simplement sans tant de recherches actives ; et Dieu aussi, conformément à la grâce de ce même degré, ne manque point d’y contribuer. Et comme l’âme fait son oraison par un simple regard, aussi voit-elle ses fautes par un simple envisagement des [152] rencontres et des occasions où elle s’est trouvée et, de cette même manière, elle fait ses résolutions.

Pour l’oraison passive, c’est une erreur de n’en point faire. D’où vient que je suis très assuré que faute de l’examen dans ce degré, l’âme ne verra ni ne corrigera jamais, par la communication de Dieu en l’oraison, ou durant le jour, quantité de défauts et de manquements, dont la vue et la correction est réservée à l’examen. Comment donc se fait-il ?

Il faut y agir de la même manière que je vous viens de dire pour le sujet, savoir que l’âme par un simple envisagement, voit [153] la suite de sa journée et comme son esprit en ce degré est beaucoup pacifié, cela se fait aussi sans effort. Et assurément cette conduite supposée de la part de l’âme, la lumière nécessaire pour voir ses fautes ne lui manque pas.

Pour l’acte de contrition, je dis généralement que c’est une erreur et une tromperie très périlleuse de n’en point faire en quelque état que ce soit. Pour ce qui est du degré de méditation, d’affection et de simplicité, cela est sans aucune difficulté qu’il en faut produire, mais différemment comme j’ai dit de l’examen.

Dans la méditation, on le forme et on le produit de paroles, se servant [154] même de livres pour cela. Dans l’affection, on le fait plus simplement et plus affectivement. Dans la simplicité, l’âme y étant plus simplifiée, elle le fait plus en esprit, mais toujours effectivement par une certaine manière humble devant Dieu, reconnaissant ses fautes.

Pour l’état passif, où est la grande difficulté, il faut le faire aussi, mais par une plus grande dépendance et soumission à l’Esprit de Dieu en l’âme, qui demeurant plus particulièrement en elle par cet état, ne manquera jamais de correspondre et d’insinuer en l’âme le regret et la haine qu’Il veut qu’elle ait pour le péché. D’où vient qu’à parler proprement, c’est véritablement [155] en ce degré où l’on fait les véritables actes de contrition, et en la manière des autres états. Mais selon ce degré, qui n’empêche point que l’acte ne soit véritablement formé dans l’esprit. Si bien que c’est une tromperie de croire que c’est une activité que de faire une chose que l’Esprit de Dieu désire et dont Il est principe dans l’âme.

Pour les vertus et autres pratiques, il y faut agir de la même manière, selon la différence des états, et ne croire point que dans l’état passif, l’âme soit active pour faire des actes ou pour produire et rechercher les vertus, quand elle le fait selon ce degré (c’est-à-dire par mort de soi-même [156] et dépendance à l’esprit de Dieu). Et remarquez bien généralement pour tout ceci que l’activité dommageable et dont on doit se garantir en cet état passif, c’est de faire les choses par inclination, comme de soi-même ou par une vie propre. Mais tout ce qui se fait par soumission et par dépendance de l’esprit de Dieu, n’est jamais actif comme on l’entend ici103.

Pour les lectures, elles sont nécessaires en tous les degrés, mais avec cette précaution, que les livres qui parlent des degrés d’oraison, ne doivent être lus que selon le degré où l’on est, à moins de courir risque de se brouiller et de causer des [157] maux très souvents irrémédiables. Pour les autres qui parlent des vérités éternelles, mais spécialement de Jésus-Christ, c’est un baume tout divin pour chaque état, quel qu’il soit104.

[Comment on est certifié de son état]

Vous me demanderez peut-être une difficulté que je trouve assez de conséquence : comment vous pouvez être assurée et certifiée, selon que ces degrés le marquent pour chaque état, afin d’y marcher en assurance. Je vous réponds qu’après que vous avez dit en simplicité à un directeur expérimenté votre intérieur, vous devez être en assurance. Je vous dis : expérimenté !

[Que doit être le directeur]

Car ce n’est pas assez d’avoir entendu un sermon105 de quelque [158] personne et qu’elle ait la réputation d’être spirituelle. Comme il faut en choisir un entre mille, après avoir beaucoup prié Dieu, il faut faire de son mieux pour savoir sa pratique, et si c’est une personne intérieure qui fasse beaucoup d’oraison et qui soit d’exemple. Si c’est un séculier ou si c’est un Religieux, qu’il soit d’une odeur grande en vertu dans sa communauté, qu’il soit de plus fort savant et de bon jugement ! Car si vous n’en trouvez point de tel pour vous assurer en votre oraison, vous devez faire ce que Notre Seigneur vous a conseillé, assemblant deux ou trois personnes, auxquelles vous vous déclarerez, et assurément Il y présidera. [159] Et pour lors étant assurée de votre oraison, vous pourrez choisir quelqu’un qui soit fort docte, de piété extraordinaire et de bon jugement.

Mais pour ce qui est des âmes religieuses, elles ont un privilège que les autres n’ont pas. Car ayant fait le sacrifice de tout ellesmêmes par les vœux entre les mains d’une supérieure, elles doivent se remettre entièrement à elle pour leur donner quelqu’un qui les éclaire, ou le faire par elle-même. Et pour lors je suis très assuré que si la disposition de simplicité, de vérité et de docilité ne manquent point au sujet qui est conduit, Notre Seigneur les éclairera par ce moyen. [160]

Et pour ce qui est des séculiers qui ne sont pas destinés de l’Église à la conduite des âmes, quoiqu’ils soient éclairés, je tiens qu’il y a bénédiction de les avoir pour amis spirituels (quand ils sont gens d’oraison), mais non pour directeurs, les uns et les autres n’ayant point de mission du saint-Esprit pour cet effet, c’est-à-dire, n’étant point établis par les supérieurs pour cela. Ils peuvent bien donner des conseils comme amis, mais d’être les oracles pour marquer la volonté de Dieu, j’en doute fort, et cela particulièrement à cause de la pratique que j’ai vue en quelque personne de grande expérience, et aussi par le mal que j’ai vu arriver [161] de cela en certaines rencontres106.

[Abus ordinaire des âmes qui sont dans les ténèbres]

L’on me peut former un doute sur tout ce que j’ai dit, savoir s’il est nécessaire aux âmes pour passer par tous ces degrés d’oraison selon que je les marque, d’être pleines de lumières, de vertus, et fécondes en dons de Dieu. La raison de ce doute est qu’il se trouve plusieurs âmes qui se disent de grande oraison, ayant des impressions fort avantageuses même sur les derniers états qu’elles croient porter, et cependant elles sont toujours dans des obscurités, dans des peines et des tentations tout à fait grandes. Si vous leur demandez leurs oraisons, elles ne sauront vous exprimer rien de ce qui se passe [162] en elles, croyant que tout y est inconnu et sans leur sû, et tout au plus elles n’en disent que très peu de chose, savoir que leur âme est perdue, qu’elle est en Dieu, etc.

Je réponds à votre doute en vous disant que si l’âme n’est dans l’onction féconde des dons de Dieu, dans la pratique des saintes vertus et dans l’expérience des lumières nécessaires à chaque état, elle n’y est point. Elle peut avoir (comme vous l’avez vu dans la déduction de tous ces états) des sécheresses, des tentations et des souffrances de l’état où elle est. Mais cela est passager comme je l’ai marqué, et non durant toute la vie ou [163] même durant plusieurs années107.

Vous me répliquerez peut-être que les histoires marquent plusieurs saints et saintes qui ont passé leur vie dans ces ténèbres et ces souffrances. Je vous réponds que Dieu les a sanctifiés par ces moyens et non par celui de l’oraison. Car il faut bien remarquer ici que Dieu a plusieurs manières de sanctifier les âmes et que quantité sont sanctifiées qui ne passent pas plus avant que le degré de méditation, qui est accompagné ou de grand travail pour le prochain ou de souffrances, obscurités, ou autres choses selon le bon plaisir de Dieu. D’autres seront sanctifiés sans passer le degré d’affection, et ainsi des [164] autres degrés. D’où vient qu’il ne faut point juger que dès aussitôt qu’un saint est saint, il ait toujours été sanctifié par le moyen des degrés de la pure oraison.

Il est bien vrai que c’est le moyen le plus ordinaire dont Sa divine bonté se sert, n’y ayant presque jamais d’âme sanctifiée, sans participer un peu ou beaucoup à ce don.

Mais vous me direz peut-être encore : « Comment connaîtra-t-on que les souffrances et les obscurités que portent les âmes toute leur vie, n’étant pas dans les degrés d’oraison, sont du nombre de celles qui sont un moyen dont Dieu sanctifie ces âmes ? » [165]

[Différence des véritables obscurités et des fausses]

Je vous réponds que ces obscurités et ces souffrances doivent être une source de vertus, d’humilité, de patience, de longanimité, d’abandons entre les mains de Dieu ; mais très spécialement de docilité et de soumission à Dieu pour attacher leurs âmes, par exemple au premier degré d’oraison comme sera la méditation, si Dieu le veut. D’où vient que lorsque vous trouvez des âmes ainsi souffrantes et cependant humblement attachées à leur degré, et qui, comme de saintes abeilles, cueillent le miel et la rosée du ciel sur l’amertume des herbes et des fleurs, pour lors (et non autrement) jugez que ces souffrances sont un bon moyen [166] pour ces âmes. Mais quand cela n’est pas, faites-les descendre de leurs idées hautes pour venir avec humilité, patience et douceur, cueillir les fruits de l’éternité, je veux dire les petites fleurs des saintes vertus au pied de la croix.

[On doit parler des degrés d’oraison avec méthode]

Vous me pourrez encore objecter que je traite toute cette voie d’oraison avec ordre et méthode, et que cependant plusieurs personnes que l’on estime comme gens d’oraison crient contre cette méthode, disant qu’il ne faut point du tout savoir ce que l’on fait et que ces gens méthodiques sont des philosophes et non des mystiques. Je réponds que cela n’est aucunement vrai [167] et ce sentiment même peut être très dommageable à cause que, sans l’ordre108, on ne peut discerner au vrai ce que c’est qu’un intérieur formé. Car quand il est véritable et de Dieu, il y a toujours de l’ordre, non pas toujours connu de la personne dirigée (comme sera une pauvre paysanne, ou quelque autre personne simple et ignorante), mais de la part d’un directeur expérimenté qui y trouvera toujours un ordre admirable selon le degré de vérité qu’il rencontrera en cette âme. La raison est que tout ce qui est de Dieu, généralement est très ordonné et très réglé et dans une économie admirable. Quoi ? Dieu sera si parfaitement ordonné et réglé [168] en tout ce qu’Il fait dans les choses du monde, soit pour les saisons ou pour la production, l’accroissement et la perfection de tout ce qu’il y a sur la terre. Voyez le moindre brin d’herbe et vous remarquerez que chaque partie s’y produit dans un très bel ordre : au commencement elle germe, peu à peu elle croît et la fleur insensiblement s’épanouit et se colore. Croyez-vous donc que Dieu soit réglé dans les choses naturelles, qui sont presque infiniment au-dessous des surnaturelles, et qu’en celles-ci Il ne le soit pas ? C’est une adresse de l’esprit humain, pour cacher sa suffisance et pour empêcher de mettre ordre à ce qui le peut faire mourir. [169]

[Abus de quelques spirituels]

Ceci me donne aussi ouverture pour vous précautionner de certains spirituels qui disent et qui croient qu’ils ont trouvé un secret pour faire plus en une semaine que tous ces ordres, que toutes ces méditations et que toutes ces méthodes ne feront en plusieurs années. Jusques-là même qu’ils promettront quelquefois de mettre tout d’un coup une âme dans les derniers degrés de l’oraison, sans passer par le milieu109. Dès là que l’on vous parle de ce secret, craignez. Car je vous assure (pour l’avoir expérimenté et examiné, ayant entendu les discours de ces personnes) que tout leur secret consiste à faire un ramas110 de maximes et de [170] préceptes des derniers états qu’ils donnent à des commençants. Qu’arrivera-t-il de cela ? Souvent ils se cassent la tête et après s’être bien tourmentés en ces pratiques plusieurs années, tout ce qu’ils en retirent est une certaine science de ces préceptes, mais non une expérience véritable de cette oraison. Nous avons déjà parlé un peu de cela en un autre livre111 où nous avons dit ce que le trait extraordinaire de Dieu pour ces dispositions-là, doit les mettre et les opérer dans une âme.

[Si l’on doit généralement conseiller l’oraison]

Je crois que vous serez bien aise de savoir si généralement il faut conseiller l’oraison à toutes les âmes, et les y porter comme [171] au moyen véritable de leur sanctification.

Je vous réponds que oui — avec l’ordre que vous avez remarqué dans les degrés précédents — et vous ne sauriez jamais manquer, animant et portant toutes les personnes que vous pourrez pour travailler et se perfectionner dans la méditation et les autres exercices qui les accompagnent. Et à mesure que vous voyez du progrès dans les lumières et les dons de Dieu par leur fidélité et la sainte pratique des vertus, pour lors il faut les encourager et leur faire espérer que Sa divine bonté, qui est très libérale de ses dons, pourra leur donner part dans la suite à de plus précieuses faveurs. [172]

« Mais quoi ! me direz-vous, tout le monde (même les âmes plus imparfaites) peuvent-elles, (et même doivent-elles) espérer d’arriver à quelques parties de ces particulières miséricordes de Dieu ? » Je vous dis qu’oui, pourvu qu’elles les désirent et qu’elles les espèrent avec dessein de mourir à elles-mêmes, à leurs inclinations et à ce qui les occupe par amour propre, s’appuyant toujours sur la bonté de Dieu et non sur leurs forces, qui seraient trop faibles pour se défaire des empêchements qui les lient et qui les éloignent de Dieu.

Et n’y a-t-il point de temps [173] où il ne faille plus espérer, ni travailler pour acquérir le don précieux de l’oraison ? Une personne par exemple, qui aura consommé une bonne partie de sa vie à pécher et qui aura presque tout usé son cœur dans l’amour des créatures ou bien qui sera fort âgée quand elle aura le dessein de se convertir ? Comme vous voyez tant de personnes qui consomment inutilement leur vie, les uns aux affaires, les autres à la vanité, ou bien si c’est en religion, à des bagatelles, entêtements et attaches et dans une suite de passions non mortifiées.

Tout cela ne doit aucunement empêcher qu’on ne leur conseille l’oraison (toujours, comme j’ai [174] dit, avec ordre et méthode, en leur aidant selon leur faiblesse par des lectures et examens). Et quand ces personnes tâchent d’être bien humbles et fidèles, Dieu prend plaisir de les enrichir quand Il les a amoureusement purgées de leurs souillures et de la corruption de leur vie passée. Ce que Jésus-Christ déclare admirablement dans une parabole de l’Évangile où Il donne une égale récompense aux derniers qu’aux premiers112.

Enfin n’y a-t-il point de personnes de si petite capacité ou qui aient l’esprit si vif, si dissipé, et qui soient si inhabiles à expérimenter les choses intérieures que l’on ne leur doive point du [175] tout conseiller d’oraison ?

Je vous réponds que non, quand la personne qui conseille l’oraison sait ajuster les conseils et donner une manière d’oraison proportionnée à la capacité naturelle de ces personnes.

[Comment on doit conseiller l’oraison, selon la capacité de la personne]

1. Pour les gens d’un esprit petit et borné, pourvu qu’il n’y ait que de la grossièreté et simplicité naturelle, comme sont les paysans qui n’ont pas l’esprit formé, on peut leur conseiller l’oraison. Car si la petitesse d’esprit doit en faire craindre quelque extravagance, au lieu de conseiller l’application à ces sortes de personnes, portez-les à la dissipation et à la récréation honnête. Mais pour les personnes [176] grossières113, il faut tâcher de leur apprendre à se servir des paraboles ou de quelques bonnes pensées, qui soient bien sensibles, et peu à peu leur esprit s’ajuste et s’accommode à l’oraison. Il faut surtout leur faire faire des lectures méditées et des examens qui sont comme des méditations. Ainsi vous les occupez de bonnes pensées et, insensiblement, vous les purifiez de leurs mauvaises habitudes, et de cette manière vous donnez lieu à Dieu de les éclairer. Ce qui leur donnera plus de capacité et de lumière pour l’oraison.

2. Pour ce qui est des personnes qui ont l’esprit fort vif et l’imagination fort prompte pour se former mille choses à la fois [177] et qui s’égarent incessamment et ainsi qui semblent être inhabiles à cet exercice, je dis qu’il ne faut pas laisser de leur conseiller l’oraison et de les y aider, mais par un moyen facile : savoir en commençant toujours à leur faire faire une bonne lecture méditée114. Ce qui continuera jusqu’à ce que l’on voit que les vertus croissent et que les imperfections diminuent. Après, vous leur conseillez de faire un peu de réflexion sur ce qu’on lit, comme après avoir lu un sens115, c’est-à-dire une ligne ou deux, de s’appliquer à cela et de demeurer quelque temps à y penser. Et si l’imagination ou la vivacité les emporte, comme on a [178] le livre, reprendre où l’on en était et y repenser, et après en relire encore autant, et ainsi suivre et persévérer le temps marqué. Et je m’assure que ces personnes auront de la consolation de cette oraison. Il n’y a point d’hommes d’affaires ni de femmes si occupées qui ne puissent réussir par ce moyen.

« N’est-il116 point nécessaire pour ces personnes, d’avoir leurs petits exercices réglés ?

Oui et cela leur aidera fort pour bien faire l’oraison.

Ne serait-il point utile de leur conseiller quelquefois l’oraison d’abandon et de simplicité en la présence de Dieu, pour demeurer sans rien faire et souffrir leur [179] stupidité et leur obscurité, sans toutes ces adresses qui semblent tenir beaucoup de l’industrie humaine ?

Je vous réponds que ce serait les perdre sans ressource et les rendre incapable des dons de Dieu.

Oui, mais elles honoreraient la divine Majesté par un humble aveu de leur incapacité.

C’est un bon acte, mais qui ne peut et ne doit suffire pour l’emploi d’une oraison en ces personnes. D’où vient que ceci n’étant pas bien conseillé et en son temps, est l’ouverture pour mener une vie très inutile et fainéante et est souvent dans la suite l’origine de grandes tentations [180]. Ainsi il faut bien remarquer que ce simple abandon, n’étant pas tel que je l’ai dit dans les degrés de l’oraison, n’est que passager et qu’ainsi il ne doit pas suffire à ces âmes. L’on doit bien les instruire de s’y tenir dans quelques moments en l’oraison, mais elles doivent retourner à leurs petits exercices.

Tout ceci ne s’entend-t-il pas encore pour toutes les sortes de personnes dont nous venons de parler ? Oui. »

Vous n’avez plus qu’à remarquer le temps où vous devez conseiller de faire l’oraison. Car il est fort important de ne pas ennuyer ces pauvres âmes. Mais [181] comme il faut être sage et discret pour apprendre la manière d’oraison, il le faut être aussi beaucoup pour marquer le temps de la faire.

Au commencement, il ne faut donner qu’un demi quart d’heure, insensiblement un peu plus. Et d’un quart d’heure, venir à une demi-heure, selon que vous voyez que l’âme s’habilite en cet exercice de l’oraison. Car assurez-vous que quand l’on n’en ferait qu’un quart d’heure, il causerait un bien très grand. Et de cette manière, l’on s’habituera à l’oraison, et à la suite l’on en fera volontiers autant que les autres qui ont commencé avec une grande facilité ou de bonne heure. Et puisque [182] me voilà sur le temps, je ne puis que je ne blâme les âmes qui, pour avoir quelque facilité ou bien parce qu’il y a longtemps qu’elle font oraison, y font des temps trop longs et sans règle, et souvent à des heures indues. Comme serait proche du repas ou bien quand il faut faire autre chose dont Dieu leur demandera compte. Que ces âmes se ressouviennent de ces paroles de l’Écriture : Quae a Deo sunt, ordinata sunt. Que tout ce qui est de Dieu, et par le mouvement de Son Esprit, est réglé et dans l’ordre. Et ainsi qu’il faut concerter toutes choses avec une supérieure, ou si c’est dans le monde, avec un sage et expérimenté directeur. [183]

Vous me pouvez demander encore si les âmes imparfaites et qui ne font nul usage ni profit de l’oraison, ne la doivent point quitter ? Qu’elles s’en donnent bien de garde : car, quoique le profit ne paraisse pas, elles en tirent une secrète force qui les empêche de tomber encore en bien de plus lourdes fautes. Et de plus, ce leur sera toujours un moyen de conversion et une aide qui leur facilitera les difficultés qu’elles rencontreront à la pratique des vertus, ou au moins à la fuite des grands péchés.

Mais si elles sont dans quelque commerce criminel et qu’ainsi enchaînées, elles roulent malheureusement [184] leur vie à l’ombre de la mort, au commencement emportées par le plaisir de leur passion et à la suite par le désespoir de s’être liées comme à une malheureuse nécessité de se contenter sans plaisir, attirées qu’elles sont par les habitudes et par les occasions présentes de leurs péchés ? Je dis, nonobstant tout cela, et quoique leur cœur soit tout plein de ces engagements criminels, qu’elles ne doivent point abandonner l’oraison pour cela. Et quoiqu’elles n’y donnent pas tout le temps qu’elles faisaient devant leur chute, au moins qu’elles ne la quittent jamais tout à fait. Assurément agissant [185] de cette manière, elles doivent espérer que Dieu les convertira et qu’elles y trouveront une aide merveilleuse pour se retirer du désordre et se remettre bien avec Dieu.

La difficulté pourrait être aussi fort grande, touchant les personnes qui ont des maux de tête ou autres incommodités, qui les tiennent dans des faiblesses ordinaires. Je réponds aussi qu’elles ne peuvent non plus être exclues de ce grand don, pourvu qu’elles se servent du moyen qui leur est propre qui consiste, selon ma lumière, à de petites pensées et saintes élévations de cœur vers quelque Mystère de la vie de [186] Jésus-Christ, non continuées, mais de fois à autre doucement réitérées. Et afin d’exécuter ceci avec plus de facilité (spécialement quand ces incommodités pressent davantage), il faut se servir doucement de quelques simples et amoureuses oraisons jaculatoires117, que l’on doit prendre dans quelques livres que l’on lit ou que l’on se fait lire. Et par ce moyen, se relever doucement vers Notre Seigneur, pour faire usage de l’état souffrant que l’on porte. Et par là l’incapacité naturelle deviendra une grande capacité. Toute véritable capacité se réduisant au bon usage de l’état et du moyen que Dieu met en nos mains pour Le servir [185] et nous unir à Sa bonté.

Il faut remarquer que ces oraisons jaculatoires se doivent faire et exercer selon le besoin de l’âme, et aussi selon qu’elle remarque qu’elle est plus touchée et enflammée par là au service de Dieu et à la haine du péché et de l’imperfection. Il est très certain que par ce moyen, quoique faible en apparence, l’âme aidée de la grâce sera peu à peu introduite à une capacité plus étendue des choses spirituelles et qu’ainsi la faiblesse ne leur sera pas un empêchement selon le mot de St Paul : Cum infirmor, tunc potens sum, quand je suis infirme, c’est lors que je suis puissant118. [186] Mais généralement il faut être fort fidèle dans les manières d’oraison proportionnées à la capacité de chaque personne, et aussi aux autres petits exercices et pratiques qui doivent être réglées pour faire une sainte occupation durant tout le jour.

[Prétextes malheureux qui font quitter l’oraison]

Et je ne puis comprendre quantité de personnes qui, ne se mettant point en peine des dons de Dieu, abandonnent l’oraison. Les uns par de faux prétextes, soit de peu de capacité ou pour n’y avoir point d’entrée, les autres par une pure paresse et de peur de rentrer en elles-mêmes, où elles ne trouveraient que du désordre et de la confusion. Si bien que tout leur soin et leur travail [187] est de s’étourdir par une variété d’emplois et d’embarras qui leur ôte le temps et la commodité de s’y donner. Et elles ne remarquent pas que peu à peu, par ce procédé, elles tombent dans un aveuglement et un endurcissement de cœur extrême. Et le démon, qui le sait très bien, leur inspire beaucoup d’adresses pour se dérober des temps d’oraison ou, si elles sont dans le monde et en liberté, pour s’occuper de plusieurs emplois qu’elles pourraient laisser ou au moins régler.

Je vous dis donc pour un avis tout à fait de conséquence, que vous fassiez bien réflexion sur l’importance de ceci. Et que si [188] Dieu vous commet pour avoir soin des autres, vous soyez persuadée qu’outre que l’oraison est un bien infini pour une âme, c’est un bien général pour toutes, aucune ne pouvant justement, selon le dessein de Dieu, s’en exclure et s’en priver pourvu qu’humblement elle s’ajuste au degré auquel Dieu la destine.

Donnez-vous de garde d’un artifice du démon que je crois être pernicieux à plusieurs âmes. Ce tentateur souvent leur inspire et même très ordinairement leur fait dire, par des personnes, que ces petites méthodes sont trop grossières et non assez élevées pour sanctifier hautement leurs âmes, et qu’ainsi elles se [189] doivent porter à des oraisons plus éminentes ; de manière que, ne pouvant réussir en ces pratiques si spirituelles, parce que Dieu ne le désire pas d’elles, et abandonnant celles qui leur sont proportionnées, il se trouve qu’elles n’ont ni les unes ni les autres et qu’ainsi elles mènent une vie très ennuyeuse et inutile. Ce que très souvent elles reconnaissent après plusieurs années, mais fort ordinairement sans remède, par les raisons que nous avons déjà expliquées.

MANIERES D’AGIR DANS LES MALADIES et à la mort pour chaque degré

Vous désirez peut-être que je vous dise la manière dont une âme doit traiter avec Dieu, étant en ces degrés d’oraison, soit dans les maladies ou même [190] à la mort. Et comme ceci est de grande conséquence, je vous expliquerai mon sentiment avec netteté sur ce point. Car faute d’expérience sur ce sujet, l’on est souvent fort en peine, comment on s’y doit comporter, et même y fait-on des défauts notables, spécialement à la mort, qui est le temps le plus important, et le moment plus précieux que nous ayons en notre vie.

Je vous dis donc qu’il faut différemment agir dans les maladies ou même à la mort, selon les différents degrés où l’âme est.

Si elle est dans le degré de la méditation, elle doit prendre de bonnes pensées fortes et convaincantes pour supporter son mal [191] et pour en faire saintement un usage de pénitence, de patience, et d’autres motifs d’amour, de résignation et de reconnaissance, etc. Et si elle se trouvait à la mort, elle doit agir de cette même manière. Si Dieu l’assiste tant que de lui donner quelqu’un qui se connaisse en ces voies, il doit se servir de ce même procédé, éclairant doucement l’esprit et enflammant la volonté en cette manière, lui répétant de fois à autre ces mêmes actes et vérités, et peu à peu la disposant ainsi à mourir heureusement dans l’ordre de Dieu, lui faisant faire tous les actes qu’une âme vraiment chrétienne doit produire en ce passage pour montrer sa [192] fidélité à son Dieu.

Si elle est dans le degré d’affection, elle doit doucement continuer sa disposition intérieure selon qu’elle le faisait étant en santé. Mais qu’elle remarque qu’à cause de l’abattement du corps et de l’esprit souvent elle ne pourra pas être si facilement excitée à l’amour de Dieu. Mais qu’elle ne craigne pas de faire quelques petites élévations amoureuses et quelques actes produits même avec ferveur (quoique sans goût), afin d’aider un peu sa disposition. Si enfin elle devient si malade qu’il faille penser à mourir, qu’elle conserve cette disposition d’oraison d’affection, prenant de bonnes pensées et de [193] saintes vérités qui peu à peu la disposent à la mort. Car quoiqu’elle doive être toujours dans cette disposition de simple affection, cependant cet état de mourante exige d’elle ce renouvellement.

Et remarquez bien que, comme Dieu fait tout avec sagesse, Il ne manquera pas aussi de seconder les actes de fidélité que l’âme, pour lors, produira et exercera, ce qui ne sera nullement contraire à sa disposition. L’âme le remarquera bien, d’autant qu’après avoir fait ces actes et avoir exercé son âme dans les dispositions qui sont nécessaires pour une âme mourante, qu’elle retourne doucement et suavement dans sa même disposition d’oraison [194] d’affection, qu’elle continue, souffrant son mal. Et ensuite, peu à peu, qu’elle se relève ou soit relevée par quelqu’un qui lui aide à mourir en l’entretenant doucement des dispositions avec lesquelles une âme qui veut vraiment mourir dans le sacré amour de Notre Seigneur, doit s’exercer. Et au cas même que, par providence, elle n’ait personne qui entende particulièrement les voies intérieures, mais seulement quelqu’un qui agisse avec elle selon l’ordinaire, qu’elle se serve humblement des bonnes choses qu’on lui dira, et assurément la divine sagesse lui fournira la grâce d’en faire usage, même dans son degré. Car elle doit se rendre [195] souple, obéissante et fidèle à entrer dans toutes les dispositions et faire tous les actes que l’on lui fait faire, son cœur demeurant dans sa situation intérieure de paix et de calme.

Ce que je viens de dire de l’oraison d’affection, se doit aussi dire de l’oraison de simplicité, où l’âme est plus simple, plus tranquille et plus unie à Dieu. Elle doit garder cettte disposition dans son mal, se servant de petits mots, de simples vérités ou de quelques regards amoureux vers Jésus-Christ, pour se réunir à Lui, et se remettre de fois à autre dans sa disposition intérieure. Mais qu’elle ne craigne pas non plus de se relever intérieurement par [196] des vérités plus fortes et de petits actes, même prononcés extérieurement, afin de se fortifier contre l’abattement de la nature en son mal.

Et au cas qu’elle tombe malade pour mourir, qu’elle garde sa disposition intérieure de simplicité dans le fond de son cœur et même que souvent elle s’y tienne par état, prenant quelque simple vue de Jésus-Christ, ou de quelques-uns de Ses états, mais qu’elle ne laisse pas aussi d’entrer avec fidélité dans les dispositions intérieures pour la mort qu’on lui marquera, comme nous avons dit au degré d’affection, et elle verra par expérience que sa disposition intérieure de simplicité la disposera pour agir avec grâce, [197] Dieu ne manquant point en ce moment de la fournir selon la nécessité d’un chacun.

Qu’elle ne craigne donc pas que ces dispositions la tirent de sa grâce et de sa simplicité ; au contraire elles l’y établissent et elle doit prendre plaisir de les exercer pour donner des marques de sa fidélité et de sa soumission. Et si elle faisait autrement, elle perdrait un bien infini en ce passage de la mort. Qu’elle reçoive aussi avec une grande fidélité, de la personne qui lui aidera à mourir, toutes les dispositions et tous les actes que l’on fait exercer en cet état aux mourants. Et quoiqu’il paraisse qu’elle se multiplie et que l’on la multiplie même plus qu’elle ne [198] faisait devant son mal, qu’elle ne s’en mette point en peine. Car comme c’est119 ordre de Dieu, au lieu de gâter quelque chose, ce procédé vivifie encore davantage et établit plus fortement sa disposition de paix, de tranquillité et de simplicité.

Pour le dernier état passif, soit que l’âme soit dans le degré de mort, de contemplation ou d’union, elle doit agir de la même manière. Et je dis plus, que comme en ce dernier état, l’âme est plus jouissante de Dieu en son fond, aussi entre-t-elle par ses puissances plus vigoureusement, amoureusement et humblement dans les dispositions intérieures dans lesquelles elle doit porter les maladies. [199]

Si elle est dans l’état de mort, elle porte intérieurement sa disposition dans son mal. Mais vous voyez et remarquez souvent que le saint-Esprit, vivifiant secrètement cette âme en cet état de mort, lui fait accepter de fois à autre les douleurs et son mal et même lui fait produire de certains actes qui exercent les puissances de son âme vers Dieu, le fond de son cœur demeurant dans la mort. Et au cas que cette personne vienne à mourir, quoique son cœur peut-être demeure dans cette disposition, elle ne laisse pas d’être vigoureuse pour toutes les dispositions et les pratiques que Dieu demande d’elle en cet état. D’où vient que [200] très souvent, quoiqu’une âme soit dans l’état de mort, tombant grièvement malade, la ferveur du saint-Esprit à lui faire produire les actes et accepter les dispositions et les ordres de la Providence l’anime si fort qu’elle change souvent d’état en mourant.

Pour l’état de contemplation, c’est dans les maladies et dans le temps de la mort, qu’il se renouvelle spécialement, Dieu fournissant des lumières divines pour toutes les dispositions. D’où vient que ces âmes sont pleines de sentiments de pénitence, de regrets de leurs fautes passées, d’humilité, de foi et d’amour ; mais très spécialement de pur [201] abandon aux volontés divines pour faire d’elles dans le temps et dans l’éternité tout ce qu’Il désirera, se confiant amoureusement aux mérites infinis de Jésus-Christ.

Pour le dernier état d’union, l’âme y est encore plus animée, plus forte et plus généreuse pour s’y disposer saintement. De manière que le fond et le centre de l’âme demeurent en actuelle union ou en production d’actes intérieurs et extérieurs et même en une infinité de saintes pratiques, non seulement selon l’esprit qui l’anime intérieurement, mais encore selon l’ordre qui lui est signifié par la personne qui lui fait la charité de l’assister. [202] Et si c’est à la mort, ou si cette âme est seulement dans quelque grande maladie, [l’ordre] la fait sortir agréablement, par des actes d’abandon, de confiance, de soumission aux ordres de Dieu selon le besoin, non continuellement mais seulement pour relever sa pauvre nature abattue et languissante. Et lorsqu’elle voit son âme assez dans la vigueur, elle demeure simplement et passivement dans son état d’union.

Vous me demanderez peut-être pourquoi dans les grandes maladies, et encore plus particulièrement à la mort, je dis que l’âme ne se doit pas contenter, même dans le dernier état passif, de la disposition de son [203] état, et qu’elle doit de fois à autre se relever de l’accablement où la nature est par les douleurs aiguës ou par les grandes faiblesses ?

Je réponds, pour le premier, que c’est l’ordre de Dieu que l’âme se relève de cette manière. Car autrement l’expérience fait voir qu’en cet état de maladie l’âme déchoit, et ces petits secours étant l’ordre de Dieu, ne sont nullement contraires à son état.

Pour le second, ce n’est pas seulement par crainte de déchoir mais par nécessité absolue de l’ordre de Dieu, qui veut que dans cet état, étant proche de la mort, l’âme signale son courage [204] par les dispositions intérieures et les actes particuliers. Ce que l’on voit dans tous les saints, qui plus ils ont été d’un degré éminent, plus aussi sont-ils entrés avec humilité et avec courage dans l’esprit depénitence, d’humiliation, d’amour et d’abandon, faisant en cet état tout ce que la sainte Église marque devoir être fait par ses enfants. D’où vient que vous en voyez les uns qui se couvrent de cendre, les autres qui ont recours aux larmes, et qui avec de fervents désirs demandent miséricorde, entrant dans des sentiments qui sortent d’une fournaise toute ardente d’amour. Vous les voyez aussi recevoir les sacrements avec [205] des dispositions si particulières et si ferventes que cela anime tout le monde.

Et si l’âme en ce dernier état, ou même n’étant encore que dans le degré d’affection ou de simplicité, se trouve par providence dans la nudité entière de tous secours intérieurs par la sécheresse, l’impuissance et l’accablement de son mal, qu’elle ne violente pas trop son intérieur : qu’elle tâche seulement de se mettre doucement et humblement dans son degré. Et pour l’extérieur de ses sens, qu’elle les occupe selon ce que nous venons de dire. Dieu souvent prend plaisir de laisser les âmes dans la sécheresse et l’inconnu de leur état, afin qu’elles s’abandonnent [206] à Lui et que, par fidélité et humilité, elles ne laissent pas de faire sans goût les choses extérieures, que la bonne conduite et la lumière de la personne qui aide lui fait faire. Et quoiqu’en cet état si sec, si inconnu et si aride, elle ne se voit pas remplie de ferveur, son état continué en ce passage ne laisse pas de contenir éminemment tout ce que Dieu veut d’elle et même d’être accepté de Dieu comme très fervent et plein d’amour.

Je finis par cette observation afin de consoler plusieurs âmes à qui Dieu fait la grâce de donner l’oraison et qui cependant, étant souvent sèches et arides, ont des [207] craintes de se voir à la mort en cet état : comme il est certain que cette disposition de sécheresse et d’aridité pendant la vie, par opérer divin renferme très éminemment tout ce que les goûts et les lumières peuvent donner, cela est encore bien plus assuré à la mort, où l’ordre de Dieu s’applique encore à l’âme plus spécialement pour la secourir dans sa plus grande nécessité, étant impossible que Dieu, qui est notre vrai Père, oublie un enfant qui a tâché de Le chercher à ses dépens durant sa vie, par la voie étroite et pénible de l’oraison.









INFLUENCES REÇUES PUIS EXERCEES







Jean de Bernières à Jacques Bertot

Dom Éric de Reviers, o.s.b., Jean de Bernières et l’Ermitage de Caen, une école d’oraison contemplative au XVIIe siècle. Lettres & Maximes. Tome I 1631 – 1646. Tome II 1647-1659

Les événements importants dans la vie de Jean de Bernières

1602 naissance de Jean de Bernières

1631 début de la construction du couvent des ursulines. Jourdaine de Bernières (1596-1670) en sera la supérieure 

Épidémie à Caen, Jean Eudes (1601-1680) vit dans son tonneau.

Jean de B. reprend la charge de son Père de Trésorier de Caen qu’il assurera jusqu’en 1653

1634 Jean de B. et Jean Eudes fondent une maison pour les filles repenties

1638 début de correspondance (perdue) avec l’ursuline Marie de l’Incarnation (1599-1672) à Tours

1639 B. accompagnent Mme de la Peltrie et de Marie de l’Incarnation. Après un passage à Paris, elles s’embarquent le 4 mai de Dieppe vers la Nouvelle-France

1644 à 1646 Jean Eudes persécuté est aidé par le «chrétien parfait» Gaston de Renty (1611-1649)

1646 † de «notre bon Père Chrysostome» (Jean-Chrysostome de saint-Lô, du Tiers Ordre régulier franciscain)

Début de la construction de l’Ermitage, maison d’accueil achevée trois ans plus tard. B. y habitera.

1647 B. en voyage à Rouen où se trouve Mectilde (1614-1698). Il voyage parfois ailleurs durant la années suivantes

1649 † de Renty le 24 avril

B. prend la direction de la Compagnie du saint-Sacrement de Caen

1652 guerre civile à Paris

1655 établissement de la «maison de charité» de la Compagnie de Caen

Jean Eudes note les «dits» de «sœur Marie» [M. des Vallées] lors de séjours à Coutances. Il est en compagnie de B. et d’autres.

Le futur évêque de Québec Laval à l’Ermitage (François de Montmorency – Laval, 1623-1708)

1656 † de Marie des Vallées

Conflit avec des jansénistes; conflit entre les ermites et l’Oratoire jansénisant

1658 Du Four à la porte du couvent des ursulines

1659 † de Bernières le 3 mai

1660 pamphlet de Du Four; interdiction jetée sur le couvent des ursulines

1689 Le Chrétien intérieur traduit en italien est condamné.

1692 Les Œuvres spirituelles traduites en italien sont condamnées.

Titres, sigles, corps de caractères

Le début de chaque pièce, lettre complète ou extrait préservé comme maxime est précédé par un repérage par sigle, date120, un titre choisi pour être explicite ou d’un incipit de la lettre.

Sigles :

M : Maximes

M 1 : vie purgative, M 2 : vie illuminative, M 3 : vie unitive

Par exemple : « Janvier 1641 M 1, 27 (1.3.9) » = Maxime 27e de vie purgative (27 obtenu par sommation des références données pour les Maximes sous deux niveaux, ici § I, 5 +§2, 13 +§3, 9). Nous indiquons donc à la suite la séquence «(1.3.9)» qui permet de retrouver le texte dans une édition ancienne.

L : Lettre

L* : Lettre ajoutée aux œuvres spirituelles

L1 : Lettre vie purgative

L2 : Lettre vie illuminative

L3 : Lettre vie unitive

Chr. Int. III, 5 : Chrétien Intérieur, livre III, chapitre 5.

Int. Chr. III, 5 : Intérieur Chrétien, livre III, chapitre 5.

Nous avons utilisé deux corps de caractères, gras pour Bernières, maigre pour la correspondance passive qui provient de Mectilde. Cette dernière eut une vie longue de fondatrice dont on ne perçoit ici que son début mystique. Son plein épanouissement suivra une crise intérieure et la mort de Bernières. On appréciera mieux son accomplissement mystique dans un Florilège 121 livrant de préférence des textes nés après la mort de son directeur.

Dans les notes de bas de page, les citations bibliques sont empruntées à la Bible de Jérusalem.

Correspondance

31 Mai 1645 L 1,18 Le Cœur seul de Jésus-Christ me pourrait suffire de lecture et de conférences.

M122. L’âme bien pénétrée de l’amour de Dieu, ne peut cesser en cette vie d’estimer la croix et la pénitence, d’aimer les souffrances et les mépris; puisque cet amour de croix enferme en soi un grand amour de Dieu, qui ne fait personne que s’aimant soi-même123. Il ne faut donc jamais se détacher de la croix où la divine Providence nous attache. Que si elle nous en détache, il faut par conformité à ses desseins nous abandonner à sa conduite et souffrir l’état exempt de souffrance, et y demeurer paisiblement et n’être toutefois jamais sans tendance à la croix. Dieu qui connaît nos faiblesses et qui nous donne ses grâces avec mesure, ne nous laisse pas toujours sur la croix, et n’augmente pas toujours nos souffrances. Mais Il laisse pourtant toujours imprimer au fond du cœur une pente secrète vers la croix. C’est là le caractère du vrai chrétien; c’est ce qui l’élève au-dessus de la pure raison humaine; c’est ce qui le rend membre et disciple de Jésus-Christ. Ma principale inclination de la grâce du christianisme, c’est de porter à souffrir. Être chrétien et ne point souffrir est chose impossible124.

En effet l’expérience me fait connaître, que quand je suis sur la croix, je sens dans le fond de mon intérieur une joie solide et parfaite, quoique l’homme extérieur soit dans la tristesse et dans la répugnance. Au contraire, quand je ne souffre plus, mes sens se sentant soulagés se réjouissent. Mais au fond de l’âme j’aperçois une certaine humiliation de n’être plus souffrant et abject. Il faut donc prendre garde que notre intérieur ne soit rempli de saillies, de mouvements de nature, de certaines petites satisfactions secrètes, d’une horreur de la croix et d’opinions contraires à la lumière de la foi. Il n’est pas croyable combien l’âme vit bassement dans cet état purement naturel125. Que d’imperfections l’environnent pour lors! Car tout ce que la pure grâce ne produit point est imparfait et indigne des yeux et des regards de Dieu qui ne peut rien aimer que pour soi126. Que c’est une chose rare qu’une parfaite pureté de cœur127! Elle ne se rencontre que dans les états souffrants et abjects. Elle court grande fortune par tout ailleurs; non seulement dans les plaisirs de la vie les plus innocents, mais dans les consolations et les lumières de la grâce. Au même mois, j’eus un autre jour une vue que le Cœur seul de Jésus-Christ me pourrait suffire de lecture et de conférences, et que dans Lui je rencontrerais les lumières et les sentiments purs de la vie surhumaine128. Il en est la source. Les amis spirituels ne sont que petits ruisseaux, pour l’ordinaire plein de boue et de fange, quand nous les entretenons. Remontons souvent à cette divine Source129, et y buvons de cette eau de vie130. Ne croyons pas avoir tout perdu, quand nous perdons nos directeurs et nos amis. Le Cœur de Jésus Christ nous demeure131. Allons-y prendre les lumières et les sentiments nécessaires à nos conduites, et nous serons des hommes spirituels par esprit d’abjection; parce que nous sommes trop faibles pour remonter jusques à la source.

4 juillet 1645 L 1,19 Cinq ou six personnes de rare vertu.

M132. Ce mot vous apprendra que je suis chargé de toutes sortes de croix, mes affaires reculent plutôt que d’avancer, et m’ôtent le moyen d’aller trouver notre bon Dieu à la solitude133. Ce qui m’est une mortification extrême que mon âme porte, par la grâce de Notre Seigneur avec paix et abandon à Lui. Je goûte de toutes les privations les unes après les autres, et c’est là mon plaisir, puisque tel est l’ordre de Dieu sur moi. J’aurais grande consolation de vous écrire davantage à tous134, mais le loisir ne me le permet pas. Parmi tous mes soins, ma nature quelquefois souffre. Quelquefois aussi elle ne souffre point et entre dans la voie de l’esprit que Dieu recrée et fortifie par plusieurs consolations. Il ne faut pas que le lait manque aux petits enfants, autrement ils ne vivraient pas135.

Au reste j’ai trouvé cinq ou six personnes de rare vertu et attirées extraordinairement à l’oraison et à la solitude, qui désirent se retirer dans quelque ermitage pour y finir leur vie et être dans l’éloignement du monde, dans la pauvreté et l’abjection, et inconnues aux séculiers qu’elles ne voudraient point voir, mais être connues à Dieu seul136. Il y a longtemps que Notre Seigneur leur inspire cette manière de vie. J’aurais grand désir de les y servir au dehors, et favoriser leur solitude, puisque nous avons attrait à ce genre de vie qu’elles entreprennent, sans vouloir se multiplier, ni augmenter de nombre, même en cas de mort137. C’est un petit troupeau de victimes, qui s’immoleraient les unes après les autres à Dieu. Ce sont d’excellentes dispositions que les leurs, et leur plaisir serait de mourir dans les misères, la pauvreté et les abjections, sans être vues, ni visitées de personnes que de nous. Cherchez donc un lieu pour ce sujet, où elles puissent demeurer closes et couvertes, en lieu sain et auprès de pauvres gens138. Car le dessein est d’embrasser et de marcher dans les grandes voies et les états pauvres et abjects de Jésus139. Tous les esprits ne seraient pas capables de telles choses, mais ces personnes sont fortes en nature et en grâces. Faites donc ce dont je vous prie sur ce sujet, et surtout gardez le silence sans en parler à personne du monde.

3 octobre 1645 L 1,21 Ce qui vient de la Providence est bien meilleur pour notre perfection, que ce que nous choisissons.

M140. Jésus fait notre tout. Vous me dites que mon voyage est long ; j’en demeure d’accord. Mais cette longueur n’arrive pas, à mon avis, sans une spéciale Providence de Dieu, qui me veut faire mourir tout à fait aux créatures par le peu de succès que j’aurai en mes affaires, s’il n’y arrive changement. Un retour sans succès est un retour plein de confusion, dont je serai bien aise de goûter un peu. Ma nature y a de grandes répugnances141. Mais mon esprit s’en réjouit dans la vue que ce sera une bonne entrée à la vie pauvre et abjecte de Jésus, si longtemps désirée. Notre cher Père me disait encore hier que ce qui vient de la Providence est bien meilleur pour notre perfection, que ce que nous choisissons142. Et la pauvreté de Providence est la plus excellente, et qui produit en l’âme fidèle une très profonde pureté143. Que notre frère N. se console, et qu’il se prépare à mon retour, de venir en solitude huit ou dix jours à quelque lieu loin de C [aen], car je me veux tirer hors des compagnies, pour être dans une étroite solitude, et commencer la vie que j’ai résolue. Courage, mais courage ! Je suis tout fortifié après la sainte Communion. Depuis hier j’ai été tout affligé pour avoir voulu celer quelque chose contre la simplicité requise ; ce qui est une faute grossière144. Et telles fautes me sont à présent si insupportables que j’aimerais mieux mille fois la mort. Et j’ai plus de déplaisir et je conçois plus de regret d’un péché léger, que je ne faisais de ma confession générale il y a quelques années. Je vous dis bien davantage, à vous, dis-je, à qui je ne cèle rien, que la moindre imperfection145. C’est à dire, le moindre manquement de fidélité que je dois à Dieu dans les occasions où Il me fait connaître sa sainte Volonté, me donne d’extrêmes déplaisirs et cela me fait jeter des larmes146. La raison est que m’ayant donné une plus grande connaissance de ses divines perfections, je sens mon âme pleine d’une si grande estime de cette infinie excellence, que je ne puis lui déplaire, ou ne lui pas plaire, pour suivre ou mes inclinations, ou les vues des créatures147. Je tâche de vouloir ce qui est plus Dieu.

1646 L 1,58 La seule vie en Dieu par un abandon et un écoulement en Lui m’est douce.

M148. Notre Seigneur me donne des attraits tout extraordinaires pour être tout à Lui. Mon oraison semble se purifier, et je me sens entrer en la possession d’un état de grande paix, et où la vertu ne me coûte guères. J’aspire après la chère solitude et la sainte pauvreté149. Ma santé est toujours fort faible. C’est pourquoi je me hâte de beaucoup aimer en la terre afin d’aimer aussi dans le Ciel d’un plus pur amour. Ma vie apparemment ne doit pas être longue, et je tâche déjà de vivre avec autant de dégagement comme si j’étais mort. En effet Notre Seigneur me donne un esprit de nudité pour toutes les créatures que je chéris, mais ce me semble, sans attache. Je ne vis plus en moi-même. Cette demeure en moi et dans les créatures me paraît très basse, et je n’y ai plus de goût. La seule vie en Dieu par un abandon et un écoulement en Lui m’est douce. Je souffre à présent beaucoup de me voir si éloigné de Dieu parmi tant de contradictions et distractions, que les nécessités du corps et les affaires me donnent. Quand Dieu s’est un peu manifesté à l’âme et qu’Il s’est fait connaître par une véritable expérience de ses bontés, qu’il y a à souffrir de vivre ici-bas!150 Mais néanmoins l’on va avec une grande paix, car le fond de l’intérieur est un pur abandon au bon plaisir divin. Je deviens tellement habitué à ne regarder plus que Dieu seul, à ne me plaire qu’en Lui et n’avoir de la joie que pour Lui seul, que je ne puis me réjouir de quoi que ce soit.

Dieu est tout, et cela me suffit; et toute réflexion vers moi semble intéresser la pureté. Donc je dois aimer Celui qui est toute perfection par essence. Je conçois que Dieu est si délicat et si jaloux qu’Il ne veut souffrir qu’une âme aime quoi que ce soit avec Lui. Et Il est très bien fondé en sa jalousie, car Il est l’uniquement aimable151. L’objet de mes oraisons le plus ordinaire, c’est l’essence divine en laquelle je me perds, sans vous pouvoir dire comment. Tout ce que je puis dire, c’est que cette oraison est un anéantissement et perte en Dieu152, qui met l’âme dans un état de grande pureté, d’une profonde paix et d’un amour fort pur. C’est peut-être l’idée d’un état qui est en moi plutôt que l’état même, mais il m’importe. J’ai désir de me perdre tout en Dieu, et auparavant je vois bien qu’il faut être tout perdu en Jésus par une heureuse transformation de toutes nos dispositions aux siennes, toutes pures et saintes. L’âme ne vit plus en cet état qu’en souffrant quand elle n’est pas dans l’abjection, la pauvreté, et les souffrances. Car tout éloignement de Jésus lui est amer, et l’association avec les divins états de sa vie voyagère153 lui est très douce. Je crains que je m’emporte à parler d’un état où je ne suis pas. Mais entre nous il n’y aura pas grand scandale. Au reste je deviens si amoureux de la perfection, que je ne puis quasi hanter154 ni parler qu’avec ceux qui y tendent. Que pensez-vous de tout ce narré? Etc.

5. [Arfuyen] A son ami intime, des opérations de Dieu en l’âme155.

Dieu seul, et rien plus.

Je n’ai manqué au commencement de cette année de vous offrir à Notre Seigneur, afin qu’il perfectionne et qu’il achève son œuvre en vous. Je conçois bien l’état où vous êtes : recevez dans le fond de votre âme cette possession de Dieu qui vous est donnée en toute passiveté, sans ajouter votre industrie ou activité, pour la conserver et augmenter. C’est à celui qui la donne à le faire, et à vous, mon cher Frère, à demeurer dans le plus parfait anéantissement que vous pourrez. Voilà tout ce que je vous puis dire, et c’est tout ce qu’il y a à faire. Plus une âme s’avance dans les voies de Dieu, moins il y a de choses à lui dire ; Dieu, qui la possède, est sa lumière et sa conduite, et il est jaloux quand quelque autre s’en mêle ; il faut donc le laisser opérer en toute liberté.

Pour moi, la miséricorde de Notre Seigneur me réduit quelquefois à ce bienheureux néant dans lequel on trouve tout, c’est-à-dire Dieu ; et il m’est donné d’une manière que je ne puis exprimer, de jouir, ce me semble, et être appliqué à la très sainte Trinité. Quelquefois Jésus-Christ m’est révélé, de sorte que mon âme le goûte, le savoure, et expérimente quelque peu son règne en mon intérieur ; mais mon infirmité est encore trop grande pour posséder longtemps ce bonheur, qui souvent m’est caché par mes infidèlités, et par la vie que je prend encore aux créatures. J’aspire pourtant toujours à ma parfaite mort, pour jouir toujours de la Vie.

Je n’avais pas encore bien connu le pesant fardeau que porte une âme qui vit dans son corps, et qui ensuite vit souvent en elle-même, et qui est retirée de Dieu, sa vraie et unique vie. Dans l’expérience de cette misère, si j’ai des idées, c’est de la mort et de l’anéantissement, qui sont la source de la félicité d’une âme bien fidèle. Je ne finirais jamais à vous d’entretenir un sujet où il n’y peut avoir de fin : l’abîmement de l’âme en Dieu est sans fond.

Nos Frères de N. font des merveilles, et ont été longtemps dans le calme ; mais il s’est élevé une persécution qui les fera souffrir, et qui les disposera, s’ils sont fidèles, à recevoir les dons plus parfaits de Dieu. 1652.

23 Août 1653 L 3,32 La vraie oraison c’est Dieu même en l’âme.

M156. Je répondrai à vos dernières, sans faire réflexion sur ce que vous a dit Monsieur N. Il ne faut pas s’amuser à regarder ce que nous sommes, mais ce que Dieu est. Si nous nous voyons, il faut que ce soit en Dieu, afin que nous demeurions perdus continuellement en Lui. C’est cette heureuse perte qui fait la félicité de nos âmes en cette vie et en l’autre, et sans laquelle il me semble que l’on ne peut vivre157.

Car la vie qui n’est pas de Dieu et en Dieu, est plutôt une image de la vie que la véritable vie158. Que l’âme soit en ténèbres ou en lumière, qu’elle ait des jouissances ou des souffrances, des consolations ou des désolations, il importe peu, pourvu que sa vie soit en Dieu, ou plutôt Dieu même159.

Tout ce qui n’est point Dieu me semble comme l’extérieur, et l’intérieur est Dieu seul. Il arrive quelquefois que la lumière de Dieu en nous abîme tellement et anéantit toute notre âme et nos puissances160, qu’il semble que Dieu y soit seul, y vive et y opère; et cela d’une manière immobile et immuable, et dans un repos permanent.

Je ne vous dirai donc point de mes nouvelles, sinon que Dieu commence de vouloir être tout en moi, et je voudrais bien ne mettre point d’obstacle à sa divine opération. Tout ce que je fais, c’est de le laisser faire, et tâcher que mon fond soit comme une pure capacité pour recevoir Dieu à mesure qu’il se communique161. Et c’est ici où il faut de la fidélité à ne point se soustraire à la communication de Dieu par quelque application au dehors, ou regard, ou inclination vers la créature. Plus Dieu est tout, et plus Il se communique. La plupart du temps nous parlons des effets d’oraison, plutôt que de l’oraison.

Car en effet la vraie oraison c’est Dieu même dans l’âme, et l’âme en Dieu qui y fait heureusement sa demeure d’une manière qui ne se peut exprimer162. C’est la parfaite solitude et l’heureux ermitage qu’il faut toujours habiter, et jamais en sortir, quelques changements de lieux ou voyages qu’il faille faire en la terre. C’est ici où l’on comprend comme une même personne est dans le mouvement et dans le repos; qu’elle change de lieu sans partir d’une place; qu’elle est heureuse et malheureuse tout ensemble; elle est dans les créatures; elle converse avec elles, et néanmoins elle vit hors des créatures163. Pour lors l’occupation extérieure n’empêche point l’intérieure. Car tant qu’elle est dans l’ordre de Dieu, il n’y a plus d’embarras pour elle.

7. [Arfuyen] Au même, où il déclare…164.

Pour le présent, il me semble que Dieu est mon seul intérieur, et que tout ce qui n’est point lui, n’a aucune place dans le fond de mon âme, tout s’y trouvant abîmé et perdu. Cet abîmement, et cette perte, est l’état ordinaire de mon oraison, soit que mes puissances ou mes sens reçoivent des lumières ou des ténèbres, de la consolation ou désolation. Enfin je ne me puis mieux expliquer, sinon que Dieu est mon âme, ou mon âme est Dieu, pour ainsi parler, et ensuite ma vie et mon opération ; voilà en peu de mots ce que j’expérimente.

Priez N. de le165 recommander à Dieu, et de lui dire aussi que je suis sur le point de posséder la retraite, et le dépouillement que j’ai tant désiré, et pour lequel mes parents ont tant de contradiction. J’espère d’être bientôt en l’état que la direction du Père Chrysostome166 avait tant approuvé et m’avait conseillé de la part de Notre Seigneur : que N. lui offre167, s’il lui plaît, je l’en prie de tout mon cœur, afin que dépouillé de moi-même, je sois revêtu de Jésus-Christ. O quel bonheur inestimable de n’avoir plus au monde que Dieu ! Que sa Providence soit notre unique appui, et la pauvreté nos richesses. 1653.

17 Septembre 1654 L 3,55 Le seul appui est la pure foi

M168. Puisque cette personne est avec vous, prenez-y garde. Portez son âme à marcher dans la voie d’anéantissement169 dont le seul appui est la pure foi séparée de toute autre lumière et vue170. C’est une grâce singulière et un très grand don de Dieu de posséder cette divine foi, laquelle nous donne Dieu en la terre aussi réellement et véritablement, que les Bienheureux l’ont dans le Ciel, quoi que d’une manière différente. C’est un grand trésor171 que cette oraison de présence de Dieu, réelle et immédiate172.

Au lieu que dans les autres l’on a des images, des connaissances, et des sentiments de Dieu, en celle-ci l’on possède Dieu même, lequel étant vu au fond de l’âme, commence à la nourrir et à la soutenir de Lui-même, sans lui permettre d’avoir aucun appui sur ce qui est créé173. Et c’est ce que l’on appelle science mystique, que cette expérience de Dieu en Dieu même, de laquelle l’on n’est capable, que lorsque le don en a été fait par une miséricorde spéciale174. Les travaux, les actions, les mortifications et les souffrances de la vie, nous préparent à entrer dans ce divin état, ou l’âme abîmée en Dieu n’est plus elle-même, et par conséquent n’agit plus et n’opère plus. C’est cet heureux néant dont plusieurs bonnes âmes ont la lumière et la connaissance, mais très peu la vérité et la réalité. Les prières des amis de Dieu aident extrêmement à obtenir cette faveur! Mais jamais une âme n’en jouira, qu’elle ne soit dans le détachement de tout de ce qui n’est point Dieu175. Il faudrait être auprès de vous pour vous dire ce que je pense de cet état. Il me semble que votre esprit est beaucoup multiplié en des retours et réflexions176. Je ne sais pas bien si vous expérimentez encore cette perte réelle en Dieu dont nous parlons. La constitution de notre intérieur paraît souvent être semblable, et néanmoins elle est fort différente. Il paraît que nous avons Dieu dans nos puissances, et que nous l’expérimentons comme dans notre fond. Et cependant cela n’est pas puisque l’être de Dieu et sa réelle présence ne peut être communiquée que dans le fond, qui est une capacité dans le centre177 de notre essence, où Dieu seul fait sa demeure, s’y manifeste, et s’y donne à goûter d’une manière qui n’est entendue que de ceux qui en ont l’expérience178. Mais dans les puissances, l’on y reçoit des connaissances et des goûts fort sublimes de Dieu, qui sont des effets et des faveurs de Dieu, et non Dieu même. Quand je dis que Dieu n’est pas dans nos puissances, mais dans le fond, je ne veux pas dire que son Essence ne soit par tout179. Mais je parle comme les mystiques qui font différence de la connaissance que l’on a de Dieu dans le fond et dans les puissances180. Il est fort difficile de se faire entendre en ces matières, mais l’Esprit de Dieu le fait en un moment. Vos dernières m’ont donné désir de vous voir, seulement pour parler de cette voie, en laquelle on ne peut aider qu’avec un peu de temps; les opérations divines ne se faisant pas tout d’un coup, mais successivement les unes après les autres. Il faut recommander ce voyage à Dieu, car il ne faut point que la créature y ait part. Monsieur B181, prêtre qui demeure avec nous, serait bien capable d’aider votre communauté touchant cette oraison. Il a plus de grâce et de lumière que moi, et est plus disposé d’aller. S’il pouvait faire un petit tour à Paris, je crois que cela vous servirait. Il est à présent auprès de Timothée182, où il reçoit beaucoup de grâces touchant cette voie d’anéantissement.

14 Octobre 1654 L 2,39 Comme une petite étable de Bethléem.

Ma Révérende Mère183, après avoir prié sur ce que vous me proposez en votre lettre au sujet de vos établissements, il me semble que vous faites très bien de tenir votre communauté dans le silence, dans l’éloignement des créatures, dans l’oubli, dans la pauvreté, et dans l’abjection. Évitez la prudence humaine dans un établissement de pure grâce, comme doit être le vôtre. Dieu le veut à mépris, pour des âmes qui veulent devenir divines et qui se veulent tirer de l’humanité. Mais comme cet attrait est rare, il ne faut pas multiplier beaucoup. Je veux dire qu’il ne faut pas recevoir indifféremment toutes les filles qui se présenteront, bien qu’elles soient avantagées de plusieurs beaux talents, et qu’elles présentent une dote considérable. Le grand accueil que l’on fait ordinairement aux gens du monde, et qui ont un moyen pour faire et pour soutenir une maison, est quelque chose de trop gros pour des âmes qui veulent être à Dieu sans réserve; puisque le moyen doit être proportionné à la fin, et que l’humaine ne peut rien produire qui soit divin. Peu d’âmes sont capables de cette conduite. C’est pourquoi il est nécessaire que votre maison soit comme une petite étable de Bethléem dans laquelle peu de personnes se trouvent, et où l’on n’entre point que par une invitation et une vocation particulière du Ciel.

17 Octobre 1654 L 3,5 Autant on est détaché de toute choses, autant on est disposé à être uni à Dieu.

M184. Jésus soit notre unique conduite, puisqu’il est la Lumière essentielle185 et la divine Sagesse186. Il ne permettra pas que N. s’éloigne de la voie dans laquelle il veut qu’il arrive à la perfection de son amour. Depuis que je l’ai vu, je n’ai jamais eu le moindre doute de sa vocation, et au contraire je reconnais que le dessein de Dieu sur lui est que vous savez. Sa grâce me paraît grande et haute. S’il est fidèle, elle le conduira dans une grande perfection. Il doit s’attendre à beaucoup de mépris, d’abjections, et d’abandonnements de ses amis mondains. Mais toutes ces faveurs lui mériteront de trouver Dieu, après avoir tout perdu187. La possession d’un bien infini est un trésor qu’on doit préférer à toutes chose188. C’est faute de lumière que quelques chrétiens demeurent dans des emplois qui, quoique bons, les empêchent d’arriver à la parfaite union avec leur Souverain Bien. Autant qu’on est détaché de toutes choses, autant on est disposé à être uni à Dieu.

J’ai eu le bonheur de voir Madame de Renti. Nous avons parlé longtemps des vertus de son cher mari189, et mon très cher et très honoré frère. Elle m’a dit entre autres choses, qu’il lui fit la proposition plusieurs fois de tout quitter, mais elle ne le voulut pas permettre. L’on voit par cet exemple que ce n’est pas une chose nouvelle de se retirer du monde, quoiqu’on y fasse beaucoup de bien. Un grand extérieur est souvent cause d’un petit intérieur, et pour y remédier l’on prend un petit extérieur pour avoir un grand intérieur190. Arsène191 dans ses oraisons continuera à être abandonné ente les mains de Dieu, et il expérimentera de plus en plus combien le Seigneur est doux. En attendant sa retraite entière, il demeurera retiré le plus qu’il pourra192.

L 3,61 Quel bonheur c’est de jouir de Dieu dans le centre.

M193. Jésus soit notre tout pour jamais. Autant que ma petite lumière me donne de discernement, je crois que la déclaration de votre intérieur dans vos dernières est véritable, et que l’Esprit de Dieu opère ce qui se passe en vous. Votre âme reçoit sans doute de plus en plus les communications divines, et celle que vous expérimentez à présent dans le fond de l’âme194, est la fin de toutes les autres qui se passent il y a si longtemps. J’avoue avec vous que c’est l’effet d’une grande miséricorde de Dieu qui ne fait pas cette grâce à tous ceux qui s’approchent de sa sainte Présence à l’oraison195. Vous goûtez maintenant que le centre soutient tout, et que hors de lui il n’y a rien. La vraie vie est en lui et hors de lui ce n’est que misère et affliction d’esprit. Je ne puis vous exprimer par pensées quel bonheur c’est de jouir de Dieu dans le centre196. C’est posséder et jouir de Dieu en Dieu même d’une manière ineffable, et au-dessus de toute expression. L’âme ravie hors de soi-même en Dieu l’expérimente, opérant choses grandes, mais successivement et à proportion que Dieu par son opération va purifiant et anéantissant l’âme; laquelle dans son intérieur et extérieur se retire peu à peu en ce divin abîme avec un attrait et un désir de ne se retrouver jamais. Et c’est ce qui fait maintenant sa course, puisque quoi qu’elle soit en repos, elle ne se reposera jamais qu’elle ne soit devenue Jésus-Christ par une parfaite consommation, autant qu’elle est possible en ce monde. Plus Dieu s’élève dans le centre de l’âme197, plus on découvre de paix d’une étendue immense, où il faut aller, et un anéantissement à faire qui n’est que commencé. Cela est incroyable, sinon à ceux qui le voient en Dieu même, qu’après tant d’années d’écoulement en Dieu, l’on ne fait que commencer à trouver Dieu en vérité, et à s’anéantir soi-même. Et ce néant ne décroît qu’à proportion que Dieu se retire. Il ne faut pas long discours aux âmes qui expérimentent; il suffit de leur dire que Dieu est, et qu’il opère en vérité, et réalité dans leur centre198. Mon cher Frère, demeurez bien fidèle à cette grande grâce, et continuez à nous faire part des effets qui vous seront découverts! Vous savez bien qu’il n’y a rien de caché entre nous, et que Dieu nous ayant mis dans l’union il y a si longtemps, il nous continuera ses miséricordes pour nous établir dans la parfaite unité, hors de laquelle il ne faut plus aimer, voir, ni connaître rien.

11 Mars 1655 L 3,59 Ce Jour d’éternité est un jour de vérité

M199. Je vous dirai pour réponse à vos dernières, que les faveurs et les dons de la gloire se donnent toutes en un moment aux âmes qui entrent dans le Paradis, puisqu’elles voient ce que l’œil n’a jamais vu, ni les oreilles entendu, etc.200. Mais dans cette vie l’on ne reçoit les dons et les grâces que successivement, bien que l’on ait le bonheur d’entrer en Dieu et d’y faire son séjour. Dans cet abîme de la divinité, l’on se perd de plus en plus, et l’on y reçoit aussi plusieurs miséricordes les unes après les autres. Ce qui se passe à présent dans votre intérieur est, ce me semble réel, véritable et divin. Et le Jour de l’éternité qui y reluit donne lui-même des certitudes que ce n’est pas un faux jour. Mais un Jour qui, se donnant soi-même, donne aussi tous les saints qui sont le Paradis dans une si ineffable unité qu’elle est inexplicable.

Car c’est une unité de déification qui nous fait être une même chose avec Dieu et avec tous les esprits qui ont le bonheur d’être perdus en Lui201. Ce Jour d’éternité est un jour de vérité qui découvre dans son unité une multitude de vérités que l’âme voit d’une manière essentielle. Je n’ai pas le temps de vous en dire davantage. Recevez tous les effets de ce bienheureux Jour; soit qu’il découvre au fond de votre âme quelque vérité, soit qu’il vous applique à la conversion de quelque âme. Mon avis est que quand vous aurez liberté d’écrire quelque chose vous l’écriviez; et que vous ne manquiez pas de nous regarder souvent dans ce Jour, quand volontairement il nous découvrira à votre âme. Puisqu’il ne faut rien faire ni ne chercher par aucun effort, mais attendre que Dieu nous fasse paraître ce qu’Il veut que nous fassions.

Tous mes chers frères vous saluent. Je suis bien engagé dans la Cour202. Mais pourvu que Jésus-Christ vive seul et purement en vérité, il m’est indifférent quoi que je fasse. Car il est vrai que la pure Vie de Jésus Christ est la béatitude de ce monde et de l’autre. Je ne sais lequel m’est plus agréable : les splendeurs et le Jour de la Vie divine, ou les affreuses ténèbres et souffrances de la vie humaine. L’état seul qui est communiqué est l’unique tout de l’âme qui, étant anéantie et ayant tout perdu, n’a plus de choix ni de désirs. Car en vérité elle n’est plus elle-même; elle est tout ce que Jésus veut être en elle. Adieu en Jésus.

14 Septembre 1656 L 3,25 Tant de goût et de saveur à être anéanti.

M203. Je fus presque résolu hier de partir avec MonSeigneur l’évêque de Kilala; mais la divine Providence ne l’a pas permis. Il faut attendre le temps qu’il lui plaira ordonner, en patience et longanimité. L’esprit de mort où Dieu met quand on l’a trouvé dans le plus intime de son intérieur, ne permets pas que l’on puisse désirer rien qu’avec dégagement204. Et puis il me semble que quand on a Dieu, on a tout. Je suis bien éloigné de cet état, mais je sens que mon âme y tend, et que rien ne peut ni la consoler ni l’appuyer, que Dieu seul, et le pur ordre de Dieu205. Les créatures les plus saintes ne peuvent ici être utiles, qu’au moment que Dieu veut qu’on les perde206. Je sais bien que je suis indigne de vous entretenir. Notre Seigneur m’éloigne de ce bonheur pour me purifier davantage. J’accepte ce qu’Il lui plaît ordonner, et m’y soumets de tout mon cœur.

Vous nous ferez grand plaisir de nous envoyer l’écrit que vous avez fait touchant la société que nous devons avoir avec les trois divines Personnes de la très sainte Trinité207. Les pratiques et dispositions qui se peuvent marquer sur le papier sont nécessaires pour acheminer l’âme à cet heureux état; mais il faut se perdre et s’abîmer d’une manière ineffable dans l’infinité de ces trois divines Personnes, pour entrer vraiment et réellement dans leur société. C’est cette divine perte que Dieu seul peut faire, et dont l’âme n’a expérience que lorsqu’elle est réduite au néant208. Il y a tant de goût et de saveur à être anéanti de cette sorte, qu’il est impossible que l’âme puisse se servir d’autre règle, que de se laisser abîmer dans l’océan infini de la Divinité. Il est plus facile de se taire que de parler de ce degré d’union. Toute expression est au-dessous de l’expérience.

Il suffit à l’âme de se perdre pour être contente et posséder un bonheur inconcevable. Mais quand elle se trouve elle-même par quelque infidélité et détour de Dieu, elle expérimente le dernier malheur qui se peut souffrir en cette vie209. Je ne suis pas encore capable ni assez avancé pour connaître dans mon fond les trois divines Personnes. 210Mon anéantissement n’est pas encore à ce point-là. Si j’aperçois quelquefois la sainte Trinité dans mon intérieur, je pense que ce n’est pas encore qu’en lumière intellectuelle. Il y a un moi-même dans mon fond qui subsiste et qui s’oppose aux communications de Dieu. Je le découvre souvent, mais je ne puis rien faire pour l’anéantir. C’est à Dieu seul à faire cet ouvrage211. Cependant ce fond est pour moi une source d’ennui et de tristesse inexplicable. Cette angoisse intérieure se sent, mais elle ne se peut exprimer, sinon par un exil et bannissement de Dieu qui donne à l’âme le dernier malheur, puisqu’Il la tient éloignée de sa fin et de sa béatitude. Priez pour moi, afin que je puisse trouver Dieu, après l’avoir tant désiré. Qu’il me fasse la miséricorde de me donner la Vie, après avoir été si longtemps dans la mort.

10. [Arfuyen] Au même, sur les richesses du parfait anéantissement212.

Jésus soit l’unique union de nos cœurs.

Votre dernière lettre m’a donné beaucoup de consolation et d’instruction : je vous en suis très obligé, et par ce mot je vous en témoigne mes reconnaissances, vous supliant de continuer ce petit commerce spirituel, dont j’espère tirer beaucoup de profit.

Je vous dirai donc en simplicité que je sens dans mon intérieur une sympathie et une correspondance avec le vôtre, goûtant ce qui me semble que vous goûtez des secrètes opérations de Dieu dans l’intime de votre fond. Je me sens bien éloigné d’expérimenter les choses que Notre Seigneur vous communique ; mais un degré inférieur ne laisse pas de goûter un supérieur par je ne sais quelle union qui ne se peut exprimer. Je reconnais que votre chère âme est sans doute pénétrée de la lumière éternelle, j’espère qu’elle le sera encore davantage, et d’une manière plus essentielle : plus une âme se va perdant et abîmant, plus elle est tranformée en Dieu ; et comme cette perte ne se fait que peu à peu, il faut aussi avec patience et longanimité attendre de la pure miséricorde de Dieu notre abîmement parfait et consommé.

Pour moi, je suis toujours dans la même connaissance, que j’ai un fond de corruption infiniment opposé à Dieu : ce qui fait, comme je vous ai témoigné par mes dernières, ma grande croix, et un sujet de souffrances qui ne se peut déclarer. Cette divine présence réelle me cause une absence et un éloignement de Dieu, découvrant mes impuretés, me semblant que je n’ai jamais été plus éloigné de Dieu que lorsque je l’ai expérimenté plus proche. En un même moment, je goûte sa présence et son absence, et je connais qu’il n’y a point de remède à mon mal, sinon que cette divine présence aille consumant peu à peu mes imperfections, comme le soleil, quand il se lève, dissipe les ténèbres de la nuit.

Quand on est arrivé au-dessus de tout moyen, notre avancement dépend de la pure communication de Dieu, qui la fait comme il lui plaît. Dans l’état essentiel, l’on expérimente une dépendance de Dieu si absolue que vous savez bien qu’il n’y a rien au ciel et en la terre qui puisse aider, que Dieu seul. Il est vrai que dans le fond Dieu est vie à l’âme ; mais c’est une vie qui produit continuellement des morts, jusques à ce que l’âme soit totalement et parfaitement morte : c’est l’effet le plus nécessaire et le plus ordinaire de Dieu, vivant en la manière dont je parle, que de faire mourir. Il est vrai que de mourir de la sorte est l’unique plaisir d’une personne qui veut être toute perdue en Dieu.

Ne me refusez pas, Monsieur, vos saintes prières à ce sujet ; je vous assure que je ferai le même pour vous, désirant de tout mon cœur que vous me continuiez votre bienveillance et la qualité de, etc. 1656. 10 Octobre.

21 Janvier 1657 L 3,31 Les biens qu’apporte cette sorte d’oraison sont innombrables

M213. Jésus la lumière éternelle soit notre unique conduite. Ma maladie m’a empêché de vous répondre plus tôt, et de vous dire mes petites pensées touchant la personne dont il est question, et pour laquelle j’ai toute l’affection possible214. Notre Seigneur m’unissant à elle d’une façon particulière. L’état présent de son intérieur est très bon, et Dieu le va opérant passivement. Il faut qu’elle reçoive dans son fond ses divines opérations et leurs effets, et qu’elle demeure toute abandonnée et passive. C’est le seul secret qu’il y a dans ce degré d’oraison où elle est.

Car la lumière éternelle se lève dans son fond comme un beau soleil sur l’horizon215, et dissipant peu à peu les ténèbres de son esprit humain, lui donne des intelligences du procédé mystique, et de la perte et anéantissement qu’elle doit souffrir en s’abîmant en Dieu216. Je ne m’étendrai point au long sur les diverses opérations qu’elle explique. Je les trouve toutes bonnes, et de Dieu. Il faut qu’elle se laisse pénétrer à elles. Elles produiront des effets d’un grand amour de Dieu, et d’une douleur cuisante de lui avoir été infidèle. Elle recevra un dégoût de tout ce qui n’est point Dieu, quelque grand et éminent qu’il soit. Ayant par une connaissance expérimentale déjà bu à la source, elle ne se peut contenter, ni étancher sa soif dans les ruisseaux217.

Les biens qu’apporte cette sorte d’oraison sont innombrables218. Heureuse l’âme, laquelle y est arrivée! Et quand même elle n’y aurait seulement qu’attrait et vocation, je la tiendrais beaucoup favorisée de Dieu. La personne dont il est question, doit être certaine que Dieu veut qu’elle soit fidèle à cette grâce. Toutes les craintes et les troubles qui peuvent survenir ne la doivent point faire changer ce procédé. Car je la tiens toute appelée à un si grand état. Un peu de secours lui fera grand bien de temps en temps. C’est pourquoi ne lui déniez pas la charité si vous avez capacité de l’aider. Les âmes se trouvant quelquefois si obscurcies, qu’elles ne peuvent rien dire. Pour lors il ne faut point violenter son état, et attendre que Notre Seigneur nous donne lumière. Il ne faut plus que cette personne, lorsqu’elle se trouvera dans la distraction ou dans la vie des sens, fasse aucun acte pour se réunir à Dieu, puisque désormais, son union se doit faire par la défaillance et la mort de ses propres opérations219. Cela était bon pour le temps auquel on lui donna l’avis dont elle parle. Plus elle demeurera passive, plus elle perdra ses propres activités, plus Dieu se communiquera dans son fond d’une manière expérimentale, et qu’il est difficile d’exprimer. L’expérience, que Jésus-Christ est la Parole Eternelle, et que lui seul suffit à l’âme, dont elle est instruite et enseignée d’une manière admirable, est très excellente220. Mais quand cette divine Parole Eternelle parle, il faut que l’âme se taise et qu’elle anéantisse tous ses sentiments et ses propres pensées221. Voilà tout ce que je puis dire présentement sur cet état. Notre Seigneur suppléera à mon ignorance. Adieu, ne m’oubliez pas en vos saintes prières, et croyez, etc...

1 Juillet 1658 L 3,45 Vous êtes en chemin vers un pays qu’on appelle le néant.

M.222 Jésus soit notre tout pour jamais. Je viens de recevoir votre dernière du vingt-quatrième juin. Pour y répondre en peu de mots, je vous dirai selon ma petite lumière que tout ce qui se passe en votre intérieur et tout ce qui s’y opère est de Dieu, lequel s’écoulant et prenant possession du fond de votre âme d’une manière qui s’expérimente, mais qui ne se peut exprimer, produit les effets marqués dans votre lettre et en produira bien d’autres si vous le laissez agir. Dieu tout nu sera la source de toutes vos opérations intérieures et extérieures, de toutes les pratiques de vertu, d’austérité, de pauvreté, d’abjection et de l’occupation du prochain223.

Comme du soleil s’écoule la variété des couleurs sur les fleurs, quoique le soleil ne contienne qu’en éminence les couleurs, et non point formellement. Car on aurait beau regarder de près le rayon du soleil, si on y découvrait les couleurs qu’il répand sur les fleurs. De même Dieu tout nu n’a rien, ce semble à l’esprit humain, et néanmoins Il donne à l’âme tout ce qu’elle a besoin par écoulement224.

Il ne faut pas s’étonner si votre nature craint votre vocation au prochain. Car sans doute elle y trouvera sa mort et son anéantissement d’une manière et d’un biais que vous goûtez déjà. Et il faut que vous sachiez que par ce moyen seul vous arriverez au parfait néant de vous-même, et qu’il ne le faut point espérer ailleurs. Heureuse l’âme à laquelle Dieu se donne. C’est une grâce et un trésor que les sages et les prudents ne connaissent point225. Il court un bruit que vous êtes allés tous deux vous rendre chartreux. D’autres disent que vous êtes allés à Rome, et moi je dis que vous êtes en chemin pour aller dans un pays qu’on appelle le néant226. On croit que je cache votre dessein. Je me trouve si bien à Caen, que je ne pourrai pas me résoudre d’aller à Paris cette année, si ma présence n’y était très nécessaire; ce que je ne prévois pas puisque vous seul pouvez mieux faire que moi.

7 Octobre 1658 L 3,48 Quand Dieu se manifeste Lui-même et révèle, ô quelle perte! Quel anéantissement dans une âme!

Jésus-Christ soit notre unique vie pour le temps et pour l’éternité227. C’est Lui seul qui peut ouvrir la porte au réel anéantissement de la créature et qui peut faire cette grande miséricorde à une âme, sans laquelle tout ce qu’elle a reçu jusqu’ici de faveurs, de dons de lumières, de transports, d’amours, de ravissements mêmes si vous voulez, sont si peu de chose, qu’en vérité ce n’est rien en comparaison de la réalité du néant228.

Toute la voie mystique est remplie de miséricordes qui passent au-delà de nos mérites, et qui sans doute seraient capables de nous contenter si Notre Seigneur ne nous faisait voir un peu en passant la vérité de la réalité du néant229. Quand elle touche le fond de notre intérieur seulement en passant, il nous demeure des intelligences et des certitudes que tout ce qui est moins que Dieu n’est rien, et que Dieu seul est notre tout230; et que pour y arriver il faut que Lui-même nous perde et nous anéantisse231. C’est pour lors qu’Il nous ouvre la porte du réel anéantissement dans lequel Dieu est seul et la créature n’est plus. Dieu vit et opère, et la créature ne vit et n’opère plus232. Nous avons souvent la lumière de cet heureux état233. Mais je vous confesse que très peu de personnes y arrivent en réalité234, parce que Dieu ne les y appelle pas235. Ou si elles y ont vocation, elles ne peuvent pas soutenir la mort et la perte générale de toutes les créatures236; elles sont encore engagées à quelques-unes237. Mais le plus souvent elles demeurent dans elles-mêmes sans en pouvoir jamais sortir, si Dieu par un coup extraordinaire de sa divine main238 ne les en tire par un ravissement qui est au-dessus de tout ravissement, et que je ne puis exprimer239.

Il y a des expressions de cette vérité qui en disent quelque chose, mais en vérité ce n’est rien. Par exemple : qu’une goutte d’eau s’abîme dans la mer240, et les étoiles se perdent dans l’éminente clarté du soleil241. Mais quand Dieu se manifeste Lui-même et se révèle, ô quelle perte 242! Quel anéantissement dans une âme! Et quel commencement de déification! Je crois, N. que vous avez vocation à cet état. Le dégoût que vous avez de toutes choses, et la course ou tendance que vous expérimentez vers votre centre marque que vous n’êtes pas encore tout à fait dans le repos243, et que quand Dieu vous ouvrira la porte, Il remplira plus votre âme en un moment qu’elle n’a été remplie jusqu’ici244.

Prenez courage, et allons tous de compagnie comme des pèlerins mystiques, pour monter la sainte montagne de Sion sur laquelle nous verrons Dieu245. C’est son ordre de n’y pouvoir arriver que peu à peu, et en souffrant les morts et les pertes que la divine Providence nous envoie246. Ne faites plus tant de réflexions, si vous devez espérer d’être au nombre que Dieu choisit. Marchez en fidélité et abandon, et laissez faire Dieu. Nous ne savons pas ses desseins. Si nous mourons en chemin, ce nous sera trop d’honneur et trop de grâces de mourir pour un si bon sujet.

10 Octobre 1658 L 3,44 Dieu écoulé dans votre fond sollicite et tire votre âme de passer du rayon en Lui seul.

Monsieur247, Jésus soit notre tout pour le temps et pour l’éternité. Je reconnais par la lecture de votre dernière, que Dieu écoulé248 dans votre fond sollicite et tire votre âme de passer du rayon en Lui qui seul veut être son centre249, sa béatitude, et le principe de tous ses mouvements et opérations, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Ce passage ne se peut faire ni vous ne pouvez expérimenter le royaume de Dieu en vous, qu’après avoir souffert plusieurs tribulations, incertitudes, craintes, et autres choses semblables, marquées dans votre lettre250.

Pour arriver à la totale vie, il faut entrer en la totale mort de soi-même251. C’est une croix fort pressante à la nature, mais qui étant opérée par Dieu seul, est le commencement d’un bonheur qui ne se peut exprimer252. Il n’est plus temps de vous en dédire. Dieu vous veut tout à Lui, en Lui, et par Lui-même vous n’aurez jamais de repos que cela ne soit253. Ayez un peu de patience et vous connaîtrez bientôt par expérience, que ce pénible ouvrage de sortir de soi-même, est opéré de Dieu, d’une manière au-dessus de toute manière, très simple, très douce, et très efficace254. Dieu se faisant goûter et trouver hors de nous-mêmes, devient d’une façon ineffable notre force, notre lumière et notre tout255. Et l’on ne craint de se perdre, que parce que l’on n’a pas trouvé Dieu256. Qu’heureuse l’âme qui possède Jésus-Christ en vérité et réalité. Il est la source de sa mort et de sa vie, Lui seul lui suffit et tout le reste s’évanouit. Les dons même, et les lumières les plus saintes et les plus passives, dont il lui serait impossible de se servir ne sentant en elles que vide, et désunion de Jésus-Christ.

Il me semble que Notre Seigneur me fait quelque commencement de grâce pareille à celle-ci, et je connais plus que jamais le fond infini de ma corruption, qui ne se peut détruire que peu à peu par la présence, comme j’ai dit, de Jésus-Christ257. Tout ce qui est contenu dans vos lettres me paraît dans la vérité. Ce sont des effets des opérations de Dieu qui succèdent les uns aux autres. Prenez courage, vous êtes sans doute appelé à la consommation en Jésus-Christ, et son unité vous sera communiquée un jour258. Mais hélas! Il y a beaucoup à souffrir et mourir. Vous goûterez petit à petit, comme Jésus-Christ anéantira votre être propre259, et ensuite vos productions, et qu’il vous rendra incapable d’une autre oraison ou action qui ne soit hors de vous-même, en Jésus-Christ seul260. C’est toute la croix de l’âme d’opérer quelquefois hors de Jésus-Christ, et de l’infini tomber dans le fini, et de la pureté de Jésus-Christ déchoir dans sa pureté propre, qui est en vérité impureté261.

31 Octobre 1658 L 3,50 Une différence très grande entre la lumière du rayon et la lumière du centre

Monsieur262, Jésus soit notre unique tout pour jamais. J’ai lu avec attention votre dernière, et j’ai considéré les opérations de Dieu dans le centre de votre âme avec les effets qui les accompagnent. Selon mon petit discernement, je trouve le tout dans la vérité, croyant que c’est Jésus-Christ Lui-même, Vérité éternelle qui commence à se manifester en son infini et immensité.

Et vous anéantissant par sa plénitude, Il vous fait changer d’état intérieur, y ayant une différence très grande entre la lumière du rayon et la lumière du centre263. La première fait chercher Dieu et donne une agilité à l’âme pour le trouver264. La seconde donne Dieu même qui commence à le rendre principe des opérations, mouvements265, et vues de notre âme, qui paraissent comme des ruisseaux d’eau vive qui sortent de la source266, ainsi que vous l’exprimez fort bien267.

Cet intérieur ne se peut connaître ni goûter, que par réelle expérience, où commence le grand bonheur du chrétien, qui est peu à peu transformé en Jésus-Christ, n’agissant et ne souffrant plus. Mais Jésus-Christ agissant et souffrant en lui. Tout ce que vous me dites dans la suite de votre lettre marque assurément que ce grand don vous a été donné268. Il est bien vrai que l’âme est heureuse quand elle est arrivée là, quoi qu’elle se doive résoudre à porter continuellement sa croix269. Je conçois fort bien que la présence de Jésus-Christ ne cesse de faire souffrir l’âme270. Soit qu’Il l’anéantisse pour la consumer en Lui; ce qui ne se fait qu’après de grandes souffrances expérimentées dans un purgatoire intérieur que non seulement le monde ne connaît point, mais les spirituels mêmes qui n’y sont point271. Soit aussi pour faire porter en vérité et réalité les états intérieurs et extérieurs de sa vie mortelle272. Quand je dis que Jésus par sa plénitude commence à opérer dans le centre de l’âme273, je ne prétends pas dire que cette plénitude soit dans le centre, car elle ne s’y trouve qu’après la parfaite consommation de la créature274. Or elle ne fait que commencer dans le degré où vous êtes, y ayant des abîmes de fond propre à détruire, et qu’on ne découvre qu’à mesure que cette lumière centrale croît, et devient plus abondante275. C’est un grand tourment de ce que l’amour de la consommation s’augmente, et qu’au même temps les oppositions croissent aussi. C’est le sujet de ma douleur présente, qui ne vous touche peut-être pas. Notre Seigneur vous faisant goûter le bonheur qu’il y a d’être arrivé à la source d’eau vive, et de ressentir quelques ruisseaux découlés d’elle, qui sont : pratiquer la vertu et converser avec le prochain d’une manière toute divine.

12 Janvier 1659 L 3,46 C’est le trésor des trésors de se perdre en Dieu.

M276. Jésus soit notre unique tout pour jamais. Comme je pensais répondre à votre dernière, nous ne l’avons pu trouver. J’ai remarqué seulement que sur la fin vous disiez que votre état présent était que vous commenciez à expérimenter le néant où Dieu se trouve277. En disant cela vous dites bien des choses, puisque tout ce qui a précédé dans votre âme jusque à présent n’a été opéré de Dieu que pour la faire tomber peu à peu dans cet heureux néant. Son bonheur est bien plus grand dans ce rien, qu’il n’était dans la plénitude de tant de divines opérations qui se succédaient les unes aux autres, qui l’élevaient au-dessus d’elle-même, pour lui donner entrée dans le rien278.

L’état de ce néant divin n’est opéré que par la divine essence, non plus goûtée en lumière divine, mais en elle-même, en pure et nue foi, et abstraite de toutes les choses créées qui sont du ciel ou de la terre279. C’est le trésor des trésors de se perdre en Dieu. C’est cette perte qu’on a goûtée de si loin et pour laquelle on a couru avec tant d’angoisses et de morts. Le divin rayon commence cette course puisque touchant le centre de l’intérieur, il réveille l’inclination essentielle qui fait chercher Dieu et qui ne donne point de repos qu’on ne l’ait trouvé280. Je ne veux pas expliquer davantage cette constitution intérieure qui commence à perdre votre intérieur en Dieu281.

Je crois que vous oublierez tout ce que vous avez jamais reçu de grâces jusques ici, et que vous auriez même de la peine d’y penser. La présence réelle de Dieu ne peut pas souffrir que nous ayons autre occupation que Lui seul. Demeurez donc ainsi perdu et faites tout ce que sa sainte volonté voudra de vous, d’actions ou de souffrances, puisque votre seul fond doit être en Dieu uniquement282. En cet état la liberté commence d’être très grande283; nos puissances et nos sens n’étant embarrassés d’aucune réflexion, et se laissant appliquer uniquement à l’œuvre extérieure de Dieu284.

24 Janvier 1659 L 3,43 Le seul ordre de Dieu nous donne Dieu seul.

M285 . Jésus seul soit notre unique conduite. Je reçus hier vos dernières lettres auxquelles je n’ai pu répondre; mon fond étant tout en obscurité à cause de quelque imperfection que j’avais commise un jour auparavant. Il faut que par la purgation divine il soit un peu éclairci auparavant que d’apprendre par lui aucune chose des volontés de Dieu.

Je suis maintenant dans cette impuissance de n’avoir autre capacité pour quoi que ce soit. Vous savez mieux que moi que Jésus-Christ habitant dans l’intime de notre intérieur, donne à connaître les choses qu’il faut savoir, et cela sans acte propre de connaissance. Il éclaire sans lumière, Il instruit sans instruction. Et Il donne conduite sans qu’il paraisse, ce semble, aucune conduite, puisque Jésus-Christ est toutes choses, et que Lui seul est le tout de l’âme. Dieu nous fait cette miséricorde que nous désirons retirer notre vie et notre soutien uniquement de Lui seul.

J’aperçois aussi que ceux qui veulent vous retenir à Paris pensent à la vérité à leur intérieur, mais d’une manière extérieure et partant ils peuvent entrer dans quelque extrémité286. Je connais aussi que vous êtes encore utile et nécessaire aux B287et à M288 et qu’il leur faut donner quelque temps. Mais de prendre des pensées de rester encore des années, je ne crois pas que vous le deviez faire, jusqu’à ce que Dieu vous fasse connaître sa sainte volonté. Les nécessités des monastères sont infinies, et il me semble que quand on leur a fourni le principal, une petite privation leur est bonne afin de ne pas prendre la créature pour leur unique appui.

Il est vrai que le seul ordre de Dieu nous donne Dieu seul289. C’est pourquoi quand notre intérieur est encore plus en soi-même qu’en Dieu, les progrès qu’il fait sont fort petits. Mais il est vrai aussi que c’est un rude métier que d’être obligé de régler la conduite d’une personne qui chemine dans la voie d’anéantissement, et être aussi de son côté peu avancé. Quelque bonne intention que l’on ait, on peut brouiller l’œuvre de Dieu. Je vous puis dire dans la dernière confiance que cette crainte me sert souvent de gibet290. Car de retarder la perfection des autres et la sienne en même temps est la plus grande misère que l’on puisse ressentir291; de ne pas aussi marcher à l’aveugle et consulter la raison quand il la faut perdre, c’est une autre incommodité qui est très pénible292. Toute ma consolation est que je vous avertis du tout afin que vous voyiez vous-même ce que vous avez à faire. Je sens grand repos de ne penser qu’à mon affaire. Celle des autres me fait souffrir à cause de mon imperfection. Mais peut-être Dieu veut que les imparfaits aident à ceux qui cherchent la perfection, afin que renversant toute prudence humaine, leur esprit propre trouve occasion de mourir.

Incipits



31 Mai 1645 Dieu, ne peut cesser en cette vie d’estimer la croix et la pénitence, d’aimer les souffrances et les mépris

4 juillet 1645 Ce mot vous apprendra que je suis chargé de toutes sortes de croix = 2

3 octobre 1645 Jésus fait notre tout. Vous me dites que mon voyage est long

1646 L 1,58 Notre Seigneur me donne des attraits tout extraordinaires pour être tout à Lui.

23 Août 1653 Je répondrai à vos dernières, sans faire réflexion sur ce que vous a dit Monsieur N. = 6

17 Septembre 1654 Puisque cette personne est avec vous, prenez-y garde.

14 Octobre 1654 Ma Révérende mère, après avoir prié sur ce que vous me proposez en votre lettre au sujet de vos établissements,

17 Octobre 1654. Jésus soit notre unique conduite, puisqu’il est la Lumière essentielle et la divine Sagesse293. Il ne permettra pas que N. s’éloigne de la voie

L 3,61 Jésus soit notre tout pour jamais. Autant que ma petite lumière me donne de discernement = 18

11 Mars 1655 L 3,59 Je vous dirai pour réponse à vos dernières, que les faveurs et les dons de la gloire

14 Septembre 1656 L 3,25 Je fus presque résolu hier de partir avec MonSeigneur l’évêque de Kilala = 9

21 Janvier 1657 L 3,31 Jésus la lumière éternelle soit notre unique conduite. Ma maladie m’a empêché de vous répondre plus tôt,

1 Juillet 1658 L 3,45 Jésus soit notre tout pour jamais. Je viens de recevoir votre dernière du vingt-quatrième juin.

7 Octobre 1658 L 3,48 Jésus-Christ soit notre unique vie pour le temps et pour l’éternité294. C’est Lui seul qui peut ouvrir la porte au réel anéantissement

10 Octobre 1658 L 3,44 Monsieur295, Jésus soit notre tout pour le temps et pour l’éternité. Je reconnais par la lecture de votre dernière, que Dieu écoulé

31 Octobre 1658 L 3,50 Monsieur, Jésus soit notre unique tout pour jamais. J’ai lu avec attention votre dernière, et j’ai considéré les opérations de Dieu

12 Janvier 1659 L 3,46 Jésus soit notre unique tout pour jamais. Comme je pensais répondre à votre dernière, nous ne l’avons pu trouver.

24 Janvier 1659 L 3,43. Jésus seul soit notre unique conduite. Je reçus hier vos dernières lettres auxquelles je n’ai pu répondre; mon fond étant tout en obscurité = 17





Mère Mectilde & Monsieur Bertot

Monsieur Bertot fut lié à Mectilde et à son Institut sur une longue durée, avant puis après la disparition de Bernières. Deux études cernent ces relations et la voie mystique proposée296. Eles ont été reprises et complétées dans notre travail mectildien dont la section « Jacques Bertot (1620-1681) » est reprise ici297.

Une lettre de Mectilde à Bernières évoque les activités fructueuses du jeune prêtre et demande à le sauvegarder contre ce qui pourrait être un excès de zèle de sa part. Elle montre combien Monsieur Bertot, qui n’avait alors que vingt-cinq ans, était perçu comme un Père spirituel qui répandait la grâce autour de lui. Nous percevons ici « l’autre visage » de Monsieur Bertot dont le travail n’avait ici pas besoin d’être empreint de rigueur. Sa présence pleine d’amour est regrettée. Lettre de Mectilde :

De l’Hermitage du saint Sacrement, le 30 juillet 1645.

Monsieur, Notre bon Monsieur Bertot nous a quittés avec joie pour satisfaire à vos ordres et nous l’avons laissé aller avec douleur. Son absence nous a touchées, et je crois que notre Seigneur veut bien que nous en ayons du sentiment, puisqu’Il nous a donné à toutes tant de grâces par son moyen, et que nous pouvons dire dans la vérité qu’il a renouvelé tout ce pauvre petit monastère et fait renaître la grâce de ferveur dans les esprits et le désir de la sainte perfection. Je ne vous puis dire le bien qu’il a fait et la nécessité où nous étions toutes de son secours […], mais je dois vous donner avis qu’il s’est fort fatigué et qu’il a besoin de repos et de rafraîchissement. Il a été fort travaillé céans, parlant [sans] cesse, fait plusieurs courses à Paris en carrosse dans les ardeurs d’un chaud très grand. Il ne songe point à se conserver. Mais maintenant, il ne [53] vit plus pour lui. Dieu le fait vivre pour nous et pour beaucoup d’autres. Il nous est donc permis de nous intéresser de sa santé et de vous supplier de le bien faire reposer. […] Il vous dira de nos nouvelles et de mes continuelles infidélités et combien j’ai de peine à mourir. Je ne sais ce que je suis, mais je me vois souvent toute naturelle, sans dispositions de grâce. Je deviens si vide, et si pauvre de Dieu même que cela ne se peut exprimer. Cependant il faut selon la leçon que vous me donnez l’un et l’autre que je demeure ainsi abandonnée, laissant tout périr. […].298. Il me semble que cette grâce est entre vos mains pour moi, et si tous trois, vous, MBertot et la bonne sœur299, la demandez ensemble et de même cœur à Dieu pour moi, je suis certaine qu’il ne vous refusera point. Car j’ai commencé une neuvaine pour cela qui m’a été fortement inspirée où tous trois vous êtes compris. Je me confie toute en vous, ne nous oubliez point ni toute cette maison. Vous savez les besoins et pour l’amour de notre Seigneur, écrivez-nous souvent. Nous sommes de jeunes plantes. Il faut avoir grand soin de les bien cultiver. Je crois que Dieu vous en demandera compte. (54) À Dieu, notre très bon frère, redoublez vos saintes prières pour nous. […].300.



Quatorze ans plus tard, en 1659, année de la disparition de Bernières,

Mectilde écrit à son amie mère Benoîte de la Passion :

Monsieur [Bertot] a dessein de vous aller voir l’année prochaine, il m’a promis que si Dieu lui donne la vie, il ira. Il voudrait qu’en ce temps là, la divine Providence m’y fit faire un voyage afin d’y venir avec vous ! […] Néanmoins ma fin approche, et je meurs de n’être pas à Lui comme je dois. C’est un enfer au dire du bon Monsieur de Bernières, d’être un moment privée de la vie de Jésus Christ […] soutenez-moi, me voici dans une extrémité si grande que, si Dieu ne me regarde en miséricorde, il faut mourir. Monsieur Bertot sait mon mal, il m’a dit de vous presser de prier Dieu pour moi ardemment et s’il vous donne quelques pensées, écrivez-le-moi confidemment. Voici un coup important pour moi, et qui fait dire à ce bon Monsieur que je suis dans mon dernier temps301.



En réponse de laquelle, un semestre plus tard,

Benoîte de la Passion s’inquiète 

Je suis en peine d’une lettre que j’ai donnée à notre chère mère, lorsqu’elle était ici [Rambervillers], pour vous envoyer ; c’était pour Monsieur Bertot. Je la lui donnai ouverte, ce me serait une satisfaction de savoir si vous l’avez reçue. Notre chère mère nous a dit que ledit Monsieur voulait avoir la bonté de nous venir voir à Pâques. Vous feriez une singulière charité à mon âme de m’obtenir ce bien-là, car il me semble que j’ai grande nécessité de personnes pour mon âme. »302.

Deux ans plus tard, Mectilde écrit à Benoîte

M. Bertot est ici, qui vous salue de grande affection. Voyez si vous avez quelque chose à lui faire dire. Pour moi, il faut qu’en passant je vous dise que, quoiqu’accablée dans de continuels tracas je ressens d’une singulière manière la présence efficace de Jésus Christ Notre Seigneur.303.

Les liens entre bénédictines sous clôture sont ainsi maintenus par courrier au sein de l’Institut et par le rôle de passeur assuré largement -- entre ursulines, bénédictines hors et dans l’Institut du saint-Sacrement -- par le confesseur mystique.

Deux ans passent encore.

Mectilde écrit à une religieuse de Montmartre au sujet de la mort du frère de leur abbesse

Je me sens pénétrée de douleur en la présence de Jésus Christ que je prie la vouloir consoler par lui-même. Je serais mille fois plus peinée [sur la mort d’un frère] si je ne savais que notre bon M. Bertot lui tiendra lieu de Père et de frère et l’aidera à porter la croix que le saint-Esprit a mise dans son cœur304.

Mectilde écrit à la mère saint Placide

Monsieur Bertot a fait autrefois une retraite sur les sept dons du saint Esprit : elle est fort belle et fructueuse ; peut-être la trouverez-vous chez vous ou chez Madame N.305



Outre ses liens avec l’Institut fondé par mère Mectilde, Monsieur Bertot fut successivement confesseur du monastère des ursulines fondé par Jourdaine de Bernières pour devenir celui des bénédictines du couvent de Montmartre. Il sut remplir le rôle clé de passeur mystique entre le cercle normand animé par Bernières et le cercle d’amis et dirigés parisiens qui se forma autour de Montmartre. Le rayonnement du confesseur attira des laïcs dont les ducs de Chevreuse et de Beauvillier. Le cercle sera repris et animé par madame Guyon, sa « fille spirituelle ». Il atteindra une célébrité qui s’avérera bientôt dangereuse306.

Un dernier écho sur le cercle de l’Ermitage, sur Bernières et sur Bertot parvient — même après les condamnations du quiétisme — lorsque l’on cherche à rassembler les souvenirs concernant la fondatrice de l’Institut du saint-Sacrement.

La mère Catherine de Jésus 307 écrit le 24 octobre 1702 :

Je vous supplie, ma révérende et toute chère mère, de prendre la peine de lire cet écrit à notre très honorée mère ancienne308. Il faudrait qu’elle nous dise si elle s’en peut ressouvenir :

En quels temps et année se fit cette assemblée des serviteurs de Dieu, lesquels notre digne mère Mectilde consulta pour connaître la volonté de Dieu dans le désir pressant qu’elle avait de se retirer après que l’institut fût fait ?

[…] Je vous prie, ma chère mère, de nous faire sur ceci une réponse tout le plus tôt que vous pourrez et n’oubliez pas aussi de vous informer si monsieur de Bernières est venu plus d’une fois à Paris depuis l’établissement de l’institut. […]

Informez-vous encore, s’il vous plaît, auprès de votre très honorée mère ancienne si monsieur Bertot, ami de monsieur de Bernières, n’a pas été directeur de notre très digne mère et s’il n’a pas demeuré céans dès le commencement de l’institut, du moins, depuis l’année 1655 que monsieur de Bernières l’emmena avec lui ici à Paris309. Nous serions bien aises aussi de savoir si lorsque monsieur de Bernières fut ici, il logeait céans, c’est-à-dire au-dehors de la maison et combien il resta avant que de s’en retourner à Caen. […]







[Reprise de corespondances :] Monsieur Bertot à Madame Guyon avec les réponses de cette dernière.

Cette section met en valeur la relation étroite entre le « directeur mystique » Bertot et sa dirigée Madame Guyon en reprenant des échanges distribués (intentionnellement noyés) dans les trois derniers volumes du Directeur Mystique. Il s’agit de lettres que l’on a pu lire supra au fil de l’édition des DM. L’éditeur Poiret nous suggère leur recherche : « On trouvera même entre ses Lettres (qui font le 2e et le 3e volume de cet ouvrage [DM II & III] plusieurs qui ont été écrites à cette Dame, et que ceux qui auront lu sa Vie [par elle-même] avec quelque application, discerneront aisément. »

Les preuves formelles permettant de les attribuer à coup sûr sont quelques rares indices qui ont échappé au « nettoyage » qui enlevait tout caractère personnel à des textes publiés en vue de la seule édification intérieure des disciples guyoniens par protection compte tenu d’une « chasse aux quiétistes ». Entre deux extrêmes, réduire ces lettres aux très rares exemplaires qui ont conservé, inclus dans le fil de l’écrit, un trait biographique précis pouvant être attribué à Madame Guyon avec une absolue certitude, ou présenter de larges suites sur la base de leur continuité stylistique et de sens profond par rapport à ces exceptions, nous avons choisi un compromis basé sur notre lecture « avec quelque application » qui ne garantit pas d’erreur.

Les thèmes abordés sont présentés de façon très directe et sans compromis : rien que Dieu et tout à Dieu ! Nous condensons la présentation puis livrons avec modifications la section « II. lettres de Monsieur Bertot » de la Correspondance Tome I de Madame Guyon310.

Monsieur Bertot, directeur mystique.

L’essentiel de la vie de Jacques Bertot (1620-1681) est résumé, longtemps après sa mort, dans l’Avertissement placé en tête du premier volume des œuvres rassemblées par Madame Guyon sous le titre, à première vue étrange, mais à la réflexion très juste de Directeur Mystique : « Monsieur Bertot... natif de Coutances... grand ami de... Jean de Bernières... » (déjà cité supra).

Catherine de Bar (1614 - 1698), qui, devenue la mère du saint-Sacrement, fut appréciée par Madame Guyon au monastère de la rue Cassette, témoigne de son rayonnement spirituel311 (section précédente)

Monsieur Bertot animait un cercle au-delà des murs de l’abbaye de Montmartre :

où se rassemblaient des disciples, parmi lesquels on admirait l’assiduité avec laquelle M. de Noailles, depuis maréchal de France, et la duchesse de Charost, mère du gouverneur de Louis XIV, s’y rendaient … MM. de Chevreuse et de Beauvilliers fréquentaient aussi cette école312.

On retrouve la duchesse de Charost auprès de la toute jeune Madame Guyon, puis plus tard les ducs et duchesses de Chevreuse et de Beauvilliers. Enfin saint-Simon le désigne comme :

le chef du petit troupeau qui s’y assemblait et qu’il dirigeait313.

Bertot apparaît donc comme le « passeur » entre le cercle mystique normand animé par Bernières (ainsi que par le franciscain Chrysostome de saint-Lô) et le cercle parisien dont la direction sera reprise par Madame Guyon314. Il se place directement au début de la vie mystique de foi nue :

Vous avez vécu jusqu’ici en enfant avec bien des ferveurs et lumières.  : : Mangez incessamment de ce pain en vous laissant dévorer aux providences, qui vous seront toujours heureuses pourvu que vous soyez fidèle à les souffrir et à tout perdre315

Il faut maintenant se soumettre à :

la divine Providence comme un morceau de bois en celle d’un sculpteur pour être taillée et sculptée selon son bon plaisir. Il faut bien savoir que cela s’exécute assurément par l’état de votre vocation ; les ouvriers qui doivent travailler à faire cette statue sont monsieur votre mari, votre mère, vos enfants, votre ménage. Ainsi votre âme deviendra de plus en plus lumineuse, non pas par des lumières particulières qui feront élancement en vous, mais bien par une pureté générale, comme vous voyez qu’un cristal étant sali et plein de boue, à mesure qu’on l’essuie, on le clarifie et on lui donne son lustre. Et cette pureté se traduit par le repos, la petitesse et l’abandon dans les rencontres, au lieu que, quand l’âme vit en elle-même et en ses désirs, elle est toujours agitée316.

Pour pouvoir s’abandonner ainsi au divin sculpteur, il est utile de :

savoir que tout ce qui est de plus naturel dans la vie de l’homme peut être relevé très éminemment dans la jouissance de Dieu, et qu’ainsi une âme qui peu à peu, par la fidélité et par l’oraison, s’approprie à l’usage de la foi, peut rendre surnaturel tout ce qu’il y a de plus naturel en sa vie […] La chose devient très facile à peu près comme nous voyons que nos yeux corporels étant capables de la lumière du soleil, nous voyons et nous découvrons sans peine la beauté des objets317.

En clair il s’agit de découvrir l’action de la divine Providence en tout, sans séparer le surnaturel et la vie concrète. Rude et direct, parce qu’il est profondément optimiste quant au terme s’il est recherché vigoureusement, Bertot affirme sans détour l’efficience d’une transmission de la grâce et assure du terme :

Pourvu que vous soyez fidèle, je ne vous manquerai pas au besoin pour vous aider à vous approcher de Dieu promptement318.



De J. Bertot. 1672. [3,67 DM]

Lettre-traité de la vie intérieure. L’âme jouit de Dieu sans moyen : chaque moment lui est Dieu.

Notre Seigneur m’a donné une si forte pensée de vous écrire qu’il m’a fallu y succomber, afin de vous dire la certitude que Sa [429] bonté m’a donnée de votre état intérieur et de ce que vous devez faire pour y être constamment fidèle.

Je suis très certain que Dieu est dans votre âme et que l’état qu’elle a est de Lui. Vous devez en être très assurée et, par cette certitude, vous tenir ferme, nonobstant les incertitudes, les obscurités, les divagations de vos puissances, et généralement tout ce qui peut vous arriver qui vous pourrait donner lieu de douter et ainsi vous solliciter à retourner aux actes, aux pensées et autres aides, qui sont de saison dans les commencements quand l’âme va à Dieu et qu’elle n’y est pas encore arrivée.

Votre âme commençant d’être en Dieu, elle y sera et subsistera en obscurité, en croix, en bouleversements continuels et en une infinité de vicissitudes que vous expérimenterez que Dieu amène avec Lui, afin que l’âme par ce moyen se déprenant d’elle-même peu à peu, se perde et se laisse en la main de Dieu, qui lui est inconnue. [430]

L’âme allant à Lui, et faisant par conséquent usage de ses puissances, s’en approche et s’avance vers Lui par le moyen de ses intentions saintes, de ses actes et du reste, qui sert à élever ses puissances et les tenir attachées à Lui par un million de retours et autres exercices, que l’âme pratique utilement et saintement et sans quoi elle serait vagabondea et oisive. Mais dès aussitôt que l’âme commence d’entrer en Dieu, cet usage des puissances par les moyens susdits commence de cesser. Et l’âme n’a qu’à se laisser, non par actes mais par état, qu’à s’abandonner, non formellement et en produisant un abandon, mais en se laissant en Dieu où l’on est, c’est-à-dire se laissant à la croix, à la peine, et généralement à tout ce qui lui arrive de moment en moment, et qui pour lors lui est et devient Dieu. Il suffit qu’elle se laisse et qu’elle souffre telles choses, et tout cela lui devient Dieu assurément, sans intentions, sans actes ni autres choses, sinon se laisser perdre, [431] souffrir et agir comme l’on est, de moment en moment. Et en poursuivant de cette manière, l’âme trouve à la suite que tout est si bien fait que rien de mieux ne se peut ni n’a pu être pour son bien et pour la gloire de Dieu en elle.

Comme mon âme voit clairement la vérité de ce que je vous dis, qui est générale à toutes les âmes qui sont assez heureuses que d’être à Dieu, je vous pourrais dire une raison de ce procédé, qui assurément convaincrait toutes personnes savantes ou autres gens d’esprit, mais cela se ferait présentement hors de raison. Il vous suffit que je vous dise en simplicité la vérité de l’état que votre âme porte et aussi de ce que vous y devez faire simplement, sans quoi vous n’iriez pas droit et feriez de grands circuits, ne faisant peut-être pas en plusieurs années ce que vous pouvez faire en un jour en vous laissant simplement et en abandon dévorer, perdre et à la suite, consommer au moment des croix, des providences et généralement de tout ce que Dieu [432] ordonne, quel qu’il soit et en quelque manière qu’il vous arrive, ce qui alors vous est Dieu, vous y laissant et abandonnant de moment à moment. D’où découlera la prudence et la sagesse pour faire tout ce qu’il sera bon de faire autant que vous vous laisserez posséder par cet heureux moment, lequel vous sera autant avantageux que les croix et les peines vous seront dévorantes, pénibles et vous perdant. Cela sera votre oraison, votre préparation à la sainte communion, votre action de grâce, et votre présence de Dieu durant le jour.

Quand l’âme est dans les puissances, si élevée qu’elle soit, il faut qu’elle ait un emploi d’actes et des objets de présence de Dieu, un objet à l’oraison, et le reste qui est de l’état de puissance. Mais, comme je vous l’ai dit, quand, par dénuement et simplicité, l’âme tombe en Dieu, elle devient sans objet, et ce qu’elle a à faire et à souffrir de moment en moment lui devient Dieu et véritablement lui est Dieu. Heureuse une âme qui est appelée [433] de Sa Majesté pour cette grâce ! Car elle trouve le moyen de jouir de Dieu sans moyen, par où Dieu peu à peu lui devient toutes choses, et toutes choses lui deviennent Dieu. Si bien que dans la vérité, si elle est fidèle, le paradis commence dès la terre : non un paradis de gloire, mais un réel et véritable, puisque l’âme a Dieu et jouit de Dieu véritablement, mais en croix, en perte, en nudité et en obscurité de foi, ce qui est l’avantage de la vie présente, d’autant que de cette manière Dieu est en l’âme un moyen sans moyen, à chaque moment, qui donne et est Dieu sans fin ni mesure. Et ainsi sans être autrement dans le paradis, l’âme jouit de Dieu d’une manière si facile et si avantageuse pour son augmentation et son accroissement qu’il n’y a rien en la vie qui ne lui soit et ne lui puisse être Dieu, quoique il ne paraisse à l’âme et aux personnes qui conversent avec elle que [434] croix, souffrances et une vie assez commune, à la réserve qu’elle est pleinement contente et satisfaite de chaque moment de sa vie en tout ce qu’elle a à faire ou à souffrir.

Si je pouvais vous exprimer comment tout est Dieu à une telle âme arrivée à ce degré de simplicité et de nudité, et comment par conséquent l’âme pour tout exercice et moyen n’en doit avoir que de se laisser et se perdre, non par acte, mais ayant, faisant et souffrant seulement de moment en moment tout ce qu’elle a à faire et à souffrir, et que de cette manière Dieu est et vit en elle et par elle, cela vous surprendrait. Il y aurait infiniment à dire sur ceci, mais il suffit que je vous dise ce peu, afin que vous vous ajustiez à ce que Dieu demande de vous et qu’Il vous présente. Et si votre âme est fidèle aux pertes, aux croix, et généralement à être, à faire et à souffrir ce que vous aurez de moment en moment, vous trouverez la vérité de ce que je vous dis et infiniment davantage. Car tout cela étant Dieu, comme en vérité il [435] l’est à une telle âme, il y a une suite de providences surprenantes comme, Dieu aidant, je pourrai vous le dire à la suite.

Je prie Notre Seigneur de vous donner Sa lumière pour comprendre dans Sa vérité ce que je vous dis, car la raison purement humaine ou bien éclairée d’une lumière des puissances seulement, ne peut entrer ni pénétrer ce Mystère. Dieu seul peut le révéler et assurément c’est une révélation divine qui n’est pas pour tout le monde. Quoique les croix, les souffrances et les providences pénibles de la vie soient saintes et sanctifient les âmes qui en font saintement usage, elles ne sont et ne deviennent pas Dieu sinon aux âmes qui, par dénuement et perte de leurs puissances en foi, sont devenues simples et nues et ainsi commencent de trouver Dieu non dans l’éternité de gloire, mais dans le moment où elles sont, ce qui est un commencement d’éternité à telles âmes. Et cela est si vrai que je crois que jamais aucune âme n’a [436] trouvé Dieu par la perte de soi, qu’au moment qu’elle a commencé de Le trouver, elle ne L’ait trouvé par le moment présent de ce qu’elle a à faire ou souffrir, tout ce qui est dans son état et condition lui devenant Dieu véritablement en réelle et véritable jouissance, sans fin ni mesure.

[Comme] Jésus-Christ, étant sur la terre quoique Dieu, était crucifié, peiné, et le reste qu’Il a porté, aussi une telle âme jouit de Dieu et a Dieu en croix et souffrances. Je dis plus : toutes les âmes n’étant pas en tout semblables, elles n’ont pas toutes des croix et des souffrances. Il y en a dont la vie est assez commune. Cela n’importe : ayant Dieu, le moment de ce qu’elles ont à faire ou à souffrir, ou, pour mieux dire, leur moment, leur est Dieu véritablement, quel qu’il soit, car nous ne devons jamais ajouter ni ôter à l’ordre de Dieu, tel ordre étant ce qui nous est Dieu. Je le dis encore une fois que, si les âmes savaient cet avantage, elles ne cesseraient [437] d’être fidèles, car assurément, étant arrivées à tel degré de trouver Dieu, pour lors la vie présente leur devient infiniment heureuse, car tout leur devient Dieu.

Soyez donc fidèle, et que chaque moment vous soit infiniment précieux pour en faire usage comme je vous l’ai dit : ce qui est infiniment à considérer, car retourner aux puissances, pour peu que ce soit dans cet usage, est une perte sans remède et par conséquent infiniment de conséquence. Remarquez bien que, quand je vous dis que le moment de ce que vous avez à faire et à souffrir devient Dieu et est Dieu à une telle âme qui en fait l’usage susdit, j’entends que tout ce qu’elle a à faire ou à laisser, quelque petit et naturel qu’il soit, comme le travail, la conversation, le boire, le manger, le dormir et le reste d’une vie sagement raisonnable, est Dieu à telle âme et qu’elle doit être et faire ces choses dans les mêmes dispositions sans dispositions, car c’est par état. Vous m’entendez. Et toute âme de ce degré m’entendra assurément. Et comme [438] vous ne faites que commencer, dans plusieurs années vous m’entendrez, Dieu aidant, tout autrement, car telles expressions qui paraissent du grec et de l’arabe sans la lumière divine, quand on y est, paraissent et deviennent si manifestes que le soleil n’est pas si évident ni si clair que ces choses le deviennent aux âmes. On a de la peine et les choses ne sont pénibles que durant le temps que les âmes sont en elles-mêmes. Il est vrai que dans ce temps-là on fait les choses à force de bras et que l’on gagne son pain à la sueur de son visage ! Mais quand on sort de soi et que l’on commence de trouver Dieu, tout devient si aisé si facile et si clair que l’on goûte par expérience la vérité de ces paroles : Mon joug est léger1.

Je dis cela pour exprimer que ce qui est au commencement obscur, devient facile, quoique en croix, pertes et morts continuelles, telles choses étant le bonheur et la béatitude de la vie présente selon le degré que la divine volonté les donne et les [439] ordonne, car, comme j’ai dit, il n’y a que le point et le moment de l’ordre de Dieu qui fasse la vérité et l’excellence de cet état. Or plus la divine volonté donne de croix et autres choses pénibles, plus aussi Dieu est donné excellemment. Mais cette excellence n’est pas dans le choix de l’âme, c’est assez qu’elle soit contente du moment de l’ordre de Dieu, en la manière que les bienheureux le sont dans l’éternité, où un saint bien moindre en gloire est pleinement content de ce qu’il a, sans avoir aucun désir de la sainteté des autres. Ainsi en est-il des âmes qui sont heureusement en Dieu dès cette vie. Elles y sont et y subsistent par l’ordre de Dieu, et c’est assez pour être contentes.

Mais ce divin ordre est infiniment différent, et c’est ce qui cause la distinction et la différence des âmes en Dieu en cette vie. Car ce divin ordre donnant des croix, des souffrances et autres choses pénibles à une âme en un degré plus relevé qu’à une autre personne qui est par ordre de Dieu dans une vie plus [440] douce, elle est aussi plus en Dieu que l’autre, et participe plus excellemment à Sa divine Majesté, mais le choix d’avoir plus de croix ou d’être d’une sorte ou d’une autre ne dépend aucunement que du divin ordre. Car pour peu que l’on y change, soit en augmentant ou en diminuant, ce n’est plus ordre de Dieu : ainsi ce n’est plus Dieu à une telle âme mais bien chose sainte et vertueuse. Et ainsi il faut conclure qu’il n’y a purement que le divin moment de l’ordre de Dieu sur l’âme, quel qu’il soit, qui lui soit Dieu : tout le reste, si saint qu’il puisse être, est vertu ou sainte pratique, mais non essentiel.

De là vous voyez la conséquence d’être fidèle en tout pour non seulement ne point perdre un moment de l’ordre de Dieu sur l’âme, quel qu’il soit, mais aussi pour s’y perdre et s’y abandonner sans réserve, car pour peu que l’on rabaisse ce divin ordre, on déchoit autant de Dieu que l’on y est infidèle.

Tout ceci, qui paraît, je m’assure, difficile à comprendre aux [441] âmes qui ne sont point éclairées de la divine lumière, est cependant si facile que le soleil n’est pas plus clair ni facile à voir à nos yeux corporels que ceci est facile à voir aux âmes éclairées de la foi en ce degré d’avoir commencé à trouver Dieu. Que cette divine lumière de foi en commencement de sagesse éclaire l’âme d’une pauvre paysanne, elle la rendra capable de voir et d’entendre de telle manière ce divin Mystère (si caché aux sages du monde, quoique éclairés de la doctrine de l’école) qu’elle verra ces choses plus clairement que nos yeux ne voient les objets par le moyen de la clarté du soleil, qui nous est si naturelle et par laquelle nous voyons très facilement et agréablement. Mais en vérité, c’est encore ici tout autre chose, non seulement par la beauté que la divine lumière découvre en Dieu, mais encore par la manière facile, aisée et naturelle, s’il faut ainsi parler, avec laquelle elle donne Dieu, et en Dieu toutes choses. Car la lumière [442] du soleil est bien un moyen par lequel notre œil voit autant que sa capacité s’en sert, mais non en donnant la capacité même, et de plus elle n’a ni ne fait voir ce qu’il découvre par sa clarté, que hors de lui, dans l’objet que vous regardez. Mais pour ce qui est de la lumière essentielle, lumière de foi en commencement de sagesse, non seulement elle fait voir les choses en vérité, mais encore elle est elle-même la capacité même, nous la communiquant et nous la donnant : si bien que l’âme qui en est honorée, voit autant que sa lumière est forte et pure, et non autrement, sa lumière lui donnant et lui étant sa capacité, dans laquelle elle voit et jouit de ce que cette divine lumière, qui lui est Dieu, lui découvre volontairement, non en objets et objectivement, mais en Dieu, où toutes choses ont vie et font la vie.

Dans le commencement que cette divine lumière éclaire et lorsque l’âme par conséquent commence à voir de cette façon, elle est [443] fort surprise, n’étant pas son ordinaire manière de voir. Et elle ne croit rien voir, car ceci est ténèbres à l’égard de l’âme. Mais quand elle est fidèle à mourir à soi et à sortir de soi en se quittant soi-même, pour lors elle voit et entend peu à peu ce secret qui ne se peut jamais voir ni découvrir que quand on est hors de soi et qu’autant que l’on tombe dans le rien de soi.

C’est ce qui fait que cette manière d’être et de voir n’est jamais propre à notre vue ni à notre propre être, mais qu’elle est très facile quand nous perdons tout notre propre pour être vivifiés et éclairés par un principe vivifiant, qui est cette lumière de foi en sagesse divine. Et ceci est cause que l’âme qui commence à goûter et jouir de cette admirable lumière hors de soi, n’a pas de cesse que peu à peu elle n’en soit absolument sortie. C’est pourquoi afin de lui correspondre, elle tâche peu à peu et sans relâche de se simplifier et de se dénuer de tout ce qui lui est propre, soit en actes, [444] intentions, pratiques et autres choses, afin de s’ajuster de son mieux à cette divine lumière, qui lui devient toutes choses en toutes les choses qui lui arrivent et qui lui sont vraiment Dieu, dans Lequel elle trouve tout par une correspondance qui lui donne la vie, et qui lui est vie : si bien que non seulement tout ce qu’elle a à souffrir et ce qui lui arrive lui est Dieu, et par conséquent vie et toutes choses en Dieu, mais tout ce qu’elle a à faire dans son état, soit petit ou grand, soit travail ou prières, tout lui est et devient Dieu d’une manière qui la vivifie admirablement. Si elle prie même vocalement, soit en disant les prières d’obligation comme les prêtres le saint Office, soit comme les séculiers [en disant] les prières de dévotion, sans s’appliquer à des intentions ou autres dispositions, toutes telles prières lui sont et deviennent vraiment Dieu. Tout de même quand elle est en oraison, elle est en Dieu, et Dieu lui devient son oraison même, quoique très souvent il ne lui paraisse que des obscurités et des distractions dans les sens. [445]

Ce divin ouvrage se fait et est seulement dans le centre de l’âme ; parfois aussi il en peut rejaillir dans les puissances. Mais il faut être arrivé dans un degré d’une très éminente communication pour que ce qui rejaillit dans les puissances lui soit Dieu. À la suite, cela est, même ce qui en rejaillit dans les sens, mais il faut être encore plus avancé. C’est pourquoi dans le degré dont nous parlons, ce Mystère et cette grâce ne se passent et ne s’opèrent que dans le centre de l’âme où est Dieu et où Il opère en Lui-même, car cette partie de l’âme a cette capacité d’être et de se perdre en Dieu sans qu’aucune créature y puisse entrer. C’est là où se font les grands ouvrages, et c’est là où l’âme a la capacité d’être et de devenir tout ce que Dieu veut. C’est là où elle cesse d’être elle-même, perdant son propre2, étant et vivant en Dieu, quoique son être ne se perde jamais réellement, mais bien par une désappropriation qui, la faisant tomber dans le néant, la fait être en Dieu véritablement. [446]

Ce que je viens de dire des prières est aussi véritable généralement des actions, et cela jusqu’à la moindre de celles qui sont de l’état et de la condition de cette heureuse créature tombée dans le néant d’elle-même. Ce qui est cause que telles créatures sont et deviennent infiniment fidèles à la moindre action ou circonstance d’action que Dieu veut d’elles dans l’état où Dieu les a mises, sans s’amuser à voir et regarder telles actions en elles-mêmes pour en faire la distinction par leur excellence propre, telles actions en telles âmes ne prenant leur excellence que du principe d’où elles viennent. Et comme ces âmes sortent d’elles-mêmes par la mort de leur propre, Dieu en devient vraiment le principe, et ainsi l’excellence et la grandeur, si bien que la moindre [action] leur est Dieu même. Un pauvre artisan travaillant à sa boutique et honoré de cette grâce a aussi bien Dieu, et chaque petite chose qu’il fait dans son travail lui est autant (ou davantage) Dieu que l’action la plus grande [447] et la plus éminente d’un autre état, pourvu que le principe soit plus excellent, c’est-à-dire qu’il soit plus hors de soi-même et plus perdu en Dieu. Car c’est de ce principe, et du plus et du moins en ce principe, que la grandeur des actions des différentes personnes de ce degré de grâce et de lumière de foi essentielle, prend la différence et non des choses en elles-mêmes. Ce qui trompe quantité d’âmes, lesquelles ne sachant ce secret mesurent toutes choses selon la grandeur et la sainteté qu’elles ont en elles-mêmes, et ainsi ne travaillant pas à mourir à soi pour trouver ce divin principe, elles demeurent toujours à chercher d’autant plus avidement les choses que plus elles leur semblent grandes et saintes en elles-mêmes.

Ce fut de là que Dieu voulut tirer un saint homme sur la fin de sa vie, comme il est rapporté dans la Vie des Pères3, lequel étant consommé dans les austérités et grandes pratiques, et ne voyant que leur grandeur et leur sainteté [448] dans laquelle il avait vieilli, Dieu lui révéla un jour qu’il allât dans une ville qu’Il lui nomma, et qu’il y trouverait trois pauvres filles, lesquelles étaient dans une sainteté sans comparaison plus excellente et plus relevée que la sienne, et qu’enfin elles étaient selon Son cœur. Ce pauvre homme fut extrêmement touché, et étant très pénétré du désir de plaire à Dieu, il crut aussitôt qu’il trouverait des personnes d’une austérité, d’une pénitence et d’une mortification infiniment au-dessus de la sienne, ce qui l’humilia et le réjouit au même temps : l’humilia, voyant qu’il avait fait toute sa vie ce qu’il avait pu pour se faire souffrir pour Dieu et que cependant il n’avait pu encore trouver le moyen de se faire souffrir et de se mortifier autant que Dieu désirait ; le réjouit, d’autant que, ne sachant rien de plus saint ni de plus relevé que ce qu’il avait pratiqué jusques là, il l’apprendrait de la bouche même de Dieu, puisque Sa Majesté divine le renvoyait à l’école de ces saintes filles. Il [449] alla donc en grande hâte en cette ville. Il demanda où demeuraient ces saintes filles, mais comme elles étaient fort inconnues, vivant à petit bruit et très inconnûment, il eut bien de la peine à les découvrir. Enfin il les chercha tant qu’il les trouva. Les ayant trouvées, il s’informa d’elles quels étaient leurs exercices et leur façon de vivre. Elles lui dirent tout simplement et sans façon que, pour leurs exercices, elles priaient Dieu une fois le jour et ainsi le laissaient à la volonté divine pour faire tout ce qu’elles avaient à faire par l’ordre de cette divine volonté. Que pour ce qui était des emplois de leur vie, Dieu les ayant fait naître pauvres, elles n’avaient de quoi vivre sinon en le gagnant, et qu’ainsi l’ordre de Dieu étant qu’elles travaillassent pour vivre, [qu’] elles filaient tout le jour afin de gagner à vivre et que de cette manière elles passaient leurs vies. Ce saint homme, après avoir entendu tout ce discours, fut fort étonné, ne trouvant nullement ce qu’il pensait et ne sachant pourquoi Dieu [450] l’avait envoyé à des âmes si communes et si peu relevées, et comment ce que Dieu lui avait révélé se trouverait vrai, [à] savoir que ces trois filles étaient plus relevées et plus saintes que lui, et que vraiment elles étaient selon le cœur de Dieu. Le voilà fort embarrassé si la révélation était vraie, n’en voyant nulle marque. Cependant il disait : « C’a été vraiment et assurément Notre Seigneur qui m’a parlé. Comment comprendre ce Mystère ? » Il les interroge encore plus et elles, sans y entendre finesse, lui répètent tout simplement et humblement ce qu’elles faisaient sans même qu’elles l’entendissent elle-mêmes, sinon que leur cœur était pleinement content et dans le repos de leur centre, d’autant qu’il y a plusieurs âmes simples lesquelles jouissent de ce trésor sans savoir son prix, parce que cela ne leur est pas nécessaire quand on n’est pas appelé à aider aux autres. Ce bon homme est encore plus embarrassé que la première fois, car, comme j’ai dit, c’est un Mystère que [451] Dieu doit donner avant qu’on puisse comprendre. Enfin, Dieu lui fait voir que ces pauvres filles étaient vraiment pleines de Dieu par la mort d’elles-mêmes, et qu’ainsi elles faisaient seulement ce que Dieu demandait d’elles dans l’état où Il les appelait, mourant véritablement à tout, ne vivant que par l’ordre de Dieu, qui leur était marqué par la divine Providence de leur condition.

Etant éclairé de cela, il vit que vraiment le principe de leur vie et de leur opérer était Dieu, perdues qu’elles étaient dans le bon plaisir divin, qui les voulait telles et non autrement, et de cette manière ayant perdu tout mouvement et tout désir dans l’ordre divin, et ce divin ordre leur étant devenu toutes choses. Ce saint homme, étant éclairé de ce divin secret, fut fort étonné, et il découvrit qu’il voyait la sainteté des choses, mais non Dieu en ces choses, ce qui était cause que son cœur foisonnait en désirs et qu’il n’avait pas plus tôt fait une austérité ou une sainte [452] pratique qu’il était dans l’impatience d’en avoir une autre, et que de cette manière son âme était infiniment multipliée dans les bonnes et saintes choses, la sainteté éminente devant cependant se trouver dans l’unité parfaite en repos véritable. Une lumière donne jour à une autre lumière, et il remarqua (ce qu’il n’avait jamais vu) que son âme était extrêmement multipliée et agissante, et que celles de ces simples et pauvres filles étaient dans un calme et une unité admirable. Ce qu’il ne pouvait voir au commencement que comme fort commun, (le regardant en soi-même) ses yeux étant ouverts, il le voit si divin qu’il ne s’en peut contenter, et il serait bien demeuré toute sa vie à admirer l’intérieur très petit, mais infiniment grand, de ces âmes divinement éclairées. Cette source divine l’enivra et le charma tellement qu’enfin étant contraint de s’en retourner en sa solitude pour faire comme elles en son état, il les quitta en frappant sa poitrine. « Hélas, disait-il, ma vie [453] s’est passée parmi les saintes créatures, et voilà qu’aujourd’hui j’ai trouvé Dieu et le secret de Le trouver de plus en plus jusqu’à ce que Sa divine Majesté me fasse mourir corporellement ! J’ai présentement le moyen de Le trouver, mourant à moi spirituellement. C’est donc vous, chère mort, qui serez le principe de mon bonheur et qui serez l’emploi de ma vie. Je ferai ce que Dieu voudra de moi dans ma solitude, mais sans atttache, ni empressement. Je ne le ferai pas comme mon principal, mais comme l’accessoire, qui sera une suite de la mort à moi-même, vivant plus de l’ordre de Dieu sur moi que je n’ai fait jusqu’ici, car j’ai toujours vécu de ces saintes choses, bien plus que de Dieu en ces saintes choses. » Ce saint homme, charmé de ce bonheur, rentre tout de nouveau, comme l’on dit, dans le ventre de sa mère, se rendant vraiment simple et se simplifiant peu à peu, afin que, sortant insensiblement de soi, il trouvât Dieu, le vrai centre de son cœur, et la fin et le repos de tous [454] ses désirs. Ce qu’il fit avec tant de plaisir, ou plutôt avec tant de cœur, qu’il allait et voguait admirablement dans l’océan de la Divinité, tout d’une autre manière qu’il ne faisait par l’effort de ses bras, comme l’on voit en jetant les yeux sur de petites nacelles qui sont conduites et animées par des avirons et ces grands vaisseaux qui ont le vent en poupe et à leur aise : les unes font très peu de chemin et très difficilement, et les autres en font beaucoup sans presque aucun travail et même sans y penser.

Ce saint homme n’a pas été le seul éclairé divinement et instruit de cette manière. L’histoire nous en fait voir encore quantité d’autres, mais ceci peut suffire et servir pour faire voir la lumière et l’esprit qui n’est pas découvert dans de telles histoires, rien n’y étant décrit que le matériel entendu de diverses personnes selon la lumière et le degré où elles sont et qui approche plus ou moins de telle grâce.

Nous lisons dans les Chroniques de quelque ordre d’un Religieux [455] qui était fort simple et d’une inclination fort candide, que sans y penser et sans aucune réflexion, il faisait à tout moment des miracles. Tout ce qui le touchait en faisait autant, ce qui mit fort en peine son supérieur (mais non lui car il n’y pensait et n’y réfléchissait pas), d’autant que ce supérieur remarquait bien que ce Religieux était fort simple, fort obéissant et fidèle à faire ce qui était de son obligation, mais que pour le reste, il était dans un très grand repos et sans rien d’extraordinaire, de telle manière que, ne paraissant que comme un homme du commun à ce supérieur, celui-ci ne savait que juger de ce qui pouvait être la cause de telle grâce. Dans cette peine il va trouver le Religieux et lui commanda par la sainte obéissance de lui dire ce qu’il faisait pour être la cause de tels miracles continuels. Il lui répondit tout simplement qu’il n’en savait rien non plus que lui, mais que dans la vérité il ne s’y amusait pas, que c’était à Dieu à faire ce qu’Il voulait et qu’il n’y [456] prenait nulle part. Que pour lui, il faisait en tout, autant qu’il avait de lumière, la divine volonté, et que ce divin plaisir était tout son plaisir et rien autre chose dans la terre. Que c’était cela même qui était la cause pourquoi il était fait comme ses frères, et qu’il ne faisait rien autre chose qu’eux. Enfin ce supérieur par la grâce de sa charge fut éclairé, et il vit clairement que ce n’était pas en la grandeur ou en la différence des choses qu’il faisait que consistait cette grâce de miracles continuels, mais qu’assurément cette âme était perdue à elle-même et par là perdue en Dieu, ne vivant et ne subsistant que par ce bon plaisir divin. Et qu’ainsi c’était ce fond et ce principe qui étai [en] t la source de cet extraordinaire, et non un extraordinaire d’actions et de souffrances. Ce qui fut cause qu’il le confirma dans son même degré. « Demeurez, lui dit-il, en Dieu tel que vous êtes. Vous n’en savez rien, il n’importe. Et ne faites que ce que vous reconnaîtrez [457] par le mouvement paisible de votre âme qui s’accordera admirablement avec l’ordre de Dieu dans votre condition. Cet inconnu habitant [en vous] et opérant ce que vous faites est le principe seul de tous ces miracles. C’est assez, vivez sans réflexion, car ces choses n’étant pas votre ouvrage, vous n’avez que faire d’y penser : c’est à Dieu qui les fait d’en avoir soin. » Ce bon Religieux, sans autre réflexion, continua d’être, de souffrir et de faire ce que Dieu voulait de lui au moment, et par là Dieu était en lui et faisait par lui toutes ces merveilles.

En d’autres, Dieu y est, y vit et y opère, mais cela dans une obscurité et une incertitude assez ordinaire, sinon que ce Dieu caché, mais vivant en l’âme, en laisse sortir quelquefois certains éclairs qui marquent Sa grandeur et Sa divine présence. Ces éclairs ne sont pas pourtant l’essentiel de l’état, mais bien des choses qui suivent assurément tel état, spécialement quand la Providence ne donne pas des directeurs dans le sublime de [458] cet état. Car quand elle en donne, les certitudes sont moindres et moins fréquentes, le don du directeur étant un très grand don qui a la source de sa grâce dans le divin Mystère de la vie soumise de Jésus-Christ à Nazareth : Et il leur était soumis4.

Ces sortes de gens vivant et jouissant de Dieu en Dieu, de Dieu en toutes choses et de toutes choses en Dieu, sont fort inconnus. Leurs exercices, comme j’ai dit, étant fort simples et pour l’ordinaire n’étant que ce que Dieu demande dans leur état, Dieu S’en réserve la connaissance et le plaisir, de même que Dieu est leur seul plaisir, et ils ne trouvent guère de plaisir ni dans les choses créées ni dans les saintes pratiques. Toute leur inclination est de n’être plus ou le néant, afin que Dieu soit, vive et ensuite agisse par eux à Son éternel plaisir. Cela fait qu’ils sont très inconnus et, à moins que Dieu ne S’en serve pour en certifier [459] d’autres, Il les laisse dans leur néant, aussi bien à leur égard qu’à celui des autres. Il n’en va pas de même des âmes saintes dans les puissances et dont la sainteté est éclatante. Elles ont plusieurs choses saintes et belles qui touchent et animent le commun, et elles sont pour l’ordinaire en vénération, car le dessein de Dieu est qu’elles soient honorées dans l’Église et qu’elles servent à L’y faire honorer par les autres. Mais pour celles-ci, qui vivent et qui habitent dans l’inconnu de Dieu, Dieu Se les réserve pour Lui, et l’éternité sera leur jour et leur règne. Et voilà la cause pourquoi une infinité de saints et de saintes dont la vie a été admirable et prodigieuse de cette manière [cachée] seront, dans le temps présent, dans un oubli absolu et qu’ils n’éclateront que dans l’éternité seule.

De plus (comme je vous l’ai dit et comme il est vrai) ces âmes-là sont déjà ainsi dans le moment de l’éternité, car le moment de l’ordre de Dieu sur elles leur est Dieu et ainsi leur est éternité. C’est pourquoi [460] très assurément, quand elles y sont beaucoup avancées, elles sont dans le moment éternel dès cette vie, et par conséquent elles sont du règne éternel et non du présent, qui est dans une vicissitude continuelle. Au lieu que ces âmes, étant et vivant du moment et par le moment qui est Dieu, elles sont et font toujours la même chose, quoique, par l’ordre de leur vocation, il paraisse qu’elles en fassent et en souffrent tant et de si différentes. Enfin c’est ce moment qui réunit tout et qui fait tout trouver sans le chercher (ce qui n’est pas de la manière présente5). Et ainsi ces âmes ne sont et ne vivent pas du temps, bien que dans la vérité elles soient dans le temps, et toutes semblables aux autres, étant fort affables, communes et accortes avec les personnes qu’elles fréquentent, n’ayant rien de particulier qui les distingue. Mais leur moment n’est pas du temps, comme j’ai dit. [461]

Que tout ceci ne vous étonne pas. Il suffit que vous mouriez comme vous pourrez à vous-même, que vous souffriez et soyez comme Dieu vous fera être, et vous verrez que toutes ces choses, sans savoir comment, viendront en votre âme et qu’elle les trouvera en Dieu à mesure qu’elle mourra et sortira de soi. Il n’y a qu’à se laisser peu à peu dénuer et ensuite se laisser être le jouet de la Sagesse divine, soutenant toutes ces choses en soi. Et assurément votre vous-même se perdant, vous trouverez Dieu, toutes choses vous deviendront Dieu et ainsi tout ce que je vous viens de dire se fera en vous.

Recevez toutes les divines lumières qui éclatent et émanent de cette Source, lesquelles seront pour vous faire voir ce qu’il y aura à corriger et rectifier en vous soit au-dehors ou au-dedans. Et l’exécution de cela doit être en la même manière susdite, c’est-à-dire en perte de votre propre et non par effort de vous-même. [462]

Voilà sans y penser un long discours, et beaucoup sur l’état où Dieu vous appelle et où vous ne serez pas sitôt arrivée. Allez, allez, à la bonne heure ! Et soyez forte et constante, car je crois que ce que je vous dis est très vrai et que vous en verrez la vérité si vous êtes fidèle. Ne vous étonnez pas si vous trouvez ici plusieurs choses que vous ne compreniez pas entièrement. Ayez patience et, peu à peu, la lumière divine et essentielle vous éclairera, et par l’expérience en la mort de vous-même vous verrez et découvrirez ce que vous ne pouvez encore comprendre.

§§§b

[460] Il me vient en pensée de vous avertir qu’il est très rare de voir des personnes de grande qualité et spécialement de votre sexe faire progrès en cette grâce. Vous en trouvez plusieurs qui en ont des commencements et où ce don commence, mais peu où il s’avance, encore moins où il se perfectionne. Pour moi, dans cette expérience, j’admire un saint Louis ou une sainte Elisabeth, qui assurément l’ont eu en grande perfection, mais aussi les considérant de près, vous voyez qu’ils se sont très parfaitement précautionnés contre les obstacles que les personnes de qualité ont en cette grâce.

Je remarque donc que les personnes de qualité, pour l’ordinaire sont extrêmement propriétaires de leur volonté, et c’est leur arracher l’âme du corps que de les toucher en cette partie. Elles ont cela dès leur jeune âge et l’ont fomenté et augmenté incessamment, toutes les personnes qui les approchent ne faisant autre chose que de les flatter en cela. Et de plus, ayant par leur état l’autorité de commander et de ne jamais obéir, c’est ce qui fait qu’il est si rare de trouver en elles cette petitesse et nudité d’esprit qui réside spécialement et radicalement en la volonté et qui cependant est essentielle à cette grâce.

D’ailleurs vous remarquerez en elles une [461] humeur et une inclination tellement gluante et courbée vers la créature que si la grâce par violence les a tirées d’une attache, celle-là ne commence pas plus tôt à diminuer qu’une autre recommence sans qu’elles s’en aperçoivent. Et cela, selon ma pensée, parce que leur qualité les a insensiblement tellement pétries en la créature qu’elles ne peuvent subsister qu’en ces suppôts dont elles reçoivent aveuglément les mouvements et de telle manière que la raison en est même offusquée, si bien que quand elles pensent être délivrées d’un piège (qu’elles ne découvrent que quand leur nature commence à s’en saouler) aussitôt elles commencent à être conduites et entraînées par un autre. Ce malheur est épouvantable et sans remède car il prévient la raison et il faut un miracle de grâce pour remédier à ce désordre, à moins de quoi il subsiste jusques à la fin de la vie et cela sans que ces âmes s’en aperçoivent, sinon dans le déclin de telles liaisons et jamais dans le commencement ni dans le progrès.

L’amusement de leur vie dans les créatures par la nécessité de leur condition leur est encore un grand obstacle car elles passent toujours du nécessaire à l’inutile et de l’inutile insensiblement à une perte et profusion grande à moins d’un grand courage pour s’expédier6 avec raison éclairée afin de passer de la créature au Créateur. Enfin elles ont un amour de soi si extrême, ou pour la fainéantise d’esprit, ou pour être louée, ou pour être quelque chose dans l’esprit des autres, que c’est un miracle surprenant qu’elles puissent passer dans le rien qui donne Dieu et par lequel l’âme en jouit. Ce qui fait qu’elles sont toujours à soi-même [462] un objet qu’elles couvent du cœur et des yeux et auquel il ne faut toucher qu’avec respect et délicatesse.

J’ai pris garde avec plaisir que saint Louis et sainte Elisabeth que j’ai étudiés avec plus d’application, ont été très exempts de ces défauts, Dieu ayant pris plaisir de les exercer impitoyablement en cela. Vous en pouvez voir facilement le détail dans les actes de leurs vies, et assurément vous conviendrez de la vérité de ce que je vous dis par précaution afin que vous ne vous regardiez pas par vos yeux propres, mais par l’aide de ceux de Jésus-Christ qui pénètrent plus avant et avec vérité mais pour les nôtres c’est toujours (à moins d’un miracle) avec un amour secret pour soi-même.

Les personnes de médiocre condition ont quelque chose de ce que je viens de dire mais non si foncièrement et avec un si profond et délicat amour de soi comme les personnes de qualité. C’est ce qui est cause qu’elles sont plus ajustées et arrivent plus tôt à cette grâce, à moins que les personnes de qualité ne fassent de très grands efforts et n’emportent de très grandes victoires sur soi, ce qui est encore très difficile à cause de l’humeur changeante et variable qui leur est fort ordinaire.

Pour les pauvres, ils ont un avantage admirable : ils sont déjà faits aux coups et quand la grâce devient forte elle les trouve déjà tellement appropriés à Jésus-Christ à cause de leur humilité, pauvreté, soumission et le reste, qu’il n’y a qu’à faire voile. C’est comme un vaisseau déjà équipé et qui n’attend que le vent en poupe pour cingler en pleine mer.

Voyez et revoyez ceci, et cela ne vous nuira [463] pas, mais au contraire vous servira infiniment et vous précautionnera contre des choses que vous ne remarqueriez peut-être que bien tard.

Je crois encore qu’il ne sera pas hors de propos que vous fassiez quelques réflexions sur certains défauts assez communs aux personnes de votre condition, souvent sans qu’elles le veuillent et y fassent réflexion : elles sont toujours quelque chose dans leurs idées et vous ne sauriez croire combien il est difficile d’effacer cette fausse idée d’une femme de qualité, si bien que c’est toujours un empêchement essentiel au néant par lequel l’âme est perdue en Dieu et par lequel elle en jouit. On juge toujours faussement, se conduisant par ce que les sens voient, qui sont trompeurs ; et comme les personnes de qualité sont distinguées des autres, aussi, insensiblement, suivent-elles la tromperie de leurs sens au lieu de se servir de la foi, qui est la lumière véritable et qui juge au vrai des choses. Si elles consultaient la foi, elles verraient que les pauvres, par leur grande ressemblance à Jésus-Christ (en qui est la complaisance du Père Eternel), sont plus dans son agrément, et de cette manière plus dans l’estime de Dieu que les riches, ce qui fait qu’ils sont plutôt quelque chose que les personnes de qualité. C’est la cause pourquoi Dieu traite avec respect un pauvre, je ne dis pas un pauvre seulement de corps, mais qui est aussi pauvre de cœur dans sa pauvreté corporelle, car de cette manière il est humble et a une infinité de suites que la pauvreté de Jésus-Christ mène avec soi dans un vrai pauvre.

De plus, quand les femmes désirent quelque chose, pour l’ordinaire elles y vont tête [464] baissée, sans aucune réflexion raisonnable ni aucune modération par le conseil et vont ainsi tant que la terre les porte, ce qui est cause d’un million de défauts. Tout au contraire, quand quelque chose les incommode, c’est une fourmillière de réflexions qui les embarrassent et leur entortillent l’esprit si bien qu’elles sont raisonnables sans raison quand il ne le faut pas, ayant pour lors besoin de la vraie simplicité chrétienne qui les soutienne en repos vers Dieu, et elles sont déraisonnables quand il faut qu’elles soient raisonnables. Car dans tous les desseins il faut toujours suivre un bon conseil afin de modérer le feu, la vivacité et la précipitation de l’esprit du sexe.

Vous voyez comment je vous parle simplement, mais en vérité le désir que j’ai que vous fassiez grand fruit du don que Dieu vous a donné me fait passer les bornes d’une prudence purement humaine, sachant la difficulté que l’on a à se démettre de tous ces défauts, nonobstant toutes les précautions et lumières de conseil.

Quoique ma méthode ne soit pas de faire des citations, renvoyant plutôt à la lecture des livres sans les copier, je n’ai pu cependant en finissant cette longue lettre m’empêcher de vous faire faire une réflexion sur une chose très particulière. C’est une déclaration que la très digne mère de Chantal fait de son intérieur à son très saint Père, saint François de Sales. C’est donc une âme fort éclairée et expérimentée dans les voies de Dieu qui écrit à un saint très éclairé et expérimenté, non seulement selon le sentiment des sages mais encore du saint-Esprit, la sainte Église l’ayant déclaré saint et sa doctrine très sainte. [465]

Cette déclaration est telle :

« Mon très cher Père, je ne sens plus cet abandon et cette douce confiance, et je ne peux plus faire aucun acte ; cependant il me semble que mes dispositions présentes sont plus solides et plus fermes que jamais. Mon esprit se trouve en une très simple unité quant à sa partie supérieure. Il ne s’unit pas, parce qu’aussitôt qu’il veut faire un acte d’union, ce qu’il tente trop souvent, il y sent de la difficulté et connaît clairement qu’il n’est pas nécessaire de s’unir mais de demeurer uni. Mon âme ne veut autre chose que cette union pour lui servir d’exercice du matin, de la sainte messe, de préparation à la communion et d’action de grâces. »

Prenez garde à chaque parole, cette déclaration étant très forte et disant en peu de mots tout ce que j’ai dit avec un plus long discours — c’est la même chose plus développée. Car vous devez remarquer que cette unité a des degrés à l’infini et de cette sorte, quoique l’âme y soit arrivée, elle y va et quelquefois y court sans y trouver ni fond ni rive. Cette unité a un commencement mais jamais de fin. Elle se consomme seulement en l’Eternité. Et heureuse l’âme qui peut dès cette vie vivre en unité, mais encore plus heureuse celle qui se perd et enfin très heureuse celle qui est perdue sans plus se trouver soi-même ! Il est vrai qu’afin que cela soit en tout point, il faut que les croix, les pertes et les précipices [466] soient et deviennent la nourriture de telle âme. 16 727.

– Mme Guyon, Lettres chrétiennes et spirituelles, Nouvelle édition [par J.-Ph. Dutoit-Mambrini], Londres [Lyon], 1768, t. IV, Lettre « d’un grand serviteur de Dieu » qui suit la Lettre CXXI que nous abrégeons par D 4 121, adressée au baron de Metternich. – Le Directeur mystique, vol. III, lettre 67, pages 438 ss. que nous abrégeons par 3,67 DM438).

Nous reproduisons la lettre en suivant le texte donné par la Correspondance de Madame Guyon par Poiret en 1716 qui constitue la première édition, reproduite très fidèlement par Dutoit. Dans cette lettre, Mme Guyon donne la précieuse indication suivante soulignant la filiation spirituelle : « Je vous envoie une lettre d’un grand serviteur de Dieu qui est mort il y a plusieurs années. Il était ami de monsieur de Bernières et il a été mon Directeur dans ma jeunesse. » Elle est précédée par le titre-annonce suivant : « Lettre d’un grand [b] Serviteur de Dieu, dont il a été fait mention dans la précédente, sur la même matière, et de l’état où l’on trouve que Dieu est toutes choses en tout. » Ce titre est accompagné de la note suivante de Poiret : « [b] C’était un saint gentilhomme nommé Monsieur Bertot, dont on a plusieurs autres lettres qui n’ont pas encore été rendues publiques. »

Nous y ajoutons la suite qui ne faisait pas partie de l’envoi au baron de Metternich — cette suite fut adressé à Madame Guyon comme convenant aux personnes « spécialement de votre sexe », v. son début — qui figure dans le DM, III, toujours sous la « Lettre 67 », à partir du § 22 (sic : on saute du § « 20. … comprendre » au § « 22. Il me vient… » ; nous ne reproduisons pas ici les numéros de paragraphes). Elle est séparée nettement de ce qui précède par une marque interlinéaire §§§ reprise ici.

aserait (inutile, add.) vagabonde DM

bmarque interlinéaire entre la lettre et sa suite du DM.

1 Matthieu, 11, 30 : « Car mon joug est doux, et mon fardeau est léger. » (Amelote).

2 Au sens de propriété.

3 Sans doute les Vies des saints Pères des déserts, traduites par Arnauld d’Andilly (1647-1653), souvent rééditées.

4 Luc, 2, 51 : « Il s’en retourna néanmoins avec eux à Nazareth : et il leur était soumis, et sa mère conservait toutes ces choses dans son cœur. » (Amelote).

5 « Ce qui, hors de cet état, n’est pas une manière de conduite ordinaire. » (note de Poiret).

6 Au sens de travailler à l’exécution [du détachement des créatures] avec rapidité.

7 La jeune Madame Guyon a vingt-quatre ans. Cette lettre suppose une grande expérience de la vie intérieure et l’on devine le problème posé par ses écrits à venir (elle aura plus de trente-six ans lorsqu’elle écrira les Torrents) qui traitent de la vie mystique sans s’étendre sur quelque transition préparatoire.

De J. Bertot. Avant octobre 1674. [2,06 DM]

Je serais bien confus d’être si longtemps sans vous répondre, si Notre Seigneur n’était par Sa bonté ma caution. En vérité Il me détourne tellement des créatures que j’oublie tout, volontiers et de bon cœur. Ce m’est une corvée étrange que de me mettre la main à la plume, tout zèle et toute affection pour aider aux autres m’est ôtée, il ne me reste que le mouvement extérieur : mon âme est comme un instrument dont on joue ou, si vous voulez, comme un luth qui ne dit ni ne peut dire mot que par le mouvement de Celui qui l’anime. Cette disposition d’oubli me possède tellement, peut-être par paresse, qu’il est vrai que je pense à peu de chose, ce qui fait que je suis fort consolé qu’il se trouve des serviteurs de Dieu pour aider aux autres afin que je demeure dans ma chère solitude en silence et en repos. Ne vous étonnez donc pas que je sois si longtemps à répondre à vos lettres.

Pour commencer de le faire, je vous dirai que le Bon Dieu vous ayant donné le désir d’être toute à Lui, vous n’y arriverez que par les sécheresses, les pauvretés et la perte de toute chose : cela est bientôt dit mais non pas sitôt exécuté ! Cependant il faut mettre la main à l’œuvre et aller par où Dieu vous conduit de moment en moment et vous verrez par [27] expérience qu’Il ne manquera de vous donner des sécheresses. Quand cela sera, supportez-les, car par là on arrive à ce que Dieu veut de l’âme. Vous verrez aussi que selon votre fidélité Dieu ne manquera jamais à vous donner des occasions à vous perdre à vous-même, aux créatures, et même à ce qui vous paraîtra être de Dieu à quoi vous pourriez vous arrêter et qui pourrait vous empêcher d’avancer davantage vers Lui.

Ne vous étonnez donc pas si vous vous voyez fort obscure, incertaine et sans avoir rien de Dieu qui vous console et qui vous donne des marques qu’Il vous aime et que vous L’aimez. Tout cela doit être reçu et non désiré et, si l’âme n’a rien et qu’il paraisse absolument qu’elle sert Dieu à ses dépens et sans consolation, tant mieux, car cela est plus avantageux pour rencontrer plus promptement Dieu. Il faut faire avec fidélité ce que Sa bonté désire de vous, soit pour votre oraison, soit pour la présence de Dieu dans le jour et la pratique des vertus dans l’état où Il vous a mise. Tout cela se doit pratiquer et exécuter sans rien attendre, soit lumières ou goûts ; et de cette manière, un jour vaudra mieux qu’une année où l’on nourrit la nature par la lumière et les goûts que l’on se procure adroitement.

J’ai bien de la consolation de ce que vous avez changé de conduite pour votre ménage et pour monsieur votre Mari. On se trompe très souvent sur ce sujet par une fausse ferveur et l’on ne fait point usage d’un moyen de mort qui est infiniment précieux. Vous savez ce que je vous ai dit sur cet article. Je dis de plus que la divine Providence vous ayant liée à un ménage [28] et à un mari, désire que vous vous serviez de telles providences pour mourir souvent à vos saints projets et à vos dévotions, car agir de cette manière, c’est quitter une chose sainte pour le Dieu de la sainteté. Et, en vérité, quand les providences de notre état quelles qu’elles soient sont bien ménagées, c’est le chemin raccourci et c’est trouver Dieu par Dieu même. Il est vrai qu’il n’y a rien de plus commun, il n’y a cependant rien de plus caché. C’est le Mystère de Jésus-Christ et que Jésus-Christ seul peut révéler. Et voilà pourquoi un Dieu Sauveur des hommes est et devient un pauvre enfant, ensuite un pauvre garçon selon l’état et la condition dans laquelle la divine Sagesse l’avait mis, Le faisant naître Fils de la sainte Vierge et de saint Joseph en apparence. Ô qu’il y a de profondeur en cette conduite ! Et jamais une âme n’arrive à un état surnaturel et à la divine source d’eau vive que par la fidèle pratique de son état et condition, ce qui insensiblement surnaturalise tout en elle et rend tout ce qu’elle fait comme une eau qui coule d’un rocher.

L’âme ne peut comprendre comment une vie si stérile de ferveurs et si dépourvue de grandes actions et avec une dureté qui tient de l’insensibilité de rocher peut donner une eau si claire et cristalline. Cependant jamais les choses ne seront autrement, soit dans le monde ou dans la religion, puisque ce qui n’est pas de cette manière, soit dans l’un ou l’autre état, nourrit secrètement la propre volonté, la suffisance et l’orgueil, et ainsi tarit peu à peu la grâce, quoiqu’il paraisse que l’on soit animé de ferveur et de zèle ; et tout au contraire, la mort causée et opérée par le Mystère caché de notre [29] condition, en nous étranglant cruellement et impitoyablement par la perte de tout ce que nous voulons et désirons, nous insinue la grâce et nous fait participants d’une secrète vie divine que l’âme ne peut presque jamais découvrir en elle, Dieu par Sa bonté suspendant toujours la lumière afin que la mort et la croix cruelles fassent mieux ce que Dieu désire.

Ne vous étonnez pas si je vous parle de cette manière. Vous avez vécu jusqu’ici en enfant avec bien des ferveurs et lumières.  :

: Mangez incessamment de ce pain en vous laissant dévorer aux providences qui vous seront toujours heureuses pourvu que vous soyez fidèle à les souffrir et à tout perdre. Lisez et relisez souvent ceci car c’est le fondement de ce que Dieu demande de vous. Et puisque Dieu vous donne le mouvement de vous servir de moi et qu’Il veut que je vous aide, je le ferai tant que votre âme travaillera sur le fondement que je vous donne, car à moins de cette fidélité et de ce courage mon âme ne pourrait avoir de lumière pour vous parler et assister.

Sur ce que vous me dites en votre dernière lettre :

(1) —Vous devez observer que si le Bon Dieu vous donne des lumières ou des instincts sur les Mystères du Temps1, vous pouvez vous y appliquer par simple vue et recevoir de Sa bonté ce qu’il Lui plaira de vous donner ; et si votre âme n’a aucun désir de cette application il ne faut que continuer votre simple occupation.

(2) – Continuez votre oraison quoique obscure et insipide. Dieu n’est pas selon nos lumières et ne peut tomber sous nos sens.

(3) – Conservez doucement ce je ne sais quoi [30] qui est imperceptible et que l’on ne sait comment nommer, que vous expérimentez dans le fond de votre âme ; c’est assez qu’elle soit abandonnée et paisible sans savoir ce que c’est.

(4) – Quand vous êtes tombée dans quelque infidélité, ne vous arrêtez pas à la discerner et à à y réfléchir par scrupule mais souffrez la peine qu’elle vous cause, [ce] que vous dites fort bien être un feu dévorant qui ne doit cesser que le défaut ne soit purifié et remédié.

(5) – Pour la douceur et la patience, elles doivent être sans bornes et sans mesures. Souffrez tout ce que la divine Providence vous envoie avec fidélité. Pour le manger vous avez assez de prudence et ne vous mortifiez pas trop en vous en privant car vous en avez besoin.

(6) – Pour les pénitences, la meilleure que vous puissiez faire est de les quitter ; mais au lieu de cela, ayez une grande exactitude à tout ce que je viens de vous dire : le temps des autre pénitences est encore bien loin.

(7) – Soyez fort silencieuse mais néanmoins selon votre état, c’est-à-dire autant que la bonne conduite vous le marque, en observant ce que vous devez à un mari, à vos enfants et à tout votre ménage, ce qui est un devoir indispensable.

(8) – Ce que vous me dites est très vrai que vous êtes bien éloignée du but : prenant bon courage en mourant à vous, vous y arriverez mais non sans peine et grand travail. Pourvu que vous soyez fidèle, je ne vous manquerai pas au besoin pour vous aider à vous approcher de Dieu promptement.

(9) – Vous expérimenterez très assurément que plus vous travaillerez de cette manière, [31] plus vous vous simplifierez et demeurerez doucement et facilement auprès de Dieu durant le jour quoique dans l’obscurité : au lieu de vous nuire, cela vous y servira. Perdez autant que vous le pourrez toutes les réflexions en vous abandonnant à Dieu.

(10) – Quand vous avez fait des fautes et que vous y avez remédié de la manière que je vous ai expliquée ci-dessus, ne vous mettez point en peine si vous les oubliez, et au contraire oubliez-les par retour simple à Dieu sans faire multiplicité d’actes.

Je suis tout à vous en Notre Seigneur.

– 2,06 DM. Cette lettre précède certainement la mort de son mari datée de juillet 1676 : « J’ai bien de la consolation de ce que vous avez changé de conduite pour votre ménage et pour monsieur votre mari… » Elle précède probablement la mort de la mère Granger datée d’octobre 1674 si l’on admet que l’ordre d’édition respecte la chronogie : une lettre qui suit fait allusion à l’aide intérieure apportée par cette dernière.

On sait par la Vie que le quotidien de la jeune Madame Guyon ne fut pas facile. Le « décalogue » final qui associe heureusement rigueur, précision et encouragement implicite semble indiquer que cette lettre se situe au début de la conduite par Monsieur Bertot, lorsque la dirigée, ayant déjà franchi une période de découverte savoureuse, rencontre les premières difficultés, surtout extérieures (« nuit des sens »), et a besoin de s’appuyer sur une règle de conduite.

1 Temps liturgique.

De J. Bertot. Avant octobre 1674. [2,25 DM]

Il faut que vous preniez courage : ne vous étonnez pas si vous êtes si bouleversée et que vous perdiez votre route. Ayez patience, et pour toute assurance en cet état et au milieu de vos obscurités et insensibilités, soutenez-vous seulement par l’abandon et par la fidélité à exécuter ce que l’on vous marque d’extérieur. C’est bien marcher que d’aller par un chemin que l’on ne connaît pas et même d’aller sans s’en apercevoir. Tout le mal est que la nature est toute encline à réfléchir : on ne croit pas pouvoir être en assurance si l’on ne s’y voit et que l’on ne s’y sente.

La vraie dévotion est de mourir à sa volonté et conduite propre par l’état que la divine Providence nous a choisi, nous laissant entre les mains de la divine Providence comme un morceau de bois en celle d’un sculpteur pour être taillée et sculptée selon son bon plaisir. Il faut bien savoir que cela s’exécute assurément par l’état de votre vocation : les ouvriers qui doivent travailler à faire cette statue sont monsieur votre mari, votre mère, vos enfants, votre ménage. .Et assurément si vos yeux [120] s’ouvrent à la divine lumière, vous verrez que cet ouvrage est admirable.

Ceci est un secret que la seule lumière divine découvre et il est difficile de l’entendre à moins de participer à cette divine lumière de foi. Les autres connaîtront et goûteront la dévotion en priant Dieu et en faisant des œuvres de piété. Cela est bon aux âmes qui n’ont pas de part à la lumière de foi ou à la lumière divine. Mais pour celles qui l’ont, elles s’appliquent à leur état et par là elles font et opèrent la mort comme chose absolument nécessaire pour donner lieu à l’argumentation et à l’accroissement de cette lumière, laquelle étant encore petite est incertaine et fort obscure, de manière qu’il faut marcher par elle et par ce que l’on nous dit, sur la foi d’autrui. Mais si vous êtes fidèle et qu’elle s’augmente beaucoup, vous verrez vous-même ce que je dis et vous estimerez le bonheur que vous possédez, puisque par là vous pouvez être formée et taillée par la bizarrerie, par la peine, la contrariété et ce qui arrive de moment en moment en votre état, qui pourra opérer un travail autant relevé que votre foi sera grande par la fidélité à en faire usage.

Je vous le dis encore une fois : il n’y a que la vérité divine de la foi qui découvre ce secret et qui puisse attacher et fixer l’âme dans ce divin et admirable travail. Ne vous étonnez point si vous n’y êtes pas si tôt maîtresse ; vous ferez bien des essais avant que de réussir, mais cela étant, vous trouverez votre âme préparée admirablement pour la foi qui vous donnera peu à peu la présence de Dieu et l’oraison.

[121] Ne laissez pas de prendre votre temps d’oraison de la manière que nous l’avons arrêté. Allez généreusement au travers des obscurités, peines et incertitudes, soit à l’oraison ou hors l’oraison ; et quoique vous croyiez n’y rien faire ou vous tromper, poursuivez sans vous inquiéter.

Vos passions ni vos inclinations ne sont pas mortes, il s’en faut bien : c’est pourquoi vous tomberez et retomberez, mais par là vous apprendrez à vous connaître et à vous combattre utilement. Quand les passions se réveillent fortement, ne vous embarrassez point à examiner si vous y avez offensé Dieu ou non : si la chose vous est claire faites-là, si vous en êtes incertaine ne vous accoutumez pas à examiner et à tant réfléchir. Allez bonnement avec Dieu et ne pensez pas à ce qui vous fait de la peine, l’abandonnant à Dieu afin de devenir généreuse et résolue.

Ayez soin de vos enfants et domestiques et quand ils ont failli corrigez-les ; quoiqu’il vous paraisse quelquefois un peu d’émotion, ne vous en mettez pas en peine, faites-le toujours avec charité et douceur mais aussi avec force quand il est nécessaire. Soyez fort complaisante à monsieur votre mari, lui faisant voir que vous avez plus de joie d’être avec lui et de lui obéir que de toutes les autres choses que vous pourriez faire. Cependant quand vous jugerez que les choses ne lui désagréeront pas, vous pouvez les lui représenter quand il y a nécessité.

– 2,25 DM119).

De J. Bertot. Avant octobre 1674? [2,26 DM)

Dans tous les avis et dans toutes les pratiques il faut un milieu, à moins que l’expérience ne fasse voir autre chose. C’est pourquoi quand je vous ai dit que vous deviez dire vos raisons à monsieur votre mari, j’entends suavement, humblement, et dès que vous croyez que l’effet ne réussit pas, cessez aussitôt humblement et adroitement. Les [mot omis] purement humains sont déraisonnables, et il est bien difficile de s’assujettir à leur humeur à moins que de prendre par grâce toutes figures : la prudence chrétienne vous doit instruire en cette rencontre.

Pour ce qui est de cette créature servante vous ferez mieux de ne prendre à tâche de la corriger : souffrez et vous en servez pour mourir à vous-même, et si elle en devient à la suite trop insolente, vous pourrez lui dire quelques mots de correction1, mais rarement et avec grande prudence. Il vaut mieux véritablement mépriser ces boutefeux que s’amuser à les contredire, cela les humilie davantage. La paix dans votre mariage est l’ordre de Dieu préférable à tout : votre mari désire cela.

Souffrez avec abandon, quoique sans abandon qui vous satisfasse, les sécheresses et les [123] rebuts qui vous arrivent. Convainquez-vous bien une bonne fois que les sécheresses, les rebuts de Dieu, les défauts expérimentés et une infinité de choses qui suivront infailliblement cela — [à] savoir : des défauts plus fréquents, des divagations, les passions plus faciles à s’émouvoir, l’insensibilité plus ordinaire et le reste qui met l’âme dans un procédé naturel dans lequel il faut faire tout à force de bras sans agrément ni de Dieu ni de soi-même, au contraire en perdant tout2 - que tout cela, dis-je, étant soutenu humblement et en confiance, c’est-à-dire en faisant ce que l’on doit faire et en souffrant ce que l’on a à souffrir sans se mettre en peine que Dieu le regarde et qu’il soit bien, étant fait de notre mieux, est très fructueux et à la suite très utile. On peut par là sortir de soi et de ses défauts et par conséquent arriver à Dieu, plus en un mois que, par les douceurs, les assurances des vertus, du goût et de l’agrément de Dieu, en plusieurs. Cependant cela est très peu connu. C’est ce qui est cause que l’on en fait peu de fruit et que l’on demeure toujours autour de soi. Ne vous pardonnez rien durant ce temps car c’est pour lorsque Dieu laboure en votre terre pour en recueillir à la suite les fruits des vertus et autant devez-vous être fidèle pour travailler à les avoir, quoique sans effet à ce qu’il paraît.

Pour ce qui est de la confession, en ce temps brouillé et renversé, il faut seulement y dire ce que vous voyez de plus clair, et le reste d’inconnu et de brouillé ne laisse pas d’y être remédié. Il faut vous habituer à une grande netteté et liberté en ce divin sacrement : deux ou trois choses [124] principales, c’est assez ; pour le reste il suffit d’en être humilié.

Habituez-vous autant que vous pourrez aux vigilances nécessaires dans votre état : tels ressouvenirs sont de l’ordre de Dieu et ne gâtent jamais rien en quelque état que l’âme soit, mais quand par un vrai oubli on a laissé quelque chose, il ne faut pas s’en inquiéter mais en être humilié.

Ne vous étonnez pas que, plus vous voulez vous donner à Dieu, plus vous travaillez pour cet effet efficacement et avec courage, plus aussi vous expérimenterez votre corruption de votre côté. C’est un signe que la lumière s’augmente qui vous découvre ce qui était déjà et que vous ne voyiez pas, ce qui vous le rend sensible, ces choses étant insensibles de soi : c’est la lumière de Dieu qui secrètement les découvre. Ce n’est pas que vous soyez ni plus colère, ni plus prompte, ni généralement ce que vous expérimentez présentement. Autrefois vous y étiez et vous vous laissiez emporter sans le voir ni le discerner, mais présentement que vous voulez un peu travailler de la bonne manière, vous le voyez et vous le sentez davantage. Et plus vous travaillerez à la destruction de vos défauts, plus aussi la lumière de Dieu s’augmentera et vous découvrirez encore davantage et sentirez plus puissamment et avec plus d’incommodité et d’inquiétude vos défauts, la corruption de votre naturel et de tout vous-même. Et cette lumière et découverte de vos défauts avec sentiments véritables ne cessera d’augmenter, si vous êtes fidèle autant que la lumière s’augmentera, jusqu’à ce [125] que la pureté de votre âme soit suffisamment augmentée pour que cette lumière ne vous soit plus si pénible. La lumière du soleil qui donne dans un œil malade lui fait voir avec peine les objets : cette peine ne vient pas de la lumière mais du mal de l’œil. Ainsi en est-il de la lumière de Dieu : elle est toujours et en tous temps suave quant à soi, mais comme elle trouve au commencement une âme impure tournée vers soi, pleine d’elle-même et remplie d’une infinité d’autres maux que la lumière rencontre, cela la rend pénible à l’âme. Mais quand l’âme par un courage généreux ne se laisse pas abattre, mais plutôt s’encourage pour combattre tous les défauts qu’elle découvre de jour en jour, elle vient peu à peu à bout de son impureté et ainsi guérit ce mal et cette peine en remédiant à ses défauts et en tendant à la pureté et à la rectitude de la lumière divine.

Voyez par tout ce discours que ce n’est pas une chose nouvelle que vous découvriez vos défauts, car ils étaient. Et tout ce que vous avez à faire, c’est d’être bien reconnaissante de la lumière de Dieu et de mettre la main à l’œuvre afin de vous en défaire peu à peu et de les corriger, mais avec une longue patience et longanimité et non avec précipitation comme la nature voudrait. Car au fait de voir et de découvrir ses défauts, la nature se voyant imparfaite crève, et par fougue elle voudrait venir à bout tout d’un coup de ce qui l’incommode et des défauts qu’elle découvre ; et quand l’âme se laisse conduire par ce sentiment naturel, pour l’ordinaire le découragement suit et à la suite l’on voit le mauvais état des instincts de la nature [126] qui a mal usé de la grâce. Au contraire, ce qui est de Dieu et de grâce est patient et longanime3, insinuant à l’âme qui se gouverne par son moyen les sentiments d’humiliation et d’humilité pour avoir patience dans sa pauvreté et misère, pour travailler ainsi peu à peu mais avec courage et sans relâche à ruiner le rocher de notre propre corruption.

Ce que vous me dites de votre humeur contrariante est une chose très vraie en vous à laquelle vous devez beaucoup travailler afin d’acquérir une humeur vraiment complaisante et agréable, ce qui sera fort difficile car il faut saper la nature dans son fondement et par grâce devenir autre que l’on n’est. Cependant une telle humeur contrariante commet sans y penser quantité de défauts et n’arrive jamais à la perfection que Jésus-Christ demande d’un cœur, d’autant qu’il y a une impureté perpétuelle avec le prochain par la différence des inclinations. La promptitude de votre naturel est la cause de ce premier défaut, laquelle il faut tâcher de rectifier par une douceur et une patience grandes. Mais combien la nature pâtira-t-elle en elle-même avant que cela soit ! Cependant vous devez vous observer par une longue et grande fidélité sur vos actions, vos paroles et vos desseins, afin de vous posséder en tranquillité, et de cette manière rectifier peu à peu cette promptitude et calmer ce torrent qui assurément est cause de quantité d’imprudences et de défauts, et qui met à la suite un empêchement trop grand à l’opération divine. Par là vous remédierez à quantité de paroles inutiles et qui sont [127] précipitées, quoique non des mensonges, d’autant que mentir c’est dire contre son sentiment.

De plus vous empêcherez beaucoup de productions de l’amour propre qui s’exhale merveilleusement et avec plaisir par ces sortes de promptitudes qui insensiblement salissent l’âme et encore plus dangereusement moins l’on s’aperçoit pour l’ordinaire des méchantes productions du naturel, lequel n’étant pas rectifié avec la lumière divine comme il faut dans le commencement se mêle malheureusement et demeure avec la même lumière. Et de cela se fait un mélange qui est un monstre fâcheux qui à la suite a des productions en l’âme très malignes et très opposées à Jésus, ce qui était facile au commencement à déraciner et à extirper par la grâce et par la lumière de Dieu, d’autant qu’elle découvrait tels défauts. Mais, ne l’ayant pas fait en son temps et ce naturel avec ses effets étant demeuré comme caché sous la grâce et la lumière (outre qu’il en diminue beaucoup), à la suite il a sa production et se découvre ; et comme souvent ce n’est pas un péché qui soit grief4, il demeure avec la grâce et la lumière, et ainsi se fait un mélange que, sans un miracle, l’on ne peut jamais extirper et détruire quand l’âme est beaucoup avancée et que la lumière est beaucoup [ac] crue, par la raison qu’en ce temps on prend souvent les mouvements de la nature pour ceux de la grâce et les qualifie ordinairement ainsi.

Le seul remède que je trouve quand ce malheur est arrivé est que Dieu donne à une âme déjà avancée beaucoup dans la lumière de Dieu — et qui n’a pas combattu son naturel et [128] ses défauts au commencement qu’il était temps — une personne d’une lumière beaucoup plus avancée, qui lui découvre ses défauts et les inclinations naturelles mélangées avec la grâce. Sans quoi l’âme même ne le fera jamais par la raison des inclinations qu’elle a pour elle-même. Le degré de lumière de Dieu l’a même augmentée encore plus subtilement, si bien que les recherches propres d’une âme éclairée sont plus fines et plus délicates sur soi sans comparaison que d’une autre non éclairée. Et ainsi, vous voyez la difficulté qu’une âme qui n’a pas combattu son naturel et ses inclinations dans le temps qu’elle avait la lumière pour cet effet, rencontre à [par] la suite.

Pour moi, j’ai vu qu’il est comme impossible qu’une âme qui est déjà avancée dans la lumière puisse revenir sur ses pas par la même lumière pour s’en servir à faire ce qu’elle aurait fait dans le commencement et rectifier ainsi par un état supérieur les défauts de l’inférieur. C’est en quelque façon obliger un homme d’un âge déjà avancé de rentrer dans le ventre de sa mère pour y devenir enfant. Cependant il se peut, quand une âme devient assez petite et assez souple pour devenir enfant afin de voir et de travailler par la lumière d’autrui — car c’est ce seul moyen que je vois pour pouvoir faire voir distinctement les défauts du naturel et des inclinations mélangées avec la lumière et la grâce, non combattues et détruites dans le commencement.

Quelqu’un me pourrait dire que, s’il y a beaucoup de lumière et d’oraison, telle grâce doit découvrir ces défauts. Je réponds que non, et que ce qu’elle découvre est seulement une [129] inquiétude générale avec une peine sujette à tomber et retomber, mais non une vue distincte avec une facilité pour s’appliquer aux défauts du naturel et des inclinations, ce qui était facile au commencement. Cela cause un million de maux pour l’intérieur, qu’il n’est pas nécessaire de dire présentement. Tout ce que je vous ai dit ici a été seulement pour vous faire voir la conséquence infinie de travailler et faire usage de la lumière en son commencement, découvrant et éclairant l’âme pour se connaître et par conséquent pour travailler à soi-même afin de se rectifier et s’ajuster sur les inclinations de Jésus.

Remarquez qu’au fait de la lumière qui fait voir les défauts pour les combattre en son commencement, plus elle est poursuivie et plus l’âme est fidèle, plus aussi découvre-t-elle de défauts, ce qui doit encourager, car plus on se connaît, plus on se doit haïr et travailler à se défaire de soi. Les âmes qui ne savent pas ce procédé de la lumière insensiblement se découragent, voyant que plus elles travaillent moins elles font, à ce qu’il leur paraît, et ainsi elles retournent en arrière. Ne faites point de cette manière. Travaillez fortement et augmentez votre désir et votre travail, plus vous vous voyez et vous découvrez imparfaite : portez-en l’abjection et aimez que les autres voient votre misère et convainquez-vous bien que, plus vous vous verrez pauvre et imparfaite, travaillant à vous en défaire, plus Dieu s’approchera de vous. Et quoique souvent le sentiment de Son éloignement vous fasse peine, Son éloignement est Son approche, pourvu qu’avec patience [130] et humilité, vous travailliez pour vous purifier.

Dans ce temps que la lumière travaille à nous purifier et que l’âme y correspond de sa part de son mieux, la présence de Dieu n’est pas facile et suave. Il suffit à l’âme d’avoir quelques amoureux retours qui marquent à Notre Seigneur ses désirs, car l’occupation à laquelle Dieu l’applique dans son état et condition lui est dans l’ordre de Dieu Sa présence. Ainsi il faut s’y perfectionner et s’y appliquer, et elle prouvera par la suite que la pureté intérieure, ayant élevé l’âme, la rendra capable de la présence de Dieu en agissant et en exécutant Son ordre, et qu’elle lui sera facile dans le même ordre, — ce qui n’était pas au commencement —, l’ordre de Dieu pour lors étant Sa présence.

Quand on ne sait pas bien le procédé de la grâce, on est souvent étonné des fougues de la nature que l’on combat, jusque-là même que beaucoup prennent pour les instincts du diable ce qui n’est cependant très souvent que l’effet d’une nature opprimée, mal contente, qui n’a pas son compte soit en soi, soit vers Dieu. Tout ce qu’il y a à faire c’est d’avoir patience et de la combattre avec générosité, toutes ces sortes de productions étant une manifestation de ce qu’elle est et ainsi une découverte de ce qu’il y a à combattre. Ce qui étant fait comme il faut, l’âme trouve à la suite que, quoiqu’elle crût n’avoir point de présence de Dieu en ce temps et en être tout au contraire indigne, Dieu étant fâché contre elle, elle voit que la destruction de la nature et de ses inclinations par la pureté qu’elle acquerra en combattant et en souffrant, lui devient un beau calme. Et ainsi elle trouve [131] et découvre ce qu’elle ne pouvait au commencement, quelque effort qu’elle se fît, qu’envisager seulement en passant.

Enfin il ne faut pas se tromper : chaque chose a son commencement, son progrès et sa fin, et faire une confusion de ces trois degrés c’est tout gâter. Le commencement de la perfection, c’est la destruction véritable de soi-même et de ses inclinations : c’est pourquoi toutes les lumières et les grâces qui sont données en cet état sont pour cela uniquement, et qui voudrait y mélanger les autres degrés y perdrait tout. Travaillez donc et remplissez la grâce de ce premier degré, mettant les fondements avec générosité comme il faut, et vous verrez et expérimenterez que l’ayant fait de la bonne manière, et avec ordre, les autres degrés suivront ; et si cela n’était, vous ne verriez jamais d’ordre mais toujours une confusion pénible et ennuyeuse.

Vous devez avoir pour un principe général qui vous doit infiniment servir jusqu’à la fin de votre vie, de vous défier incessamment de vos sentiments, de vos vues et inclinations, d’autant qu’il y a dans la créature un amour propre si secret et une telle délicatesse pour soi-même qu’il est inconcevable, à moins d’une grande lumière de Dieu, et impossible de pouvoir exprimer jusqu’à quel point qu’il faut être pour en être à couvert. Jugez donc comment on doit être au commencement que l’on travaille et combien il faut s’éloigner des sentiments d’estime et d’inclination pour soi, et avoir pour suspectes toutes les inclinations que l’on a et où il y a quelque regard de soi et de ce qui nous regarde ; et encore plus au fait des choses de Dieu [132] quand l’âme commence d’être plus avancée qu’au commencement où elle est tout entièrement dans les sens et dans le péché. Car si l’on n’y prend garde et que l’on n’ait un combat très rigoureux et généreux contre son amour propre pour se haïr et ne se rien pardonner, cet amour propre se spiritualise et se nourrit aussi bien des choses de Dieu, comme dans les sens des choses du monde ; et ainsi, n’y prenant suffisamment garde, secrètement il s’accroît, se dilate et s’augmente, avec cette différence seulement qu’il se cache plus finement et se couvre plus adroitement des prétextes et des inclinations saintes. Mais plus il est caché et raffiné, plus il est intime, ce qui fait que sans y penser, faute de s’être assez bien connu et combattu au commencement, on a nourri dans son sein un ennemi qui, quoique déguisé sous l’apparence de quelque piété, est plus orgueilleux, plus amoureux de soi, plus suffisant et plus méprisant les autres qu’il n’était dans le commencement ouvertement. À découvert, dans le sensible, on avait peur de lui, car il était habillé en loup dévorant, mais ensuite il se travestit en avançant dans les pratiques de la piété et les exercices de dévotion, si on ne le poursuit à outrance, le découvrant tel qu’il est, quoique déguisé.

Je vous dis tout ceci afin de ne plus jamais plus le redire, et pour vous avertir une bonne fois qu’au fait de vous persécuter et de mourir à vous-même vous ne devez ni consulter ni suivre vos inclinations, mais les lumières que la Providence vous donnera par autrui, car tout dépend de la véritable haine et ensuite de la destruction de vous-même. Toutes [133] ces vérités bien conçues, vous n’avez qu’à travailler d’ici à un très long temps selon elles et vous servir de la consolation et de l’aide de la bonne mère5 que vous avez auprès de vous. Il faut beaucoup faire et peu dire ; mais à cause de la faiblesse, cette bonne mère vous servira beaucoup pour vous consoler.

– 2,26 DM122).

1 L’allusion à la « créature servante » à supporter — tout en donnant des explications ou « raisons à monsieur votre mari » correspond à plusieurs passages rapportés dans son autobiographie : Vie 1.7 — Vie 1.12.1 : « Comme elle vit que je ne lui résistais plus […] elle prit de là occasion de me maltraiter davantage ; et si je lui demandais pardon des offenses qu’elle m’avait faites, elle s’élevait, disant qu’elle savait bien qu’elle avait raison. Son arrogance devint si forte que je n’aurais pas voulu traiter un valet, même le moindre, comme elle me traitait. » — Vie 1.16.1 (ce dernier passage peut être postérieur à la rencontre « depuis peu » avec Bertot qui est rapportée en Vie 1.19.1) : « Cette fille donc connaissait mon attrait pour le saint-sacrement, où, lorsque je le pouvais librement, je passais plusieurs heures à genoux. Elle s’avisa d’épier tous les jours qu’elle croyait que je communiais : elle le venait dire à ma belle-mère et à mon mari, à qui il n’en fallait pas davantage pour les mettre en colère contre moi. C’étaient des réprimandes qui duraient toute une journée. »

2 Nous mettons en incise l’énumération de cette très longue phrase.

3Longanime : patient avec indulgence, magnanime (Rey).

4 Grief : douloureux, motif de plainte (Rey).

5 Geneviève Granger, supérieure du couvent voisin, où se rendait souvent la jeune Madame Guyon. Elle joua un rôle caché peut-être comparable à celui de Bertot dont elle était la dirigée — mais aussi, il faut le souligner, l’aînée de vingt ans (on sait combien il est difficile d’introduire une « hiérarchie » autre qu’apparente dans les relations spirituelles : voir par ex. la mère de Chantal et François de Sales). Sur cette sainte religieuse voir notre présentation en introduction à la Vie.

À J. Bertot. Avant octobre 1674? [DM]

Je ne puis vous dire à quel point s’augmentent ma joie et ma satisfaction d’être au Bon Dieu et comme je suis résolue de ne me point épargner ; je me trouve si bien d’avoir été un peu plus fidèle que cela m’encourage à mieux faire et à vouloir mourir en tout. Je ne laisse point parmi ces bons desseins d’y manquer souvent dans des occasions, mais elles ne sont pas si fréquentes qu’à l’ordinaire.

Je goûte fort l’ordre de Dieu et j’ai un plaisir d’être auprès de N.1, quoique naturellement tout m’y répugne. Il m’est arrivé une fois ou deux, parce que je m’y trouvais fort recueillie, de me retirer pour m’en aller faire oraison croyant aller faire merveilles et j’expérimentais tout le contraire : c’était une inquiétude et une dissipation qui me peinai [en] t beaucoup et je ne pouvais pas être là en repos voyant que ce n’était pas l’ordre de Dieu2. Je me trouve un grand penchant à le suivre lorsqu’il me sera connu.

Pour mon oraison, j’y ai grande inclination et ordinairement beaucoup de facilité ; quelquefois aussi j’y demeure sans pouvoir [149] penser à Dieu, y étant fort distraite. Je ne m’en inquiète point, je n’y fais pas de réflexion aux distractions et je ne les combats pas, quoique ce soit de méchantes choses : je tâche de demeurer devant Dieu comme un aveugle attendant qu’Il veuille m’éclairer, d’autres fois comme un pauvre exposant mes misères, et ainsi du reste qui me vient dans l’esprit, songeant seulement qu’Il me regarde et que cela doit me suffire. La communion, ce me semble, me met dans le calme, car quelquefois, d’avant que de m’en approcher, je me sens toute en trouble, et dans le moment la paix revient et j’y expérimente plus de force. Je vous prie d’être bien persuadé de l’attachement que j’ai pour vous et combien Dieu m’y lie.

1son mari malade.

2 V. Vie 1.16.7 : « Mon mari regardait à sa montre si j’étais plus d’une demi-heure à prier et, lorsque je la passais, il en avait de la peine. Je lui disais quelquefois : “Donnez-moi une heure pour me divertir, je l’emploierai à ce que je voudrai”, mais il ne voulait pas me la donner pour prier, quoiqu’il me l’eût bien donnée pour me divertir […] je retombais souvent dans la misère de vouloir prier et de prendre du temps pour cela, ce qui n’était pas agréable à mon mari. Il est vrai que ces fautes furent plus fréquentes au commencement : dans la suite je priais Dieu dans sa ruelle [partie de la chambre à coucher] et je ne sortais plus. »

De J. Bertot. Avant octobre 1674? [2,28 DM]

J’ai bien de la joie de vous voir expérimenter les fruits de votre grâce et de la fidélité que vous avez à mourir. Croyez que vous ne faites encore que goûter un peu sur les lèvres : que sera-ce quand cette mort ira au cœur et ensuite au plus intime ? Cela ne se peut exprimer, car il est très certain que Dieu a mélangé dans la mort et dans les croix de nos (150) états le paradis qui un jour, Dieu aidant, nous glorifiera.

Quoi ! le croiriez-vous que la croix et la mort de soi en son état et par les providences qui l’accompagnent communiquent et donnent en substance en cette vie ce que la gloire étale dans l’autre vie ! C’est pourquoi une âme fidèle reçoit en chaque mort un goût de foi qui est vraiment amer aux sens mais qui est divin au cœur ; et à mesure que l’âme est plus fidèle, la croix et la mort aussi augmentent et ainsi le goût divin devient plus grand. Si bien que tout ce que l’on en dit et tout ce que l’on en peut dire n’est rien étant comparé à l’expérience, et les âmes qui se veulent contenter d’en entendre seulement parler (pour divinement que ce puisse être) ont bien, par la pureté et l’effet de la grâce qui est dans l’expression, un grand goût et une solide joie, mais en vérité ce n’est rien étant comparé à l’expérience. Gustate et videte: goûtez et voyez, c’est-à-dire : expérimentez et vous comprendrez. Demeurez bien ferme, au nom de Dieu, au point que vous en expérimentez, afin que ce peu vous dise incessamment au cœur : « Courage, mourez et vous goûterez. »

Ne vous étonnez pas de faire bien des fautes et même quantité. Observez-vous et revenez après vos chutes à la source, c’est-à-dire à ce que Dieu demande de vous. Et remarquez bien ce que vous me dites que l’ordre divin en votre état est fort contraire à vos inclinations naturelles. Je dis plus : vous trouverez toujours que vous désirerez incessamment tout autre [151] chose selon votre inclination. Et vous me faites grand plaisir me disant que vous goûtez extrêmement cet ordre divin et que vous commencez à découvrir sa beauté si cachée à l’esprit humain. Car de dire que la soumission et la subordination à un mari et tout le reste d’une condition soit à une âme éclairée divinement un ordre si divin, il faut l’expérience pour le croire ; cependant cela est vrai. C’est pourquoi vous trouverez toujours, lorsque l’ordre divin demandera quelque chose de vous, que vous trouverez plus Dieu en son exécution qu’à faire oraison ou à vous employer dans les plus divins exercices, car l’un vous sera Dieu et l’autre ne vous peut être tout au plus qu’une sainte et vertueuse pratique.

Vous me demandez pourquoi cela ? je vous réponds que c’est d’autant que ce qui est d’ordre divin sur nous en notre état, et quelque petit qu’il soit, est réglé de Dieu, et ainsi Il en est le principe et par conséquent cela nous est Dieu. Mais dans toutes les bonnes choses où nous nous portons par une bonne et sainte intention, Dieu n’en est pas toujours le principe et ainsi, tout au plus, la sainte intention avec laquelle nous travaillons ne peut rendre ce que nous faisons que vertueux et saint.

C’est pour cet effet que votre âme étant occupée au service ou à la récréation de N.2 par ordre divin expérimente en ce temps tant de récollection. Voulant donc, pour goûter encore davantage cette disposition, aller faire oraison et quitter votre emploi vous trouvez du vide en votre oraison et vous ne pouvez trouver ce que vous aviez durant cet emploi. Cela est très vrai et vous l’expérimenterez toujours et [152] même de plus en plus, et plus votre âme sera avec pureté dans ce divin ordre, car vous trouverez qu’il mettra la récollection et le repos dans le fond de votre âme et qu’au partir de là votre esprit sera très disposé pour l’oraison.

Soyez, je vous prie, fidèle à conserver ces expériences comme étant d’infinie conséquence pour votre intérieur, car trouvant une fois cette source d’eau vive dans l’ordre de Dieu, vous pourrez en boire incessamment, n’y ayant rien de plus commun et de plus proche de nous que ce divin ordre. Tout ce que vous me mandez de votre oraison et de la manière de vous y comporter et de rejeter les tentations et les distractions est très bien et dans le degré de votre grâce. Ce que vous dites de la sainte communion est aussi fort bien. Continuez, au nom de Dieu, et ayez humblement patience.

En vérité vous avez bien peu souffert et patienté à la porte de la bonté divine sans qu’elle vous ait enfin ouvert : vous devez avoir infiniment de la reconnaissance pour une Majesté si infinie qui vous regarde si amoureusement et avec une bonté si bienfaisante pour votre chère âme. Mourez donc un million de fois et vous humiliez et soyez petite comme un atome. Où est le temps que vous vous mutiniez ? Voyez, au nom de Dieu, le secours de Sa Majesté et comme Il vous a cherchée et vous a regardée sans que vous pensassiez à Lui, et que Son cœur tout plein d’amour n’a que des desseins d’amour sur vous ! Que vous êtes heureuse non seulement de le savoir mais de savoir où est la source pour y boire à l’aise et sans vous en rassasier ! Si vous avez de la [153] bonté pour moi je vous assure que j’ai pour votre âme tout ce que vous pouvez désirer3.

– 2,28 DM.

1 Ps., 33, 8 : « Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux : heureux est l’homme qui espère en lui. » (Sacy).

2 Monsieur Guyon.

3v. Lettre de Bertot ci-dessous, 4,75 DM : « … si j’entre dans cette unité divine, je vous attirerai, vous et bien d’autres qui ne font qu’attendre ; et tous ensemble n’étant qu’un en sentiment, en pensée, en amour, en conduite et en disposition, nous tomberons heureusement en Dieu seul, unis à Son unité, ou plutôt n’étant qu’une unité en Lui seul, par Lui et pour Lui. Adieu en Dieu. »

À J. Bertot. Avant octobre 1674. [2,29 DM]

Quoique je sache que vous êtes assez occupé, et que vous ayez peu de temps à nous répondre, cela ne me peut empêcher de vous écrire ; et comme vous voulez qu’on agisse simplement et suivant ses besoins, c’est ce qui fait que je suis bien aise de vous dire mes dispositions.

Depuis dix ou douze jours M. N. a eu la goutte1. J’ai cru qu’il était de l’ordre de Dieu de ne le pas quitter et de lui rendre tous les petits services que je pourrais. J’y suis demeurée, mais avec une telle paix et satisfaction que je n’en ai expérimentées de même. Quoique tous ces ajustements me soient insupportables, je ne puis désirer autre chose et j’y suis tellement contente que je ne me trouve pas ailleurs de même. Car quand je le quitte pour des moments pour faire quelques lectures ou prières, c’est avec inquiétude de ce que je n’y vois pas l’ordre de Dieu aussi manifeste que quand je suis auprès de M. N. J’ai trouvé pendant ces temps-là plus de force à embrasser les petites occasions de mort qui se sont présentées, et il me semble que je suis attentive pour y être fidèle. Tout cela assurément me porte à Dieu et je suis en récollection durant le jour quoique [154] je fasse de mon mieux pour divertir mon mari.

Je suis à mon oraison assez en paix, peu de chose m’y occupe. Depuis quelques jours mon sujet se perd assez souvent et quoique j’y veuille toujours revenir doucement, comme vous me l’avez ordonné, je demeure sans rien avoir que j’apercoive : mais pourtant il y a quelque chose dans le fond de mon âme qui m’occupe et qui me fortifie. Je ne sais si je dis comme il faut, mais vous suppléerez à mon ignorance. J’en fais sans manquer quatre heures, à moins qu’il ne m’arrive quelque providence qui m’en détourne. J’en ferais encore autant sans peine si j’en avais le loisir, en sentant toujours le désir dans mon âme.

La bonne mère [Granger] m’aide infiniment. Je suis bien heureuse qu’elle souffre que je lui conte mes misères : tout ce qu’elle me dit va bien avant dans mon cœur et j’ai fort envie d’en profiter.

– DM 2,29 p. 153. Question précédant la lettre 29 et la mort de la mère Granger, qui eut lieu le 5 octobre 1674.

1 Vie 1.22.1 : « Comme mon mari approchait de sa fin, son mal devint sans relâche. Il ne sortait pas plus tôt d’une maladie qu’il rentrait dans une autre. La goutte, la fièvre, la gravelle se succédaient sans cesse les unes aux autres… »

De J. Bertot. Avant octobre 1674.

Réponse à la lettre de Madame Guyon.

Vous avez très bien fait de m’écrire et vous pouvez être sûre, madame, que j’ai une [155] joie extrême de vous pouvoir être utile en quelque chose. J’en ai reçu une que je ne vous puis exprimer, remarquant en votre lettre non seulement l’accroissement de la lumière divine en votre âme, mais encore ses grandes démarches. Car vous ne pouvez être plus certaine par aucune chose de la vérité de cette divine lumière en votre âme que par cette paix et joie à vous contenter de l’ordre de Dieu dans le service que vous rendez à monsieur. Remarquez donc que non seulement tout ce service est ordre de Dieu sur vous, mais encore tout ce que ce divin ordre opère en votre âme. Autrefois vous auriez désiré un million de choses et auriez été chagrinée en ce bas emploi. Mais l’Esprit de Dieu vous employant par sa divine lumière en cela, vous y fait trouver Dieu qui vous met dans le repos et qui vous y fera trouver une plénitude où vous trouverez toutes choses, quoique vos sens et souvent votre raison n’y trouvent rien que petitesse et bassesse, ce qui humilie beaucoup l’âme et souvent même la peut faire descendre de sa lumière divine si elle n’est pas fort constante à se soutenir en cette fidélité.

C’est pourquoi soyez donc certaine que cette providence pour monsieur vous marque infailliblement l’ordre de Dieu pour votre emploi. Et de plus, voyant cet effet de grâce en vous par la joie et le repos, tâchez de vous soutenir afin d’être constante et fidèle, non seulement en cette rencontre mais encore dans toutes les autres qui vous seront marquées par la même Providence. Et vous verrez par votre expérience non seulement que la paix et le repos s’accroîtront toujours, mais encore que votre âme319 [156] deviendra de plus en plus lumineuse, non pas par des lumières particulières qui feront élancement en vous, mais bien par une pureté générale qui ennoblira et purifiera votre âme, comme vous voyez qu’un cristal, étant sali et plein de boue, à mesure qu’on l’essuie on le clarifie et on lui donne son lustre : et cette pureté est beaucoup remarquée par le repos, la petitesse et l’abandon où se trouve l’âme dans les rencontres qui lui arrivent ; Au lieu que, quand l’âme vit en elle-même et en ses désirs, elle est toujours agitée, et les choses ne se trouvent jamais comme il faut. Tout au contraire elle en est toujours contrariée et par conséquent émue, ce qui la brouille et la rend ténébreuse. Ainsi elle ne saurait se trouver en bonne situation pour être en lumière et pour être comme elle voudrait, ce qui met toujours en elle un certain mécontentement, qui non seulement la rend non satisfaite de toutes choses qui lui arrivent mais encore d’elle-même. Et de cette manière elle porte toujours les créatures sur ses épaules, et soi-même aussi, pour en être crucifiée incessamment sans aucun fruit mais plutôt tout lui causant un déplaisir continuel, sans grâce, au lieu que l’âme s’ajustant à l’ordre divin en son état trouve insensiblement tout le contraire, comme vous voyez et devez bien remarquer par ce qui se passe en votre âme.

Courage donc, et vous trouverez que ce que vous jugiez qui vous devait être un empêchement vous sera un moyen très divin ! Soyez donc fidèle, au nom de Dieu, à aimer et faire tout ce que vous pourrez pour vous servir humblement et suavement de ce que Dieu vous met entre les mains en votre condition. Regardez [157] M. N. comme donné de Dieu à votre âme pour lui être un principe de beaucoup de grâces par les rencontres qu’il vous causera de quelque manière que tout vienne, et ainsi étant malade, servez Jésus-Christ en sa personne. Quand son humeur vous causera de la peine et qu’il vous en donnera par un million de manières et de rencontres que la Providence diversifiera admirablement pour votre bien, voyez-y et y goûtez Jésus-Christ couvert de peines et défiguré par sa croix. Et sachez que, si l’on pouvait trouver l’entrée de cette divine Sagesse de Jésus-Christ, l’on rencontrerait un torrent d’eau vive qui donnerait la vie en infinies manières quoique toutes semblables, étant en Jésus-Christ.

Je ne puis vous exprimer ma joie remarquant que vous commencez de goûter les effets de cette eau vive et que, comme vous dites fort bien, ce qui vous aurait donné la mort et qui vous aurait été insupportable vous est présentement délicieux et que non seulement vous y trouvez la vie mais une souveraine consolation. Ce qui est la cause que vous ne trouvez pas dans vos lectures et dans vos autres exercices intérieurs ce goût divin que vous rencontrez dans cette captivité petite et humble à servir et à obéir à Mr N., ne pouvant pas voir si sûrement l’ordre divin en ces exercices que dans ces providences humiliantes. Vous trouverez toujours que dans l’usage de cela il y aura pour vous plus de force et plus de lumière pour mourir que dans toute autre chose, quelque sainte et grande qu’elle puisse être. C’est pourquoi vous trouverez que ce que vous faites pour le divertir et pour le [158] soulager ne vous causera pas des distractions : au contraire cela vous recueillera et vous ouvrira la porte pour trouver Dieu, autant même que ces choses vous donneront de peine.

Tout ce procédé de grâce dépend de la fidélité que vous aurez à mourir par toutes ces rencontres de providence, ce qui non seulement purifiera votre âme mais aussi vous simplifiera en vous retirant du multiplié1 et en vous appropriant pour voir votre sujet et pour en jouir en simplicité. C’est pourquoi faites doucement ce que vous pourrez pour vous comporter comme je vous ai déjà dit, en vous simplifiant mais en vous soutenant en votre sujet. Et votre sujet s’échappant de votre esprit après ces humbles et douces diligences, pour lors soutenez-vous simplement, alors vous trouverez, quoique vos sens aient peu de multiplicité, que votre fond aura un je ne sais quoi, c’est-à-dire une nourriture en votre sujet par la foi simple qui l’occupe, qui vous fera bien voir qu’encore que vous n’ayez pas bien du distinct, vous ne laisserez pas cependant d’être très occupée intérieurement.

Vous faites bien d’être fort fidèle aux quatre heures d’oraison que vous faites, mais quand la Providence vous en dérobera, pour lors laissez-vous heureusement surprendre à cette aimable larronne qui ne vous dérobe jamais rien que pour vous donner au centuple. Et ce que vous me dites marque très assurément que l’Esprit de Dieu y est, savoir que quand vous quittez l’oraison après ces quatre heures, vous seriez encore toute prête pour en faire davantage, car assurément l’Esprit de Dieu affame et altère toujours, mais très agréablement et sans [159] inquiétude lorsqu’on ne peut en faire davantage. Vous ne m’avez jamais mieux exprimé votre intérieur ni mieux dit ce qui s’y passe, soyez-en certaine : c’est pourquoi je renvoie votre lettre avec celle-ci afin qu’en gardant l’une et l’autre elles vous servent, d’autant que cela vous sera utile pour toute votre vie.

L’Esprit de Dieu est dans nos âmes et y fructifie comme nous voyons que les plantes viennent dans nos jardins : elles croissent toujours par le dedans et par leurs racines ; et ces racines s’augmentant peu à peu et fructifiant, les arbres croissent toujours et dans la suite produisent les fleurs et les fruits, sans changer, quoique qu’il [sic] y ait toujours et incessamment du changement. Ainsi il est bon de savoir que notre intérieur est un vrai arbre de vie qui doit toujours croître, et, quoiqu’il nous paraîsse différent selon les divers temps, que cependant dans la vérité c’est le même qui dans ces divers temps prend ses augmentations. Je ne vous ai jamais tant aimée que je le fais, car il est très vrai que votre intérieur change infiniment. Soyez, au nom de Dieu, bien petite et bien humble, car j’espère que tout ce que je vous ai dit arrivera. Et en vérité j’en vois et en remarque de beaux commencements de grâce qui vous doivent infiniment consoler. Prenez donc courage et cultivez avec plaisir ce petit et agréable arbre que la main du Très-Haut a planté.

– 2,29 DM.

1multiplié et non multiple. Idée dynamique.

De J. Bertot. 1674? [2,58 DM]

Je me réjouis que votre voyage se soit bien passé et que vous soyez de retour. Je vous assure que la solitude fait respirer tout un autre air que le monde. L’air du monde non seulement est infecté en plusieurs manières mais encore il n’a nul agrément, comparé à celui de la solitude où l’on goûte en vérité le printemps et une sérénité qui contient le goût de Dieu. Dieu seul est le printemps de la solitude et c’est là qu’on le goûte.

Il est vrai qu’avant que cela soit et que l’âme ait le calme, le désembarrassement et le reste que Dieu communique en solitude, il faut peiner et travailler, la nature se vidant d’un million de choses qui empêchent l’âme de goûter à loisir cet air doux et agréable d’une solitude calme et tranquille qui à la suite lui est vraiment Dieu : car qui fait cette solitude si [313] belle, si sereine, si douce et si agréable, sinon Dieu, qui se donnant à l’âme et l’âme L’ayant trouvé elle le goûte et en jouit comme nous jouissons de l’air agréable du printemps, de la beauté des fleurs, de leur odeur plaisante et de tout le reste.

En vérité les créatures, et le soi-même encore plus, sont un vrai hiver à l’âme qui y habite, et quand l’âme trouve Dieu, elle trouve le printemps en toute manière par la solitude et l’éloignement du créé en repos et cessation de tout. Je vous avoue qu’un je ne sais quoi me fait soupirer, avec patience et sans désir, après l’entier dégagement de la manière que Dieu le voudra. Je l’espère par le règlement de toutes choses qui sont, Dieu merci ! en Sa main, et si je me vois une fois en ce printemps de la solitude, qui que ce soit ne me raccrochera, avec l’aide de Dieu…

Je vous avoue que les choses de la terre, les dignités et les grands biens sont une pauvre affaire. N. avec tous ses biens est peut-être bien empêché. Les biens modérés ne sont bons en cette vie que pour être des murs afin que les créatures ne viennent pas inquiéter les personnes solitaires que Dieu n’appelle pas au grand don de pauvreté. Mais en vérité il faut que cela soit bien modéré puisque, quand il y en a plus qu’il ne faut, cela fait toujours un autre tracas et embarras. Heureuses les âmes qui ont le don de la pauvreté absolue, car par là elles ont l’entière solitude sans aucune crainte. Mais c’est une chose que j’admire de loin, me contentant de ma petite grâce et de ma petite solitude. Car selon ce don de pauvreté la solitude est grande. Pauvreté de biens, d’amis, [314] de créatures : voilà la grande solitude, à laquelle je ne prends part que selon le don de Dieu à mon âme.

Je prie Dieu de vous y donner part et de vous faire bien entendre le grand bruit des créatures, du soi-même et généralement du créé. Mais cela ne sera que goûtant la sérénité, le repos et le plaisir de cette agréable solitude. Comme j’en parle, l’une découvre l’autre et sans y penser. On se trouve entrant en cette solitude comme une personne qui serait dans le milieu de Paris les yeux fermés et les oreilles bouchées, qui, en ouvrant les uns et les autres, est fort surprise du tumulte et de l’embarras qui se découvre. « Eh ! mon Dieu ! dit l’âme, où étais-je ? je ne voyais ni entendais cet effroyable chaos, mais retrouvant mes yeux et mes oreilles par le don de la solitude en Dieu, je vois tout autre chose. Cependant un doux contentement, une tranquillité admirable, un éloignement du créé et généralement une satisfaction par une jouissance de toutes choses ayant perdu toutes choses, me fait goûter le printemps dans la solitude. »

Voilà quelque petit crayon de ce que la divine lumière en cette solitude donne peu à peu à chacun selon sa capacité et ainsi en n’étant rien elle est toutes choses et en ôtant tout elle donne tout. Et c’est pour cet effet que Jésus-Christ dans tous les états de sa vie a toujours été solitaire et a opéré tous Ses Mystères en solitude. Prenez-y garde, ce serait un détail agréable à voir ; mais vous le pouvez facilement observer dans chaque Mystère. Je prie Notre Seigneur qu’il vous donne une sainte année.

2,58 DM, que l’on peut relier aux épisodes décrits dans Vie 1.20.3-4 (Petit voyage. Péril en carrosse. Pèlerinage à sainte-Reine, juillet 1673) et Vie 1.20.10 (La légèreté de son frère risque de ruiner son mari, novembre 1674).

De J. Bertot. Avant juillet 1676? [2,30 DM]

Il faut être bien convaincu que toute âme qui est appelée au don de soi et qui, par fidélité, doit consommer cette grande miséricorde ne le fera jamais que par la mort et autant qu’elle aura à mourir. Dieu n’opère dans notre âme aucun changement que par amour, et cet amour est le feu qui doit consumer et nos imperfections et nous-mêmes. Or cet amour a une opération en croix et par les croix : ainsi jusqu’à la fin, l’amour ne cessant point, la mort sera toujours et ira toujours croissant. C’est pourquoi, comme l’amour dans le fond de notre cœur et de notre âme ne dit jamais : « c’est assez », aussi la mort ne cesse jamais mais va plutôt toujours augmentant, de même que nous voyons que le feu s’augmente toujours par son opération même et qu’un petit feu devient un grand incendie en consumant et changeant son sujet.

Or ces morts sont différentes selon le degré où l’âme en est : car comme l’amour est la cause de la mort, aussi la mort a ses différents degrés comme l’amour les a. Au commencement les morts sont palpables et sensibles. Dans la suite que ces morts s’avancent, peu à peu les morts deviennent davantage dans l’esprit, et ainsi plus déraisonnables, c’est-à-dire que les morts nous sont causées par un million de [161] choses, soit par le dedans de nous, soit par le dehors, où la raison ne trouve point où s’appuyer, de manière qu’elle perd sa route. Au commencement que la mort touche les sens, on règle facilement, quoique avec peine, ses fidélités pour les occasions de mourir, mais à la suite que les morts deviennent plus fréquentes et qu’elles touchent la raison et l’esprit, insensiblement, elles font perdre les lumières qui aident à se conduire. Et l’esprit et la raison perdant fond par les morts et dans les morts, n’ont plus d’autre conduite et d’autres moyens pour se conduire que les morts mêmes et les occasions de mourir, qui sont si fréquentes en ce temps-là que tout ce qui est au-dedans et au-dehors devient occasion de mourir par une sagesse divine, qui sait tellement se servir de tout et qui sait si bien ajuster et si bien ordonner naturellement tout le dedans et le dehors de nous-mêmes, c’est-à-dire tout ce qui est de providence sur nous tant intérieurement qu’extérieurement, qu’en tout nous y trouvons des précipices pour mourir.

Au commencement de ce degré, Dieu ne commence que par quelque occasion particulière comme celle que vous me marquez, mais dans la suite que l’âme est beaucoup fidèle et qu’elle fait grand usage de morts, tout devient occasion de mort et l’âme s’en voit tellement affligée que, si Dieu ne la soutenait fortement, comme Il fait, elle aurait un million d’occasions de tristesses. Car elle ne voit que des occasions de mourir, tout se changeant (par un secret qu’elle ne peut jamais comprendre) en mort, et dans la suite même tout devient tellement mort et providence de mort sur elle qu’elle n’a [162] aucune consolation et aucun appui qu’en mourant et se laissant mourir. De dire les petites tristesses de la nature, les incertitudes des sens et de l’esprit, les égarements continuels de l’âme, cela ne se peut au commencement ni même un long temps. Car comme Dieu a dessein non seulement de purifier les sens mais même l’esprit, il faut qu’Il détruise la propre conduite de l’âme, et pour cet effet Il ajuste par sa Sagesse les occasions de mourir, afin de nous retirer de ce qu’il y a de plus délicat en nous, comme est l’assurance de notre perfection, de notre salut, et ainsi afin de pouvoir trouver quelque appui en quelque effet divin en nous.

Dieu donc, pour détruire tout cela et ainsi pour nous perdre plus profondément en Lui, nous fait mourir et nous donne les occasions de mourir par nos propres misères, par nos propres faiblesses et par un million de choses qui sont prises de nous-mêmes, dont Dieu se sert sans que nous puissions jamais nous ajuster et à en faire usage qu’en mourant et en nous perdant. De même aussi de toutes les choses extérieures : Dieu les tourne et les ajuste de manière que nous avons beau faire pour nous précautionner et ajuster raisonnablement notre conduite, les occasions de morts seront toujours présentes malgré nous par toutes les choses qui nous arrivent par notre état auxquelles nous sommes de toute nécessité obligés de vaquer, ce qui assurément est un effet de Sagesse divine sur nous et comme le feu du purgatoire, lequel est invisible et va s’attachant au-dedans et au-dehors de nous. Aussi Dieu par Sa divine Sagesse conduit l’âme à l’obscur, et insensiblement par l’obscurité de la foi la fait ainsi tomber comme [163] dans un précipice où elle ne voit goutte pour se conduire et où par conséquent elle ne trouve que mort.

De dire tout le détail, cela est impossible : il suffit que l’âme sache que la foi commençant peu à peu dans une âme, la conduit imperceptiblement à la mort et que la foi augmentant, la mort augmente, et que pour toute conduite et aide, quand l’âme s’aperçoit que sa raison perd fond dans ces croix et dans ces morts, elle doit se tenir ferme à mourir, sans en voir le moyen ni découvrir la fin de sa mort. Et pourvu qu’elle se laisse mourir avec fidélité ou que même, paraissant être infidèle à la mort même, elle tâche encore de mourir par cela même et ainsi de mourir à l’infini par toutes les occasions de mort, elle trouvera que la mort sera son appui sans appui, car qui dit mourir ne dit pas fond ou assurance, mais bien perte sans ressource. Et ainsi par diverses morts on apprend sans apprendre perceptiblement que la mort est le tout, et que mourir est le bien et le tout qui nous fait trouver un bonheur qu’on ne peut exprimer mais qu’en vérité l’âme goûte.

Où il faut savoir que la raison du procédé de la Sagesse divine sur Jésus-Christ, et par conséquent sur les âmes qu’Il destine pour Lui, de les conduire par la mort et de les faire vivre de mort est que, comme Dieu n’est rien de ce que nos sens et notre esprit peuvent comprendre et que même Il est infiniment au-dessus, Dieu voulant Se donner à une âme il faut qu’Il S’y donne et qu’insensiblement Il S’y écoule par le moyen de la mort : autrement il serait impossible que l’on pût jamais arriver à autre chose qu’à ce que les sens et l’esprit comprendraient, [164] conservant toujours quelque chose de conforme à la nature pour les nourrir et pour les soutenir. Et voilà même la raison pourquoi la Sagesse dans la mort et par la mort se sert de ce qui est en nous et hors de nous plus propre à égarer et mettre hors de conduite notre raison : autrement elle irait toujours par ce qu’elle connaîtrait et qu’elle trouverait de plus avantageux, et ainsi elle ne se laisserait jamais conduire à Dieu qui veut être pleinement le maître de nous-mêmes et qui jamais ne prend plaisir d’étaler Ses miséricordes et Ses grâces que dans une âme où Il peut régner pleinement et à Son gré. D’où vient qu’autant qu’une âme s’aperçoit qu’elle n’est pas pleinement aveugle et soumise en toute manière à Dieu, prenant son seul plaisir dans Son inclination ou dans ce qu’Il désire, quoiqu’elle n’y comprenne rien, elle ne pourrait jamais aborder en terre ferme, d’autant qu’il n’y a que le seul plaisir divin et par conséquent l’ajustement à son ordre qui puisse affermir et assurer l’âme.

C’est ce que l’on a vu en Adam : Dieu attache Son règne entier et la confirmation de Sa grâce à une chose si petite comme de s’abstenir de manger d’une pomme afin qu’Adam captivant son jugement et tout soi-même en cette obéissance, Dieu fût pleinement le maître de tout lui-même. Car de considérer le précepte en soi, il n’est de rien : il le faut seulement envisager dans la soumission totale et la dépendance souveraine que Dieu voulut qu’Adam eût de Lui, afin de faire subsister Ses dons très magnifiques en son âme et même Sa pleine autorité sur toutes les créatures. Il y a dans l’Écriture sainte quantité d’exemples [165] semblables pour nous faire comprendre cette vérité, et il est très vrai que nous ne venons jamais et n’arriverons aucunement à la pleine liberté de nous-mêmes que par l’entière soumission à la conduite de Dieu, ce qui ne se peut exécuter que par la suite des morts tant intérieures qu’extérieures que la Sagesse ordonne sur nous.

Mais la nature a des difficultés infinies à mourir, soutenant toujours ses droits, tantôt se tenant à une chose, tantôt à une autre, comme nous voyons qu’un homme se noyant s’attache à tout ce qu’il peut pour conserver sa vie ; et ainsi l’âme dans les morts, selon le degré où elle en est, a ses arrêts et ses soutiens. Et je ne m’étonne point que vous ayez tant de peine à perdre ce calme et cette paix qui certifient votre âme, d’autant qu’il faudra qu’elle soit bien dans un avancement plus grand qu’elle n’est pour se laisser aller au long et au large par les morts sans avoir d’autres appuis ni certitude que la mort. Et cependant il faut tant et tant mourir qu’on en vienne là ; autrement on n’arrivera jamais à Dieu même. Car comme il est impossible que la foi fasse aucune démarche dans notre cœur qu’autant que la mort le prépare, aussi il est impossible que l’on vienne à approcher Dieu que par la pointe cruelle des occasions qui nous font mourir. Et toutes les personnes qui n’ont point l’âme assez généreuse pour vraiment mourir par toutes les occasions que je viens de dire ne doivent point s’attendre au bonheur de trouver Dieu et de vivre en Lui en cette vie.

La science même de la mort est en quelque manière l’unique nécessaire, puisqu’il est vrai que Dieu y attache le moyen d’arriver en cette [166] vie à notre bien et même d’en jouir : ainsi il faut tâcher non seulement de se confirmer pour porter avec fidélité les morts, mais même faire tout son possible pour ajuster doucement et humblement sa correspondance selon le degré de ces mêmes morts. Ainsi il est d’importance que vous soyez fidèle passivement à vous laisser en croix autant que Dieu le voudra, tâchant peu à peu de vous y conserver par la foi nue qui vous certifie de ce bonheur. Il ne faut pas rejeter les petites consolations et certitudes que Dieu vous donne pour vous faire demeurer en croix et en mort, mais quand Dieu vous les ôte et qu’Il vous laisse en nudité pure, laissez-vous y autant qu’Il voudra, quoique vous n’aperceviez nul bien de ces croix : il suffit seulement que vous mouriez et qu’elles vous fassent mourir, c’est-à-dire qu’elles vous crucifient, et vous verrez dans la suite que leur effet sera [d’autant] plus solide et plus véritable que moins il aura été perceptible et compréhensible à votre raison.

C’est pourquoi l’âme est sollicitée selon les démarches qu’elle fait d’accompagner la mort qu’elle a à souffrir intérieurement et extérieurement de sa correspondance selon son degré d’oraison. Car quand elle commence à se simplifier, elle doit être plus simple en ses morts, et quand sa simplicité augmente, de même elle doit agir à l’égard de ces morts selon le degré de simplicité ou de passivité où elle en est. Et si dans le degré de simplicité, les morts sont difficiles à porter à cause que l’âme y demeure en simplicité, dans les degrés de passivité c’est encore tout autre chose, d’autant que pour lors, l’âme étant beaucoup destituée de son soutien et [167] de sa correspondance, elle y est aussi plus au pouvoir de la mort pour la traiter au gré de Dieu, sans que l’âme puisse s’aider d’autre manière que passivement souffrant les croix et se laissant dévorer à la mort passivement, comme elle agit dans l’oraison passivement. Ce que l’âme peut avoir pour la certifier, c’est de se consoler de fois à autre un peu dans la lumière de la foi, laquelle ne s’éclipse jamais pour les occasions de mourir, pourvu que l’âme soit fidèle à vouloir mourir et à faire même ce qu’elle peut. Et quand par faiblesse l’âme tombe et qu’elle se voit accablée de quantité de défauts, si elle est fidèle à se servir de la pointe de mort et de crucifiement que toutes ces choses contiennent (quoiqu’elles viennent de notre mauvais cru), elles ne laissent pas de nous donner le moyen de mourir ; et la foi, très obscure dans ces occasions-là, et si vous voulez même très obscurcie, ne laisse pas de demeurer cependant foi et lumière divine, qui se sert de toutes ces misères pour nous faire pénétrer encore plus avant dans nous-mêmes et nous faire mourir plus hautement et plus profondément.

Où il faut remarquer que les choses extérieures en la main de la foi sont merveilleuses pour nous faire mourir. Mais c’est encore tout autre chose de nos pauvretés, de nos misères et de nos péchés, en la main de cette divine lumière allant bien plus profondément, furetant et cherchant notre propre vie et notre propre soutien jusque dans le fond de nous-mêmes pour y porter le glaive de mort ; et l’âme qui est assez heureuse de soutenir la foi en ces occasions reçoit un bien et un [168] avantage de la mort qui ne se peut concevoir.

C’est pourquoi il suffit de se laisser comme on peut et de suivre de son mieux les occasions de mourir en se soutenant en foi sans foi même, d’autant que tout le perceptible de la foi qui peut demeurer dans nos sens s’évanouit, et l’âme déchéant de cette manière de tout soutien devient bien plus en état, si elle est fidèle, de se laisser aller au gré de Dieu, comme nous voyons qu’une pierre n’étant arrêtée de rien roule par son propre poids dans un abîme d’eau sans jamais y pouvoir trouver la fin. Et la marque même que l’âme qui est avancée en passivité peut avoir pour assurance qu’elle est bien dans ces morts et dans ce que je viens de dire est qu’elle ne trouve point de fond ni d’appui en rien, c’est-à-dire qu’elle n’a d’assurance ni par ses morts ni par sa lumière, ni enfin rien qui la puisse appuyer.

Et supposé que l’âme ait la fidélité suffisante pour se perdre beaucoup par ses morts, quoiqu’elle ne voie ni ne puisse voir le moyen comment les vertus divines naîtront en elles, cependant cela sera, d’autant qu’il est certain que c’est par cet unique moyen que Dieu laboure la terre qui les doit produire ; et comme Dieu seul est la racine et le fond de telles vertus, aussi est-il impossible qu’elles viennent jamais dans une âme que par la mort et autant qu’elle meurt. Si bien que dans la suite que l’âme meurt beaucoup à soi, insensiblement et sans que l’âme puisse jamais apprendre le moyen, elle trouve que de sa pourriture et de ses cendres naissent les vertus, conformément aux morts qui l’ont pénétrée et dévorée. Ainsi l’âme peut [169] juger des vertus divines qui l’ennobliront dans la suite par toutes ces occasions de mort et de mourir qui lui sont ordinaires. C’est pourquoi laissez-vous mourir autant que vous pouvez, et même, que la vue du défaut des vertus vous y aide, et vous verrez que ce que je vous dis est vrai.

Ces principes généraux vous instruiront en particulier de ce que vous devez faire, sans que j’aie besoin de vous tout particulariser. Ce que vous me dites de votre domestique est ce qu’il vous faut pour vous humilier et vous faire souffrir : bien de telles occasions vous seront utiles et j’espère que la bonté de Dieu vous en fournira assez en toute manière. Ce que vous avez fait ensuite est bien et de la manière qu’il faut pour purifier les fautes qu’on y peut avoir commises.

Il est de grande conséquence, dans le degré où vous êtes, de soulager votre âme autant que vous pourrez en la tenant gaie : autrement, sans s’en apercevoir, elle serait toujours en réflexion sur certaines peines qui causent les morts, et, par là et en voulant trop mourir à soi selon son gré, on ne mourrait pas. N’ayez donc pas de crainte que votre travail vous nuise : c’est un petit soulagement des sens de l’ordre de Dieu, et ne vous étonnez pas des espèces qu’il vous cause. Laissez-les doucement évanouir en les remettant en foi.

2,30 DM ; avant la mort du mari, si l’on admet que l’édition suit l’ordre chronologique. Indice d’attribution : allusion à la fille, domestique insolente.

De J. Bertot. Avant juillet 1676. [2,56 DM]

Je ne manquerai pas, Dieu aidant, d’aller à Notre-Dame de la Délivrance et de faire la neuvaine que je commencerai la veille de Noël. Je vous prie de dire à N. que le mal1 a cela, tout de même que les croix, qu’il contient en soi l’oraison et les applications à Dieu, qu’il les faut faire seulement selon que l’on voit que le mal le requiert pour ne pas s’intéresser, que l’ordre de Dieu demande seulement en ce temps l’abandon, la paix et le silence pour souffrir en ces dispositions avec quelques retours amoureux, non par acte, mais par abandon et par état : ce qui retranche insensiblement la corruption de la nature, qui flue aussi bien en [305] ce temps-là qu’en un autre, spécialement quand l’âme ne se tourne pas vers Dieu selon son biais et selon le dessein de Dieu sur elle. Il faut donc retrancher prudemment tout ce que l’on peut voir qui pourrait incommoder, car la foi supplée à tout et contient toutes les opérations extérieures et fait que l’âme étant dans sa disposition privée soit d’oraison soit de communion, les retrouve éminemment en ce qu’elle souffre ou fait par ordre divin, qui est souvent plus efficace non seulement pour produire la grâce mais pour détruire les défauts, par la raison qu’étant dans le divin ordre chaque chose manifeste les défauts qui sont en l’âme par la pratique et expérience. Je ne sais si vous m’entendrez et elle aussi2.

Je vous ai tant parlé de la petitesse et comment vous la devez pratiquer qu’à moins d’une lumière actuelle pour cet effet précisément je ne puis vous en dire davantage. Peut-être le divin enfant m’en donnera-t-il quelque chose à Noël. Mais lisez et relisez mes lettres et vous y trouverez plus que vous ne croyez, la divine lumière y ayant été car la divine lumière qu’elle contient tout et dit tout selon la disposition des yeux qui la voient, et en vérité elle a tant été pour vous et pour N.2 que j’en suis étonné.

Sachez que jamais vous ne trouverez rien que dans l’Enfance et que là vous trouverez tout : ce sera votre trésor. Cette Enfance dit simplicité, joie en docilité d’un enfant, si bien que, pour que cela soit et que cette divine lumière qui vous est propre soit avec étendue selon l’ordre divin, il faut que la nature meure à tant de choses : précipitations etc. et enfin [306] que vous tâchiez de vivre toujours en esprit. Rien ne vous fera entrer dans cette divine lumière d’enfance qui vous est propre que la foi qui retranche l’usage des sens élevant l’âme en esprit. C’est dans cet esprit de petitesse que vous pouvez trouver seulement la solidité et la confiance. Au contraire, cela n’étant pas, votre esprit est toujours comme un oiseau sur la branche en avidité et en recherche. Enfin, sachez que tout de même qu’un enfant ne peut jamais trouver que son malheur dans sa propre volonté, sa volonté n’étant pas accompagnée de sagesse, jamais aussi vous ne trouverez rien en votre propre volonté, et au contraire par la divine conduite vous trouverez la divine Sagesse dans la soumission aveugle à la volonté d’autrui. Remarquez cela pour toujours.

Il faut non seulement que vous preniez garde par la lumière divine aux choses qui accompagnent l’état d’Enfance de Jésus-Christ, comme la pauvreté, l’abjection et le reste, mais [aussi] à ce qui le constituait qui était cette petitesse d’un enfant, ce manque de volonté et de conduite et tout le reste qui constitue l’enfance, car c’est en cela qu’est le fond de la lumière et Sagesse divine, sans quoi vous n’aurez jamais l’état d’Enfance en vérité. Ceci est fort et il y aurait infiniment à dire étant d’une lumière très grande. Appliquez-vous à chaque parole, non pour en prendre l’écorce mais pour en puiser avec l’âme de la divine lumière le fond et l’essence, car c’est en cela que consiste l’Enfance divine pour vous ; et si vous pouviez perdre heureusement votre volonté pour une autre que Dieu vous a choisie, [307] vous trouveriez par là la divine Sagesse et vous ne le ferez jamais autrement.

Par là, la divine Sagesse vous donnera la pauvreté, l’abjection et le reste de ce qui accompagne l’Enfance ; et jamais rien de cela ne vous viendra qui soit effet de la divine Sagesse que par perte de volonté, de conduite, et en vous laissant conduire par autrui comme un enfant. Autant que cela arrivera, autant vous entrerez dans votre grâce ; cela manquant rien ne viendra, et cela est si vrai qu’au cas que vous soyez fidèle et que vous quittiez le passé pour entrer dans cette grâce, Dieu ne manquera pas jusqu’au dernier moment de votre vie de vous donner un homme qui par son ordre aura effet de grâce sur vous, et quand cela ne sera pas ce sera une marque que vous ne serez pas fidèle à votre grâce. Quand Jésus enfant ou plutôt quand l’état de l’Enfance de Jésus eut cessé, saint Joseph est mort. Sans y penser, en écrivant, la lumière est venue abondamment.

Prenez, au nom de Dieu, garde à votre grâce et aux renouvellements intérieurs qui la marquent car ils sont vrais comme je vous l’ai mandé. Faites application forte à ce qui constitue essentiellement votre état et par où vous doit par conséquent venir la lumière et la grâce qui sera la mère qui engendrera le reste, je veux dire les accompagnements de la sainte Enfance. Vous n’aurez d’oraison que par là, et tout le reste vous y sera communiqué. Omnia bona mihi venerunt pariter cum illa, et innumerabilis [b]onestas per manus illius3.

– 2,56 DM.  L’attribution est incertaine, v. note 2.

1 Allusion possible au mal du mari, atteint de la goutte.

2 Une personne accompagnant Madame Guyon ?

3Sag., 7, 11: “Tous les biens me sont venus avec elle, et j’ai reçu de ses mains des richesses innombrables.” (Sacy).

De J. Bertot. 22 mars 1677. [A.S.-S.]

Découvrir la divine Providence en tout.

Il est de la dernière conséquence de reconnaître beaucoup Dieu et la conduite de Sa divine Providence dans tout ce qui nous arrive, non seulement par le ministère des hommes mais encore par les saisons et les incommodités naturelles qui surviennent comme cela est beaucoup naturel et ordinaire. L’on y est presque toujours surpris et l’âme par conséquent s’y laisse insensiblement conduire naturellement, mais quand elle est fidèle à réserver sa vue surnaturelle en foi pour y découvrir Dieu et Son divin ordre, elle L’y trouve aussi purement et même souvent plus que dans les autres natures de croix et de peines qui surviennent et où Dieu y paraît plus clairement, où il faut remarquer que plus les choses qui nous peinent, nous renversent et nous crucifient, sont naturelles et qu’ainsi Dieu y est plus caché et inconnu, plus Dieu s’y trouve quand, par la foi, l’âme meurt assez à soi pour outrepasser tout ce naturel et cet inconnu afin d’y rencontrer cette divine et adorable Providence à laquelle rien n’échappe et qui est le principe général de tout ce qui est et de tout ce qui arrive dans la terre, de manière [f. 1 v°] qu’autant que l’âme envisage tout cela en foi et que par ce moyen elle en surnaturalise l’emploi et généralement tout ce qu’elle souffre, par telles occasions elle y trouve Dieu très hautement.

Donc l’on peut tirer une consolation très avantageuse pour une âme amoureuse de Dieu, [à] savoir que tout ce qui est de plus naturel dans la vie de l’homme peut être relevé très éminemment dans la jouissance de Dieu et qu’ainsi une âme qui peu à peu par la fidélité et par l’oraison s’approprie à l’usage de la foi, peut rendre surnaturel tout ce qu’il y a de plus naturel en sa vie, non seulement pour les souffrances et ce qui nous fait souffrir mais généralement pour tout ce qui peut être l’occupation et l’emploi de la vie.

De là on peut voir la perte que font les âmes peu éclairées de la foi et qui ont peu d’usage de son exercice par l’intérieur, d’autant qu’il y a infiniment des temps vides en leur vie à cause que n’ayant pas en elles le moyen de trouver Dieu en toutes choses, tout ce qu’elles peuvent faire au plus c’est de pouvoir Le reconnaître dans les plus grandes croix et afflictions qui leur arrivent, demeurant [f. 2 r°] comme toutes naturelles dans tout le reste, car tout de bon il n’y a que la foi et les yeux éclairés en foi divine qui puissent découvrir et pénétrer Dieu dans tous les moments de la vie, si naturel comme esta tout ce qui nous arrive de moment en moment, soit par les saisons, les mauvaises rencontres, les embarras de la vie, le boire et le manger, et le reste qui fait tout l’emploi de chaque jour.

De prime abord cette lumière de la foi demande de l’application et beaucoup de fidélité pour y découvrir Dieu par la Providence et par la conduite, mais à la suite, peu à peu, par telles fidélités, les yeux s’ouvrent comme si naturellement que la chose devient très facile à peu près comme nous voyons que nos yeux corporels étant capables de la lumière du soleil, nous voyons et nous découvrons sans peine la beauté des objets et nous discernons facilement leur mérite1. Vous faites très bien d’être fidèle autant que vous le pouvez à votre oraison et quand la Providence vous fournit des embarras qui semblent nous en ôter la commodité, ne vous embarrassez pas : tâchez plutôt d’ajuster votre correspondance et l’emploi de votre esprit [f. 2 v°] selon que vous voyez que vous le pouvez, car étant à cheval ou au milieu des distractions de votre emploi, vouloir faire votre oraison aussi tranquillement que si vous étiez dans une profonde solitude, c’est hors l’ordre de Dieu. Quand vous faites donc votre oraison dans ces temps, ou souffrez patiemment les distractions qui vous y viennent, ou contentez-vous de vous tenir doucement en la présence de Dieu par une inclination amoureuse et paisible et pour lors cela suppléera aux lumières et à l’occupation intérieure que vous pourriez avoir étant plus à vous.

Vous faites très bien de continuer vos dévotions autant que vous le pouvez, car vous en tirerez toujours et beaucoup de fruit et beaucoup de consolation, Dieu prenant plaisir dans ces temps de remplir les fidélités aux autres occasions où il y a à mourir. Continuez aussi à vous conduire comme nous l’avons dit, étant mieux et plus utile pour l’intérieur et pour la gloire de Dieu d’avoir un peu de faute et de force dans votre emploi que dessus languissant de faiblesse, ce qui vous embarrasserait beaucoup.

– Pièce 7248 du ms. 2174 des Archives saint-Sulpice, référence que nous abrégeons par A.S.-S. 7248. Il s’agit de la copie par Isaac Dupuy de la seule lettre que nous possédions de Bertot datée et adressée nommément à Mme Guyon.

asont ms.

1anacoluthe.

De J. Bertot. Avant 1678? [2,57 DM]

Je vous aurais écrit pour vous consoler et pour vous dire deux ou trois mots de la disposition où vous deviez être selon votre grâce dans votre mal : vous m’avez prévenu, [ce] dont je vous remercie et dont j’ai bien de la consolation.

Pour répondre à la vôtre, je vous dirai que pour l’ordinaire le grand effet de grâce que Dieu prétend en donnant des maladies aux personnes qui sont amoureuses de la sainte oraison et qu’il destine pour l’union en simplicité de foi est de les dénuer par là peu à peu et de leur ôter un million d’appuis que la nature ne quitterait jamais. Souvent même quand les âmes sont fortes, Dieu se plaît en cet état de les mettre en telle déréliction et tout ensemble de laisser leur pauvre nature comme des chevaux échappés sans être domptés ni arrêtés par rien, car, comme en ce temps le corps étant affaibli il ne leur reste nulle correspondance ni force, ainsi sont-elles du côté de Dieu et de leur part aussi dénuées de toutes choses aperçues, oubliant tout à la réserve des douleurs qui les pressent et d’un million d’instincts naturels qui les tourmentent.

Quand les âmes ne savent pas le secret divin et qu’elles regardent naturellement leur mal, attribuant seulement cet affaiblissement et cette pauvreté intérieure au mal qui naturellement [309] affaiblissant le corps diminue la vigueur de l’esprit, elles se tourmentent et souvent elles se font du mal et, bien plus, elles perdent tout le dessein de Dieu par telle maladie, ne faisant ni l’un ni l’autre, c’est-à-dire ne correspondant pas à Dieu par leur activité car elles ne le peuvent, et ne faisant pas usage du mal, se contentant de la bonne intention qui le souffre par pénitence ou autre motif au lieu de s’unir au dessein de Dieu qui dénue, fait perdre et prive de tout, non seulement des précédents exercices mais encore de toute correspondance. Si bien que, si l’âme fait application, la maladie est une merveilleuse grâce pour dénuer et faire tout perdre afin de conduire et traîner l’âme insensiblement et sans s’en apercevoir dans l’abîme de Dieu, pourvu que dans le mal la pointe du cœur soit seulement vers Dieu en abandon : je le veux, je suis à vous, faites comme il vous plaira. C’est donc l’abandon unique, en repos et paix, perdant tout soin de ce que l’on est ou de ce que l’on devient, qui est la grande correspondance au dessein de Dieu dans les maladies des âmes où la foi a bien commencé. Car les âmes qui ne sont pas là doivent prendre leurs motifs et s’aider de la vigilance pour la pratique de la vertu. Et ici le repos et l’abandon fait pratiquer toute vertu dans le mal quand l’âme est fidèle selon que je dis.

N’avez-vous jamais pris garde, sur le bord de quelque rivière, comment elle entraîne à son gré par son mouvement propre quelque morceau de bois qui flotte dans l’eau : il ne fait rien et il fait tout car il se laisse aller au gré [310] de l’eau qui le porte insensiblement jusqu’au plus profond de la mer1. Voilà l’exemple d’une âme qui correspond en simple abandon au vouloir divin dans le mal, lequel supplée et contient pour lors tout exercice, de telle manière que souvent même on les perd ; mais encore toutes les lumières, tous les goûts, et tout ce que l’on savait des voies de Dieu s’efface, devenant dénué de tout.

Quand l’âme a été bien fidèle de cette manière, les forces revenant peu à peu en l’esprit, et l’esprit se dépêtrant de la faiblesse comme d’un bourbier où il était abîmé, s’il n’y prend garde il devient fort actif et ainsi il se trouble. Mais il y faut prendre garde et continuer doucement son simple abandon en repos et en nudité trouvant là toute la simple et sainte multiplicité des divins Mystères de Jésus-Christ par les saintes fêtes jusqu’à ce que le corps et l’esprit soient entièrement fortifiés et capables d’agir. Et vous remarquerez que, comme la main de Dieu par la maladie vous a dénuée et fait trouver tout en votre simple repos et abandon perdu, l’activité revenant par la main de Dieu, sans précipitation de votre part, vous retrouverez la sainte et féconde multiplicité des divins Mystères avec bien de la grâce.

Il faudrait du temps pour vous parler de tout cela. Seulement je vous prie de vous faire souvent lire et relire ceci et vous y trouverez votre affaire. Ceci est fondé sur un grand et infaillible principe de la foi qu’il n’y a rien de naturel pour les âmes qui sont assez heureuses de vivre en foi, et qu’encore que les choses arrivent naturellement, tout est divin et [311] conduit par l’infiniment sage Providence. Si bien qu’il ne faut jamais rien regarder naturellement mais tout divinement, soit les maladies ou le reste qui nous arrive, tout étant pour la perfection de l’état où nous sommes, spécialement les âmes étant dans quelque simplicité de foi par vocation. D’où vient que quand une âme qui a déjà quelque commencement de cette grâce serait tellement avancée en âge que la vieillesse commencerait à l’affaiblir je ne doute point que cette faiblesse aussi bien que la maladie ne contribuât à la simplifier davantage, quoiqu’elle soit une cause naturelle, mais qui devient divine par le commencement de cette grâce surnaturelle et divine de simplicité ou de foi.

Vous dites fort bien que dans ce repos et dans cet abandon où l’âme perd tout soit du côté de Dieu ou d’elle-même, à la réserve de son nu abandon, elle a une délicatesse de conscience plus grande qu’auparavant quoiqu’elle ait moins et qu’elle fasse moins. Cela vient de ce qu’elle est plus purement et plus nuement sans son secours abandonnée à Dieu, et ainsi Dieu est son sensible, y ayant moins de naturel. Cela est certain, et c’est le moyen le plus solide et le plus infaillible pour connaître quand la privation, le dénuement et la simplicité sont de Dieu ou par une paresse naturelle. Car s’ils sont de Dieu, le sentiment devient délicat à cause que Dieu y devient le sensible de l’âme, qui ne peut rien faire de mal sans Le bien sentir ; et au contraire, s’ils ne sont pas de Dieu, mais par une intervention de l’âme, l’âme devient hébétée et aveuglée à ses défauts, à cause que, bien qu’il paraisse à l’âme qu’elle ne fait rien [312], cette paresse est multipliée secrètement et éloigne par conséquent de Dieu.

Prenez courage, demeurez comme Dieu vous met ; et à mesure que vos forces reviendront, reprenez simplement et en abandon vos petits exercices selon que votre cœur s’y trouvera porté et que l’ouverture par la lumière divine vous en sera donnée. Voilà une grande lettre que je prie Notre Seigneur de vous faire comprendre, car elle est d’infinie conséquence. Je suis à vous de tout mon cœur.

– 2,57 DM ; attribution incertaine.

1les Torrents développeront ce thème.

De J. Bertot. Avant 1678? [2,59 DM]

J’ai de la consolation que vous vous portez mieux. Tâchez de vous appliquer à ce que je vous écris, car c’est votre affaire et vous devez agir comme je vous le mande. Toutes ces pauvretés que vous me dites et que vous me direz encore sont une aide pour vous perdre et vous laisser en plus grande perte. Il faut y faire de votre mieux en tâchant avec abandon de vous corriger, mais quand la vue et même l’expérience de ces misères vous accable, il faut vous relever, non par force mais vous calmant et vous abandonnant. Si vous pouviez une fois bien comprendre cette leçon, vous seriez heureuse car vous remédieriez à vos défauts et vous arriveriez au même temps où Dieu vous veut qui est la mort de vous-même.

La corruption n’est-elle pas le principe d’une autre génération ? Ne voyez-vous pas qu’il faut qu’un oignon de tulipe pourrisse avant qu’il produise ? Comment se vider de la plénitude, de l’estime de soi, de la suffisance, de l’orgueil et de la promptitude qu’en voyant et expérimentant ce fumier ? Mais le malheur est quand l’âme ne se sert pas de ces vues et expériences en paix et abandon pour s’en défaire en cessant ou défaillant et non en opérant. Vous ne cesserez jamais de voir et d’expérimenter ces pauvretés jusqu’à ce que vous preniez ce procédé comme il faut et qu’ainsi [316] vous deveniez petite par ces vues comme une fourmi, non en vous décourageant mais en vous unissant à Jésus-Christ qui prend plaisir d’être dans un cœur et d’en prendre possession quand il est vraiment humilié.

Travaillez donc doucement et simplement comme je vous ai dit et écrit tant de fois1, faisant oraison et étant fidèle à chaque moment, et laissez travailler Notre Seigneur chez vous par vos pauvretés et par le fond de corruption qui se découvrira encore bien plus. C’est une chose admirable que ces vues étant dans un cœur humilié et doucement tranquille par l’ordre de Dieu, l’on trouve dans cette pauvreté et dans ce bourbier Jésus-Christ, et qu’au contraire se forçant par une secrète suffisance qui fait que l’on se veut remplir de vertus, pensant que ce soit un remplissement secret de Jésus-Christ, l’on s’éloigne de Lui.

Heureuse l’âme qui pourrit et pourrit encore un million de fois, car, pourrissant en paix et en abandon, elle germe à la suite ! Mais le tout est de faire ce que Dieu vous laisse à faire en cet état et de souffrir ce qu’Il veut faire Lui-même. Il veut, comme je vous viens de dire, que vous fassiez de moment en moment ce qu’il y a à faire et Il veut que vous souffriez en abandon ce que vous ferez.

Je prie Notre Seigneur qu’Il vous donne lumière car voilà le fond de votre conduite. Si vous aviez entendu le secret de Jésus-Christ incarné, vous auriez marché à grands pas et peut-être ne l’auriez-vous pas pu, votre nature étant trop forte dans son commencement. Je crois de plus que ce défaut passé vous servira encore infiniment pour pourrir, le portant avec [317] la même disposition que les pauvretés journalières. Soyez pour le passé et pour le présent en abandon paisible, faisant ce que vous avez à faire et à la suite, Dieu aidant, le grain étant pourri il germera, et ce que je vous pourrais dire arrivera ; mais ce ne sera jamais que vous ne soyez pourrie ! Vous m’entendez, car je ne parle point de la pourriture corporelle.

Lisez et relisez ceci, et sachez que jamais vous ne le mettrez en pratique de manière que votre esprit en soit content ; quand cela sera votre pourriture sera achevée et elle commencera à germer. Je ne sais si vous comprendrez ce dernier.

– 2,59 DM.

1 Allusions à la nature volonta ire voire impérieuse de la jeune femme.

De J. Bertot. Avant 1678? [2,60 DM]

On ne saurait assez se convaincre combien il est de conséquence de s’ajuster aux providences de Dieu, et quoiqu’elles semblent nous empêcher et même souvent détruire nos desseins pour Dieu, il n’importe, pourvu qu’on s’y tienne avec une entière et nue fidélité. Un très long temps Dieu prend plaisir de faire passer et repasser les lumières pour convaincre l’âme et l’établir dans ce principe et dans cette vérité, mais quand il est suffisamment établi en l’âme, Dieu pour le purifier davantage efface toutes ces vérités, et soutient en nudité l’âme par ce principe même.

De vous pouvoir exprimer ce qu’Il produit [318] dans une âme vraiment nue et fidèle à mourir à tout et à tout intérêt, tant humain que divin, pour subsister uniquement dans l’ordre divin sans en découvrir aucune excellence ni où il conduit, ni où il prétend, cela ne se peut. Car il est vrai que ce que Dieu opère dans une âme vraiment nue de toutes choses subsistant de moment en moment par ce que Dieu fait en elle, est si grand qu’il donne de l’étonnement à l’âme qui en a l’expérience. Car comme Dieu par Sa pure opération ne peut dire que Lui-même, aussi l’âme mourant à toutes choses et à elle-même et recevant seulement ce que Dieu lui donne ou ce qu’elle a, soit intérieur soit extérieur, a la seule opération de Dieu. Et ainsi, quoiqu’elle voit souvent qu’elle ne fasse pas grande chose et qu’il lui paraisse aussi que Dieu ne lui fait rien, mais seulement qu’elle est occupée comme naturellement des choses qui lui arrivent et qui sont ordinaires dans son état et condition, au milieu de tout cela et en tout cela en mourant à soi pour y trouver seulement l’opération de Dieu, elle l’y trouve sans y rien trouver de différent. Et c’est cela proprement qui, la faisant mourir à un million de choses, travaille magnifiquement et fait vraiment l’ouvrage d’un Dieu et qui est vraiment à la suite de Dieu en elle quand Il l’a purifiée de tout ce qu’il y avait de contraire. Car il est certain que si nous savions bien nous laisser entièrement et nous abandonner entièrement à tout ce que Dieu fait en nous et autour de nous, c’est-à-dire à tout ce qui nous arrive, quelque naturel qu’il puisse être et même quelque détruisant et quelque renversant qu’il soit, nous [319] trouverions qu’il n’y a rien de mieux ni de meilleur pour faire tout ce qu’il faut faire en nous que ce qui nous arrive.

C’est pourquoi il vous est de grande importance d’ajuster votre âme peu à peu à ce procédé. Et cela étant, assurez-vous qu’elle aura souvent des régals intérieurs qui viendront du fond comme ceux que vous me marquez. Et je vous dis plus que je vous puis assurer qu’au degré où vous êtes vous ne devez pas accepter du premier abord la mélancolie et le petit abattement qui vous pourra arriver et qui vous arrive. Mais qu’au contraire pour correspondre à Dieu comme il faut et pour entrer dans Son dessein conformément à Son opération divine, vous devez contribuer à vous donner de petites joies et à réveiller votre cœur en Dieu toujours présent pour être Son aimable demeure. Mais quand vous avez fait doucement et humblement ce que vous avez pu et qu’il vous paraît que Dieu n’y correspond pas mais que vous êtes laissée en quelque tristesse, de quelque lieu qu’elle vous vienne souffrez-la comme opération divine, mais que cependant la pointe de votre cœur ait toujours quelque réveil pour la joie aussitôt qu’elle paraîtra et que Dieu permettra que cette aurore se représente sur votre âme.

Où il faut que vous remarquiez ceci comme de conséquence pour votre âme que la tristesse et l’abattement ne sont pas opération divine sur vous, qu’ayant fait de votre part ce que vous pouvez et devez pour l’outrepasser par la raison que cette mélancolie, cette tristesse et ce petit chagrin étant dans le fond de votre complexion naturelle, vous devez [320] toujours tâcher de vous en défaire afin de la surnaturaliser. Mais ayant par détour de vous-même fait ce que vous avez pu, pour lors Dieu s’en sert comme Il se sert de toute autre chose pour exécuter ce qu’Il prétend en vous. Et vous trouverez qu’agissant de cette manière, tout ce qu’Il fera en vous quelque souffrant et détruisant qu’il soit, vous mènera beaucoup au large n’y ayant que notre nous-même qui nous rétrécisse et nous captive.

Il n’est pas temps de quitter les lectures et autant que vous remarquerez qu’elles sont nourriture à votre âme et qu’elles vous causeront de la joie, continuez car c’est une marque de l’ordre divin. Il ne faut jamais se priver des moyens divins que par surabondance. Ce n’est point en se privant de nourriture que l’on meurt à soi-même en l’état divin mais plutôt par abondance de nourriture. Et ainsi il est d’importance durant que tel effet des lectures subsistera en vous de les continuer ; et par là insensiblement la lumière divine ira toujours s’augmentant, et vous verrez par là quand il faudra même cesser, car qui a suffisamment n’a pas besoin de chercher. Et quand vous apercevez que ce n’est pas seulement nourriture mais qu’il y a trop d’enjouement naturel [321] vous arrivant, ce qui arrive aux hommes trop gloutons, lesquels ne se contentent pas de se nourrir mais prenant de la nourriture par excès, pour lors cessez, afin de digérer ce que vous en avez pris. C’est pourquoi, quand vous avez lu, digérez-le tout doucement et posément à mesure que vous lisez, et quand vous vous apercevez de l’excès, demeurez un peu, car vous ne lisez que pour vous nourrir. Le faisant de cette manière vous verrez que les lectures vous seront très utiles et même que très souvent vous y verrez et y remarquerez ce que secrètement votre âme aura reçu ou cherché en l’oraison, et par ce moyen votre âme non seulement sera au large mais aussi trouvera de la joie dans la voie de Dieu rencontrant très souvent ce que vous avez de plus caché en vous par ce moyen.

– 2,60 DM. L’attribution demeure incertaine, à cause du style et de la référence à des « hommes trop gloutons ». Les lectures sont conseillées, même aux mystiques ! Cette lettre, si elle s’adresse à Madame Guyon, correspondrait à la période d’abandon ou d’épreuve décrite en Vie 1.24.3 : « M. Bertot parlait aux âmes qu’il croyait d’une plus grande grâce, et me laissait comme celle où il n’y avait presque rien à faire. […] il me voulut remettre dans les considérations… » Ce dont témoigne — avec la même réserve d’attribution — la lettre suivante.

De J. Bertot. Avant 1678? [2,61 DM]

L’âme dont il est question doit être certifiée de plusieurs choses qui lui importent infiniment pour sa conduite et pour la paix imperturbable de son âme, savoir : elle doit être assurée que sa vocation à l’oraison n’est pas depuis son renouvellement mais bien dès le commencement de sa conversion, et du temps qu’elle commença à se donner à Dieu ; et faute d’y être fidèle en la manière de Dieu, [322] elle s’est reculée de sa vocation et a pris un chemin pour l’autre par lequel elle ne pouvait jamais rencontrer le terme de sa vocation, ni arriver où Dieu la voulait. Sa vocation donc dès le commencement, a été de sortir hors de soi-même, pour arriver à Dieu par une soumission et une perte en la Providence : ce qui lui devait fournir incessamment un moyen divin et comme infini de passer en Dieu, qui est le vrai infini, qui doit calmer et rassasier notre âme et toutes ses opérations et désirs. Et au lieu d’aller selon les instincts de cette vocation, par la paix, par la perte, et par où elle n’avait rien, elle a sensibilisé toutes ces choses, se servant de ces instincts et des saints désirs, pour se porter et s’enfoncer dans les choses mêmes ; et au lieu d’en sortir pour aller d’elles à Dieu, elle y est demeurée, se repaissant avidemment d’austérités et d’actes de vertu pratiqués à sa mode. Et ainsi les mouvements de sa vocation ont été pervertis par sa nature empressée et précipitée, tournant à soi, ou plutôt consumant pour soi l’obéissance, la mortification, les actes de vertu et le reste qui était saints de soi à la vérité ; mais par leur mauvais usage ces choses n’ont pas fait fructifier sa vocation.

Quand donc le temps est arrivé que la divine Providence toujours adorable l’a voulu éclairer pour la mettre dans sa voie, elle n’a pas découvert ni vu une chose nouvelle, mais bien une chose qui était il y a longtemps, quoique cachée et encombrée par toutes les bonnes choses qu’elle avait faite jusqu’alors, lesquelles lui paraissant être quelque chose de grand et de saint lui cachaient sa voie, qui ne devait faire autre chose que l’apetisser1, la perdre et [323] la faire sortir de soi, de ses efforts et de tout ce qu’elle pourrait jamais être et avoir. Et ainsi ce sont les bonnes choses mal prises qui l’ont aveuglée et qui lui ont caché Dieu : d’autant que par là s’augmentaient la plénitude de soi, la suffisance, la faim précipitée et un million de fautes, qui loin de calmer son âme, la mettaient incessamment en action pour soi et vers soi, au lieu de la porter à sortir de soi par un oubli véritable et par une paix et un abandon dont la fin serait Dieu trouvé en nue obéissance et joui en nue et très obscure providence, prenant de moment en moment ce que cette divine Providence lui donnerait et ordonnerait d’elle, et n’ayant rien et ne cherchant autre chose ni assurance que la nue obéissance et perte de soi lui communiquerait véritablement et foncièrement, quoiqu’elle n’en eût nulle connaissance.

Pour la pratique donc de tout ceci et pour rectifier tout le passé, il n’y a qu’à se bien convaincre de cette vocation et de ce procédé divin, tâchant surtout de vivre incessamment en paix et en abandon total, ne s’appuyant jamais sur rien qu’elle ait et dont son âme soit en possession mais bien sur l’étendue infinie de sa soumission à l’ordre divin qui lui fournira toujours, sans rien avoir en soi, ce dont elle aura besoin, la divine Providence marchant de pas égal avec cet ordre divin par la soumission, pour lui être toutes choses en toutes choses, pourvu que s’oubliant, elle demeure en la main de la divine Providence. Et ainsi peu à peu elle verra que n’ayant rien elle aura tout, et par ce moyen elle passera insensiblement et imperceptiblement du créé à l’incréé, du fini à l’infini. Car il faut remarquer que tout ce qui est [324] de Dieu, aussitôt qu’il est reçu en nous, quelque relevé qu’il soit, devient limité et fini, et qu’afin qu’il demeure dans son excellence et grandeur il faut qu’il demeure et qu’il soit toujours hors de nous.

Ainsi Dieu voulant conduire une âme par la dépendance il faut qu’elle demeure nûment et pauvrement en elle. J’en dis autant de la divine Providence ; et par là, se tenant ferme en cette pure soumission et en cette dépendance totale de la divine Providence, n’ayant pour soi que la perte et l’abandon, elle aura tout d’autant qu’elle aura et trouvera Dieu même. Mais le malheur est que l’on juge et que l’on veut toujours voir cette dépendance, non en elle, mais en quelque chose qui soit en nous. J’en dis autant de la Providence, laquelle doit être poursuivie de moment en moment pour faire et souffrir ce qu’elle donne et ordonne sans s’amuser à remarquer où elle va ou ce qu’elle donne. Il suffit que l’âme la suive en paix et en abandon, faisant ou ne faisant pas ce qu’elle marque. Et ainsi quoique l’âme croie n’avoir rien ou peu qui la contente, qu’elle se perde ou demeure en repos et elle verra que sa nue obéissance la fera aller et courir sans jamais s’arrêter et enfin lui fera trouver Dieu où elle trouvera tout ce qu’elle peut désirer.

Voilà la raison pourquoi ne remédiant pas à vos défauts, ne pratiquant pas les vertus et ne courant pas à Dieu de cette manière, vous n’avez pas rempli votre vocation ni marché selon elle : et ainsi au lieu d’aller, vous vous êtes garottés les pieds et les mains ; au lieu de trouver Dieu, vous vous êtes enfuie de lui [325] et au lieu d’avoir la paix et la jouissance conformément à votre vocation, vous avez eu la précipitation et des désirs anxieux pour compagnie, sans avoir rencontré nulle plénitude. N’allez donc plus cette route, marchez à l’aveugle en sécheresse et pauvreté de votre esprit ; et vous verrez que Dieu viendra, ou plutôt que votre âme courra pour être en Dieu autant qu’elle sera en paix et en nue perte, soutenue sans soutien qui soit en vous, par l’unique soumission et par la perte, et par la divine Providence, sa chère compagne, qui ne manqueront jamais de vous tenir la main et de vous donner toutes choses en leur manière. Mais ne vous attendez ni aux lumières ni aux goûts : elles vous traiteraient trop mal et diminueraient votre grâce. Contentez-vous de ces divines princesses qui ont en soi toute la beauté et l’excellence qu’un cœur peut désirer, sans qu’elles fassent montre de ce qui peut sortir d’elles en vous, qui est toujours infiniment moindre qu’elles-mêmes quoiqu’il nous paraisse beau et admirable. Il vous suffit de les suivre et vous aurez tout, en vous perdant par elles.

Arrêtez-vous et vous fixez donc à n’avoir et à n’être rien que ce que l’obéissance et la soumission vous fera être ; et pour tout soyez en paix et en abandon, vous perdant sans ressource en cette divine conduite, laquelle vous suffira en l’oraison et hors l’oraison pour être continuellement en pleine lumière. La dépendance et par conséquent la mort de vous-même en soumission vous sera une lumière et une source continuelle de lumière, laquelle selon votre fidélité sera en tout féconde, jusque [326] là qu’enfin, à force de vous quitter et de mourir peu à peu à vous-même, c’est-à-dire à vos inclinations, passions et recherches, l’âme tombant dans un vrai calme elle viendra en la vraie et nue lumière comme une personne dans une rase campagne que nul objet n’arrête, et ainsi en ne voyant rien elle voit tout, car ce rien est le tout de l’âme.

Par là vous voyez que ce qui remplit l’âme d’objets sont les passions et les inclinations, et que les objets sont ce qui termine l’âme. Otez votre vous-même : vous ôtez les objets et vous donnez de cette manière la paix à votre cœur, le réduisant en simplicité et unité en la vraie lumière. Otez enfin la créature et vous trouverez Dieu assurément. C’est ce qui fait que les âmes qui, avec le don de Dieu, entreprennent cet ouvrage tout de bon et en simplicité, n’ont pas besoin de tant de choses ni de tant de pratiques ; plus même elles approchent, plus leur affaire s’avance, plus deviennent-elles calmes, simples et nues, jusque là qu’enfin tout leur devient lumière, non aperçue et manifeste aux sens, mais certaine et véritable à l’esprit, marchant en assurance sans rien voir, et voyant tout par la dépendance et la soumission, n’ayant rien et cependant ayant toutes choses par ce même moyen. Ce qui est cause que s’habituant peu à peu à ce dénuement et à ne rien réserver pour leur assurance, elles marchent incessamment en lumière selon ce que j’ai déjà dit, comme une personne qui serait dans une rase campagne où aucun objet ne terminerait sa vue : elle ne verrait rien mais cependant elle serait dans une bien plus ample et étendue lumière. Ainsi en est-il d’une âme, laquelle [327] se laisse peu à peu dénuer pour n’être ni subsister et n’avoir que ce qu’elle a de la divine Providence en pure dépendance et soumission, par lequel moyen Dieu lui donne toutes choses sans que rien lui manque ni qu’elle fasse réserve ni magasin de quoi que ce soit. Et ainsi elle est acheminée au pur dénuement en lumière nue de foi, laquelle plus elle est nue et sans rien communiquer, plus elle est féconde et remplie ; et si elle communique et manifeste quelque chose c’est toujours pour corriger l’âme de quelque défaut qui est en elle ou pour lui découvrir quelque vertu qui lui manque ; et l’âme doit se servir de ces lumières pour son bien, mais en marchant toujours vers Dieu.

Il est à remarquer qu’il n’y a que les seuls défauts et l’infidélité qui arrêtent l’âme. Car de la part de Dieu, Il va et court toujours dès qu’Il a donné le don, et ainsi Il n’est jamais arrêté en sa course selon le dessein éternel de la divine Sagesse ; mais c’est l’âme qui s’arrête et c’est son grand malheur qu’il faudrait tâcher d’éviter par une constante fidélité et par la pureté, la mort et la séparation de ses inclinations. Pour finir cet éclaircissement, vous devez savoir que dès que l’âme a le don, tout dépend de sa pratique et que, tant que l’âme est pure et vide de soi-même, jamais le Soleil éternel ne manque de Se communiquer. Ainsi tout consiste à s’ajuster à cette manière de communication par la nudité, et tout cela selon l’ordre divin communiqué par la dépendance selon que je vous ai dit tant de fois, outre ce que j’en dis en cet écrit.

– 2,61 DM. L’attribution demeure incertaine compte tenu du ton particulier de cette lettre. Madame Guyon f ait allusion à des difficultés avec Monsieur Bertot (Vie 1.24.3). La conduite rigoureuse dont témoigne cette lettre est typique non seulement de Bertot mais aussi du « bon franciscain » Archange Enguerrand (comme en témoigne ses lettres de direction à des religieuses) qui appartient au même réseau mystique.

1Rendre plus petit. V. glossaire.

À J. Bertot. Avant 1678? [2,68 DM]

Il y a déjà plusieurs jours que je suis pressée de vous écrire la disposition où je me trouve. Je vous prie d’avoir la bonté d’y répondre un peu au long puisque de là dépend toute la certitude de ma vocation.

Mon âme tend continuellement au repos, à la solitude et au silence et en même temps je suis dans une activité continuelle, mon esprit me fournissant toujours de nouvelles lumières sur ce que j’ai à faire dans ma famille et ici, ce qui entretient mes sens dans une vivacité perpétuelle plus grande que je ne puis dire. Il est vrai que ce qui fait que je n’y résiste pas et même que je trouve un goût que je ne puis expliquer à tout ce que je fais, c’est l’assurance que vous m’avez donnée que tout cela est l’ordre de Dieu : je le crois même connaître en ce sens que cette activité ne laisse pas d’être en unité et, pour l’ordinaire, sans aucun trouble.

Cependant je ne laisse pas d’en avoir de l’inquiétude parce que j’expérimente deux choses si contraires, savoir un état de repos et une activité sans bornes. Je vous prie donc [380] de me dire si cela doit être comme cela. Car, quoique je voie bien que ces lumières et ce repos viennent de Dieu, je ne laisse pas en même temps de craindre beaucoup parce qu’Il distribue ses dons bien différemment et que j’ai tout lieu de croire que Son dessein n’est pas de me faire aller bien loin, puisqu’Il me donne un tempérament si vif et si actif qu’à peine puis-je gagner sur moi de demeurer une heure dans mon cabinet en oraison actuelle tant mon imagination me fournit de choses à faire.

J’avoue à ma confusion que j’ai une peine incroyable à m’assujettir à ce seul point non plus qu’à aucune prière vocale. Je ne voudrais faire d’oraison que quand le mouvement m’en vient et quitter quand il passe, sans regarder au temps, au reste travailler en silence quand je le puis, et me retirer dans mon cabinet dans tous les petits moments où j’en ai la liberté.

Cette humeur libertine me fait croire ou que je me trompe ou que je recule. Il m’a passé aussi très souvent dans l’esprit que vous êtes convaincu que je n’irai pas loin, puisque vous me dites en partant que si je faisais autant d’oraison que les autres je me perdrais. Vous ajoutâtes encore que si un jour mes affaires et mes croix diminuaient, il me faudrait régler quelques pratiques de visites ou d’assemblée(s) pour les pauvres afin d’occuper mes sens.

Après toutes ces réflexions il m’en vient encore une à ajouter : c’est que je ne me corrige presque point et que j’ai tant de défauts que je ne me puis quelquefois [381] supporter moi-même. Je voudrais bien me faire quelque punition ou me prescrire quelque aumône chaque fois que je tombe dans mon défaut principal afin de voir si je ne m’en déferais pas plus tôt. Mandez-moi votre avis sans me flatter, et si je dois tout de bon prétendre où mon cœur aspire plus que jamais, c’est-à-dire à la véritable destruction de moi-même et trouver véritablement Dieu par le néant.

Voilà tout ce que j’ai lumière de vous dire à présent. J’ajoute à ce que j’ai écrit que je vois bien que j’aurai encore grand besoin d’être aidée et que si l’on me laissait, je reculerais bientôt, quoique j’ai plus envie, dans le fond, de bien faire que jamais. Je m’aperçois bien que je ne suis encore guère avant en pleine mer et que la terre n’est pas loin, pour me servir de ces comparaisons. J’ai cru quelquefois en être loin mais j’y retournerais présentement sans m’en apercevoir d’abord si Dieu n’avait pitié de moi. Je ne me perds pas assez selon toute l’étendue que Dieu demande de moi : insensiblement je veux être quelque chose tout au moins à mes yeux. À l’oraison je ne puis m’empêcher de vouloir dire quelque mot pour témoigner mon amour à Dieu, le désir que j’ai d’être fidèle, de Le vouloir prier qu’Il ne me laisse point reculer, enfin plusieurs petits mouvements de la volonté qui, quoique délicats, ne laissent pas ce me semble de venir de mon activité propre et marquer que je veux toujours tenir à quelque chose quand ce ne serait qu’à un filet. Et cependant je ne souhaite que le néant, et il semblait par [382] mes lettres passées que j’en approchais davantage les autres années. Vous voyez que je suis encore beaucoup en moi-même et je n’y voudrais plus être. Je sais que ce n’est pas l’ouvrage d’un jour et je ne m’ennuie pas, mais ce que je souhaite est de ne pas m’égarer.

Etant aujourd’hui à nos Bénédictines1 en oraison, ce que je viens d’écrire m’est venu si fortement à l’esprit que, ayant vu sur la table une écritoire, je l’ai écrit tout à genoux. J’espère que si je demeure dans la suite en solitude comme je suis en comparaison des autres années, je me remettrai dans le bon chemin et j’aurai d’autres lumières. Je suis si peinée que je ne puis dire autre chose.

– 2,68 DM.

1 Le couvent de Montargis dont la mère Granger fut supérieure.

De J. Bertot en réponse. 1678? [2,69 DM]

Ne vous étonnez pas de cette inclination que vous appelez libertine pour faire oraison seulement quand vous en avez l’instinct et pour vous laisser ensuite aller selon la nécessité des affaires pour y donner ordre. Cela en vous n’est pas sans conduite de Dieu. C’est pourquoi vous ne devez pas absolument la forcer mais vous y ajuster doucement afin que l’Esprit de Dieu soit le principe aussi de [383] votre temps d’oraison comme de votre action ; et lorsque vous voyez que l’un ou l’autre prédomine trop, rajustez-le doucement jusqu’à ce qu’enfin ce que je vous viens de dire soit en pratique en vous. Et quoique je vous aie dit autrefois que vous aviez besoin de soins et d’affaires pour occuper vos sens, ce n’est pas une marque que vous ne soyez appelée à une grande oraison. C’est tout le contraire, comme vous le pouvez voir par tout ce que je vous ai dit. Mais comme vos sens sont fort agiles et actifs, vous devez être assurée que demeurant fort fidèle en la main de Dieu, Il ne manquera jamais de les occuper.

Pour ce qui est des défauts, en l’état où est votre âme présentement, vous devez être fort exacte pour vous en défaire, mais avec beaucoup d’humilité et de patience, pour ne pas vous étonner de vos rechutes, mais plutôt vous animer à un combat tout nouveau. La peine et la vue que vous en avez est fort bonne et une suite de l’intérieur. Mais comme ce rocher ne se mine que par la patience, toutes les pratiques que vous pourriez vous donner par vous-même ne vous seraient pas utiles. S’observer en vrai esprit d’humiliation est plus nécessaire que tout le reste ; et assurément, quand l’âme l’observe et est exacte, insensiblement elle en vient à bout et par ce moyen elle acquiert un grand fond de patience et d’humilité.

Selon ma pensée vous devez prétendre incessamment non seulement où votre cœur aspire selon l’intérieur et l’oraison, mais encore au degré de pureté et de perfection qu’il voudrait bien obtenir. Ce sont des instincts [384] inséparables de l’Esprit de Dieu qui au lieu de diminuer vont toujours en augmentant, jusqu’à ce qu’on trouve enfin la jouissance de ces désirs : ce que la sécheresse, la pauvreté, l’insensibilité ne peuvent jamais effacer dans le plus intime de l’âme, car, quoique souvent on ne s’en aperçoive pas par les sens à cause de ces sécheresses, cependant cela y est si bien gravé par l’Esprit de Dieu qui pénètre l’âme que plus elle travaille et plus elle est fidèle incessamment, plus cela augmente et se doit augmenter.

Comme tout dépend de la subordination et de la dépendance à Dieu et que ce n’est point dans ce qui est et dans ce qui paraît de plus grand à nos yeux et aux yeux des autres que consiste [nt] la perfection et la pureté de l’oraison, il est de grande conséquence de prendre bien les choses selon la vérité. Car le néant n’est pas de n’avoir rien et de ne tendre à rien, mais de n’être rien et de ne tendre à rien que par le mouvement et selon que l’Esprit de Dieu nous conduit et nous l’ordonne. C’est pourquoi un très long temps que nous faisons un peu notre néant nous-mêmes, nous aidons à notre esprit et à nos sens à n’être rien et à n’avoir rien. Mais à la suite que Dieu devient davantage le maître et notre premier principe, le vrai néant est d’avoir purement ce que Dieu nous fait avoir. Quand donc à l’oraison notre âme a quelque inclination de laisser aller quelques paroles amoureuses vers Dieu ou qu’elle est inclinée à quelque vue, sentant bien que ce n’est pas par soi-même ou par inquiétude à cause de la douce inclination, il faut la laisser aller doucement et se laisser conduire à l’Esprit [385] de Dieu. Quand au contraire l’instinct intérieur est de n’être rien et de n’avoir rien, il faut doucement patienter quoique les sens pétillent pour prendre quelque chose et pour se soulager.

Où il faut remarquer qu’avant que l’âme ait cette liberté de pouvoir s’ajuster justement à l’Esprit de Dieu pour prendre le véritable et l’essentiel néant, un très long temps elle tend par ordre de Dieu au néant, c’est-à-dire à n’être rien et à ne faire rien par choix. Quand je dis qu’elle tend à n’avoir rien et à n’être rien, ce n’est pas à dire qu’elle n’ait rien et qu’elle ne fasse rien, car elle serait inutile, mais bien de se contenter de la pauvreté et du rien que Dieu veut qu’elle ait, qui lui cache sous ce rien bien des richesses qu’elle ne connaît pas ; et par ce moyen elle arrange un million de choses dans son esprit multiplié en désirs inutiles. Et voilà le premier degré du néant qui a une étendue presque infinie quoique un peu dans le choix de l’âme à cause que Dieu n’est pas pleinement le maître et le premier principe jusqu’à ce que ce premier degré de néant soit parfait.

Mais à la suite que l’âme est devenue en quelque façon une table rase et bien polie entre les mains de Dieu, ou bien si vous voulez une autre comparaison, une boule parfaitement ronde qui n’a aucune inclination d’un côté plus que de l’autre, pour lors l’Esprit de Dieu commence à devenir le principe de tout en l’âme, et ainsi le néant commence à n’être pas seulement ce qui n’est rien, mais à être tout ce dont Dieu est le principe. Ce qui a été cause que les âmes les plus actives comme un [386] saint François Xavier et autres personnes vraiment apostoliques, quoique infiniment multipliées non seulement dans les productions de leur esprit, mais encore dans la diversité des opérations de leurs sens pour tout ce qu’ils avaient à faire soit pour eux soit pour la conversion des autres, étaient et opéraient tout dans le néant, Dieu étant vraiment le principe : c’est pourquoi non seulement ils faisaient infiniment des affaires et des ouvrages sublimes en la conversion des âmes et en tout ce qu’ils avaient à faire, mais encore ces mêmes choses étaient très relevées devant Dieu.

De ceci vous pouvez tirer une instruction et juger comment vous devez tendre au néant, tantôt d’une manière, tantôt d’une autre, car il est certain que la Sagesse divine ne nous conduit pas toujours d’une même sorte et que, pour consommer en nous Son dessein éternel, S’ajustant à notre faiblesse, Elle agit un temps d’une manière, un autre d’une autre. Et ainsi l’âme par conduite de Dieu tend tantôt au néant premier, quelquefois aussi elle est mise dans l’opération du second, et de cette façon, par diverses allées et venues, ce divin néant où Dieu fait tous Ses beaux ouvrages se perfectionne en l’âme.

Et il faut remarquer que, afin que Dieu la fasse courir à plus grands pas, Il lui donne des occasions de tout perdre intérieurement, tantôt d’une manière, tantôt d’une autre ; et par là elle a des occasions de se perdre, de s’abandonner et de se délaisser entre les mains de Dieu qui sont les moyens pour tomber peu à peu dans le néant. Car qui ne sait se passer de tout et se pouvoir appuyer sur Dieu seul, ne [387] peut tendre au néant comme il faut. Et voilà pourquoi Dieu par une providence toute particulière donne en toute manière, soit intérieurement soit extérieurement, des moyens et des occasions de s’abandonner et de se perdre, ce qui doit être beaucoup précieux, le néant en dépendant.

– 2,69 DM.

De J. Bertot en réponse à six questions1. 1678? [2,70 DM]

I. Les sens peuvent-ils être féconds en manière divine avant que d’être morts et anéantis entièrement ? Les miens ne le sont pas, assurément, puisque leur activité est souvent pleine de défauts. La vivacité qu’ils ont ne vient-elle pas plutôt de leur activité première et imparfaite qui est commune à tous ceux qui ont de la vivacité et qui sont agissants ? [388]

RÉPONSE :

Les sens ne sont vivifiés que fort tard et il faut par nécessité que le centre et les puissances le soient premièrement, par la raison que la vie du centre et des puissances est la source d’où émane leur vie.

Cette vie du sens consiste en une plénitude de jouissance des états de Jésus-Christ. Et, comme ce divin Sauveur a paru visible, corporel et sensible à nos sens, aussi les sens, qui ne sont capables que des images, reçoivent-ils par elles, en cette vie qui les vivifie, capacité d’être remplis de ces images divines qui sont un don et une grâce très spéciale à l’âme. Car, comme Jésus-Christ est la plénitude des miséricordes du Père Eternel sur nous, ainsi la jouissance de Jésus-Christ dans les sens et par les sens est le comble de ses communications en cette vie.

Cette sorte de communication sensible en images divines de Jésus-Christ est très différente des images premières que nos sens prennent et reçoivent pour considérer Jésus-Christ et s’entretenir de Jésus-Christ soit dans la méditation ou bien dans les autres degrés d’oraison, même dans celui de contemplation.

Peu d’âmes arrivent ici en cette vie, ceci étant un don très relevé et un effet d’union à Dieu très sublime dont Dieu honore les âmes [389] qui ont été fidèles à parcourir les degrés d’oraison en mourant véritablement à elles-mêmes pour vivre de Jésus-Christ. Car pour parler avec grande sincérité, quoique l’on puisse dire que Jésus-Christ vit dans les âmes où la vie divine commence à être dans le centre d’elles-mêmes et aussi dans leurs puissances, cependant cela n’est point encore ce que l’on doit appeler véritablement la vie de Jésus-Christ, parce c’est en ce seul degré où les sens sont vivifiés en images divines de Jésus-Christ que l’âme est assez heureuse de recevoir la conformité divine de Jésus-Christ. Et la raison est d’autant que ce divin Sauveur non seulement a été Dieu mais Dieu-Homme ; et par conséquent, afin de jouir de Sa conformité, il faut arriver au degré qui nous donne le moyen de l’avoir sensiblement et d’être capable des lumières sensibles de Son humanité sacrée.

Il faut remarquer ici une chose de grande conséquence : que ces images divines que les sens reçoivent pour leur donner la conformité de Jésus-Christ, ne sont en aucune manière visions ni choses qui paraissent extraordinaires. C’est une élévation de la capacité des sens par principe de grâce, par laquelle les sens voient comme ordinairement et naturellement tout ce qui touche les Mystères de Jésus-Christ. Et ainsi cela paraît fort ordinaire quoiqu’il soit très extraordinaire, tant en son principe qu’en la profondité des lumières que l’âme a pour découvrir les merveilles de Jésus-Christ et pour y voir tant de raison, tant de Sagesse et tant de plénitude d’amour pour les créatures, qu’il paraît à l’âme qui en est honorée que [390] tous les degrés de grâce qui ont précédé ne sont point dans la plénitude d’amour que celle-ci communique.

C’est vraiment là où l’on commence à découvrir le grand don du Père Eternel fait à la terre en lui donnant Jésus-Christ. C’est là où l’âme a un si facile accès à jouir de Dieu que, comme nous voyons qu’il n’y a rien de si facile à découvrir et dont nous pouvons jouir plus à l’aise que ce que nos sens peuvent apercevoir, ainsi cette faculté de jouir de Jésus-Christ par les sens est si facile et si aisée que l’âme en est plus surprise que d’aucun autre don qui a précédé. Et toute cette merveille vient à l’âme par le grand et infini don que Dieu a fait à la terre en lui donnant un Jésus-Christ, ce qui fait remarquer à l’âme la grande différence qu’il y a entre le don de Dieu dans la Justice originelle et dans l’Ancien Testament d’avec celui de la grâce chrétienne dans le Nouveau. Comme le premier était le don de Dieu, ce second est le don de Jésus-Christ Dieu-Homme en surabondance merveilleuse : « Veni ut vitam habeant, et abundantius habeant2 ». C’est vraiment dans ce degré des sens revivifiés que l’on commence à comprendre cette abondance par le don de l’Humanité Sacrée.

On pourrait ici dire beaucoup de choses sur cela, mais il n’est pas temps. J’ai voulu seulement en dire ce peu afin de faire voir un échantillon de l’emploi de la vie des sens.

Or pour arriver à cette vie, il est impossible que cela se fasse ni s’opère que par la [391] mort. Et, comme cette grâce de la vie des sens est un si grand don, il est certain aussi que la mort qui doit précéder est très longue, et commence même dès les premiers degrés d’oraison. Je viens de dire que peu d’âmes arrivent à cette vie des sens, je dis aussi que peu d’âmes y sont disposées par les morts qui sont préalables et nécessaires pour cette vie. Et comme il est certain que cette vie des sens est un dessein spécial de Dieu sur les âmes, aussi Dieu dispose-t-Il et donne-t-Il des sens qui soient vifs, actifs, forts et soutenus d’un bon esprit naturel, mais spécialement fort judicieux. Et comme ces sortes de sens sont vifs et actifs, ils ont des croix pour mourir fort violentes et pénétrantes de manière qu’il faut bien de la force pour soutenir leur opération en les faisant mourir. Nous avons parlé en beaucoup d’endroits de ces sortes de morts, et il faut remarquer que l’amplitude et la profondeur de cette mort des sens est autant étendue que la vie divine le doit être. C’est pourquoi, s’il était nécessaire d’en parler, il faudrait pour le moins un temps aussi long et une lumière divine presque aussi profonde que pour parler de la vie divine des sens revivifiés.

Il ne faut donc pas s’étonner si au degré où vous êtes, vous ne sentez que la vivacité de vos sens qui vous peinent, de la sécheresse et un million d’autres petites croix qui vous pénètrent de toutes parts : c’est ce qu’il vous faut présentement et c’est le moyen divin par lequel Dieu Se communique en votre degré. Car, comme si vous étiez assez heureuse d’arriver par la suite à la vie divine des sens, [392] cette vie communiquerait grâce et serait le canal par lequel les lumières et la participation de Jésus-Christ vous seraient données, la mort et les croix de vos sens qui la causent doivent être présentement le canal et le moyen des dons de Dieu et de Ses miséricordes.

Ainsi il est certain que l’âme étant fidèle, il n’y a point de moment que la moindre contrariété, la moindre peine et le reste que le naturel et la vivacité des sens vous peu [ven] t causer ne puissent être un moyen de grâce, l’étant de mort. Toute la difficulté est que l’on veut toujours vivre avant que de mourir et que l’on ne peut comprendre que la mort soit une vie (quand je dis la mort, c’est-à-dire la peine que l’on a à mourir, et tout ce qui nous cause la mort) ; cependant il est certain que ces moments sont infiniment précieux et qu’ils renferment le don de Dieu, non seulement pour le donner au moment, mais pour le conserver pour les états futurs, si l’âme est fidèle.

N’est-il pas vrai que qui aurait considéré les pensées et l’agitation des saints Apôtres au temps de la mort de Jésus-Christ et tout ce qui s’opérait en l’Église ou en la personne de ce divin Sauveur, aurait vu des gens non seulement tout écrasés et en perplexité à l’égard de ce qui devait arriver, mais bien plus tout doutant et hésitant sur la vérité de ce que Jésus-Christ était et de Ses promesses ? Cependant c’était pour lors le temps de la source du bonheur qui devait suivre. Mais si vous tournez de face la médaille et que vous voyez leurs esprits et leurs cœurs dans la première apparition de Jésus-Christ, vous les trouverez dans un transport de joie et dans des sentiments tout [393] pleins de reconnaissance et de fidélité, étant vraiment humiliés de ce qui était arrivé auparavant.

Si nos yeux étaient dessillés pour découvrir la vérité telle qu’elle est, nous serions surpris de la situation de notre cœur et de notre esprit dans les temps des morts, des peines et des humiliations de ce même esprit et de nos sens et nous verrions que nous n’avons qu’une incrédulité continuelle et un affaiblissement de cœur toujours semblable à celui de ces saints Apôtres. Nous ne parvenons presque jamais à la lumière et à la fidélité constante pour estimer les morts et pour en faire usage. Je sais bien que très souvent cette faute vient de ce que l’on croit que ce sont des choses naturelles et qui viennent par nos défauts. Mais il n’importe, il en faut être humilié et en faire usage comme de choses divines d’autant que tout doit et peut servir à la mort.

II. Puisque l’on ne peut rectifier les puissances ni les sens à moins que de les détruire entièrement, puis-je croire que les lumières qui me viennent sont purement de Dieu, n’ayant point passé par toutes les agonies qui précèdent la mort réelle et véritable ? [394]

RÉPONSE :

Il ne faut pas attendre que les puissances et les sens soient actuellement morts et rectifiés pour pouvoir espérer d’avoir des lumières et des grâces en ces parties de notre âme. Il est vrai qu’elles ne sont pas si pures. Mais il est toujours constant qu’il y en a et d’aussi pures que leur mort est avancée : ainsi à mesure qu’elles se rectifient, les grâces s’augmentent et deviennent plus pures. Au commencement de la mort, les désirs de mourir commencent à faire naître ces miséricordes, et à mesure que ces désirs se changent en effets, ces lumières augmentent et de cette manière successivement chaque chose se perfectionne.

Les personnes qui ne sont pas suffisamment expérimentées en l’oraison et au discernement de la conduite de Dieu jugent toujours que la grâce et les lumières ne peuvent demeurer avec les défauts et les imperfections. Cela ne se trouve pas tel, car quoiqu’il y ait encore bien des défauts de mort en nous, les lumières ne laissent pas d’y être et la divine Bonté ne manque pas à nous les communiquer afin de nous encourager de plus en plus et nous animer à mourir fidèlement.

Ce n’est pas donc une raison pour dire qu’il n’y a point de grâce ni d’oraison en une âme quand on remarque encore bien des défauts, et l’on ne doit pas juger par là que ce que l’on voit de lumière en cette âme [395] soit faux. Mais quand on voit que ces lumières ne portent pas à mourir peu à peu à soi et n’endorment pas les instincts, c’est bien pour lorsque l’on doit soupçonner quelque chose de mal et travailler peu à peu pour s’animer afin de faire usage de la grâce et de la lumière.

III. (Lettre à l’auteur). De même, ma mémoire ne doit-elle pas se perdre entièrement avant que de devenir si féconde ? Je vous ai ouï dire qu’elle se perdait en un point que dans les affaires on se trouvait fort embarrassé. Et même à présent je suis souvent comme cela dans tout ce que j’entends dire et dans tout ce que je vois qui ne regarde pas mon état présent. Car même pour le passé, je ne retiens rien de toutes les choses que j’ai vues que si confusément que je ne pourrais rapporter aucune particularité. Cela est pénible dans les conversations et attire de l’humiliation. Enfin, elle est très vide de toute idée excepté [396] (comme je vous ai mandé) pour le présent de ce que je puis faire dans mon état. Cependant je ne la crois pas morte pour les raisons ci-dessus. Et, par une route contraire, d’où vient que la vôtre qui est morte il y a longtemps et qui est revivifiée, manque souvent à vous fournir dans les affaires ce qui est nécessaire ? Pardonnez-moi si j’approfondis trop, mais cela m’est venu sans y penser, et c’est pour le bien public.

REPONSE :

Pour ce qui est de la mort de la mémoire de l’entendement et de la volonté, c’est une sorte de mort bien différente de celle dont nous parlons et dont nous avons parlé jusqu’à présent, car la mort des sens et des puissances dont nous parlons est une mort pour les rectifier en vertu et en pureté des pratiques chrétiennes. Mais la mort de ces puissances dont vous me parlez en cette [397] demande se fait par un écoulement de ces puissances en Dieu qui en est le principe, et qui supplée à l’office qu’elles nous rendraient ; et ainsi cette mort est toute autre chose et une suite dont il n’est pas temps de parler présentement.

La mort de la mémoire dont vous voulez parler est une rectification en pureté par laquelle l’âme est purifiée d’un million de ressouvenirs et d’usages de son pouvoir et de sa capacité par elle-même, et comme Dieu veut toujours attirer l’âme de plus en plus à Soi pour la simplifier et pour l’unir, aussi par providence lui retranche-t-Il les ressouvenirs et les soins de diverses choses non absolument nécessaires ; et à mesure que l’âme se laisse conduire à Dieu et qu’elle est fidèle à cette simplicité et à son union, Dieu ne manque pas à lui fournir les choses selon le besoin. Ce n’est pas que Dieu ne permette très souvent, par providence, qu’elle les oublie, mais c’est pour lui donner lieu de mourir, et selon son degré de mort ces oublis ne laissent pas de lui servir, Dieu S’en servant pour son bien.

Il est donc très vrai que cette simplicité et cette union s’avançant, la volonté devenant plus amoureuse et inclinée vers Dieu, la mémoire, comme un papillon, peu à peu se brûle et perd ses ailes et sa capacité d’entendre et de se ressouvenir par ce même amour, c’est-à-dire par son approche plus grande de Dieu. Les degrés de cette perte de mémoire sont très grands et très longs, correspondant à la grâce qui nous fait trouver Dieu. Cette perte ne nous doit point brouiller ni inquiéter, mais aussi nous ne devons pas l’avancer ni la [398] procurer d’autant que nous pourrions nuire aux affaires et à ce qui serait ordre de Dieu sur nous. Il faut en ces rencontres se comporter comme nous avons déjà dit à l’égard de la simplicité.

Mais de juger promptement que ces oublis et ces étourdissements de mémoire sont des morts de la mémoire, et par conséquent des pertes de cette puissance en Dieu où elle se trouve non seulement comme en son origine mais encore plus comme dans sa source très féconde, il ne faut pas le croire facilement. L’entendement et la volonté sont perdus un très long temps bien plus tôt que la mémoire, et la perte de cette puissance est le dernier point que Dieu nous fait trouver en cette vie. Ainsi il est certain que ces manques de mémoire qui viennent même par grâce ne sont pas de vraies pertes mais bien des dispositions et des approches de Dieu qui peu à peu fait éclipser et diminue un peu l’éclat de cette puissance. Les étoiles ne se perdent pas au lever du soleil mais se cachent un peu : ainsi en est-il de la mémoire dans l’approche de la lumière divine. Il faut ménager doucement les choses en cette rencontre et les abandonner beaucoup à la Providence. Car, comme vous me parlez, vous devez faire ce que vous pourrez pour vous souvenir des choses, et si cependant après ce soin vous les oubliez, laissez-les à la divine conduite.

Je dis bien plus : les âmes même plus avancées où cette perte commence à se trouver et dans lesquelles la mémoire récoule en Dieu, ne laissent pas d’avoir ces oublis tout de même. Car en cette vie, quelque perdue [399] que puisse être une puissance, Dieu ne la donne jamais au gré et à la volonté propre de l’âme mais bien à la Sienne, et ainsi ces âmes, même plus avancées en perte de leur mémoire ou de leurs autres puissances, ne les ayant que par dépendance de Dieu, en ont souvent des éclipses. Tout ce qu’elles ont de plus que le commun, outre le bonheur de leur perte, est qu’étant davantage en Dieu par cette même perte, elles ont leur puissances plus vives qu’elles ne les avaient naturellement, et cette vivacité augmente selon la perte plus grande de la puissance. Ce ne serait pas même un bonheur à l’âme en cette perte de jouir de la mémoire ou de quelque autre puissance à son gré sans qu’elles demeurassent en la conduite de la Providence, ce qui leur est un très grand bien par les diverses rencontres de morts que la divine Providence leur cause par les oublis inopinés et par les surprises des autres puissances. Ainsi généralement quand on parle de mort de l’âme et de ses puissances, et de les retrouver, cela ne s’entend jamais et ne doit jamais s’entendre que par disposition amoureuse de la divine Providence et de la conduite divine qui en devient le principe.

Et je ne puis ici me passer de dire un mot de certaines âmes qui se croient si élevées en lumière de Dieu et en Dieu qu’elles ont à leur gré selon leur volonté Ses communications, de manière qu’il n’y a qu’à leur dire une chose pour avoir, aussitôt qu’elles le veulent, lumière et réponse divine. Ces choses ne sont point telles dans la vérité profonde : Dieu est un miroir volontaire, qui fait voir comme il Lui plaît les choses ; et ainsi notre âme [400] approchant de Lui et se perdant par ses puissances en Lui, ne fait pas usage d’elles et de toutes choses comme elle le veut mais bien comme Dieu veut. Si bien qu’il est très véritable que c’est contrarier l’ordre divin, en toutes ces voies d’oraison, de ne pas se soutenir autant que l’on peut dans l’ordinaire, et ensuite s’abandonner à la conduite de Dieu.

IV. (Lettre à l’auteur). Pour cet instinct de pureté intérieure, je l’ai toujours ressenti, mais présentement c’est comme un flambeau qui me fait voir un abîme d’imperfections naturelles dont je ne vois point le fond, et dont sans un miracle je ne crois point pouvoir sortir ; et à présent mes fautes continuelles sont des sottises et des imprudences, ce qui m’attire de bonnes humiliations. Je suis néanmoins tranquille sur cet article après ce que vous m’avez mandé.

REPONSE :

Il est très vrai que plus la lumière divine s’augmente dans une âme et plus elle perd [401] le moyen distinct, devenant plus lumineuse, plus aussi découvre-t-elle ce que l’on est en vérité. Les instincts que Dieu met en nous pour la pureté et pour les vertus nous découvrent bien quelque beauté des vertus, et ainsi nous anime à nous purifier pour les avoir. Mais quand ces instincts deviennent lumière et sont lumineux, ils nous découvrent vraiment ce que nous sommes selon leur degré de lumière, et à mesure que leur lumière augmente, la découverte de notre nous-même et notre impureté foncière se manifeste. C’est même par ce moyen que l’on discerne la pureté véritable et la vérité de telles lumières, ce qui souvent humilie beaucoup et nous fait voir bien des sottises que nous faisions auparavant sans les connaître. Un enfant dont le discernement n’est pas encore assez avancé fait bien des faiblesses et a quantité de manques de jugement sans qu’il les voit et en soit humilié, mais à la suite que la raison s’avance elle lui fait voir les bassesses de sa jeunesse.

V. (Lettre à l’auteur). Je ne puis m’empêcher de parler d’un autre instinct quoiqu’il n’en soit pas parlé dans la lettre, que j’ai ressenti dès le commencement que j’ai été touchée de Dieu, et qui, quoique souvent caché par mes fautes et par les ténèbres et sécheresses, a toujours augmenté : c’est un certain principe de vie, tantôt [402] comme un amour secret et inconnu, tantôt comme une faim insatiable de Dieu, enfin comme une pierre qui tend à son centre, ou plutôt tout cela ensemble, car tout est renfermé dans cette simplicité. Au commencement j’en parlais comme d’une chose que je croyais commune à tous ceux qui voulaient être à Dieu, mais cela n’est pas à ce que je crois. C’est ce que j’ai appelé présence de Dieu. Je n’en ai jamais eu d’autre, et cela plus ou moins : selon les degrés cela est plus ou moins simple.

REPONSE :

Cet instinct et ce penchant de votre âme vers Dieu est un don que Dieu communique à l’âme qu’Il veut approcher de Lui par l’oraison et par les communications de Ses plus particulières grâces ; ce don est plus ou moins fort selon le dessein éternel d’une plus grande ou moindre approche. Ce don qui est proprement un instinct, une pente, un poids, une tendance, une inclination, vient par une véritable touche de Dieu dans le centre et dans les parties de notre âme pour les faire vraiment recouler vers Dieu. Cette touche est un mouvement de notre âme vers son centre. Et [403] tout de même que nous voyons que chaque chose tend à son centre par son inclination — une pierre tend en bas et a toujours son poids qui l’y incline, le feu tend en haut, et ainsi du reste — il en est de même de l’âme touchée de Dieu. Et ce mouvement, ce penchant et cette inclination est lumière, est amour, est tout : par conséquent, est présence de Dieu, est oraison, est toute chose qui se réveille différemment selon la diversité des grâces et des exercices dont l’âme est réveillée.

Cette touche est générale et commune à toutes les âmes appelées spécialement pour recouler3 vers Dieu, leur origine, mais elle est différente en chacune selon le degré du dessein de Dieu. Toutes les âmes ne l’ont pas : les unes ne sont touchées que pour éviter le péché mortel, les autres de plus pour les vertus, les autres un peu plus davantage pour quelques pratiques plus avancées. Mais pour ce qui est de cette touche qui donne le penchant et l’inclination à toute l’âme secrètement et inconnuement pour recouler vers Dieu comme son centre, c’est par une touche de Dieu même qu’elle se réveille en l’âme. Il y a des âmes où ce réveil et cette touche est si forte qu’on la peut comparer à un torrent qui va incessamment se précipitant jusqu’à ce qu’enfin il arrive dans son centre qui est la mer4. Ainsi cette touche est très différente en toutes les âmes qui sont touchées de Dieu, mais il est toujours vrai qu’il faut par nécessité qu’elle survienne avant que l’âme ait le penchant continuel pour y arriver.

Comme c’est une grande grâce, il faut tâcher de la ménager et faire tout ce que l’on [404] peut pour la mettre peu à peu en liberté, et par ce moyen elle entraîne insensiblement l’âme en son origine. Une pierre retenue a bien son poids et sa pesanteur pour tendre à son centre, mais elle n’a pas le mouvement : dégagez-la et lui ôtez les empêchements qui l’arrêtent et vous verrez que selon son poids elle se précipitera sans arrêt jusqu’au lieu où est son véritable repos.

VI. (Lettre à l’auteur). Pour le repos dont j’ai parlé ce qui me le rend un peu suspect, c’est parce qu’il me rend à l’extérieur moins gaie. Car comme je n’ai personne à qui je puisse ouvrir mon cœur, toute ma joie et mon contentement est de me taire. Je ne puis prendre plaisir à ce qui divertit les autres : hors ce qui est de mon devoir, le reste souvent me resserre le cœur et me peine ; je l’ai bien éprouvé depuis peu, n’ayant pas eu la même liberté. Quoique je sois pleinement contente comme je ne vois que des objets tristes, je crains de la [le] devenir. Ayez la bonté de m’expliquer pourquoi vous m’avez dit souvent que vous ne le craignez pas pour moi car j’en ai [405] quelquefois de petites attaques qui font en moi des effets très mauvais qui seraient trop longs à dire.

REPONSE :

Il faut beaucoup estimer le repos intérieur comme la fin où Dieu tend en ses opérations et même comme le moyen de ses grâces plus particulières. Cependant comme, par une sagesse admirable de Sa divine Majesté, Ses dons sont en cette vie mélangés de nos faiblesses et que peu d’âmes arrivent à les recevoir purement sans mélange, il est d’importance de les ménager en y conservant la nature ; autrement les plus grands et les plus purs dons pourraient l’affaiblir à la suite et lui causer du mal. L’oraison qui est le véritable commerce avec Dieu est le plus grand [don] que nous puissions recevoir actuellement. Cependant étant reçu sans conduite, il peut lasser et ainsi non seulement affaiblir la nature mais encore l’oraison même, le sujet se gâtant.

J’en dis autant du repos intérieur : il faut y être fidèle pour soutenir et élever l’âme, mais il est bon de le ménager afin qu’elle ne se laisse pas insensiblement accablée à la fainéantise d’esprit qui peu à peu attire à soi la mélancolie. De quoi il faut extrêmement se donner de garde, comme d’un venin non seulement très pernicieux, mais très présent : c’est pourquoi faites ce que vous pourrez pour vous en sauver. Je vous ai [406] dit autrefois que je ne la craignais pas tant pour vous, parce que vous êtes plus en état de discerner le mal qu’elle vous peut causer, mais en la vérité, si vous n’y prenez garde, ayant tant d’occasions qui vous y peuvent faire tomber, insensiblement vous vous en trouveriez accablée. C’est pourquoi il est de conséquence de la prévenir, et même de la soupçonner en bien des occasions où la nature ne voudrait pas la qualifier de mélancolie, afin que, la découvrant, vous tâchiez de la combattre en toutes manières, tant en l’outrepassant qu’en vous retournant amoureusement vers Dieu pour en faire par ce moyen usage divin d’abandon en Son divin ordre. Un cheveu, ni une feuille ne tombe pas sans mon Père, dit Notre Seigneur4.

Ainsi tout est ordre divin et effet de Sa divine Sagesse pour notre honneur et pour notre conduite. Qu’y a-t-il de plus consolant pour une âme désireuse de lui plaire ?

– D.M. 2.70.

1 Les questions sont des « lettres à l’auteur [Bertot] », comme indiqué entre parenthèses à partir de la question III.

2 Jean, 10, 10 : Je suis venu afin qu’elles aient la vie, et qu’elles l’aient plus abondante.

3 Couler de nouveau (Littré, qui cite Bossuet).

4 Comparaison qui sera reprise par Madame Guyon : « … elles ont toutes une impatience amoureuse de se purifier, et de prendre les voies et moyens nécessaires pour retourner à leur source et origine, semblables aux rivières, qui, après qu’elles sont sorties de leurs sources, ont une course continuelle pour se précipiter dans la mer. » (Les Torrents, chapitre I.)

5 Luc, 21, 18 ; Matthieu, 10, 29-30.

De J. Bertot. 1678? [3,32 DM]

Je vous assure, madame, que mon âme vous trouve beaucoup en Dieu, et qu’encore que vous soyez fort éloignée, nous sommes cependant fort proches, n’ayant fait nulle différence de votre présence et de votre absence, départ et éloignement. Les âmes unies de [127] cette manière peuvent être et sont toujours ensemble autant qu’elles demeurent et qu’elles vivent dans l’unique nécessaire : là, elles se servent et se consolent aussi efficacement, pour le moins, que si elles étaient présentes, et la présence corporelle ne fait que suppléer au défaut de notre demeure et perte en Dieu.

Assurez-vous donc, madame, que j’ai et que j’aurai grande joie de vous pouvoir être utile en quelque chose en vous répondant et vous disant en simplicité les petites lumières que Sa Bonté me donnera et que je souhaite vous être fort efficaces. Pour ce qui est de la reconnaissance, il n’en faut point d’autre sinon de se voir et de se trouver en union en Dieu, chacun selon sa manière et son degré ; et là, on se rendra plus que tous les compliments humains ne pourraient nous dire.

C’est la misère présente du monde qui ne fait agir que par les sens et qui tient toute autre manière comme une chose chimérique et non réelle. D’être privé de ses amis et de toutes choses généralement dès que les sens ne les aperçoivent plus, cette manière des sens est l’origine de tant de croix pour les hommes et les rend si misérables dans la vie présente qu’on peut dire sûrement qu’une personne commence d’être malheureuse dès cette vie aussitôt qu’elle naît, et qu’elle ne finit son malheur qu’en mourant, supposé qu’elle soit sauvée. Mais au contraire les âmes qui sont assez heureuses de pouvoir trouver Dieu en soi dès cette vie, commencent leur bonheur dès aussitôt que cette lumière commence, et ce même bonheur va toujours augmentant autant qu’elle leur donne Dieu [128] de plus en plus, jusqu’à ce qu’enfin elles soient en état de pouvoir voir et converser par ce moyen : car assurément l’âme, dans la suite, peut être si bien en Dieu qu’elle y trouve toutes choses et y jouit de tout. Les sens n’ont pas toujours là leur compte, mais, à la suite que la divine lumière qui cause ce bonheur s’augmente, elle les calme et réduit peu à peu à la raison, voyant qu’encore qu’ils ne trouvent pas toujours selon leurs désirs toutes choses, ils ne laissent pas de les avoir plus abondamment sans comparaison que s’ils les avaient par leur moyen. Et ainsi comme Dieu est l’infaillibilité même et le principe de toute fidélité, bonté et amour pour les créatures, ayant le moyen d’en jouir fort facilement, on trouve là sans peine le moyen de se contenter. Il est donc d’importance très grande de mourir peu à peu au procédé des sens, à leurs façons d’agir et à leurs lumières, afin que, se servant de la foi qui nous fait être et demeurer facilement en Dieu et y trouver tout notre nécessaire, nous y trouvions aussi notre joie véritable, et généralement tout ce qui nous manque.

Ceci paraît fort difficile et souvent impossible aux personnes qui n’en ont pas l’expérience et jugent selon les sens, mais en vérité, je ne saurais exprimer combien il [cela] est facile aux âmes qui sont assez heureuses d’avoir le don de la foi et qui ne s’amusent à rien discerner selon les sens, mais bien qui voient tout et jouissent de tout selon la foi. C’est donc là que l’on trouve ses amis et qu’on leur est plus utile qu’en toute autre manière, car en les trouvant on ne laisse pas [129] d’avoir Dieu et de jouir de Lui. Et au contraire, quand on a ses amis et qu’on est occupé par les sens, pour l’ordinaire on est peu en Dieu et on leur est peu utile. Ce n’est pas [le cas lors] qu’ayant trouvé Dieu par la foi, quoique l’on soit avec ses amis et que l’on travaille pour eux avec les sens, on ne laisse pas d’être en Dieu et qu’ainsi ils n’occupent pas mais plutôt renvoient l’âme en Dieu par le petit travail et service qu’on leur rend à cause de la charité qui est exercée.

Il faut bien savoir qu’une âme destinée à arriver en Dieu et à jouir de Dieu en foi de la manière susdite est destinée à la mort et qu’elle peut bien s’attendre incessamment à mourir par toutes choses. Il y a une Sagesse qui accompagne tous les moments de telle âme pour lui faire trouver l’occasion de mourir et des morts en toutes choses : je dis une Sagesse car assurément ce ne sont pas les choses en elles-mêmes qui font mourir au point qu’elles nous causent la mort, mais bien un secret de Sagesse de Dieu qui s’y rencontre et qui nous les approprie si bien que nous trouvons à chaque moment de notre vie que c’est vraiment cela qu’il nous faut pour mourir à nous-mêmes.

Ce n’est donc point pour l’ordinaire les grandes choses qui nous donnent la mort en nous accablant, mais bien un million de petites qui se rencontrent dans notre état et qui semblent fourmiller et naître à l’improviste, si bien que nous ne sommes pas plutôt crucifiés par une qu’une autre succède. Et ainsi il nous paraît (si l’âme est fidèle à sa lumière et à Dieu) que selon que l’âme avance ses démarches, les [130] croix aussi la précèdent et font vraiment le vide que Dieu qui suit ces croix remplit. Car telles croix vont toujours faisant mourir l’esprit et la raison en attaquant un million de petites recherches d’amour propre que nous remarquons bien ensuite à la venue de Dieu, qui faisaient plénitude et qui, par conséquent, l’empêchaient. Tout ce qu’il y a à faire c’est de mourir sans mesure, sans règle, sans ordre. Dans la suite on trouvera que ce procédé de mort par toutes les petites rencontres de notre état et condition faisant beaucoup naître la lumière de Dieu en nous et nous mettant de plus en plus en Dieu, y met ordre et arrange merveilleusement bien ce que nous croyons se gâter et se renverser par les morts et par les croix.

[C’est là] où il faut remarquer que toutes telles croix et morts attaquent toujours puissamment les sens, la raison et par conséquent tout le procédé humain et font par là insensiblement, et comme sans s’en apercevoir, régner magnifiquement la foi au-dessus des sens et de l’esprit. C’est par là que l’âme se dérobe de ses sens, de sa raison et de tout son peuple, je veux dire de ses passions et de ses appétits pour entrer et vivre dans la région de l’esprit ou, pour mieux dire, dans la région de la foi où elle trouve Dieu en vérité et plus facilement que nos yeux ne trouvent le soleil en rase campagne et en plein midi. Mais, ô malheur ! le procédé des sens est si difficilement détruit, et les morts et les croix leur sont si amères qu’incessamment ils attirent l’esprit éclairé de la foi à leur compatir et à s’amuser à ce qui les étourdit.

Soyez donc fidèle, je vous prie, à ne pas laisser passer le moindre moment de ce qui vous arrive par providence parce que chaque moment de mort est infiniment précieux, la vie divine y correspondant. D’abord l’âme est en peine au milieu de ces morts comment elle en usera et comment elle s’en servira. Mais un peu de courage et de patience, et vous trouverez que votre âme s’y ajustera si bien qu’elle y trouvera son bonheur, y trouvant Dieu. N’avez-vous jamais vu travailler à une statue de pierre ou de marbre ? Les premiers coups de ciseau et de marteau qu’on y donne semblent gâter et défigurer cette masse, mais quand à force de coups elle commence ensuite à recevoir quelque figure, pour lors, on remarque avec joie ce que les coups qui suivent font pour former et polir cette statue.

Il est vrai que du premier abord que l’âme entre dans le procédé de la divine Sagesse en mort, ce n’est que comme une confusion, quoique en paix, à laquelle on s’abandonne par une lumière au-dessus de soi, et comme se soumettant à l’ordre de Dieu. Mais à la suite que ces croix et ces morts donnent Dieu, l’âme est [si] surprise du bonheur qui lui vient par ce moyen qu’elle devient paisiblement amoureuse des croix et des morts, d’autant qu’elle remarque par un miracle qu’elle ne comprend pas ni ne peut comprendre que, comme cette statue vient en quelque manière du fond de la pierre, aussi ces morts font rencontrer Dieu ou deviennent Dieu par le fond de l’âme, si bien qu’autant qu’elle meurt autant elle vit et voit pour lors la mort comme source de sa vie. [132] Ce qui fait qu’elle estime infiniment toutes les petites occasions qui lui arrivent, ne pouvant faire aucun choix pour ce qui les concerne et aussi ne pouvant ne les pas recevoir avec un accueil tout plein d’amour quoique souvent insensible. Et ainsi l’âme trouve que tout son bonheur est de se laisser en la main de la Providence pour tout choix, pour toute élection et pour toute sa conduite.

Car les âmes qui sont destinées à mourir de cette manière en foi, doivent tellement mourir à elles-mêmes que dans la suite elles ne voient pas un moment qu’elles doivent choisir pour être d’une manière ou d’une autre, pour être dans un lieu ou dans un autre, pour être d’une façon qu’elles pourraient désirer ou d’une autre. Mais plutôt elles demeureront toujours dans la main de Dieu pour tout et toutes choses leur seront égales. Et au contraire, quand l’âme y a quelque part, il n’en va pas de même. Car toutes choses déchoient autant de leur opération pour donner Dieu à [une] telle âme qu’elles sont dans Son choix et dans Sa volonté.

Oui, mais, me dira-t-on, c’est donc une étrange captivité de n’user et de ne pouvoir user en rien de sa propre volonté ! C’est là au contraire que commence la vraie liberté, et autant que nous sommes en la main de Dieu pour n’avoir que Son unique conduite, autant le cœur se trouve vraiment en liberté.

Si l’âme n’avait expérimenté cet effet admirable de toutes les petites morts et croix de l’état d’une âme en foi, elle ne croirait jamais que telles dispositions pussent arriver à un si sublime état ; cependant il est très vrai et il n’en faut nullement douter. Il est même [133] de grande conséquence d’accommoder peu à peu par la lumière d’autrui les sens et l’esprit à cette divine lumière afin de recevoir de moment en moment toutes les morts et toutes les croix qui arrivent, sans hésiter pour s’en délivrer, en les côtoyant et en se laissant perdre et mourir avant qu’elles le peuvent faire. Car par là, la divine lumière s’augmentera beaucoup et, peu à peu, elle nous fera voir par notre propre fond la vérité que nous découvrons par la lumière d’autrui, de manière qu’à la suite qu’une âme commence de s’avancer en Dieu, elle soupçonne l’accroissement et l’augmentation des démarches de Dieu par les croix et les morts qui lui surviennent, de sorte qu’après plusieurs expériences chaque moment de croix ou de mort lui devient infiniment précieux, ce qui la sollicite à demeurer en pauvreté et perte autant qu’elles sont et subsistent.

Et afin d’expliquer davantage ceci comme une chose fort nécessaire, posons une âme qui soit en Dieu et en lumière divine : une affaire de son état, un embarras, un procès, une faiblesse qu’elle commettra (et ainsi de tout ce qui peut arriver généralement, car je n’excepte rien) y mettant l’abjection et la confusion qu’on peut avoir dans le monde, quelque chose, donc, de pareil lui embarrassera l’esprit, y jettera de l’obscurité et du trouble et un million d’autres effets qui paraissent effacer les traces de Dieu, embourber l’âme en elle-même, la jeter dans les embarras et lui causer un million d’effets tout contraires à ce qu’elle juge lui être nécessaire selon son degré d’oraison. L’âme, désireuse de sa perfection en [134] son commencement, voit tels effets de mort, travaille aussitôt, et même doit travailler pour trouver Dieu et ajuster ce que tels effets ont pu gâter. Mais au degré que j’écris, à telle âme il n’y a qu’à subsister passivement et porter l’effet de la mort en passivité nue tout le temps qu’elle durera, et l’on verra que la pointe de la mort donnera la vie et fera ainsi autant de jour qu’elle a été longue, pénible et renversant tout notre procédé propre et toute notre façon d’agir envers Dieu. Et cette manière dure jusqu’à la fin de la vie, changeant cependant selon le degré de lumière de plus au moins.

Par là, madame, vous voyez combien vous devez priser chaque moment de mort et de croix de quelque part qu’elles viennent et que vous leur devez donner un favorable accueil dans votre âme. Il est vrai, madame, que nous avons un grand voyage à faire et dont on ne voit l’éloignement que lorsque l’on est déjà beaucoup avancé dans le chemin, ce long voyage étant d’aller du fini à l’infini, du créé à l’incréé, de l’impur à la pureté même, et enfin de la créature en Dieu. Or quand l’âme commence déjà à sortir d’elle-même et par conséquent à goûter un peu de l’Être infini qui est infiniment au-dessus de la créature et infiniment éloigné de ce qu’elle peut avoir et de ce qu’elle peut goûter, il se fait en elle un certain désir, un instinct inconnu de tout outrepasser et de ne se pouvoir contenter de rien qu’elle ait. Il semble que l’esprit dit toujours en sa course et en s’avançant : « ce n’est point ce que j’ai que je cherche », et qu’il se fait un certain mouvement, [135] inconnu, d’avancer toujours, que l’on a et que l’on n’a rien, que l’on désire tout et que l’on ne désire rien, et qu’ainsi en vérité l’âme est en tout ce qu’elle a pour l’intérieur et en tout ce qui lui arrive comme un voyageur est pour les hôtelleries : il y passe et il y demeure autant que la nécessité le requiert mais non pas pour s’y arrêter, et ainsi il est toujours en mouvement, quoique en repos. Cette disposition de votre esprit est vraiment une touche de Dieu et une disposition certaine de Son approche, laquelle doit augmenter autant que Dieu S’approchera encore davantage. Et même, les âmes qui sont beaucoup arrivées en Dieu et qui ainsi sont au-dessus d’elles-mêmes, ne jouissent jamais un moment de ce qu’elles ont, ne jouissant jamais de Dieu que par ce qu’elles n’ont pas.

Il faut qu’une âme ait un peu d’expérience pour entendre ceci et pour comprendre l’agilité et la course que Dieu imprime en une âme aussitôt qu’Il l’approche de Lui et la met en Lui. Il suffit que je vous assure que cela doit être tel sans plus nous étendre sur cela qui serait de longue déduction, d’autant que cela est inséparable de Dieu et propre à toutes les âmes qui approchent de Dieu et qui commencent d’être en Lui. Si bien que celles qui sont déjà fort avancées en cet Être infini et par conséquent qui boivent abondamment à la source, et sont jugées heureuses parce qu’elles possèdent abondamment les merveilles qu’on leur communique (soit des perfections de Dieu ou des Mystères et enfin de la jouissance de cet Être infini), sont cependant les plus pauvres d’autant que, quoiqu’elles aient abondamment [136], elles n’ont rien en comparaison des âmes moins avancées : car leurs sens et leurs puissances ne peuvent rien retenir et il faut par nécessité que cette source qui découle abondamment en elles recoule dans la même source en les faisant recouler elles-mêmes avec autant de vitesse en la même source que ce qu’elles reçoivent est grand. Et ainsi il ne leur demeure rien qu’une agilité bien plus grande pour outrepasser tout et aller en se reposant après cet Être infini qui les attire.

Vous n’avez donc qu’à vous laisser doucement et suavement aller et faire votre voyage, et autant que vous serez nue et déchargée de tout vous serez plus en état d’avancer. Ne rien avoir de cette manière est beaucoup avoir. Courir de cette manière est vous reposer et jouir pour vous remplir quoique en vous vidant et cela en unité et sans que vous ayez rien à craindre, car pourvu que vous vous laissiez aller et que votre âme se laisse mourir de cette manière en courant après Dieu, elle Le trouvera assurément.

– 3,32 DM. L’attribution demeure incertaine.

De J. Bertot. 1678. [3,33 DM]

J’ai bien de la consolation de recevoir de vos nouvelles et d’apprendre par vous-même le désir que vous avez de votre perfection et de travailler tout de bon à la rectification de tout ce qui n’est point selon l’ordre de Dieu en vous. Je vous assure que je [137] désire de tout mon cœur vous pouvoir être utile à cela qui est capital et qu’il n’y a rien que je ne fasse pour vous y aider.

Votre solitude et l’état libre1 dans lequel vous êtes présentement ne vous sera pas une petite aide puisque au contraire c’est un très grand secours d’être toujours attentif sur soi-même pour empêcher ces trop grands épanchements de nature sur les choses où notre inclination se trouve trop naturelle.

Les rencontres qui nous contrarient et auxquelles nous avons peine de nous ajuster en mourant à nous, ne nous dissipent pas tant dans nos conditions et nos états comme celles qui rendent nos inclinations trop pétillantes en nous dissipant et nous faisant trop courber vers les créatures. Usez donc du bon temps que vous avez et l’estimez fort cher afin de retourner plus facilement vers Dieu et de vous animer encore davantage à mourir plus efficacement à vos propres inclinations.

Vous avez observé une chose de grande conséquence que, dans l’état où vous êtes, l’oraison et la solitude, soit intérieure soit extérieure, ne vous sont qu’une aide pour vous approcher de plus en plus de Dieu, mais que les occasions où vous avez à mourir, à vous rabaisser et à vous écraser sont l’essentiel et le plus nécessaire que vous devez cultiver et rechercher de tout votre cœur. L’oraison et la solitude sont bien des moyens que vous devez aimer et que vous devez pratiquer, quoique par ordre et par dépendance à tout ce que Dieu demande de vous en votre condition. Mais pour les occasions de mourir et de vous contrarier incessamment plus selon les vues d’autrui [138] que les vôtres, cela ne vous est pas seulement nécessaire mais indispensablement de conséquence. Sans quoi vous erreriez, toujours vagabonde, désirant Dieu et Le cherchant de tout votre cœur sans jamais Le pouvoir trouver, par la raison que votre inclination naturelle et votre esprit sont toujours alertes pour pouvoir se contenter des choses grandes selon leurs inclinations et selon qu’un certain esprit de suffisance et de grandeur leur donne de mouvement. Et comme vous êtes beaucoup naturelle en toutes choses, votre mort est extrêmement difficile et vous ne devez pas vous étonner de sa longueur ni des difficultés que vous trouvez dans les rencontres. Ainsi il est très certain que cette mort est l’essentiel pour votre intérieur et que vous ménageant doucement le moyen d’oraison et de retraite en mourant à vous, vous devez beaucoup espérer d’arriver et d’approcher de Dieu en gagnant Son cœur et en vous ajustant à Ses inclinations.

Ce que je vous dis est de si grande conséquence qu’il est certain que manquant en ce point vous manquez en tout, et que faisant tout le reste sans faire ceci, vous ne faites rien. Au contraire vous faites bien moins que rien, d’autant qu’étant solitaire et travaillant à l’oraison sans une véritable mort, insensiblement on se croit fort avancé et fort intérieur, et dans la suite on trouve qu’on s’est trompé, remarquant ses fautes et ses défauts d’autant que la source en était cachée sous la magnifique apparence de cette oraison solitaire.

Je ne puis m’empêcher de vous dire un mot en passant de l’étonnement où j’ai été [139] souvent de remarquer plusieurs personnes s’appliquant beaucoup, soit aux bonnes œuvres, soit à la solitude et à l’oraison, et que cependant je ne remarquais point du tout leur avancement et leurs démarches efficaces vers Dieu : au contraire souvent ces choses les approchaient davantage d’elles-mêmes en leur causant quelque estime, quelque distinction dans le monde, quelque hardiesse et liberté auprès de Dieu, et un million d’autres défauts où l’inclination naturelle prenait secrètement sa vie. Et quand, par providence, venant à découvrir ce secret et la cause de ce désordre, elles remarquaient que tout cela venait du manque de mort et d’usage de chaque chose pour mourir, insensiblement elles se sont aperçues que l’oraison et la solitude qu’elles n’ont pas quittées ont eu un autre effet dans leurs âmes, la mort en vraie humiliation étant la vie qui vivifie l’oraison, la solitude et la retraite. Et de cette manière elles ont fort bien jugé que cette mort devait être leur capital et qu’elles devaient se servir de l’oraison, de la retraite et de la solitude comme de moyens divins pour élever insensiblement l’âme à Dieu en la faisant sortir d’elle-même et de ses inclinations, remarquant très bien que cette mort a des yeux perçants pour pénétrer les moindres atomes des imperfections et pour faire échapper tous les pièges dans lesquels l’âme pourrait tomber sans ce moyen, quoique remplie et ornée de tous les autres moyens qui rencontrent tout leur bonheur en elle et par son moyen.

Cette mort donc se sert de tous ces moyens divins admirablement et il faut l’avoir expérimenté pour le bien savoir comme il est. Et [140] lorsque cette mort de soi-même remarque par une raison éclairée qu’il se faut priver de ces divins moyens à cause des empêchements que notre état nous fournit et ainsi que l’ordre divin nous impose pour lors, [cette mort] étant vraiment une Reine et une Souveraine en nous infiniment riche et abondante, elle supplée à tout et fait que l’oraison et la retraite ne pouvant se pratiquer se trouvent merveilleusement en la mort et par la mort de soi-même. De sorte que l’âme expérimente de jour à jour qu’en mourant fidèlement, non seulement elle trouve tout bien mais encore [qu’] elle élève tous moyens divins et tous les exercices de piété de telle manière qu’il n’y a rien qui ne la fasse approcher de Dieu et qui ne fasse un effet en elle merveilleusement efficace pour sa pureté intérieure, [effet] qui la rend non seulement agréable à Dieu mais aussi beaucoup aimable aux créatures avec lesquelles elle est et avec lesquelles elle doit agir.

Cette vraie mort de soi par toutes les petites rencontres de son état est une vraie fonte où l’on prend toutes les figures, et en vérité je puis dire que par ce moyen divin de mort on peut faire plus en un jour que l’on en fait en plusieurs années. N’avez-vous jamais pris garde que ces ouvriers qui jettent en fonte ont bien plus tôt donné la figure à un crucifix ou à quelque autre image que ne font ceux qui les font par le moyen de la sculpture ? Il me semble que cette comparaison est fort juste pour exprimer la manière dont Dieu forme Jésus-Christ en nous par le moyen de la mort à soi-même. Ce [141] moyen divin est vraiment une fonte par laquelle tout ce qui est en nous de raison propre, de propres jugements, d’inclinations naturelles, de passions, se fond et se liquéfie et étant ainsi ajusté par la solitude et par l’oraison, se forme en un Jésus-Christ. Ne mourez pas à vous-même, [et] vous vous donnerez bien des coups inutiles et qui produiront peu : faites-le [mourir à soi-même]. Il est vrai que si c’est de la bonne manière, vous vous écraserez et un long temps vous serez embarrassée à cause d’une certaine confusion que cette mort cause. Mais prenez courage : cette confusion et ce mélange qui humilie cause désunion de notre cœur d’avec nous-mêmes, et ainsi fait et exécute vraiment cette fonte dont je vous parle, amollissant notre cœur et le rendant vraiment souple entre les mains de Dieu.

Pour ce qui est de votre oraison vous ne devez pas vous étonner de vos sécheresses : au contraire elles vous seront toujours très utiles et nécessaires, supposé que cette mort dont je vous parle soit vraie en vous, car si cela n’était pas, la sécheresse et les divagations vous nuiraient beaucoup. Et au contraire elles vous serviront et vous servent beaucoup en mourant efficacement, et non seulement en vous donnant des moyens de mourir mais encore en vous ajustant pour peu à peu vous tranquilliser davantage. C’est pourquoi ne vous étonnez pas de ces sécheresses ni de ces distractions : soyez seulement fidèle à en faire usage de mort. De plus ne laissez pas de continuer de prendre simplement vos petits sujets et lorsqu’ils vous sont ôtés, patientez et vous possédez un peu, car, quoique [142] vous ne les ayez pas si fort dans l’imagination et dans l’esprit, elles [ils] ne laissent pas d’opérer en votre âme. Et étant trop effacés, revenez doucement par ces mêmes sujets, ou, si vous ne pouvez, remettez-vous un peu en paix en la présence de Dieu. Et y étant recueillie et ainsi votre âme étant plus calme, renvisagez doucement votre même vérité.

Où il faut remarquer qu’au degré où vous êtes, la présence de Dieu et par conséquent la paix et la tranquillité que vous y trouvez, ne vous est pas un moyen mais bien la fin à laquelle vous tendez par la simple vue des sujets et des vérités dont vous vous devez nourrir, selon la lumière et la manière que Dieu vous donnera en l’oraison. Ainsi ce ne serait pas bien faire que tout d’un coup vous vous tinssiez à la fin, quittant vos moyens ; mais vous devez plutôt humblement vous nourrir et tendre à votre fin par l’exercice de ces mêmes moyens, ménagés et exercés doucement, selon la capacité actuelle que vous avez en l’oraison, tantôt plus perceptiblement tantôt moins.

Et quand vous avez ménagé doucement et de votre mieux ces moyens en l’oraison et qu’enfin vous vous voyez si pauvre que vous ne pouvez recouler vers Dieu par ces mêmes moyens, il ne faut pas laisser de le faire par leur privation, d’autant que la sécheresse pour lors vous y renvoie en vous faisant désirer Dieu. Et ainsi vous êtes en repos, en inclination et en désir vers Dieu, ménageant toujours les moyens, comme je vous le viens de dire, qui est proprement l’exercice de l’oraison en votre degré, qui vous fait insensiblement arriver à leur fin, qui [143] est la présence de Dieu. Et sans ce ménagement d’oraison on se tourmente souvent en cet exercice, sans avancer, croyant toujours que le plus grand et le plus beau est le meilleur ! Et cela n’est pas, n’y ayant de vrai et de moyen divin pour faire l’oraison que ce qu’il nous faut dans le degré où nous sommes, où la mort ménage tout merveilleusement bien, sans laquelle il est bien difficile d’aller tant à pas comptés comme il est besoin, spécialement pour les esprits impétueux qui voudraient tout faire sans moyens, et passer à la fin sans milieu, ce qu’il ne faut pas faire si l’on veut beaucoup réussir dans la piété et dans l’oraison.

Lisez et relisez souvent cette lettre, elle vous pourra être utile un très long temps. Je suis à vous sans réserve. 16 782.

– 3,33 DM.

1 Depuis son veuvage.

2 Dans l’original.



À J. Bertot. Avant avril 1681. [DM «Lettre à l’auteur»]

Quand Dieu me donne le mouvement de vous écrire pour vous rendre compte de l’état de mon âme, je le fais : autrement je ne ferais rien qui vaille.

Il me semble pouvoir dire qu’elle fait du progrès au moins en une chose, qui est dans l’assujettissement à l’ordre de Dieu à chaque moment. Ce n’est pas depuis un jour, il y a longtemps que je l’expérimente. Ce qui fait que dans toutes les choses qui arrivent dans mon état et dans toute ma famille je suis inébranlable, mais cela par la fidélité à mourir et à porter mes croix : j’en ai de plusieurs façons. Vous avez su la dernière, qui m’a touchée sensiblement. Je ne puis dire ici les autres ; elles ne sont pas moins humiliantes et renversantes1. Nonobstant cela je suis dans mon fond dans une espèce d’immutabilité qui tient plus de l’éternité que du temps, me laissant mouvoir à Dieu comme Il Lui plaît, pour être dans la croix ou dans les consolations, demeurant seulement passive à la croix présente, et aux vu(es) de celles de l’avenir qui me semblent indubitablement devoir être plus grandes. Hors des petits moments où la pointe de la croix est pressante et accablante, je suis toujours gaie et contente ; il ne serait pas en mon pouvoir de souhaiter plutôt une [431] chose qu’une autre, d’être dans un lieu que dans un autre.

Au milieu de tant de croix et d’occupations différentes, on est en liberté et l’on agit en unité. Cela me fait comprendre quelque chose de la fécondité et multiplicité des opérations de Dieu dans Son unité et Son repos. Car quoique l’âme n’ait aucune action ni aucune vertu en vue que de mourir dans les occasions, elle se trouve toute vertu et toute action. Je n’ai pas ces lumières dans le temps, mais après il en paraît quelquefois quelque chose. Mais pour peu que je veuille agir de moi-même pour suivre mon inclination, quand ce ne serait qu’en une bagatelle, je commence à sentir que je sors de ma nudité et généralité pour tomber dans le distinct, dans la désunion et souvent dans l’inquiétude. Tout cela me fait comprendre pleinement l’importance d’être fidèle aux petits moments puisque dans les moindres choses nous pouvons jouir de Dieu par la foi de cette manière.

Si j’étais toujours fidèle, je sens bien que tous les moments seraient pleins mais il n’est pas possible de comprendre jusqu’où va ma faiblesse pour me défaire du plus petit défaut, qui est toujours cette petite sécheresse pour quelques-uns de mes domestiques dont j’ai peine à supporter les manières. Il semble que je sois réduite dans une entière impuissance, quelque envie que j’aie de m’en défaire, car souvent dans l’instant même que je me relève, je retombe dans tous ces défauts les uns sur les autres que je supporte patiemment. Il se fait un fumier qui [432] sert merveilleusement à me faire pourrir ; je ne laisse pas (comme j’ai dit), nonobstant la peine que je sens dans ces défauts, d’être en repos.

Je fais le bien que la Providence me présente ici comme en passant, sans en faire mon capital. Notre bonne Mère N.2 me donna il y a quatre ou cinq mois la vue de faire faire ici, où le désordre est grand, une Mission ; et comme elle était toute de feu pour cette œuvre elle ne me donnait point de relâche. Et moi j’étais dans un état tout contraire car, quoique je le souhaitasse aussi, je ne me pouvais résoudre à agir sans que je visse le moment de l’ordre de Dieu, parce que sans cela rien ne réussit et que tous les grands obstacles qui se rencontrent ne viennent souvent que de n’avoir pas pris ce moment. Enfin il est venu, et elle est ici il y a huit jours où elle fait tous les biens que l’on peut souhaiter pour si peu de temps.

Je craignais fort que l’assiduité que je suis obligée d’avoir aux sermons ne me brouillât, en me tirant de ma généralité pour me mettre dans la multiplicité, ou ne me fût à charge, mais jusqu’à cette heure ils me font un effet tout contraire car ils me réjouissent et me nourrissent. C’est une manne qui a toutes sortes de goûts sans me faire sortir de ma situation ordinaire. Je me trouve depuis si pleine que j’en suis surprise sans pouvoir dire de quoi, et néanmoins si affamée et pressée d’outrepasser tout que je cours sans savoir où par tout ce qui se rencontre. [433]

Voilà ce que je puis remarquer : je ne sais s’il est dans la lumière de vérité ou non. Vous en jugerez mieux que moi ; j’espère que vous m’en manderez votre avis sans me flatter. Je ne vous parle point de mon oraison en particulier car je n’en vois point, tout ce que je fais étant mon oraison.

– DM, page 430 : « Lettre à l’auteur ».

1 Vie 1.24.1 : « Sitôt que je fus veuve, mes croix, qui semblaient devoir diminuer, augmentèrent. »

2 Il s’agit probablement non pas de la mère Granger, morte en 1674, mais de sa belle-mère (« … elle ne me donnait point de relâche »), dont elle reconnaît par ailleurs des qualités : « … elle avait de la vertu et de l’esprit, et ôté certains défauts que des personnes qui ne font pas oraison ne connaissent pas, elle avait des bonnes qualités. » Vie 1.27.1.

De J. Bertot en réponse. Avant avril 1681. [3,66 DM]

J’ai beaucoup de joie, madame, d’apprendre de vos chères nouvelles et l’état de votre santé. Je vous remercie de tout mon cœur. Pour répondre à tout ce que vous me dites, je vous dirai que vous faites très bien de suivre les instincts de votre intérieur pour parler de votre âme, autrement on pourrait brouiller toutes choses, et Dieu nous en parlant par nos nécessités ou par les instincts qu’Il nous donne, Il ne manque pas de nous donner des grâces, suivant Ses manières, de nous ouvrir ou de nous communiquer.

Il est vrai que ce principe divin pour se conduire et pour mourir à soi est admirable et l’on n’a pas besoin d’aller chercher bien loin ni le martyre, ni aussi les maîtres de [434] notre perfection. Laissons-nous en abandon à Dieu de moment en moment et croyons fortement que toutes les providences de notre état, quelles qu’elles soient, sont la voix qui nous parle de Dieu et qui nous marque Son divin ordre. L’âme fidèle à suivre cette conduite trouve la paix promptement et ne manque jamais de trouver Dieu en toutes choses, pourvu qu’elle n’hésite pas à voir Dieu en tout ce qui lui arrive. Et ainsi, mourant incessamment par là et en tout, quand peu à peu l’âme est beaucoup fidèle à cette conduite la Sagesse ne manque pas de lui causer un million de croix afin de la polir et l’affiner davantage. Et de pouvoir deviner par où et en quelles manières elles nous viennent, cela ne se peut : tout ce qu’il y a à faire est de baisser la tête et accepter sans examen la divine conduite, et voir Sa main en tout. Vous avez eu occasion d’adorer la Providence en cette croix humiliante qui vous est arrivée : je crois que (Dieu aidant) ce ne sera rien, car il n’y a pas de raison en tout ce que j’en ai vu. Cela n’empêche pas qu’il n’y ait un mélange fâcheux. Ce ne sera pas l’unique qui vous arrivera : il y en aura incessamment en toutes rencontres, non seulement en votre intérieur mais encore dans votre état et dans l’extérieur qui seront selon votre besoin, car assurément vous avez besoin d’humiliations et aussi de moyens qui vous fasse perdre votre raison et votre suffisance. Ne vous mettez pas en peine de leurs excès : c’est Dieu qui les ordonne. Il suffit pourvu que vous soyez fidèle à mourir selon leur étendue ; et quand cela n’est pas ne vous troublez pas, mais revenez doucement [435] et humblement en vous remettant en votre place. Par ce moyen vous trouverez, sans savoir comment, votre fond car vous trouverez une stabilité admirable.

[C’est là] où vous devez remarquer que le fond de notre âme ne se trouve pas, comme plusieurs personnes le croient, [dans le] savoir par pensée et par des lumières : ce ne sera jamais par là mais bien par les morts et par les renversements. C’est pourquoi plus la Providence en fait rencontrer, tant mieux car, s’égarant et se perdant insensiblement, on se trouve en son fond. Ainsi croyant avoir tout perdu et aussi soi-même, c’est pour lorsque l’on commence à trouver son fond où est la stabilité : hors de là il n’y a jamais que du trouble et de l’inquiétude. Et en vérité cette disposition commence à tenir de l’éternité par l’abandon à la conduite de Dieu, qui nous veut comme Il veut, soit en joie ou en croix, et qui fait voir les croix futures pour s’y abandonner, et de cette manière demande la passivité totale pour être comme Dieu désire. Quand vous vous voyez si bouleversée par la croix et par la vue des croix qu’il vous semble que vous ne vous possédez pas ni que même vous ne le pouvez pas, pour lors laissez-vous et vous perdez en la pointe de la volonté en passivité pure comme vous le pouvez ; et vous verrez qu’en suite [de cette perte], sans savoir comment, tout cela réussit et se calme en perte en son fond.

Toutes ces croix embarrassent sans embarras, comme je dis, étant en cette disposition. J’en dis autant des divers embarras de providence dans notre état. Rendons-nous y selon ce que Dieu demande et nous verrons que tout s’ajustera et qu’insensiblement cette multiplicité crucifiante tombe en unité et fait [436] aussi tomber l’âme en unité où elle agit admirablement, quoique fort embarrassée (à ce qu’il semble). Et par là l’âme comprend merveilleusement comment Dieu étant si multiplié en tout ce qu’Il fait est cependant en Son opération même si un et en unité que c’est là le soutien de tout le monde. L’âme mourant fidèlement à soi et à sa manière d’agir par soi-même, tombe dans cet opérer en unité où elle a tout quoiqu’elle n’ait rien. Et elle fait tout quoiqu’elle fasse peu et, bien qu’il paraisse qu’elle agit en grande multiplicité, cependant elle est en vraie unité. Et pourvu que l’âme ne fasse rien par elle-même, quoiqu’elle fasse, elle ne sort jamais de son unité encore qu’il lui paraisse qu’elle ne fait et n’est occupée que de bagatelles. Et aussi dès qu’elle est dans la bagatelle par elle-même, c’est-à-dire sans anéantissement, au même elle est dans la multiplicité et par conséquent dans le trouble.

Cela demande une grande pureté intérieure et une mort à soi-même extrême, mais ayez courage. Mourez peu à peu à cette sécheresse dont vous me parlez et aussi aux autres défauts, et vous verrez que, mourant et vous dérouillant, vous tomberez sans vous en apercevoir en unité de repos. Et quand il vous paraît que nonobstant votre travail vous ne laissez d’être prévenue de vos défauts, possédez-vous et vous verrez qu’en vérité tout cela sera un fumier qui vous fera pourrir et germer en vie divine, et ainsi tout sera mis en usage par principe divin.

Vous faites très bien de faire le bien extérieur que la Providence vous fournira, sans [437] en faire votre capital mais vous y laissant aller selon la divine Providence qui vous marque l’ordre divin.

Vous avez très bien fait de côtoyer l’Esprit de Dieu et d’observer Ses démarches car sans Sa conduite toute sainte intention est peu de chose, et quoiqu’elle ne déplaise pas à Dieu et que même elle lui soit agréable, sans cette application par l’Esprit et par l’ordre de Dieu, ces choses n’ont pas source de vie pour vivifier l’âme. Et c’est proprement ce que vous expérimentez car, ayant entrepris cette Mission par l’ordre divin, vous expérimentez que la multiplicité qui s’y rencontre cause unité, et que cette unité est multiplicité en vous donnant une faim qui ne se rassasie pas et qui cependant n’est pas famélique, mettant la paix et le repos en vous. Ces sortes d’opérer en toutes rencontres sont très féconds et vous doivent beaucoup éclairer afin de vous instruire et vous convaincre que mourir n’est pas une perte et une oisiveté, mais plutôt une plénitude et une vie qui remplit en vidant.

Prenez courage au nom de Dieu car j’espère que la grâce rendra votre âme féconde et qu’étant fidèle selon le degré de Dieu vous vous trouverez qu’après une grande patience, en souffrant la nudité, la mort et la sécheresse, quasi sans s’en apercevoir tout devient fécond et ensuite la fécondité même. Mourir est donc le tout de cette vie et la foi est la source véritable de cette mort.

J’espère que, Dieu aidant, nous aurons bien de la consolation cet hiver, étant ensemble. Il n’est pas nécessaire en l’état où est votre âme de me marquer en particulier votre [438] état d’oraison : là tout est oraison et votre oraison ; c’est pourquoi je la comprends assez par ce que vous m’avez dit. Continuer son intérieur en ces diverses dispositions comme vous m’avez marqué, est faire oraison selon votre état. Ce n’est pas que dans de certains temps on ne soit plus en repos et en solitude, et ainsi plus à la lumière divine, mais il faut se laisser à Dieu pour être conduite en tout, en l’action ou en l’oraison. Et par ce moyen tout se fait un, où cependant l’Esprit de Dieu, qui aime infiniment le repos et la solitude, tire souvent l’âme, la retirant de l’action pour cet effet et la mettant en oraison pure et en nue solitude, souvent aussi la tenant par un secret de sa Providence en action, où telle action est oraison.

– 3,66 DM : « réponse à la précédente lettre »

À J. Bertot. Avant avril 1681. [DM «Lettre à l’auteur»]µ

Ô que mon âme vous est obligée de lui avoir fait trouver et goûter la vie éternelle d’une manière que je cherchais secrètement mais que je n’avais jamais éprouvée ! Il y a quelque chose en moi sans moi, qui entend, qui aime et qui jouit de Dieu dans une vérité et certitude plus évidente que le soleil en plein midi lorsqu’il répand ses rayons de toutes parts, et toutefois si éloigné des sens et si élevé au-dessus de l’esprit et de la volonté qu’ils demeurent l’un et l’autre sans connaissance ni expérience de ce qui s’y fait en Dieu, où l’âme semble être comme perdue et sans action propre dans un secret impénétrable qui ne se découvre que dans le moment de Dieu, je veux dire celui où Il Se donne et S’applique à l’âme en toutes les façons qu’il Lui plaît, l’âme ne faisant distinction et différence de rien, tout étant un ordre ou œuvre de Dieu, ou Dieu même, parce que tout se confond et renferme tout.

Il me semble que je n’ai point d’intérieur ni d’esprit et je n’en veux point avoir ni connaître. Si l’on m’en voulait entretenir sans l’ordre de Dieu envisagé, ce me serait une souffrance intolérable. Je m’aperçois que ce moment divin auquel vous m’avez [467] dit de m’arrêter, consume et dévore tout ce qui est en moi et hors de moi sans me laisser ou permettre la moindre réflexion sur quoi que ce puisse être hors la prière en la manière qui m’est donnée dans le moment et l’abandon à l’inconnu que j’ignore avec une félicité incomparable. Ce moment divin établit mon fond dans une simplicité et nudité extrêmes, me trouvant dépouillée entièrement du passé, du futur et même du présent puisqu’il s’écoule à chaque moment et que l’on ne fait que pâtir. Ce qui se fait et ce qui le fait n’est rien, si je le veux expliquer ; mais si je m’y veux perdre et abandonner, c’est la vie éternelle qui comble tous mes désirs, et qui m’est toutes choses en ne m’étant rien pour l’intérieur.

Mes sens sont fort vifs et dégagés, prompts et actifs à merveille et si fort à loisir qu’on ne leur donne rien à faire pour le dedans : l’occupation extérieure leur plaît et les divertit en Dieu. Toutefois ils sont fort disposés à regarder indifféremment toutes choses et ne discerner rien que par les règles de modestie et de mortification qu’on leur a autrefois prescrites, qui sont suivies encore dans l’ordre de Dieu. Le cœur est si content de son rien du tout que ses passions et ses désirs semblent morts et ne se réveillent point aux approches des objets les plus sensibles. Il semble qu’on parle, qu’on condamne, qu’on méprise une personne qui est à cent lieues et encore plus loin. Encore en voudrais-je avoir quelque pitié mais non pas de moi qui ne suis plus à plaindre, parce qu’en me montrant mon rien on me [468] donne tout : le cœur et tout le fond s’ouvre pour le recevoir, et Celui qui en a la clef fait cette ouverture car je n’y vois rien. Je suis toute à vous, Dieu vous a assujetti et donné mon âme, commandez-moi tout ce qu’il vous plaira.

Il me semble que je ne doute de rien dans le moment qu’il faut agir : il est tout rempli de lumière, de paix et de force. Je n’en sors que par quelque propriété que je ne connais que lorsque Jésus-Christ me la fait voir : sa lumière et sa guérison est ma liberté, mes liens se rompent en un moment, et mon âme affamée et altérée se rassasie dans le moment qui lui donne Dieu.

Dans les communions je quitte et abandonne la place à Jésus-Christ, mais en pure foi, sans aucune douceur ni attrait sensible, quoiqu’il y en ait une secrète et divine qui est tout ce qui se peut désirer. Je ne fais point du tout l’oraison, seulement je demeure en foi et devant Dieu en Jésus-Christ anéanti et victime dans le sacrement. Ses opérations cachées et invisibles en son Père et dans les âmes me sont montrées, et je m’y perds, m’y voyant comprise ; ou bien je les crois et adore en pure foi parce que je ne vois que cette foi nue dans mon âme.

Les goûts, les expériences, visions d’esprit, images ou espèces que j’ai éprouvées autrefois sont effacées ; et je ne suis pas peu contente de trouver et de recevoir à tous moments Jésus-Christ sans ces moyens. À présent leurs privations, les ténèbres, les sécheresses, les dégoûts, les rebuts, me sont lumières, douceurs, jouissances et [469] possession inséparable de ce divin Tout ; et cependant tout ceci me paraît comme une correction de mes anciennes erreurs et ténèbres, qui me rend petite et simple, attachée seulement à l’ordre de Dieu. Mon âme dans cet ordre goûte et embrasse tout et devient toute naturelle sans ce discernement qui me faisait autrefois tout sindiquer1 [sic] et condamner sous prétexte de perfection. Je vois que Jésus-Christ se donne autant dans les petites choses que dans les grandes et que la perfection est Dieu en toutes choses. Les actions spirituelles et les naturelles en Dieu me semblent une même chose et je me trouve aussi contente à dire le Pater et l’Ave sans goût que de faire une oraison plus tranquille et recueillie en Dieu. Il me semble que la foi fait tout pourvu que je ne me trompe point. Je vous puis dire que vous m’êtes très précieux en Jésus-Christ quoique je sois la plus indigne de vos filles.

– « Lettre à l’auteur » qui précède la réponse ci-dessous (3,68 DM). Cette lettre serait postérieure au 22 juillet 1680. Voir Vie 1.28.1 : « Ce fut ce jour heureux de la Madeleine que mon âme fut parfaitement délivrée de toutes ces peines… »

1scindiquer sur qqch (1622) : examiner d’un œil critique. (Rey).

De J. Bertot en réponse. Avant avril 1681. [3,68 DM]

Il est très vrai qu’il y a un lieu en nous qui a un appétit insatiable de Dieu et qui désire incessamment, sans désirer cependant, mais par lui-même, de connaître et d’aimer Dieu, ou plutôt de pouvoir toujours jouir de Dieu. Ce [lieu] secret et inconnu en nous, bien [470] éloigné des actes de notre entendement et de notre volonté, est vraiment un instinct de Dieu dans le centre de nous-mêmes, qui se renouvelle à mesure que notre âme se purifie et que peu à peu, par la lumière divine plus pure, elle est élevée à une opération plus pure, c’est-à-dire plus éloignée de son opération propre. C’est ce qui fait que l’âme appète toujours cela, et ne le saurait avoir qu’en mourant à soi, et non par son opération ; il n’y a que la mort de soi-même qui ait lieu ici et qui puisse aider et contenter. Signasti super nos lumen vultus tui... etc1.

Il faut donc, quand on sent ces désirs et cette impression de Dieu, tendre passivement à Lui en mourant à soi et en se laissant appetisser2. Et par là, sans savoir le comment, cet instinct et cette inclination se déterrent dans la forêt de nos propres opérations et peu à peu l’on vient à un repos et à une cessation d’opération, en ayant une plus relevée en notre esprit et par là le moment est donné à l’âme que se simplifie non seulement l’esprit, comme je viens de dire, mais encore tout le dehors, pour se contenter de tout ce que Dieu ordonne en l’âme et sur l’âme. Par là aussi peu à peu, en mourant, tout devient un.

Voilà à peu près ce à quoi votre âme doit tendre en l’oraison et hors votre oraison pour vraiment mourir à vous. Je suis accablé d’affaires, ce qui m’empêche de vous répondre en détail : je ne puis vous dire que ces deux ou trois paroles.

– 3,68 DM.

1Ps. 4, 7 : « La lumière de votre visage est gravée sur nous. » (Sacy).

2Appetisser : « rendre plus petit » (Furetière).

À J. Bertot. Avant avril 1681. [4,32 DM]

J’ai vu clairement que le rayon divin est Jésus-Christ même, et que ce qui est de Lui, soit intérieur soit extérieur, se trouve par Son moyen, en demeurant dans le rayon même et s’y perdant, qu’il n’est pas besoin de lectures mais seulement de le poursuivre car l’ayant, la lecture ne donne que des images et il ne faut que demeurer en lui sans connaître ni goûter.

J’ai connu que la grâce de l’intérieur est semblable à un pépin, lequel contient en soi l’arbre et les fruits quoiqu’on ne les voie pas. Et comme le pépin est jeté en terre et qu’ainsi il germe et croît, ainsi Dieu donne à l’âme qu’Il appelle à l’anéantissement parfait un je ne sais quoi dans l’intime, lequel est la foi et la Sagesse qui communique peu à peu et en secret toutes choses. Et ce je ne sais quoi très caché contient implicitement tout ce qui est en Jésus-Christ même, lequel croît peu à peu, et si l’âme est vraiment fidèle, Jésus-Christ devient en elle intérieurement et extérieurement tout ce à quoi le dessein éternel a destiné l’âme, sans qu’elle y contribue autre chose que se laisser soi-même et se perdre.

J’ai vu par cette même lumière que je dois tout perdre en Dieu c’est-à-dire par ce je ne sais quoi, et aussi mon salut sans me mettre en peine de mes péchés, ni de quoi que ce soit ; mais bien, demeurant en Dieu et en mon rien, j’ai tout. Je ne me dois non plus mettre en peine de quoi que ce soit de distinct, quelque [125] divin qu’il soit, de Jésus-Christ ou de Dieu : l’intérieur, par cette divine lumière, croît par lui-même et devient Jésus-Christ. Enfin le tout est (selon la lumière de cet état) de me laisser beaucoup perdre par chaque moment de ma vie quel qu’il soit sans ajouter ni diminuer.

– 4,32 DM. Cette lettre serait peut-être à placer antérieurement : elle évoque les notes de retraite présentes dans A.S.-S., ms. 2057.

De J. Bertot. Avant avril 1681. [4,33 DM]

Notre Seigneur a fait sûrement connaître à une âme la différence qu’il y a entre la conduite de la foi toute nue et toute pure, et entre l’opération de Dieu dans le perceptible comme en une sainte Thérèse.

Premièrement la foi donne les mêmes choses et dans un degré plus éminent que le perceptible, faisant en l’âme et en son centre toutes les mêmes opérations que le perceptible et le connu que Dieu a donné en la voie d’oraison à plusieurs saints et saintes, mais cela, d’une manière plus pure, plus assurée et plus perdue en foi. Cette divine et amoureuse lumière par son imperceptible, mais très réelle, très efficace et très sublime opération, élève et perd l’âme en Dieu tout d’une autre manière. Cette lumière est terminée en cette âme en lui découvrant que comme l’opération de la foi est imperceptible en l’âme, aussi est-elle purement pour Dieu, n’y ayant que Lui seul qui y ait Son plaisir.

Il n’en va pas de même de l’autre grâce où il y a du perceptible : l’âme y trouve encore son compte en glorifiant Dieu, et en vérité quoiqu’elle y meure à soi-même selon son [126] degré d’union, elle y est en quelque manière toujours vivante tant par ce qu’elle reçoit et dont elle jouit perceptiblement que par l’assurance qu’elle y a de glorifier Dieu et d’être mise en acte perceptible vers Dieu.

Mais en la foi pure et nue qui fait et cause l’union de certaines âmes, tout y est et se trouve sacrifice, Dieu ayant choisi cette très divine lumière de la foi pour faire de Sa créature un éternel et entier sacrifice, la foi mettant son entendement et tout ce qu’elle est dans une soumission et un sacrifice entier. Par ce sacrifice de la foi, Dieu prend pour Soi tous les plaisirs des divines opérations de la foi en l’oraison et en l’union divine, et en jouit pour Soi et non pour la créature. Et ainsi tout ce qui se passe en cette divine foi est connu de Lui seul qui en jouit en un plaisir infini dont Lui seul est capable, d’autant que les opérations de la foi sont si sublimes qu’elles sont capables de faire le plaisir unique de Dieu, sans que la créature en puisse jouir que par quelques miettes qui en découlent de fois à autres, qui sont très peu de chose eu égard à la vérité et à la grandeur de l’opération de la foi, qui est connu de Dieu pour Son unique plaisir ; si bien que ces âmes destinées pour la foi nue sont les objets du plaisir divin, Dieu y prenant Son plaisir et S’y glorifiant sans qu’elles y aient part.

C’est donc ce que j’ai connu par la Bonté divine, à savoir que les âmes destinées à jouir de la foi en oraison et de l’union en foi et par la foi ont et jouissent d’une réalité d’opération de Dieu non seulement aussi grande et aussi efficace et remplie de Dieu et des merveilles divines que les âmes de l’union aperçue, mais qui plus est, bien plus grande et réelle [127] sans comparaison ; mais que cette plénitude et réalité n’est pas pour les âmes en lesquelles elle est par la foi mais pour Dieu et Son unique plaisir et éternelle gloire. Ce sont des âmes sacrifiées à Son seul plaisir éternel sans qu’elles en aient que de faibles certitudes dans les puissances et quelquefois dans leurs sens, toutes ces grandes opérations de la foi nue n’étant que dans le centre et pour le centre où Dieu Se voit et S’aime uniquement, ce qui [s’] écoule assez souvent, la foi étant déjà assez avancée, sur les puissances et sur les sens n’étant que pour aider l’âme à porter le sacrifice très grand et très sublime de la foi nue.

Il suffit donc à l’âme conduite par la foi de se laisser passivement en la lumière et tout se fera. Elle n’a qu’à laisser son âme passive et perdue, et cette divine foi fera tout ce qu’il lui faut et comme il le faut, sans qu’elle ait à s’en entremettre par son opération. C’est un don très sublime où nous ne pouvons rien que de le recevoir très passivement, (quoiqu’il soit toujours en notre pouvoir de faire usage de la foi commune par nos actes, cette foi nous étant toujours donnée aussitôt que nous sommes chrétiens). Mais ce don étant un don sublime pour être approprié à l’union divine et pour en jouir, il n’est donné que passivement, c’est-à-dire que nous n’y pouvons rien si Dieu ne nous le destine et nous le donne et qu’à la suite il ne se purifie par notre pureté et sortie de nous-mêmes, et devienne purement passif, non en passivité de lumière, mais en passivité divine c’est-à-dire qu’il transporte le centre de notre âme en Dieu.

Une telle âme destinée de Dieu pour ce [128] don de foi n’est que pour l’unique plaisir divin et ne s’y doit regarder que de cette manière, à moins que de déchoir incessamment de cette grâce, en l’oraison et hors l’oraison, son plaisir étant incessamment que Dieu Se plaise et jouisse de ce qu’Il fait en la foi et dans le centre de l’âme par la foi. Voilà sa certitude, et en chercher d’autre, c’est se tromper et chercher et demander ce qui n’est pas de ce degré de foi, mais bien du degré de lumière divine aperçue où l’âme s’élève en louange et en amour incessamment par la certitude et la vue des opérations divines aperçues en son oraison et en son union. Mais pour cette âme en foi, pour toutes louanges, amour, etc., elle n’a que le sacrifice d’elle-même qui contient et renferme tout acte, toute louange et qui est tout honneur souverain à Sa divine Majesté, et ceci en pure et très pure passivité, le néant et le vrai néant n’en étant que le vrai résultat.

Heureuse et mille fois heureuse l’âme destinée de Dieu pour la foi ! Elle est sans plaisir, quoiqu’avec [d’] infinies délices non en elle mais en Dieu, non pour elle mais pour Dieu ou, pour mieux l’exprimer, Dieu S’en repaissant et en jouissant comme Il le fait et le connaît en Son plaisir infini sans souvent que l’âme en ait rien selon les puissances et les sentiments, mais cependant ayant tout en foi véritable, - ce qui est l’avoir en grande réalité et vérité si pure qu’à la suite que cette divine lumière devient grande et qu’ainsi elle est beaucoup dans le centre par division des sens et des puissances, elle est à l’âme plus réelle infiniment que tout ce qu’elle peut avoir d’aperçu, quelque sublime qu’il soit et qu’il puisse être. De sorte qu’elle ne [129] voudrait pour rien au monde changer cette manière d’avoir en foi pour l’aperçu, quelque sublime qu’il puisse être, honorant beaucoup les âmes qui sont conduites à l’union divine par la lumière divine aperçue dont elle ne se pourrait cependant aider, tant à cause de sa petitesse, quoiqu’elle paraisse fort grande par les effets, qu’à cause que cette voie n’a pas le goût sublime et divin de Dieu même, dont la foi seule peut faire jouir selon qu’elle devient plus pure et qu’elle est plus nue et plus perdue pour les créatures, c’est-à-dire pour l’aperçu. O goût sublime, puisque vous êtes le goût d’un Dieu même et le manger dont Il Se repaît en telle âme ! Que les sens et les puissances se tiennent en leur manière parmi le créé et que le fond jouisse de Dieu non d’une manière aperçue, mais sacrifiée et perdue, c’est-à-dire en la manière de Dieu. Il suffit donc que l’âme soit en foi et qu’elle y demeure pour faire toutes choses.

Ô beauté de [la] lumière divine, secret de la Sagesse divine, que les yeux qui vous voient et qui en jouissent, ou plutôt qui par vous jouissent de Dieu, sont heureux ! Ils n’ont rien, à ce qu’il leur paraît, et ont tout ; ils ne voient rien et voient tout car ils Vous voient, Vérité Eternelle et Beauté sans pareille. Ils ont en leur divine lumière, sans lumière aperçue, toutes choses, et en Votre unité ils jouissent de tout. Ô ! que voir Dieu de cette manière est jouir éminemment et abondamment de toutes choses, non en particulier seulement mais en unité qui dit tout en général et a tout en particulier ! Car jouir de cette manière en unité est jouir de tout en manière divine. [130] Mais que voir Jésus-Christ Homme-Dieu en cette divine lumière est un bonheur consommé ! C’est le commencement de la foi et la consommation de l’état de la lumière divine. Car Jésus-Christ vu en foi est une vue très éminente en l’union divine et qui ne trouve non plus de fin que Dieu même, étant un Dieu incarné.

Ma lumière finit ici jusqu’à ce qu’elle recommence pour voir en foi divine ce divin objet de la Sagesse, Jésus-Christ Homme-Dieu où elle trouve des trésors que le cœur humain ne peut concevoir et que la seule lumière divine excellente et très éminente et très sublime peut découvrir et dont elle fait jouir en Dieu même.

Ô beauté divine de Jésus-Christ, qu’un homme est heureux de vous voir car il voit son bien et sa béatitude ! Ô que cette vue est différente de tout ce que nous pouvons concevoir ! La foi seule le peut donner à l’âme, et heureuse l’âme qui en jouit car son salut éternel lui est appliqué par Dieu même en Dieu même. Ô, si les hommes savaient ce que c’est que Jésus-Christ, que ne feraient-ils point pour en jouir et pour être si heureux que d’arriver jusqu’à Sa connaissance par la foi qui seule est donnée pour Le voir, Le connaître et en jouir, qui sont trois degrés réservés à la seule nue et divine foi en degré passif.

Il faut donc que je réserve à cette divine lumière l’heureuse connaissance et jouissance de ce divin objet pour en parler et pour en savoir quelque chose ; autrement ce serait parler doctement et non divinement de ce divin objet, Jésus-Christ Homme-Dieu, l’objet de [131] nos cœur s et la béatitude de nos âmes. Je sais que pour voir et connaître Jésus-Christ, il faut que l’âme, par la foi, soit perdue en Dieu d’autant qu’il est impossible de le voir que dans cette manière et par cette manière au degré dont je parle ici. C’est par cette divine lumière, Dieu même et en Dieu même, que l’on voit les merveilles et les Mystères admirables d’un Dieu-homme répandant son sang et mourant d’amour et par amour pour les hommes. Et si la foi réserve les merveilles qu’elle opère pour Dieu et pour le plaisir divin de Dieu qui en jouit en l’âme, cela se trouve encore bien plus vrai quand cette divine foi fait trouver Jésus-Christ et jouir de Jésus-Christ. C’est le plaisir unique du Père Eternel, et ainsi Dieu se donnant par la foi dans le centre de l’âme, c’est à la charge que Dieu seul en aura le plaisir. Ce sont les délices de Dieu : Hic est Filius meus dilectus in quo mihi bene complacui1.

Il faut donc laisser la foi faire les merveilles et n’attenter pas à ce divin plaisir, mais le laisser à Dieu seul, et plus cela sera véritable en toutes manières plus la vérité sera en l’âme qui est uniquement pour Dieu en cette foi et par cette divine foi. Ainsi sans y penser, la loi du divin amour est très observée, savoir de rendre ce que l’on a reçu et l’âme y trouve plus de plaisir infiniment par sa foi dans le plaisir divin que dans tous les plaisirs qu’elle pourrait avoir et dont elle pourrait jouir perceptiblement en elle. Elle laisse toutes choses par la foi dans leur grandeur et vérité, et [132] de cette manière seulement, elles sont selon le goût divin, Dieu ne pouvant Se repaître de ce que nous goûtons et dont nous jouissons, cela étant tout rabaissé et sali par notre néant qui rabaisse infiniment toutes choses divines aussitôt qu’il les touche. Son plaisir donc est de les laisser et par sa perte passive les renvoyer en leur origine où Dieu en jouit pour Son plaisir éternel.

Voilà un faible crayon de ce que fait la foi en une âme où elle est en don passif et où, peu à peu, elle croît comme un divin soleil attaché au firmament de notre âme.

– 4,33 DM.

1 Matthieu, 17, 5 : « Lorsqu’il parlait encore, ils furent subitement couverts d’une nuée lumineuse, d’où il sortit une voix qui dit : Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui je me plais uniquement. Ecoutez-le. » (Amelote).

De J. Bertot. Avant avril 1681. [4,34 DM]

Notre Seigneur m’a fait voir un secret du fond et du centre de l’âme par lequel on voit et découvre si ce qui émane de l’âme vient de ce fond et centre, et cela par la comparaison d’une fontaine qui donne ses eaux sans se diminuer et sans que ces mêmes eaux puissent rentrer en leur source si premièrement elles ne vont se perdre et ne se perdent en la mer et de là reviennent en la source et par la source : cette source se nourrit et se soutient en donnant ses eaux mais elle ne peut se nourrir des mêmes eaux.

Le centre n’est pas vraiment centre en l’âme s’il n’est une source féconde qui ne puisse se tarir ; et ainsi les intérieurs qui ne sont encore arrivés à être vraiment source et à donner les eaux comme les sources les donnent ne doivent [pas] être appelés centre, mais une [133] touche ou lumière qui conduit peu à peu au centre.

Cette eau divine ou ces lumières fécondes qui sortent du centre comme d’une source nourrissent l’âme en émanant de son fond et centre sans y rentrer, mais plutôt l’âme, à mesure qu’elles sortent de la source, les va perdant en Dieu qui est vraiment la vie qui produit cette source divine dans le fond et le centre ; et telles lumières ne peuvent être nourriture à tel fond qu’en les perdant en Dieu à mesure qu’elles coulent de son centre. Et quand il découle des lumières d’une âme dont elle se peut nourrir sans les perdre, c’est signe qu’elles ne sont pas du centre mais des puissances, et par conséquent qu’elles ont des images dont l’âme se peut nourrir par les puissances. Et quand au contraire elles sont du centre et que ce sont lumières de source et de l’eau vive, comme elles n’ont vie qu’en Dieu, aussitôt qu’elles sortent de leur source, il faut qu’elles se perdent en leur source qui est Dieu pour avoir vie et donner vie en l’âme ; ou bien elles ne seront nullement nourriture au fond et au centre de l’âme.

Elles sont vie aux autres âmes qui ne sont pas dans le centre mais qui y vont, à cause qu’elles sortent de la source et qu’il n’y a pas un centre si avancé comme celui d’où elles viennent. Et si l’âme d’où elles viennent voulait se nourrir de telles lumières comme venant de la source, elle ne le pourrait, d’autant qu’étant émanées du fond, elles ne sont (aussitôt qu’elles en sont sorties) plus vie proportionnée au centre, et il faut les perdre en Dieu pour les y purifier et les rendre capables qu’elles [134] coulent par le fond en principe de vie qu’elles auront en Dieu. Ainsi toutes les lumières ne peuvent avoir vie pour le centre qu’autant qu’elles sont en Dieu et émanent de Dieu.

Il n’est pas possible que telles âmes du centre fassent de magasin : leur source est assez féconde pour les nourrir et pourvu que leur fond — et leur centre — se perde et se laisse perdre en pure et nue lumière de foi, il suffit, car leur perte, leur rien et leur nudité est leur fécondité sans mesure, étant par là mises en Dieu où telle foi les perd. Et une âme serait extrêmement heureuse si elle ne se pouvait pas retrouver. Mais, ô malheur ! elle se retrouve incessamment par les créatures et par les faiblesses ! mais aussi elle peut incessamment se perdre, comme nous perdons et retrouvons incessamment la lumière du soleil en clignant les yeux à tout moment par faiblesse et aussitôt les rouvrant tout de nouveau pour jouir de la lumière du soleil.

– DM 4.34.

« Onze dernières lettres de M. Bertot dans le même ordre à une même personne.  Avant avril 1681.»

[1ere ] De J. Bertot. [DM 4.70]

Pour satisfaire à l’inclination de madame votre sœur1 et au désir que vous viviez en paix et mouriez en repos dans le baiser du Seigneur, je vous écris simplement ce qui me vient en l’esprit pour vous obliger d’entrer et de demeurer éternellement dans ce fond de paix et de repos que vous avez tant cherché sans le trouver jusqu’à présent. Ce n’est pas que vous n’en ayez eu souvent des attraits et des sentiments et même il y a eu des moments où vous y êtes assez laissée, mais parce que vous n’êtes pas encore assez abandonnée, il se lève toujours en vous de petites inquiétudes et des appréhensions.

Peut-être que je me trompe, et j’en suis bien aise, car je le veux bien être et je ne vous écris qu’au hasard : je suppose un petit mal pour y donner le remède. Si vous êtes dans la paix parfaite, je n’ai qu’à vous exhorter simplement d’y demeurer, sans jamais vous inquiéter et vous troubler, quoiqu’il vous arrive. Ne pensez pour [238] ce sujet ni à vie ni à mort, mais à Celui seul qui vivifie. Soit que nous vivions, soit que nous mourions, nous sommes au Seigneur2.

La vie et la mort sont tout un. Cette pensée je suis au Seigneur, doit être comme le rayon du soleil qui doit percer toutes vos obscurités, dissiper vos ténèbres et chasser tous les troubles de votre intérieur et vos petits soins extérieurs.

Un enfant dans le sein de sa mère s’inquiète-t-il ? Il suce le lait en paix et en repos, et même il s’endort, dit saint François de Sales3. Et c’est ainsi qu’il vous conseille d’être collé au sein de Dieu.

Un serviteur fidèle dans la maison de son maître s’inquiéterait-il, aurait-il raison de le faire s’il était entré dans son cœur ? Et vous, ma chère sœur, vous êtes dans le cœur de Dieu ; pourquoi donc auriez-vous un mouvement hors de ce cœur ? Ô Dieu, que nous sommes insensés de nous inquiéter, puisque nous sommes infiniment éloignés de tout sujet d’inquiétude !

Vous me dites : «  mais j’ai mes péchés ! ». Je vous réponds que vos péchés sont entre les mains de Dieu : Il en a fait ce qu’Il a voulu. Vous devez croire que Sa bonté les a anéantis ; et si pour rendre hommage à sa justice, vous jugez qu’Il vous en réserve de la peine, vous Le devez adorer et demeurer en repos car vous devriez être contente qu’Il satisfasse Sa justice. Mais Il est si bon qu’ayant fait de votre côté votre possible, il faut croire qu’Il règnera sur vous par Son amour, qu’Il y couronnera Ses miséricordes et qu’Il y consommera ses grâces.

On demanda à votre bienheureux Père en mourant s’il n’appréhendait rien. Il répondit [239] : « Celui qui a commencé achèvera. » Cette réponse marquait sa confiance, sa paix, son abandon et son repos en Dieu.

Vous êtes à Dieu et Il vous dit comme à sainte Gertrude4 : «  ma fille, pense à Moi, et Je penserai à toi ». En vérité, je ne sais pas comment une âme peut être hors de Dieu un moment, faute d’abandon et de paix. Non seulement vous êtes au Seigneur, mais le Seigneur est à vous, et Il est plus vôtre que vous n’êtes Sienne. Si Dieu est à vous, vous avez tout ce qu’Il a et tout ce qu’Il est. Il est le paradis, la gloire, l’éternité, la paix, le repos. Donc le repos, la paix, la gloire, l’éternité est déjà à vous, elle vous appartient, elle est dans votre cœur, dans votre âme, vous en êtes toute pénétrée comme un éponge dans l’eau. Mais ce qui est encore meilleur, c’est que les sens n’en goûtent, n’en sentent et n’en voient rien. Et plus le tout est en fond, et moins il est au-dehors.

Réjouissez-vous donc d’être en cet état. Vous avez la foi qui vous dit : «  Dieu est à moi ». Vous n’avez donc qu’à demeurer dans cette foi : Dieu est, et Dieu est mon Dieu. Si un damné pouvait dire :   « Dieu est mon Dieu », il deviendrait bienheureux. Ah ma chère sœur, si vous saviez le don de Dieu ! Mais que dis-je ? Vous l’avez tant appris ! Cependant je vous dis simplement : si vous le saviez (car vous ne le savez pas assez), vous seriez toute abîmée, toute absorbée dans ce divin repos, vous seriez toute en Dieu seul. Vous diriez, ou plutôt vous ne diriez rien, sinon cette parole qui sortirait de votre bouche : « Rien, rien, rien, plus rien de créé, plus d’inquiétude ». Et ensuite : « Dieu seul ». Je vous laisse ici, à Dieu en Dieu.

- DM 4.70.

1Le texte est précédé de l’avertissement suivant : « Les onze lettres qui suivent ont été écrites dans le même ordre à une même personne et (apparemment) du même auteur [Bertot] que la 81e ou la dernière ». La première lettre de cette série pose problème : serait-elle adressée à la sœur religieuse âgée qui rejoignit - plus tard, après la mort de Bertot - Madame Guyon (qui serait ici « madame votre sœur ») en Savoie ? v. Vie 2.9.6. : « Comme l’on sut dans le pays que j’étais aux ursulines, que j’avais quitté Gex, et que j’étais fort persécutée, M. de Monpezat, archevêque de Sens, qui avait bien de la bonté pour moi, sachant que ma sœur, qui était ursuline de son diocèse, était obligée d’aller aux eaux pour une espèce de paralysie, il lui donna son obédience pour y aller et pour aller aussi dans le diocèse de Genève demeurer avec moi aux ursulines, ou me ramener avec elle. » On note que la 81e lettre ferait partie des 11 lettres si l’on excluait cette première ou 70e lettre que nous venons de donner, ce qui apparaît compatible avec l’avertissement : « …même auteur que la 81e ou la dernière » - dernière de l’ensemble des lettres du volume ou des « onze lettres qui suivent… » ?

2Rom., 14, 8.

3saint François de Sales, Traité de l’Amour de Dieu, livre VI, chapitre IX : « …Théotime, vous les verriez fermer tout bellement leurs petits yeux et céder petit à petit au sommeil, sans quitter néanmoins le tétin, sur lequel ils ne font nulle action… »

[2e ] De J. Bertot. [DM 4.71]

[240] Puisque vous voulez bien que je vous nomme ma Fille, que vous l’êtes en effet devant Dieu qui l’a ainsi disposé, vous souffrirez que je vous traite en cette qualité, vous donnant ce que j’estime le plus, qui est un profond silence. Ainsi lorsque vous avez peut-être pensé que je vous oublierais, c’étais pour lorsque je pensais le plus à votre perfection. Mais je vous parlerai toujours très peu : je crois que le temps de vous parler est passé, et que celui de vous entretenir en paix et en silence est arrivé. Demeurez donc paisible, contente devant Dieu ou plutôt en Dieu dans un profond silence. Et pour lors vous entendrez ce Dieu parlant profondément et intimement au fond de votre âme.

Là Dieu ne parlera en vous que comme Il parle en Lui-même, et Il ne vous dira que ce qu’Il Se dit à Soi-même. Il Se dit : « Dieu » ; Dieu le Père en Se connaissant dit : « Dieu », et c’est la génération du Verbe ; le Père et le Fils, se disant une parole d’amour, en produisent l’Amour qui est Dieu, et c’est la production du saint-Esprit. Dieu a proféré de toute éternité dans Soi-même : «  Dieu, Dieu », et c’est ce Dieu que Dieu veut exprimer et imprimer en vous. Et comme je ne suis que l’écho de Dieu, je ne puis vous répéter autre chose, et dans le temps et dans l’éternité, que : Dieu.

- DM 4.71.

[3e ] De J. Bertot. [DM 4.72]

[241] Je serais infidèle, ma fille, si je laissais passer cette occasion sans vous assurer que je me souviens autant de vous que vous le désirez et que je[le] dois en la présence de Dieu. Je n’ai pu penser à ces paroles de notre Évangile sans vous en faire part : « Montrez-nous votre Père et il nous suffit1 ». En effet si la vision de Dieu suffit aux Bienheureux, pourquoi la vue que nous avons du même Dieu par la foi ne vous suffira-t-elle pas? Celui-là n’est-il pas bien avare, à qui Dieu ne suffit pas? Il suffit à Lui-même, puisqu’Il est Son trône, Son temple, Sa demeure, Sa gloire et Son tout ; Il suffit aux Anges, aux créatures… Pourquoi donc ne suffira-t-Il pas à un petit cœur comme le vôtre ?

Si vous n’êtes pas contente de Le voir par la foi, si vous désirez quelque chose davantage, vous l’avez en plénitude, puisque non seulement vous voyez Dieu par les yeux de la foi, mais vous Le goûtez par l’oraison dans la paix et dans le repos de votre cœur : vous L’aimez puisque vous désirez de L’aimer, et enfin vous Le possédez et Il vous possède, puisqu’Il est en vous et que vous êtes en Lui. Vous croyez en Dieu : croyez-moi aussi, parce que les paroles que je vous dis ne sont point de moi. Comme le Fils est dans son Père et que le Père est dans son Fils, ainsi Dieu est en vous, et vous en Lui. Qui vous empêche [242] donc d’être heureuse au milieu même de toutes les misères du monde, et de commencer votre éternité dans le temps, puisque vous croyez en Dieu, puisque vous Le possédez et qu’Il vous possède ? Les saints dans le ciel, tous ravis de ce qu’ils voient et de ce qu’ils possèdent, s’écrient « Sanctus, sanctus, sanctus2 ». Que pouvons-nous dire autre chose sur la terre, et ensuite demeurer en paix dans un profond silence ? C’est le paradis où je veux être avec vous sur la terre, en attendant que nous soyons entièrement consommés en Dieu dans le ciel.

Dieu et rien, aviez-vous jamais compris ces deux paroles ? Pour moi je n’y ai encore rien compris et encore moins pratiqué. Dieu : en faut-il davantage ? Rien : n’est-ce pas là notre tout, notre fonds, notre moyen, notre voie ? N’est-il pas vrai que c’est dans le silence, la solitude et le repos que l’on comprend ces deux grandes vérités?

Il est venu une bonne âme aujourd’hui qui m’a supplié de lui dire seulement trois paroles pour toute sa vie, et qu’elle ne m’en demandera pas davantage. Ce procédé m’a surpris, et après avoir demeuré un peu paisible et en oraison, je lui ai dit qu’elle écoutât ce que j’allais dire sans le savoir moi-même. Je me suis mis à genoux pour lui dire : « Demeurez en silence, demeurez en solitude, demeurez en paix » ; et aussitôt nous nous sommes séparés sans rien dire davantage. Dieu veuille que ce soit pour l’éternité ! Je vous dis la même chose, et soyez comme l’écho de ma voix pour la répéter à Madame votre Sœur: solitude, silence, paix.

Il me vient ici une pensée, qu’il y a bien [243] de la différence entre la voix du cœur et de la bouche : pour entendre celle-ci, il faut être proche et l’on peut entendre celle-là de loin. Plus la voix de la bouche est haute et élevée, plus on l’entend de loin. Il [en] est tout le contraire de la voix intérieure : plus elle est basse, plus on l’entend. Il faut s’approcher bien de l’autre ; pour l’intérieure, il faut se séparer, s’éloigner de soi-même, et entrer dans la profondeur du néant à l’infini. Remarquez cette belle parole que Dieu dit à l’âme : « Inclinez votre oreille4 ». Les hommes disent : « Levez les oreilles, ouvrez-les », pour dire : écouter. Mais Dieu dit : « Penchez-les, baissez-les, inclinez-les », c’est-à-dire : approfondissez. Vous jugez combien nous nous entendrons quand je serai en solitude et vous aussi.

Je veux bien satisfaire à toutes vos obligations et payer ce que vous devez à Dieu : j’ai de quoi fournir abondamment pour vous et pour beaucoup d’autres. J’ai en moi un trésor caché : c’est un fond inépuisable qui n’est autre que mon néant. C’est là que tout est, c’est là que je trouve de quoi satisfaire à vos obligations. Ce trésor est caché. Car on croit que je suis quelque chose ! C’est qu’on ne me connaît pas. Ce fond est un trésor car c’est toute ma richesse, c’est mon bien et mon héritage, c’est mon tout. Et s’il est dit que là où est le trésor, le cœur y est aussi, je vous assure que mon néant est mon trésor car mon cœur y est et je l’aime tendrement. Il est inépuisable car Dieu en peut tirer tout ce qu’Il veut. Voyez ce qu’Il a tiré du néant en la Création, et jugez ce qu’Il peut faire du nôtre en la sanctification.

[244] Il faut laisser ce néant entre Ses mains : Il en fera tout ce qu’Il voudra. Si bien qu’en laissant ce néant à la volonté de Dieu, je donnerai tout pour vous. Et après cela ne me demandez plus rien. Je donne tout d’un seul coup, et je suis ravi de n’être et de n’avoir plus rien. Je vous soutiendrai que Dieu ne peut épuiser notre néant, comme Il ne peut épuiser Son tout.

- DM 4.72.

1Jean 14, 8-9. Il = cela.

2Apoc. 4, 8.

3Il s’agit cette fois-ci de la sœur religieuse, car la lettre doit être adressée à Madame Guyon : «…je me souviens autant de vous que vous le désirez... »

4Ps. 44, 12 : « Ecoutez, ma fille, ouvrez vos yeux et ayez l’oreille attentive… » (Sacy) ; 45 (44), 11 : « regarde et tends l’oreille… » (TOB), « vois, prête ton oreille… » (Dhorme).

[4e ] De J. Bertot. [DM 4.73]

[244] J’avais dessein de vous écrire bien des choses touchant l’état et la disposition où vous devez entrer, qui est une fermeté et une confiance inébranlable dans le vide de tout le créé et dans un soutien très pur et très simple en Dieu seul. Vous y entrez assez souvent, et même vous y demeurez assez longtemps. Mais une infinité de choses vous en font sortir : tantôt c’est un empressement pour les choses extérieures, tantôt un ennui de la nature, tantôt une recherche et un détour de l’abandon, quelquefois c’est une crainte. Je vous aurai spécifié cela plus au long, mais la Providence m’envoie du monde qui m’en empêche. Adieu en Dieu. Tout vôtre en Lui seul et pour Lui. Vous serez anathème si vous n’êtes toute en Lui uniquement, infiniment et éternellement !

- DM 4.73.

[5e ] De J. Bertot. [DM 4.74]

Je vous écris ce mot pour vous dire de demeurer dans une profonde paix, reposant humblement en Dieu. Fuyez toute attention et application d’esprit, tous efforts de la volonté. Sachez que vous n’êtes rien et que vous ne pouvez rien, et ainsi laissez faire Dieu seul. Il n’est point oisif où Il est, et quoiqu’Il ne Se laisse pas sentir, Il ne laisse pas d’opérer en nous des choses infinies. Il y fait tout ce qu’Il a jamais fait et ce qu’Il fera dans toute l’éternité : Il y engendre Son Verbe et produit Son saint Esprit, et je ne doute point qu’Il ne produise en vous des participations de l’Esprit de Dieu. Demeurez donc toute abîmée et absorbée en Dieu, dans Ses divines grandeurs et dans ces opérations intimes de Dieu, en vous reposant en Lui par le fond, et non par contention d’esprit ou par une application trop forte de la volonté. Soyez toute perdue et anéantie. Ne réfléchissez jamais où vous êtes, ni ce que vous faites, ni sur ce que vous entendrez.

Quand une fois on est abandonné à Dieu, il ne faut plus penser à soi car Dieu prend tout.

Ô, que vous seriez heureuse si vous pouviez vous laisser de la sorte et ne plus jamais penser à vous ! Servez un peu la divine Bonté comme s’il n’y avait ni paradis ni enfer. Dieu seul, Dieu seul encore une fois ! Et puis rien de tout le reste. C’est là toute ma science, ma force et tout mon fond. Ne faites rien : laissez-vous, et j’aurai soin de vous. Dieu fera tout, laissez-Le seulement [246] faire. Il opérera divinement en vous, et vous ne pourriez opérer que fort humainement.

Soutenez-vous toujours très simple et très pure dans le point de votre grâce, sans vous en détourner jamais, quoi qu’il arrive. Le point de grâce où Dieu vous veut est un vide de toutes les créatures, qui vous ne doivent être plus rien, et à qui vous n’êtes plus. Tout est mort et anéanti pour vous, et vous devez être morte et anéantie pour toutes choses. Le vide doit être encore de vous-même, car vous ne devez point penser à vous, c’est-à-dire particulièrement à vos misères et à vos impuissances - à moins que ce ne soit en paix et en repos. Souvenez-vous que la vue de vos impuissances et faiblesses seules vous met au désespoir. Vous ne devez donc point voir ces choses qu’en même temps vous ne regardiez Dieu, qui est votre force et votre tout. Oubliez donc toutes choses et ce que vous êtes : souvenez-vous uniquement de Dieu, et alors vous connaîtrez véritablement ce que vous êtes, et avec fruit.

Votre plus grand empêchement pour être toute à Dieu est ce trop de retour et de réflexion sur vous-même. À proportion que vous entrerez dans le vide, vous entrerez dans la conformité aux états de Jésus, sans que vous le connaissiez. Car la voie que Dieu veut tenir sur vous est très cachée : Il l’ordonne de la sorte pour remédier à votre orgueil. Marchez donc dans ce vide avec paix, silence, repos et amour, sans vouloir ni chercher ni voir autre chose que ce vide et repos en Dieu, autant que Sa bonté vous l’accordera.

Dans votre oraison, travaillez toujours à deux choses : la première à vous désoccuper des [247] créatures et de vous-même ; ensuite tâchez de vous occuper de Dieu ou de Jésus au fond de vous-même, ou en Lui-même. Que cette occupation soit douce, sans violence, paisible sans inquiétude, simple et en amour : un regard amoureux et tranquille de Dieu est tout ce que je vous demande. Que si Dieu par une conduite adorable ne vous accorde pas ce regard, pacifiez-vous et demeurez en repos dans votre néant, vous contentant de n’y voir rien, de n’être rien, et de ce que Dieu seul est tout.

Voilà votre attrait : ne le perdez pas ! Car il vous est facile d’en sortir par une recherche et inquiétude qui vous est naturelle. Toute autre vue, quoique sainte, est capable de vous embrouiller. Respectez tout ce qui conduit à Dieu et demeurez dans le petit point où Il vous met.

- DM 4.74.

[6e ] De J. Bertot. [DM 4.75]

Ne vous étonnez point de vos chutes passées, mais perdez-vous aux pieds de la divine Bonté avec toutes vos infidélités. Il faut que vous demeuriez toute perdue et abîmée en Dieu seul, pour ne plus rien voir, ni en vous ni en aucune chose, mais Dieu seul en toutes les créatures. De même que pendant un beau jour en plein midi on ne voit plus dans le ciel que le soleil, ainsi vous ne devez voir que le soleil de Justice et Sa présence en toutes choses. Vous ne pouvez assez entrer dans le repos et dans la paix intérieure, car c’est la voie pour arriver où Dieu vous appelle avec tant de miséricorde. Je vous dis que c’est la voie, et non pas votre centre [248]: car vous ne devez pas vous y reposer ni y jouir, mais passer doucement plus loin en Dieu et dans le néant : c’est-à-dire qu’il ne faut plus vous arrêter à rien, quoiqu’il faille que vous soyez en repos partout. Sachez que Dieu est le repos essentiel et l’acte très pur en même temps et en toutes choses : au-dedans et au-dehors de Sa divine essence, Il agit toujours, et Se repose toujours. De même vous devez vous reposer sans cesse et agir néanmoins doucement et paisiblement, quoique fortement, pour tendre toujours à Dieu et au néant dans la simplicité et unité. Ce repos ne doit point interrompre cette action, ni l’action votre repos : c’est là dormir et veiller, agir et se reposer ; et c’est ce que Dieu demande de vous.

Je vous en dis infiniment davantage intérieurement et en présence de Dieu : si vous y êtes attentive, vous l’entendrez. Soutenez-vous en Dieu nuement et simplement, seule et une, c’est-à-dire dépouillée de toutes choses, simplement toute telle que vous êtes, seule sans idée, et ramassée dans l’unité d’une seule chose, d’une seule pensée, d’une seule affaire : une à un Dieu, une en Dieu, enfin un Dieu, et après cela plus rien, ni de vous, ni des créatures, mais Dieu seul, Dieu seul en qui tout doit être perdu et abîmé pour le temps et pour l’éternité. N’ayez donc plus d’idées, de pensées, de sentiments de vous-même, non plus que d’une chose qui n’a jamais été et ne sera jamais. Qu’il en soit de même de tout ce qui n’est point Dieu seul.

Demeurons ainsi, j’y veux demeurer avec vous et je vais commencer aujourd’hui à la sainte messe. Je suis sûr que si je suis une fois élevé à l’autel, c’est-à-dire que si j’entre dans cette unité divine [249], je vous attirerai, vous et bien d’autres qui ne font qu’attendre. Et tous ensemble, n’étant qu’un en sentiment, en pensée, en amour, en conduite et en disposition, nous tomberons heureusement en Dieu seul, unis à Son Unité, ou plutôt n’étant qu’une unité en Lui seul, par Lui et pour Lui. Adieu en Dieu.

- DM 4.75.

[7e ] De J. Bertot. [DM 4.76]

Jésus-Christ vous appelle à la solitude, pour y parler à votre cœur des choses qui surpassent tous les sens : vous n’avez qu’à L’écouter. Conservez-vous bien dans un profond silence ; ne vous laissez toucher d’aucune chose, ni au-dehors ni au-dedans de vous-même, mais vous tenant toujours dans un grand vide de tout, vous trouverez un profond abîme de Dieu, dans lequel vous vous perdrez, sans vous relâcher, sans cesser et sans vous borner.

Dieu est infini et dès le moment que nous entrons en Lui, nous devons nous y approfondir à chaque moment à l’infini, sans nous violenter pourtant, car tout s’opère en paix, en silence, en profondeur ; et par mort et anéantissement total de vous-même et de toutes choses, vous serez simple en Dieu, c’est-à-dire seule à Seul. Pensez que la simplicité de Dieu Le rend solitaire en Lui-même et séparé de tout ce qui n’est point Sa propre essence. Il faut aussi que la simplicité vous sépare de tout ce qui n’est pas le fond intime et profond de vous-même, afin que ce fond touche Dieu et qu’il ne soit qu’unité en Dieu au-delà de toutes les douceurs et sentiments, quoique cela soit bon.

[250] Demeurez pour jamais paisible, tranquille et en silence en Dieu, n’écoutant plus vos raisonnements, ni vos retours, ni aucune créature. La paix extérieure et intérieure est votre attrait, votre grâce et votre perfection. Je crois que naturellement vous y êtes entièrement opposée, mais Dieu fera un coup de Sa miséricorde, si vous Le laissez faire : car pour vous, vous ne devez rien faire et toute votre disposition doit être une connaissance humble, paisible et amoureuse de votre incapacité et de votre misère avec un abandon de tout vous-même à Dieu seul, qui peut tout et fera tout. Tâchez donc de mourir à toute inquiétude, n’attendez rien de vous ni d’aucune créature mais attendez tout de Dieu et en Dieu.

- DM 4.76.

[8e ] De J. Bertot. [DM 4.77]

J’ai bien conçu la disposition où vous êtes par votre infirmité : je vous dis qu’elle n’est pas à la mort, mais à la gloire de Dieu, qui veut s’établir en vous. Vous avez trop peu d’abandon à la Providence et au bon plaisir de Dieu. Hé, quand il serait vrai que vous dussiez mourir dans le moment que vous lirez cette lettre, faudrait-il vous ébranler et vous inquiéter ? Il suffirait de vous jeter simplement et amoureusement en Dieu, et y demeurer en paix et en repos jusqu’au moment de la mort. Hélas, que nous servent nos inquiétudes, nos désirs et nos recherches ! Après avoir bien couru, bien travaillé, n’en faut-il pas revenir au [251] repos et à la paix, puisque c’est là qu’on trouve tout.

Je vous avoue que pour lors vous voudriez avoir fait pénitence, vous voudriez avoir au moins commencé : je vous assure que celui qui est en Dieu commence, avance et se perfectionne. Quand on est là, on fait tout autant que Dieu veut et ordonne, et l’âme qui se tient fidèle en ce seul point, ne désire point plus de perfection que Dieu ne lui en demande : elle n’aspire point à davantage que ce que Dieu lui donne. Elle est aussi contente de son peu, et même de son rien, que du tout ; elle demeure en paix partout, en repos au milieu de toutes choses. Ainsi elle se laisse conduire doucement et humblement à la Providence, elle se laisse mouvoir, agir, pâtir, vivre et mourir, sans jamais rien vouloir ni désirer que le bon plaisir de Dieu. Elle verrait tout renverser, elle verrait la mort et l’enfer même qu’elle ne s’étonnerait : car étant en Dieu pourquoi s’étonnerait-elle ?

Vivez donc ou mourez, il ne vous importe pas. J’ai lu de M. de Bernières, qu’un jour pensant mourir et voyant qu’il n’avait encore rien fait, il dit : « J’aime mieux que la volonté de Dieu s’accomplisse, elle m’est plus chère que toute la perfection de ma vie ». Entrez un peu dans ces sentiments, et ne vous découragez plus de vos misères et faiblesses. Allons à Dieu à l’infini, Lui donnant tout, ne regardant que notre néant : après cela, que les créatures disent et pensent ce qu’elles voudront.

- DM 4.77.

[9e ] De J. Bertot. [DM 4.78]

[252] Il faut que je vous dise par écrit ce que je voudrais graver dans le plus profond de votre cœur. Mon Dieu ! Ne trouverons-nous point une âme qui soit à Vous autant que Vous le voulez, en qui Vous Vous reposiez amoureusement, et qui se repose en Vous absolument sans jamais sortir de Vous ? Je voudrais vous dire des choses assez touchantes et profondes pour vous faire mourir à vous-même et à tout le créé : courage, amour et abandon. Si vous saviez la bonté et patience de Dieu, vous ne vous abattriez jamais, mais vous seriez et vivriez toujours hors de vous-même. Je vois si clair le point où Dieu vous tire : vous êtes tout sur le bord, il n’y a plus qu’à vous laisser entrer. Vous voilà sur le bord d’un abîme infini, d’une chose inexplicable : ne branlez pas mais laissez-vous là en Dieu, afin qu’Il vous jette et vous précipite, et qu’Il vous perde à jamais en cet abîme.

Si vous étiez dans un abîme extérieur, vous seriez perdue aux yeux des créatures et peut-être seriez-vous morte : ceci n’est qu’une figure. Tombez donc au plus tôt, Dieu le veut : laissez-vous tomber dans un abîme sans fond, sans lumière, sans bornes. Je dis sans fond, sans lumière, car c’est un abîme de foi et d’amour ; la foi est une nuit, l’amour est aveugle, un abîme sans bornes : car c’est l’infini, c’est l’éternité, l’incompréhensibilité, c’est Dieu et le Rien. Le néant n’est-il pas un abîme ? Ces deux abîmes s’appellent [253] l’un l’autre : Dieu appelle et demande votre anéantissement, et votre néant appelle Dieu. Et plus Dieu est en vous, et plus Il désire que vous ne soyez rien et que vous n’ayez rien, parce qu’Il est Celui qui est.

Il dit en vous : Ego sum1 ; et ainsi vous êtes celui qui n’êtes pas. Dieu au milieu de vous prend plaisir à dire : Ego sum. Et vous qui ne savez pas encore que c’est le plaisir de Dieu, vous vous attristez de n’avoir rien, de ne sentir rien, de ne goûter rien. Ah, que vous êtes encore peu intelligente, que vous avez peu de foi ! Si Dieu est tout, vous n’êtes pas ; si vous n’êtes pas, vous ne pouvez rien avoir ; si vous ne pouvez rien avoir, de quoi vous plaignez-vous de n’avoir rien ? C’est que vous vous imaginez être quelque chose ? Mais quelle folie ! Oseriez-vous dire : Ego sum, je suis ? Je crois que si vous prononciez cette parole, vous tomberiez écrasée de confusion ou d’un coup de la divine Justice.

Il n’y a que Vous, ô mon Dieu, qui êtes ! Je reconnais que je ne suis rien. Quand je ne dirais autre chose en toute ma vie, je dirais assez ; puis je dirais tout ce que je puis dire et tout ce que je puis être.

- DM 4.78.

1Exode 3, 14 : Je suis celui qui suis.

[10e ] De J. Bertot. [DM 4.79]

Dieu seul est, tout le reste n’est rien : quand sera-ce que vous direz ce mot avec esprit et vérité ? Mais que ne vous tenez-vous [254] là en oraison devant Dieu, cœur à cœur, essence à essence, simple, une à un Dieu, que dis-je ! Dieu à Dieu ? Oui, Dieu en vous doit Se rejoindre, Se revoir, Se concentrer à Lui-même : Dieu en vous comme voie doit tendre à Dieu en Soi-même, comme à Dieu-centre. Deus, Deus meus1, dit le Prophète, Dieu en Lui-même, Dieu en moi-même : Dieu est pour lui, Dieu est pour moi. Concevez le reste ! Goûtez et voyez, aimez et connaissez. Et soyez là toute perdue, toute pénétrée, toute abîmée, toute ravie, toute transformée au-delà des ravissements et des transports, mais ravie en Dieu et de Dieu : qui potest capere capiat2. Si vous ne comprenez pas l’infini, laissez-vous en comprendre ; si vous ne pouvez tout digérer, laissez-vous dévorer. Si le zèle de la maison de Dieu a dévoré un Prophète3, il faut que le zèle de Dieu même vous dévore. Soyez toute absorbée, toute engloutie, toute passée et toute changée en Dieu par l’oraison, la communion et l’amour : ne passez pas un seul jour sans oraison et sans amour.

Faut-il que nous soyons si lâches, si infidèles, si petits, si réservés et si renfermés en nous-mêmes et dans de petits riens ? C’est ainsi que j’appelle vos affaires et vos occupations et toutes les créatures. Hé, n’en sortirez-vous jamais une bonne fois ? Assurément que Dieu a de grandes choses à vous dire, puisqu’Il vous demande tant d’attention. Le voici! Oubliez votre peuple et la maison de votre Père : soyez-en [255] aussi loin que le ciel l’est de la terre. Vous devez converser dans le ciel, et l’Apôtre a dit un beau mot: que nous n’avons pas ici de cité permanente. L’avez-vous jamais bien compris ? Nous n’avons point de demeure sur la terre : est-ce à dire que nous en sortirons pour aller au tombeau ? Non, ce n’est pas là toute la profondeur de l’Apôtre, mais il entend que pour nous, il n’y a point de demeure sur la terre, car nous n’y devons pas être un seul moment, mais tout en Dieu.

Ecoutez ce que l’Église souhaite6 en ce temps : Sit nobis in te requies7. Elle ne demande pas d’autre repos ni d’autre demeure qu’en Dieu et qu’entre les bras de son Epoux. Elle lui demande une nuit paisible et tranquille parce qu’il n’y a du repos que dans la foi et dans l’anéantissement : repos en la foi qui nous met en Dieu, repos dans notre néant, qui nous met hors de nous et de l’être créé.Voulez-vous savoir pourquoi vous avez tant de peine à demeurer paisible ? C’est que vous sortez de l’obscurité de la foi, voulant voir, discerner et goûter quelque chose ; et c’est par là aussi que vous sortez de la profondeur de votre néant. Sachez que les choses ne pèsent point dans leur centre, mais y trouvent la paix et le repos. C’est que le centre d’une chose est sa fin. Or quand une chose est arrivée à sa fin, elle n’a plus rien à désirer, ni à chercher. Elle ne saurait aller plus outre car elle sortirait de sa fin. Disons encore que la fin d’une chose est le but où elle tend et pour laquelle elle est. Quand [256] donc elle la possède, elle se repose. Enfin, la béatitude, la fin et le repos sont la même chose.

Dieu seul et le néant sont deux centres. C’est donc uniquement où nous devons tendre et où nous trouverons notre béatitude, repos et parfaite paix. Comment donc pouvoir demeurer un moment hors de Dieu ? Je sais bien que nos emplois nous en distraient souvent : c’est pourquoi je soupire tant après la solitude. Mais après tout, c’est notre infidélité qui nous distrait et, si nous avions du courage, rien ne nous pourrait séparer un moment de notre intimité et de notre unité. Savez-vous ce que j’entends par ce mot : intimité ? Je dis tout ce qu’il y a de plus un, car je ne crois pas que nous devons jamais nous borner ni nous arrêter à quoi que ce soit. C’est pourquoi, afin d’être plus infini, il faut toujours passer au-delà de toute vue, de tout sentiment et de tous dons, car l’âme qui s’arrête à quelque chose, quelque sainte et divine qu’elle puisse être, s’arrête toujours à quelque chose de créé et par conséquent bornée et finie, au lieu que l’infini doit être notre fin.

Ah que pour aller au-delà de tout, il faut bien dire : rien, rien! C’est à force de n’être rien que l’on trouve l’infini puisque l’on trouve Dieu : car je passe au-delà de tout ce que je pense, même de Dieu et de tout ce que les savants en ont dit. Au-delà de tout ce qui est concevable, alors je tombe dans une négation de tout le créé et de tout le créable. Et où suis-je pour lors ? En Dieu. Mais je ne sens, je ne vois rien ? Si vous sentiez et conceviez quelque chose de Dieu, vous seriez dans le créé et non pas dans l’incréé, dans le fini et non pas dans l’infini.

Allons donc au-delà de tout, à force d’être néant et vide de tout ce qui n’est pas Dieu seul. Ne faisons pas même cas des pensées et des beaux sentiments que nous avons de Dieu, parce que tout cela n’est pas Dieu. Tout ce qui est en nous est moins que rien. Il y a bien de la différence entre ce qui est de Dieu et ce qui est Dieu en Dieu. Tout ce qui est en Dieu est Dieu, mais en nous ce qui est de Dieu n’est pas Dieu. Allons donc au-delà de tout ce qui est de Dieu en nous-mêmes, pour entrer en Dieu Lui-même.

- DM 4.79.

1Ps., 21, 2 : Dieu, mon Dieu !

2Matthieu, 19, 12 : Qui pourra le comprendre, le comprenne. Dutoit (D).

3Ps., 68, 10 : « Parce que c’est pour votre gloire que j’ai souffert tant d’opprobres, et que mon visage a été couvert de confusion. » (Sacy).

4Ps., 44, 12 : « Ecoutez ma fille […] ayez l’oreille attentive… » (Sacy).

5Hebr., 13, 14 : « Car nous n’avons pas ici de cité permanente, mais nous cherchons celle qui est à venir. » ( Amelote).

6Dans le cantique : Christe qui lux es et dies. D

7Que notre repos soit en vous [toi]. D

[11e ] De J. Bertot. Avant avril 1681. [DM 4.80]

Dieu est : je ne Le regarde pas en nous, ni dans le créé, mais dans Lui-même. C’est diminuer Dieu que de Le regarder hors de Lui-même, c’est Le magnifier que de Le contempler au-delà de tout ce qui est et de tout ce qui peut être. Je sais bien que Dieu est partout, mais afin que je sois en repos, c’est-à-dire où Il veut, il faut que je Le vois au-delà de tout le créé et que je demeure en Lui-même : Sit nobis in te requies.

Pourquoi tant de pensées qui roulent les unes après les autres dans votre esprit, comme les flots et les vagues dans la mer, puisqu’il ne faut qu’une pensée ? Cette pensée est celle-ci : Dieu, Dieu. Pourquoi un cœur aussi petit que le vôtre est-il gros de tant de désirs ? Vous cherchez et vous écoutez tout, et vous ne trouvez rien : c’est que vous n’allez pas au fond et au centre qui est Dieu. Sachez que votre appétit, [258] qui est infini, ne peut être contenté que de Dieu : donc vous ne devez point chercher d’autre milieu, d’autre moyen, d’autre fin, que Dieu. Anéantissez donc toutes les vues de votre esprit, toutes les inquiétudes et troubles de votre âme, tous les désirs de votre cœur, toutes les recherches de votre vie, toute l’activité de vos actions, puisqu’il ne faut que Dieu. Ne me dites plus que vous êtes misérable, parce que vous ne devez vous laisser toucher que du bonheur de Dieu.

Contentons-nous donc de cette grande vérité : Dieu est. Les démons la connaissent et la sentent, mais ils ne s’en contentent pas : c’est ce qui fait leur enfer. Les bienheureux connaissent que Dieu est, et ils s’en contentent : c’est ce qui fait leur béatitude, car les saints sont plus heureux de la béatitude de Dieu que de leur propre béatitude. Il ne faut avoir qu’un peu d’amour pour entendre cette vérité. Que les autres croissent en grâce, en sagesse et en vertu ; pour moi, je me contente de mon néant et de ce que Dieu est Dieu.

- DM 4.80.

De J. Bertot. Avant avril 1681. [DM 4.81]

De l’état d’anéantissement parfait en nudité entière, où l’âme est et vit en Dieu, au-dessus de tout le sensible et perceptible.

Le dernier état d’anéantissement de la vie intérieure est pour l’ordinaire précédé d’une paix et d’un repos de l’âme dans son fond, qui peu à peu se perd et s’anéantit, allanta toujours en diminuant, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien deb sensible et de perceptible de Dieu en [259] elle. Au contraire elle reste et demeurec dans une grande nudité et pauvreté intérieure, n’ayant que la seule foi toute nued, ne sentant plus rien de sensible et de perceptible de Dieu, c’est-à-dire des témoignages sensibles de Sa présence et de Ses divines opérations, et ne jouissant plus de la paix sensible dont elle jouissait auparavant dans son fond ; mais elle porte une disposition quie est très simple, et jouit d’une très grande tranquillitéf et sérénité d’esprit, qui est si grande que l’esprit est devenu comme un ciel serein.

Etg dans cet état il ne paraît plus à l’âme ni hauth ni bas, ne se trouvant aucune distinction ni différence entre le fond et les puissances, tout étant réduit dans l’unité, simplicité et uniformité, et comme une chose sans distinction ni différence aucune. D’oùi vient que quelques uns appellent aussi cet état, état d’unité et de simplicité. Mais dans la dernière consommation de cet état, il ne paraîtj plus dans l’âme ni unité ni simplicité, tout cela étant comme perdu et anéanti. Et bien plus, elle n’a plus de chez soi, c’est-à-dire elle n’a plus d’intérieur, n’étant plusk retirée, ramassée, recueillie et concentréel au-dedans d’elle-même; maism elle est et se trouve au-dehors dans la grande nudité et pauvreté d’espritn dont je viens de parler, comme si elle était dans la nature et dans le vide. D’oùo vient qu’elle ne sait si elle est en Dieu ou en sa nature.

Elle n’est pourtant pas dans la nature ni dans le vide réel, mais elle est en Dieu qui la remplit tout de Lui-même, maisp d’une manière très nue et très simple, et si simple que Sa présence ne lui est ni sensible ni perceptible, ne paraissant [260] rien dans tout son intérieur qu’une capacité très vaste et très étendue.

Dans cet état, l’âme se trouve tellement contente et satisfaite qu’elleq ne souhaite et ne désire rienr plus que ce qu’elle a, parces qu’ayant toujours Dieu et étant toute rempliet et possédée de lui dans son fond, quoiqueu d’une manière très simple et très nue, cela la rend siv contente qu’elle ne peut souhaiter rien davantage. L’âme se trouve comme si elle était dissoute et fondue, ainsi qu’une goutte de neige qui serait fondue dansw la mer, de manière qu’elle se trouve devenue comme une même chose avec Dieu. Dansx cet état il n’y a plus ni sécheresses, ni aridités, ni goût, ni sentiment, ni suavité, ni lumière, ni ténèbres, et enfin ni consolation ni désolation, mais une disposition très simple et très égale.

Ily est à remarquer que quand je dis qu’il n’y a plus de lumière en cet état, j’entends des lumières distinctes dans les puissances. Car l’âme, étant en Dieu, est dans la lumière essentielle, qui est Dieu même, laquellez lumière est très nue, très simple et très pénétrante, et très étendue, voyant et pénétrant toutes choses à fond comme elles sont en elles-mêmes : non d’une manière objective, maisaa d’une manière où il semble que toute l’âme voit, et par une lumière confuse, générale, universelle et indistincte, comme si elle était devenue unab miroir où Dieu Se représente et toutes choses en Lui. L’âmeac se trouve comme dans un grand jour et dans une grande sérénité d’esprit, sans avoir rien de distinct et d’objectif dans les puissances, [261] voyant, dis-je, tout d’un coup et dans un clin d’œil toutes choses en Dieu.

Cet état est appelé état d’anéantissement premièrement parce que toutes les lumières, vues, notions et sentiments distincts des puissances sont anéantis, cessés et comme évanouis, si bien que les puissances restent vides et nues, étant pour l’ordinaire sans aucune vue ni aucun objet distinct. Néanmoins l’imagination ne laisse pas de se trouver souvent dépeinte de quelques espèces qu’elle renvoie à ces autres puissances et qui les traversent de distractions ; mais ces distractions sont si déliées, qu’elles sont presque imperceptibles, et passent et repassent dans la moyenne région, comme des mouches qui passent devant nos yeux, sans qu’on les puisse empêcher de voler.

Secondement cet étatad est aussi appelé état d’anéantissement parce que toutes les opérations sensibles et perceptibles de Dieu sont cessées et comme évanouies. Et même cette paix et ce repos sensible[s] qui restai[en]t en l’âme après toutes les autres opérations sensibles, tout cela, dis-je, est anéanti. L’âme demeure nue et dépouillée de tout cela, sans avoir plus rienae de sensible ni de perceptible de Dieu, se trouvant en cet état toujours dans une grande égalité et dans une disposition égale, soit en l’oraison, soit hors de l’oraison, dans une disposition intérieure très nue sans rien sentir de Dieuaf, si ce n’est dans certains intervalles, mais rarement. D’où vient que la plupart des personnes qui sont dans cet état ne font plus guère d’oraison parce qu’elles ont toujours Dieu et sont toujours en Dieu, étant comme je viens de dire, toujours en même état, dans l’oraison comme [262] hors de l’oraison. Et comme elles sont pour l’ordinaire dans une grande nudité intérieure, cela fait qu’elles pourraient bien s’ennuyer dans l’oraison si le temps était trop long. Mais il faut surmonter toutes les difficultés et y donner un temps suffisant, lorsqu’on est en état de le faire.

Ilag est à remarquer encore que, bien que ces âmes se trouvent pour l’ordinaire dans une égale disposition intérieure, c’est-à-dire toujours égales dans leur fond et toujours dans cette disposition très nue et très simple, il se passe néanmoins de temps en temps de certaines vicissitudes et changements de dispositions en leurs sens, et même leurs puissances se trouvent quelquefois émues et agitées par quelque sujet de peine. Pendant ces vicissitudes et agitations, elles ne laissent pas de demeurer en paix en leur fond, ce qui se doit entendre d’uneah paix nue, simple et solide.

Enfin, en cet état, Dieu est la force, l’appui et le soutien de ces âmes dans ces occasions de souffrances, de peines et de contradictions qui leur arrivent, leur donnant la force et la grâce de les porter en paix et tranquillité, non en les appuyant et soutenant sensiblement comme dans l’état précédent, mais en leur donnant une force secrète et cachée pour soutenir ainsi en paix et tranquillité ces souffrances, peines et contradictions. Ce qui est une marque infaillible que ces âmes sont à Dieu, car si elles n’étaient que dansai la nature, elles n’auraient pas cette force de souffrir. Cependant la nature ne laisse pas de ressentir quelquefois des peines et contradictions, et leurs puissances, surtout l’imagination, ne laisse pas comme je viens de dire [263] de demeurer durant quelque temps dépeintes et agitées de ces peines. Mais Dieu les soutient par une vertu et une force secrète en nudité d’esprit et de foi, si bien qu’elles souffrent et supportent tout avec paix et tranquillité d’esprit. Car quoique leurs puissances et leurs sens soient dépeints de leurs sujets de peine et que cela les émeut et agite, néanmoins elles demeurent en paix dans leur fond sans fond et dans une paix sans paix, c’est-à-dire dans une paix qui n’est plus sensible, mais nue, simple et solide : c’est comme un certain calme repos et tranquillité de toute l’âme.

Enfinaj l’état et la constitution ordinaire[s] de ces âmes est de ne rien voir de distinct dans leurs puissances et de ne rien sentir dans leur intérieur de sensibleak de Dieu, ni de Ses divines perfections, opérations, écoulements, infusions, influences, goûts, suavités ni onctions, et de se trouver dans cette grande nudité d’esprit sans autre appui ni soutien que la foi nue. Mais quoiqu’elles ne voient rien de distinct, elles voient néanmoins toutesal choses en Dieu et, quoiqu’elles ne sentent rien, qu’elles ne goûtent rien, qu’elles ne possèdent rien sensiblement de ces divins écoulements, néanmoins elles ont et possèdent réellement Dieu au-dedans d’elles-mêmesam.

Dans cet état ces âmes vivent toujours à l’abandon et étant abandonnées d’état et de volonté àan la conduite de Dieu sur elles, pour faire d’elles et en elles tout ce qu’il voudra pour le temps et pour l’éternitéao; et bien qu’elles ne soient plus en état d’en faire des actes sensibles, elles ne laissent pas d’être abandonnées, ne désirantap jamais rien que ce que Dieu voudra, ni [264] vie ni mort. Elles ne pensent à rien, ni au passé ni à l’avenir, ni à salut niaq à perfection ni à sainteté, ni à paradis ni à enfer ; et elles ne prévoient rien de ce qu’elles doivent faire et écrire dans les occasions qui ne sont pas arrivées, mais laissent tout cela à l’abandon. Et quand les occasions se présentent d’écrire, de dire ou de faire quelque chose, alors Dieu leur fournit ce qu’elles doivent dire et faire, et d’une manière plus abondante, féconde et parfaite qu’elles n’auraient jamais pu prévoir d’elles-mêmes par leur prudence naturelle.

Enfinar dans cet état ces âmes jouissent d’une grande liberté d’esprit, non seulement pour lire et pour écrire, mais aussi pour parler dansas l’ordre de la volonté de Dieu. Et ces âmes parlent souvent sans réflexion et comme parat un premier mouvement et impulsion qui les y porte et entraîne.

Ces âmes ne laissent pas en cet état si simple et nu de s’acquitter fidèlement des devoirs de leur état, car Dieu qui est le principe de leurs mouvements et actions, ne permet pas qu’elles manquent à rien de leurs obligationsau.

- DM 4.81. Admirable 81e lettre qui conclut la contribution de Bertot aux volumes du Directeur mystique.

Le choix numérique de 81 lettres n’est probablement pas le fait du hasard : 81 = 3 x 3 x 3 x 3 (un tel intérêt numérique est universel, v. les 81 chapitres du livre de La Voie et la Vertu ou Tao Te King). Dans le même esprit suivent pour ce quatrième et dernier tome du DM : 21 lettres de Maur de l’Enfant-Jésus (lettres que nous avons reproduites précédemment), équilibrées par 21 lettres nommément attribuées à Madame Guyon (la finale ou 22e étant une conclusion ajoutée) mais sans dates, que nous reproduirons en ouverture du vol. III de cette Correspondance. Poiret a donc probablement limité son choix dans un ensemble plus vaste qui était à sa disposition (depuis disparu avec sa bibliothèque).

Nous avons reproduit cette lettre en conclusion d’un choix de textes de Madame Guyon à ses disciples : Madame Guyon : De la Vie intérieure, Discours Spirituels…, Phénix, coll. « La Procure », 2000. Elle fut publiée sans attribution par J.-L. Goré, La notion d’indifférence chez Fénelon et ses sources, appendice « Sur l’anéantissement », p. 286 à 292, à partir de la pièce 6411 conservée aux A.S.-S. Cette pièce comporte 4 feuillets d’une belle écriture inconnue de copiste. Elle est intitulée « Description du dernier état d’anéantissement de la vie intérieure » et porte une annotation de Gosselin :  « J’ignore de qui est ce fragment… ». Madame Guyon avait donc communiqué à Fénelon une copie de cette lettre de son maître. J.-L. Goré la rapproche des écrits de Bernières, tout en l’attribuant (sous réserve) à Fénelon. Cognet pensait à Madame Guyon, tout en notant une différence de style (Dict. Spir., art. « Guyon », col. 1330). Tout cela souligne le lien qui unit Bernières, Bertot et Madame Guyon.

Prenant DM 4.81 comme leçon, nous donnons ici les nombreuses variantes de la pièce 6411 dénotée «  A.S.-S. » en signalant une omission (probablement une erreur de copie, v. note) mais surtout des ajouts de cette pièce par rapport au texte de DM 4.81. La pièce 6411, plus diluée, est donc très probablement d’une rédaction postérieure.

aet s’évanouit, allant variante A.S.-S. Rappelons que nous encadrons chaque variante de mots présents dans les deux versions, soit ici : « et [variante] allant. »

brien : et lors il ne reste plus rien de A.S.-S.

celle demeure A.S.-S.

dintérieure, et d’esprit avec la seule foi nue A.S.-S.

emais d’une certaine disposition intérieure, qui A.S.-S.

fet d’une grande tranquillité A.S.-S.

gun ciel ou un air serein, et A.S.-S.

hni fond, ni contrée, ni sommet, ni haut A.S.-S.

itrouvant plus aucune distinction, ni différence ; d’où A.S.-S. qui omet le membre de phrase : …entre le fond et les puissances, tout étant réduit dans l’unité, simplicité et uniformité, et comme une chose sans distinction… (probablement par erreur de copie due à la répétition de : distinction ni différence).

jles dernières consommations de cet état, il ne reste ou ne paraît A.S.-S.

kc’est-à-dire qu’elle n’est plus A.S.-S.

lretirée, introvertie, recueillie, ramassée et concentrée A.S.-S.

md’elle-même, et même elle ne sent plus en elle aucune opération divine et distincte ; mais A.S.-S. ajout.

npauvreté intérieure et d’Esprit A.S.-S.

oétait dans le vide, quelquefois se trouvant comme un grand vaste au-dedans d’elle-même ; d’où A.S.-S. ajout.

pDieu ou dans la Nature ; mais elle reconnaît pourtant pour l’ordinaire qu’elle n’est point dans la nature ni dans le vide, mais qu’elle est en Dieu qui remplit tout son intérieur de lui-même par son immensité ; mais A.S.-S.

qperceptible ; mais pourtant qui contente tellement l’âme qu’elle A.S.-S.

rsouhaite rien A.S.-S.

sa ; non pas même le paradis et on lui fait même de la peine de lui en parler, parce A.S.-S. ajout.

tétant toujours remplie A.S.-S.

udans tout son intérieur, quoique A.S.-S.

vla laisse toujours si A.S.-S.

wqui le serait dans A.S.-S.

xmer, ou comme deux cires qui seraient fondues ensemble de manière qu’elle se trouve devenue une même chose avec Dieu sans distinction ni différence. De plus dans A.S.-S. ajout.

yégale. Elle ne sent plus même, ni paix, ni repos, tout cela étant et se trouvant perdu, évanoui et anéanti, à cause qu’elle est comme j’ai déjà dit comme toute fondue en Dieu. / Mais il A.S.-S. ajout.

zessentielle qui procède de Dieu même et qui est Dieu, et laquelle A.S.-S. ajout – dorénavant nous omettons des variantes mineures.

aaobjective et par lumière distincte des puissances, mais A.S.-S. ajout.

abdevenue comme un cristal ou un A.S.-S. ajout.

acDieu étant, elle voit toutes choses en lui, l’âme A.S.-S.

adrepassent aussi dans l’air devant nos yeux et qu’on ne peut pas les empêcher de passer. / 2e cet état A.S.-S.

aeDieu qui ont précédé même la paix et le repos sensible qui étaient dans le fond de l’âme après ces opérations sensibles, sont assez évanouies et comme anéanties. L’âme étant dépouillée de tout cela et restée nue sans avoir plus, comme j’ai déjà dit, rien A.S.-S. ajout.

afDieu, néanmoins reposant dans le repos de Dieu, qui est un repos simple et immuable. Et dans cet état elle se trouve toujours dans une égale disposition intérieure, hors l’oraison comme dans l’oraison, à savoir dans une disposition très nue sans rien sentir en elle de Dieu A.S.-S.

agl’oraison. / 3e La personne la plus consommée que je connaisse être en cet état se sent quelquefois certaines jubilations et allégresses très simples qui la portent à dire Alleluia comme aussi elle sent quelquefois exhalaisons de bonne odeur très simples. Ces âmes n’ont plus d’attrait pour la sainte messe comme dans les précédents états, mais néanmoins elles ont toujours beaucoup d’estime et de vénération pour ce saint sacrifice et ne manquent pas de l’entendre tous les jours quand elles le peuvent. Elles n’ont plus aussi d’attrait pour la sainte communion comme pour les précédents états : mais elles ne laissent pas d’en avoir beaucoup d’estime et de la fréquenter autant de jours que cela leur est permis. / Il A.S.-S. ajout !

ahfond, ce qui ne se doit pas entendre d’une paix sensible mais d’une A.S.-S. ajout.

aiinfaillible qu’ils la font en Dieu car si elles étaient dans A.S.-S.

ajpaix dans le fond qui reste dans l’âme mais qui pourtant ne paraît plus comme distinct des puissances. / Enfin A.S.-S.

akde la présence sensible A.S.-S.

aldistinct, elles voient néanmoins tout puisqu’elles voient toutes A.S.-S.

ampossèdent néanmoins tout puisqu’elles possèdent réellement Dieu au-dedans d’elles-mêmes A.S.-S. ajout.

anl’abandon, s’abandonnant à A.S.-S.

aovoudra dans le temps et dans l’éternité A.S.-S.

apl’éternité, ne désirant A.S.-S. omission !

aqni à l’avenir ni A.S.-S.

arenfer, non pas même à Dieu et elles ne prennent rien de ce qu’elles doivent dire, écrire et faire dans les occasions qui ne sont pas encore arrivées mais laissent aussi tout cela à l’abandon et quant les occasions se présentent de dire, écrire ou faire quelque chose ; alors Dieu leur fournit ce qu’elles doivent dire, écrire ou faire et d’une manière plus abondante, féconde et parfaite qu’elles n’auraient jamais pu prévoir ou faire d’elles-mêmes. Enfin A.S.-S.

asparler et conserver dans A.S.-S. ajout.

atEt il est à remarquer que souvent ces âmes parlent sans réflexion sur ce qu’elles disent et par A.S.-S.

au dernier paragraphe absent. A.S.-S.





AUTRES MYSTIQUES EDITES DANS LE DM





Marie des Vallées à Monsieur de Bernières

Conseils d’une grande Servante de Dieu appelée Sœur Marie des Vallées320

Ces Conseils ont été donnés apparemment à Mr. de Bernières, (Voyez dans ses Œuvres spirituelles, II. Partie, Lettres XXX, Pour la vie Unitive,)321 ou à M. Bertot, (Voyez ci-dessus lettre XL, §2, et lettre LXIV, §6)322 ou à quelqu’un de leurs amis, qui avaient tous une grande estime pour cette fille, et l’allaient voir ordinairement une fois par an.

Sur le don d’anéantissement ou de la foi nue, l’emploi pour le prochain, la présence réelle de Jésus-Christ, la conversation en esprit et en silence, la communication essentielle de Dieu323.

1. Cette Servante de Dieu étant consultée par un Serviteur de Dieu, elle lui dit [408] d’avoir courage, qu’il n’est point arrivé, mais qu’il est en chemin ; qu’il faut laisser aller les personnes qui ont des lumières et des beaux sentiments, que ce n’est point là sa voie. Elle l’a connu par son discours, c’est le tout pur rayon. Il faut bien se donner de garde de324 ruiner son corps. Il y a peu d’âmes arrivées au divin rayon : quelquefois l’union est couverte de cendre par les actions extérieures et autres choses ; ce n’est rien, on n’est point désuni pour cela. Que c’est une chose rude aux pauvres sentiments de tirer de [409] leur opération naturelle, et de passer en Dieu.

2. Elle a dit qu’elle ne peut rien faire ni penser, sinon demeurer dans sa maison qui est le néant. Il lui prend des désirs de connaître la vérité ; mais elle est mise en sa maison : elle ne saurait prier, ni rien faire que comme on le veut. Les Dames, qui sont le mépris et la souffrance, etc., préparent la maison pour l’anéantissement, et elles ne s’en vont pas, quoiqu’il soit fait, elles demeurent comme en Notre Seigneur Jésus-Christ.

3. Elle m’a dit quantité de fois, vous voilà en beau chemin, Dieu vous y conduise. Que voilà un beau chemin ! Que Dieu est bon ! Elle m’a dit que l’anéantissement est très long ordinairement, et que bien souvent on ne sait où on est ; et que l’on n’a pas moins pour cela, au contraire l’incertitude et les peines font bien avancer : enfin c’est une grande grâce que l’anéantissement. Les sécheresses sont dans les sens, et Dieu est dans le fond qui est immobile, et ne se retire pas. Et comme Dieu ne se retire pas du commun, que par le péché mortel ; aussi ne se retire-t-il pas quand il a donné le don, et les obscurités n’empêchent pas que Dieu n’y soit, et par conséquent que l’oraison n’y soit : Dieu par le don d’anéantissement se donne, mais peu à peu il croît en l’âme dans l’anéantissement. Elle m’a dit que nous en avons assez, que de l’assurance de la voie et du don, il ne faut point attendre de réponse, que tout est assez bien sans cela ; elle fait une estime de cet état. Il faut avoir une grande liberté et gaieté. Elle m’a dit plusieurs fois que l’amour-propre, la propre complaisance, et la vanité perdent tout. Par l’anéantissement Dieu vient dans l’âme, et y venant la fait mourir à elle-même. [410]

4. Je lui ai dit que mon âme suivait Dieu, outrepassant et oubliant tout pour se pouvoir perdre en lui. Elle m’a dit que pour lors l’âme cherche Dieu ; mais que parfois Dieu la regarde, et quoiqu’elle ne s’en aperçoive pas, qu’il ne faut pas laisser de poursuivre : car Dieu y est, et c’est assez.

La vraie demeure de l’âme, c’est la maison du néant, où il n’y a rien. Il lui fut dit que la chambre du Roi était l’humilité, et que la fenêtre par où venait la lumière divine dans la chambre était la connaissance de soi-même. Nous avons parlé du pur amour, et que l’âme qui aime, a tout.

5. Pour dernière instance, elle m’a absolument assuré de mon état, et que je devais être tout passif et en quiétude. Le chemin de l’anéantissement est long si ce n’est par miracle : c’est un grand bonheur que d’être en chemin. Il faut mourir aux passions, aux sens et aux puissances, et que Dieu soit venant et régnant dans l’âme. Elle m’a dit derechef que l’anéantissement est un chemin fort étroit : l’entendement y doit être anéanti, et par conséquent compris et possédé de Dieu ; et peu à peu le divin rayon croît.

La voie active est large, d’autant que les sens ont leurs affaires ; mais ici il faut qu’ils endurent, et qu’ils soient beaucoup à l’étroit. Durant que Dieu est l’agent, il faut le laisser faire ; et quand il n’agit plus, il faut agir.

Elle m’a dit que peu souvent on est assuré de son anéantissement ; et qu’il faut vivre comme cela. Elle m’a dit que c’est un don que Dieu nous a fait : j’ai bien vu par son discours que c’est assez. Elle me disait : voilà votre voie ; les autres marchent autrement : il faut suivre la sienne ; les autres ont des contemplations, et inclinations, il faut qu’ils y aillent. [411]

Plus on s’anéantit, plus on se transforme ; et il n’y a qu’à laisser Dieu faire.

6. Le premier jour je n’ai point vu de lumière particulière, sinon la donation du don [d’anéantissement ou de foi nue]325 et faire ensuite selon le don, et cela portait effet de grâce en mon âme, outrepassant tout pour vivre dans ce don.

J’ai vu que quand le don est fait à l’âme, il ne s’en va pour rien : la maladie lui offusque tout l’esprit, et cela n’empêche point qu’il n’y soit. Elle m’a dit : voilà votre affaire. Elle m’a assuré de la vocation de M. B. pour le prochain.

7. Comme je l’ai été prier pour demander à Dieu la certitude de mon oraison, elle m’a dit de me donner de garde de la curiosité, que la certitude a été donnée, et qu’il faut marcher. Enfin que le don est donné, et que c’est assez que l’on ait la certitude du don de l’anéantissement : l’âme se va transformant en Dieu, et quelquefois d’autant qu’il n’est pas tout parachevé, les sens s’extrovertissent ; et cela donne de la peine, mais il faut patienter ; il faut que l’âme soit humble et connaisse son rien ; il y a des sentiments qui vivent, et Dieu les laisse et fait souffrir comme à Job.

Ce qui arrive aux espèces du saint Sacrement, est une figure de l’anéantissement : bien souvent on ne le connaît pas, et l’on souffre des craintes et des désespoirs ; les sens sont de pauvres enfants qu’il faut quelquefois envoyer se promener, et le fond demeure uni. Les sens ne sont pas capables de l’oraison, c’est pourquoi il faut avec discrétion les récréer. Dans l’anéantissement on ne sait pas toujours s’il est vrai ; et c’est une grande peine, on ne sait quelquefois rien faire pour se soulager. [412]

8. Il ne faut point parler de ceci, et laisser les actifs dans leurs activités, et suivre son anéantissement. Quand Dieu y conduit l’âme, il fait mourir les puissances, les passions et les sens, enfin tout, afin de régner absolument, et qu’il n’y est plus que la volonté de Dieu, car la volonté de Dieu est Dieu : tout doit se perdre en la Divinité. L’âme étant arrivée à l’anéantissement, Dieu lui soustrait la certitude, pour l’anéantir davantage.

9. Elle ne peut ni prier ni rien faire ni penser, sinon comme on lui fait faire : il faut qu’elle demeure dans son néant, et qu’elle souffre tout. Elle approuve que l’âme aille très souvent dans ce néant : l’âme n’y a rien et fait l’oraison dans son néant et son rien. J’ai bien vu que les sens ont des désirs, ont leurs vies ; et par conséquent quoiqu’anéantis, ils ne laissent pas d’avoir leur vie : il faut les laisser courir, craindre, etc., et demeurer uni dans l’anéantissement. L’âme ne veut que Dieu, c’est un amour bien pur : c’est assez de demeurer dans son néant, pour prier, pour avoir les Mystères, etc. ; car y étant on est en Dieu, et tout se fait en Dieu ; c’est aussi une communion spirituelle très relevée ; car l’âme est plus morte à soi et par conséquent plus vivante en Dieu. Qu’il y a à souffrir pour être anéanti !

Étant en compagnie, il faut parler afin de n’incommoder pas le prochain ; et que l’anéantissement ne laisse pas d’être. Que dans les grandes maladies il s’y trouve aussi, et même qu’il augmente. Que les personnes de cet état ne sont pas si austères, qu’elles gardent leur repos ; et que les trop grandes austérités atténuent.

10. L’âme ayant le don n’est point distraite pour [413] parler, pour agir ; quoique selon les sens elle le soit : car dans le fond elle a le don, et Dieu y opère toujours la purifiant : bien qu’il semble parfois qu’on ait commis quelques défauts, il ne faut que les laisser consumer à l’anéantissement. Cet état est un grand bonheur parce que Dieu y opère, et par conséquent entre en possession de l’âme, et de plus en plus la va purifiant, jusqu’à ce qu’Il soit tout seul. C’est un tout pur amour, parce que l’âme s’y anéantit toute, afin que Dieu seul y opère, c’est une présence de Dieu toute continuelle ; d’autant que c’est un continuel opérer : et l’on doit bien dire Ego dormio, et cor meum vigilat326. Ô le grand état ! Elle m’a répété cela plusieurs fois : que la bonté de Dieu est grande !

11. Dans cet état on se met point en peine des sécheresses, au contraire, elles y aident ; ce ne sont pas les goûts, mais l’opération de Dieu que l’on cherche.

Nous avons eu grande joie ensemble, en parlant de cet état. C’est un lait dont Dieu repaît notre âme, c’est un bonheur inestimable : mais il ne faut pas vouloir y faire entrer les autres. Car comme c’est une opération de Dieu, si Dieu ne les y appelait, Il n’y opérerait pas, et par conséquent on serait inutile : pour l’âme qui y est appelée, plus elle est passive et en repos, plus son bonheur est grand. Quand je lui disais que je goûtais merveilleusement cet état : c’est un signe (dit-elle) que c’est votre voie ; allons, vous dans votre quiétude, et moi dans mes souffrances. Je crois qu’elle fera ce qu’elle pourra pour l’augmentation du don. [414]

Je lui donnai le bonsoir et lui désirai une bonne nuit : elle me fit réponse à l’heure, qu’il fallait faire la volonté de Dieu ; et je compris par là qu’il fallait toujours vivre en Dieu. Par l’anéantissement Dieu vit en l’âme, Il la possède et la va purifiant, jusqu’à ce qu’Il y soit seul.

12. La sœur Marie nous a assuré derechef que notre foi est de Dieu, que c’est un don et un grand don, et rare ; peu de personnes marchent en ce chemin. Elle l’appelle voie miraculeuse, l’âme y expérimente les excès du divin amour. Elle répétait souvent : ô amour ! ô excès ! C’est un ravissement continuel en Dieu, l’âme étant séparée de soi-même et de ce qui n’est point Dieu. Cette voie est passive, contenant infinis degrés en foi, c’est une échelle mystique : Dieu dès le premier degré prend l’âme par la main et la conduit ; elle n’a qu’à demeurer passive et Dieu fait son ouvrage.

Il ne faut pas parler de cette voie aux personnes qui n’y sont pas appelées, de peur de les troubler, et de leur donner occasion de faire quelque jugement téméraire, en condamnant légèrement ce qu’ils n’entendent pas, c’est charité de le taire, et de parler seulement de la pratique des vertus et de la manière ordinaire de servir Dieu.

On n’entre dans la voie passive qu’après quelques années de dispositions, Dieu ne faisant pas ce don qu’après que l’âme a beaucoup travaillé et souffert pour son amour, au moins c’est son procédé ordinaire.

13. Dieu lui fit comprendre ces paroles sur ce qui me regarde : Sa conduite est sainte, et m’est agréable, qu’il persévère : Notre Seigneur [415] l’entendant non seulement pour la conduite particulière de sa vie et de son oraison, mais touchant ceux qui veulent demander quelques avis. Sur la réplique qu’il n’était pas prêtre, elle dit qu’une personne, qui s’est sacrifiée à Dieu, est Prêtre, et qu’en un mot il faut faire ce que Dieu veut, sans réflexion ; et que s’il ne le faisait pas, il serait contre sa voie ; et que s’il n’était pas vrai, que l’état de sœur Marie n’était pas vrai.

14. Sa manière de connaître la vérité des choses qui lui sont proposées, ce n’est pas de les connaître par intelligence, mais par goût expérimental, qui lui ouvre le fond de son âme, dans lequel elle entre, celui qui y règne donnant l’approbation à ce qui est véritable : au contraire, une tristesse saisissant son cœur qui le serre et le ferme de sorte qu’il n’est pas possible que rien y puisse entrer, c’est une marque que Dieu n’approuve pas ce qui est proposé.

Elle a grande discrétion à ne faire pas paraître quand quelque chose est rejeté, de peur de donner de la peine à ceux qui lui en ont parlé ; et puis ceci est si extraordinaire, qu’il n’est compris de personne, n’y ayant d’autre raison sinon qu’il plaît ainsi à Dieu d’opérer.

15. Elle dit que la foi nue manifeste, sans manifester néanmoins, Jésus-Christ clairement dans le fond de l’âme ; de la même manière qu’elle le lui fait connaître dans le saint Sacrement, où elle le croit sans le voir, où elle le possède sans le toucher, où elle en jouit d’une manière insensible et invisible : c’est assez néanmoins à une âme qui a le don de la vraie foi ; tous les autres dons et grâces qui sont quelquefois ajoutés paraissent superflus. Dieu seul [416] suffit, dans le fond et dans le saint Sacrement : je dis plus, l’âme connaît qu’elle a trouvé Jésus-Christ dans le saint Sacrement, l’ayant trouvé dans son fond par une unité admirable qu’elle expérimente, mais qui ne peut s’exprimer. Cette unité en Jésus-Christ est telle qu’elle fait même posséder Jésus-Christ dans son fond aussi réellement et véritablement que les bienheureux sont en paradis, bien que d’une manière différente. Cette unité en Jésus-Christ communique une unité avec la très sainte Trinité et avec tous les saints, de sorte qu’on expérimente que les trois personnes divines abîment en elle [singulier ou pluriel ?] les trois puissances de notre âme, par un anéantissement qui ne se peut dire, et qui est si grand que l’âme se trouve perdue, et toutes ses opérations ; ne pouvant trouver dans son fond en la pureté de cette lumière de la foi qui lui a été donnée, que Jésus-Christ qui la va conduisant vers la sainte Trinité qui l’abîme et transforme en elle par ses divines opérations.

16. Quelques-uns qui lui parlent expérimentent que Jésus-Christ est tout vivant en elle, et qu’il y règne ; mais elle n’en connaît rien : de sorte que possédant tout, elle croit n’avoir rien. Elle est tellement perdue dans ce Néant et dans le rien qu’elle n’a pas la capacité de pouvoir seulement distinguer ni discerner dans l’intérieur d’autrui, qu’à mesure qu’on (Dieu) lui fait voir : elle parle à plusieurs personnes de différentes grâces, et ce Néant lui suggère tout ce qu’il leur fait dire selon leur besoin, sans rien préméditer.

17. Que les âmes sont malavisées de ne se pas contenter du pur don de la foi nue, qui donne Dieu à l’âme d’une manière insensible et invisible, et néanmoins très véritable, et très réelle. [417] Toutes les autres lumières, les consolations, les transports ne sont que pour consoler l’amour particulier de l’homme, mais l’amour pur de Dieu est plus satisfait du pur don de la foi, y ayant moins de la créature, et une plus pure souffrance qui la transforme plus parfaitement en Jésus-Christ crucifié et mourant dans une nudité totale sur l’arbre de la croix, dans la privation de toute consolation divine et humaine. Ce fut néanmoins dans cet état où se fit la consommation de notre rédemption en la réunion de Dieu avec la nature humaine.

Que les âmes sont mal instruites de croire perdre leur union dans l’état obscur et nu, c’est au contraire où elle s’augmente ; et s’il fallait choisir quelque état en cette vie, ce serait celui de la pure souffrance et nudité totale.

18. La sœur Marie dit que Dieu lui a fait connaître qu’il donne à des hommes et à des femmes du monde, la grâce des anciens religieux et ermites, et qu’il ne faut pas s’étonner si dans les cloîtres, les grands dons d’oraison ne s’y rencontrent pas, les Religieux tournant le dos à Dieu par le peu de fidélité qu’ils ont gardée.

19. La voie de N.327 est pour aider le prochain, il n’en doit faire difficulté ; autrement il se détournerait de sa voie ; et qu’elle est autant assurée que la sienne.

Il faut, dit-elle, bien se donner de garde dans la voie de l’oraison, de la vanité. La vanité se rend servante de l’amour-propre, et de la propre excellence, faisant proposer à l’âme les récompenses, les mérites, les dons et les grâces : n’y ayant pas réussi, elle fait proposer par [418] la propre excellence, l’éminence et la grandeur de l’oraison : quand cela ne réussit pas aussi, le diable fait connaître qu’elle a eu raison de ne pas consentir à l’amour-propre et à la propre excellence, afin de lui donner de la vaine gloire ; mais l’âme connaissant son artifice le rebute. Alors elle se doit donner de garde de Dieu même, qui lui communiquant beaucoup de quiétude et de consolation, elle s’y attacherait, si elle n’y prenait garde, et si elle ne demeurait ferme et constante à ne vouloir que Dieu seul.

L’amour-propre étant chargée de mérites, de richesses spirituelles, de faveurs et de dons, va lentement et pesamment : l’amour divin au contraire va vitement et légèrement, étant tout nu, la grande chaleur l’obligeant à se dépouiller. L’amour divin quand il est parfait réduit l’âme à la nudité totale. L’âme anéantie ne demande rien ni pour soi ni pour le prochain, non pas même la conversion ; mais elle dit seulement : Seigneur que votre grâce fasse tel et tel effet, ne pouvant se mêler en façon du monde, mais laissant faire tout à Dieu qui est, et elle n’est plus.

20. La sœur Marie très souvent n’aperçoit pas même Dieu dans son fond, il se cache, et elle le laisse cacher, sans vouloir qu’il se manifeste plus clairement ; car elle ne peut choisir : toute sa capacité est de laisser faire Dieu. Et Sa Majesté lui ôte les prières, les méditations, la contemplation, l’usage des sacrements, la communication des serviteurs de Dieu, la lecture de la sainte Écriture même. Elle se laisse tout [419] ôter et se mettre dans le Néant où elle demeure continuellement, étant sa voie : les incertitudes, craintes, et frayeurs d’être trompée, les tristesses l’assiègent et occupent ses sens ; mais elles la tiennent dans le Néant. C’est pourquoi elle les appelle sa voie et son chemin. Si quelquefois on lui donne quelques lumières, ou qu’il tombe dans son esprit quelque pensée, ou qu’elle reçoive quelque touche d’amour, cela se passe incontinent, et elle retombe dans le néant, où elle trouve Dieu sans le trouver, en jouit sans jouir, le connaît sans le connaître.

Dans les exorcismes une personne voyait par vision sur le coin de l’autel, Jésus-Christ enfant qui l’encourageait à souffrir, et lui tendait les bras, et plus elle était agitée, plus aussi s’approchait-il d’elle, de sorte qu’elle désirait l’accroissement de ses souffrances, afin que Jésus-Christ s’approchât d’elle davantage. Enfin dans la continuation de ses peines, Jésus-Christ se logea dans son cœur, et puis se cacha d’une telle manière qu’elle ne l’aperçut plus, sinon qu’elle expérimentait par intervalles qu’il était devenu l’âme de son âme, et la vie de sa vie, c’est-à-dire le principe de toutes ses opérations et mouvements.

21. Au commencement Jésus-Christ se communique dans les sens, et puis dans le fond, où il réside spirituellement, et le pur esprit de l’homme demeure caché en lui ; les sens n’apercevant pas cette demeure de Dieu, et ne recevant aucune communication sensible : on les enferme dans la maison du Néant, où ils vivent dans une désolation et sécheresse extrême.

Si les sens dans la voie d’anéantissement se [420] perdent, leur activité est redonnée, et glorifie Dieu en leur manière : pour son esprit, il est dans le néant, c’est-à-dire, il n’est plus, ou plutôt il est transformé en Jésus-Christ régnant et opérant dans ses puissances et dans ses sens.

22. Elle ne pouvait assez parler de la grandeur du don, quand Dieu s’est une fois donné lui-même dans le fond : c’est un privilège et une grâce spéciale que Dieu ne communique que peu à peu aux âmes, si ce n’est par miracle.

Il est aisé de remarquer quand une âme y est arrivée : elle est contente de son Néant, il lui est toutes choses, et sa nourriture est de Dieu seul qui prend et plaisir et goût singulier de l’instruire de cet état ; enfin Jésus-Christ se manifeste à elle.

Quand une âme s’aperçoit qu’elle est arrivée à Dieu, elle devient extrêmement humble : car les grands dons de Dieu humilient grandement ; et comme en cet état on le connaît beaucoup, on se connaît aussi beaucoup soi-même.

N. a connu que sa grâce devait être dans le pur esprit, et que les sens n’y participassent presque pas, étant toute dans le fond, et n’en cherchant aucune certitude ni appui, mais plutôt de mourir entièrement.

23. En l’année 1654, la dernière entrevue était sur la lumière divine, et comme l’on voyait tout en Dieu ; et je vois que celle-ci est de voir Jésus-Christ et de jouir de Jésus-Christ. Je lui disais que mon intérieur pour le présent était une présence de réalité de Jésus-Christ, dont la sœur Marie a été bien aise ; et elle m’a dit que cela va bien, la présence de Dieu en général s’étant évanoui en Jésus-Christ ; que voilà [421] qui est pour arriver à ce que dit saint Paul [Gal. 2, 20] : Je vis, ce n’est plus moi ; mais c’est Jésus-Christ qui vit en moi.

Cette présence de Jésus-Christ est dans le pur esprit, dont il découle en même pureté sur les sens, qui est comme une extension de Jésus-Christ.

24. Comme je lui ai parlé de mon changement d’état pour le prochain, elle m’a dit que c’est que mon état intérieur se retire vers le saint et pur esprit, et qu’au contraire les sens s’épanouissent vers le prochain ; ce que j’ai vu être très véritable. Elle a été forte aise de ce changement, et que je garde la même solitude intérieure quoi que mon extérieur travaille au prochain.

Je lui ai parlé pour savoir s’il était nécessaire de voir dans les personnes qui entrent en religion, une vocation : elle m’a fait cela [sic] de grande conséquence, et à moins de cela il ne les faut pas persuader ; que c’est ce qui ruine tout, et que c’est ce qui cause que l’on voit peu de vrai Religieux ; qu’il faut fort examiner et chercher leur vocation, avant que de les engager.

25. Elle m’a dit que l’essence de l’état de présent est une réalité, réalité de la présence de Jésus-Christ, et que plus l’état croît, laquelle fait évanouir la créature, et s’épand même jusques sur les sens, gardant toujours son unité de pur esprit.

Je lui ai dit que mon état précédent, qui était de demeurer en Dieu en général, de perte et de récollection, et de solitude extérieure, et les autres choses qui accompagnent tels états, s’était évanouis et perdus328 en Jésus-Christ ; [422] et que mon intérieur n’était plus que Jésus-Christ en présence véritable et très spirituelle, et que de lui découlait le travail au prochain, l’évanouissement de la solitude, l’amour de la pauvreté, etc., car comme Jésus-Christ avait toutes ces choses-là, il me semble qu’elles découlent aussi de lui.

Elle est dans de grandes souffrances sans rien voir dans son fond, les sens étant purement baignés dans l’amertume ; mais quand le Soleil se lève, tout cela disparaît.

26. Je lui ai dit derechef que ma solitude extérieure s’était évanouie au lever de Jésus-Christ. Elle en a été forte aise, et je comprends bien comment cela se fait, que la seule âme qui a l’expérience entendra. Jésus-Christ se revêt de toute l’âme comme d’un vêtement : il lui semble que c’est lui (Jésus-Christ) seul qui souffre, qui agit, qui parle : et c’est bien elle qui fait tout cela et non pas Notre Seigneur ; mais cela se fait par un admirable Mystère, savoir que l’âme est devenue Notre Seigneur, si bien qu’elle n’a non plus de mouvement propre qu’un habit qu’une personne a vêtu.

Ce don de Notre Seigneur Jésus-Christ est très grand, qui suit les autres d’anéantissement. Fort long temps Notre Seigneur ne fait que mettre dans l’âme, ensuite il y est croissant, après souffrant, prêchant, ou en quelque autre état ; mais en elle, il y est purement souffrant, si bien que tout est évanoui en elle, sinon la souffrance.

Autrefois il fallait que mon fond allât chercher Dieu dans le sien, mais à présent c’est assez que d’être en sa présence, sans outrepasser ni pénétrer rien.

Nous n’avons plus parlé de Dieu dans le [423] fond ni d’anéantissement ; nous n’avons parlé que de Jésus-Christ : tout s’est si bien effacé de mon esprit, que lui y réside, y établissant sa réalité, et non pas encore ses états.

Elle demandait dernièrement quelque chose à Notre Seigneur, et il lui dit qu’il fallait mourir en croix, son état étant de Jésus-Christ crucifié. Quand la réalité de Jésus-Christ est établie, il y vit comme il a vécu en la terre, soutenant l’âme par vertus divines et secrètes dans ses souffrances, actions, etc.

Quand cet état de Jésus-Christ paraît dans l’âme, c’est alors qu’elle cesse d’être, et qu’elle ne se voit plus : cela quelquefois ne dure pas longtemps en lumière, mais en effet et réalité, il est permanent. C’est ici l’état le plus heureux de l’âme : qu’elle se donne bien de garde de retomber en elle-même par ses réflexions ; car pour ce qui est des propriétés, Jésus-Christ les va ruinant et consumant sans qu’elle le sache. Cet état, et être Jésus-Christ en l’âme, est une faveur et don au-dessus de tout don ; puisque c’est la porte d’entrée à tous les autres, de la sainte Trinité même.

27. Je dis à la sœur Marie que je conversais avec elle en Dieu, sans que je pense y converser de paroles. Elle m’a dit qu’il y a un langage intérieur, et que cela était vrai. Je suis venu peu à peu à ne plus parler avec elle, mais à demeurer auprès d’elle en Dieu ; et faire ainsi tout ce qu’il fallait que je fisse, en cette manière ; ma grâce étant toute dans le pur esprit. Il a bien fallu mourir pour entrer en cette manière d’agir purement, mes sens et mon esprit y répugnaient bien fort, et la grâce ne m’y a pas conduit tout d’un coup. J’ai bien connu que [424] c’était imperfection à moi de lui parler, n’étant pas la manière que Dieu voulait sur moi. Il me semblait que mon âme était introduite dans un cabinet seule avec elle, où les autres ne pouvaient empêcher la conversation, non pas elle-même : c’est un pur don que Dieu seul peut faire329. Elle m’a dit qu’il n’y a que la volonté de Dieu qui soit quelque chose ; il ne faut donc ni dans l’intérieur, ni dans l’extérieur, que la suivre, et n’y pas ajouter un iota.

28. Je l’ai priée de prier Notre Seigneur pour être certifiée de sa volonté sur moi, dans l’emploi au prochain. Notre Seigneur a répondu que c’est son esprit qui me pousse à y travailler, et qui me donne les désirs que j’ai ; que tout cela est de lui, que c’est un don qui m’a été obtenu par la sainte Vierge, laquelle m’a obtenu la naissance de Notre Seigneur dans mon âme, de laquelle découle ce grand don de l’amour du prochain comme il était en Jésus-Christ ; et qu’à mesure que Jésus-Christ croîtra dans mon âme, l’amour du prochain y croîtra aussi ; et que je pourrais davantage lui aider. Elle dit que c’est un très grand don, et plus grand que celui de ma solitude, durant laquelle Jésus-Christ était conçu en mon âme ; mais maintenant qu’il y est né : et ainsi que je dois laisser dilater mon cœur selon l’étendue du don ; et que loin d’empêcher mon intérieur, il le fera croître ; tout ainsi que Notre Seigneur à mesure qu’il croissait, à mesure aussi semblait-il croître en amour du prochain.

Elle dit que j’aie à être bien fidèle, d’autant que c’est un don très grand ; que c’est mon emploi ; que ma règle à m’y gouverner est la volonté divine ; que mon emploi au prochain est d’y semer les vertus et des choses intérieures [425] et que les autres sont pour défricher le péché [sic] ; que voilà ma grâce.

La sœur Marie a été si aise de cela qu’elle disait : que ceci me semble beau ! Vous voilà tout à fait uni avec M. de B. et Mme de N.330 Vous voilà missionnaire ; il faut travailler, selon les ouvertures.

Je lui ai parlé comme je connaissais les intérieurs, dont elle a été bien aise, me disant que chacun a le sien, qu’il ne les faut conduire que selon la volonté de Dieu sur eux.

29. Elle me disait que c’était la sainte Vierge qui faisait naître Notre Seigneur au monde dans les intérieurs, et qu’elle avait cette grâce-là, comme aussi de l’y conserver ; enfin qu’elle a le même droit sur Jésus-Christ dans les âmes qu’elle avait sur lui étant au monde. J’ai remarqué que tout cela avait une telle correspondance avec ce qui se passait intérieurement dans mon âme, lorsqu’elle me le déclara, que je ne saurai le comprendre, sinon adorer Dieu qui l’a fait.

Quelquefois il semble à cause du travail au prochain que notre union en est obscurcie : il ne faut que se laisser calmer, ou plutôt outrepasser, car ce n’est rien. Elle m’a témoigné grande joie de ce que la volonté de Dieu m’était découverte : jusqu’ici, dit-elle, vous avez travaillé pour vous, mais à présent Dieu veut que vous travailliez pour lui.

Toute la pure sanctification d’une âme, est la volonté divine, qu’il faut suivre aux dépens de quoi que ce soit sans réflexion, laissant mourir l’esprit humain, rien ne devant paraître devant elle.

30. Que je goûte cette grâce là ! me disait-elle, parlant de la naissance de Notre Seigneur, et [426] comme elle était toute dirigée à l’amour du prochain, n’étant venu au monde que pour cela ; que cette naissance est encore tendre pour moi et chez moi, mais qu’elle croîtra, qu’il en faut bien espérer.

Elle m’a dit comment l’âme ensuite de l’anéantissement vient à prier Dieu vocalement et mentalement tout ensemble, qui est une chose très divine, et que la seule expérience peut faire comprendre ; car cela est admirable : et elle m’a dit là-dessus qu’un jour Notre Seigneur révéla à une personne, qu’il y avait eu une bonne femme qui l’avait plus honoré et loué en récitant l’Ave Maria, que tout un corps d’un Chapitre en récitant tout l’Office ; ce sont ici des Mystères admirables.

31. Je me dois attendre à des mépris et à des paroles fâcheuses, parlant et travaillant au prochain. Elle a trouvé tant à-goût le désir qui m’est venu d’aller à pied, parce que cela est conforme à Jésus-Christ.

Pour aider aux autres, il faut discerner les voies de Dieu, et ses conduites sur eux en Dieu ; à moins de cela on s’y trompe bien, comme aussi dans le choix des vocations. Un jour elle voyait une fille fort accomplie en tout, et priant Notre Seigneur qu’il la prît pour lui, il lui dit : les hommes choisissent le bel extérieur, et moi la belle âme. Quelquefois il choisit pour lui une personne fort mal faite, et de peu d’esprit en apparence.

Il faut qu’une Supérieure discerne de cette sorte la conduite et la voie de Dieu sur chaque âme, afin de la conduire purement ; à moins de cela elle perd tout, et fera aller les âmes par [427] d’autres voies que Dieu ne veut : et comme il n’y a que le pur ordre de Dieu qui soit quelque chose dans une âme, si vous l’ôtez, vous la perdez. O, que c’est une chose difficile d’être appliqué à la conduite des autres !

32. Nous avons aussi parlé de l’état souffrant, et comment il peut être aussi déifié, et encore plus, que l’état de consolation.

L’état souffrant plus il est anéantissant, plus il semble éloigné de Dieu ; l’esprit y semble tout séparé, les souffrances, les incertitudes sont fort fréquentes, les défauts naturels y sont aussi ; Dieu passe dans le pur fond et esprit, laissant le reste dans l’abandon et comme à soi-même ; quelquefois ce dehors et extérieur vient comme à s’éclaircir et tranquilliser, et c’est pour lors qu’on voit que l’on est uni ; cet état est fort déifiant et déifié.

Un jour il lui fut manifesté que son âme était comme un aigle qui allait avoisiner la Divinité, et jouir de ses admirables éclats, qui est l’état de consolation : mais aussitôt elle fut déjetée par terre, et enfouie si avant qu’elle ne voyait ni ne s’apercevait de rien, non plus qu’une personne qui aurait été véritablement enfouie, et dans cet état son âme ne laissait pas d’être déifiée.

Dieu donne à l’âme dans cet état un désir et une faim au commencement de le trouver, et ensuite de se perdre et consommer en lui, qui ne se perd et éteint jamais ; et plus elle va, plus elle croît, et c’est la goutte d’eau qui lui fut montrée, désirant se perdre dans l’océan : et Dieu cependant la fait souffrir et désirer davantage, afin de la faire plus perdre et [428] abîmer. Elle dit qu’il n’y a rien qui soit capable d’éteindre ni d’adoucir les désirs qui sont en cet état, que la possession de la chose : quand vous convertiriez tout le monde, et feriez toutes les belles choses, si vous ne venez à posséder, ce n’est pas une paille dans un incendie.

33. En l’année 1655, notre voyage pour voir la sœur Marie ne fut pas à dessein d’avoir quelque réponse ou quelque don particulier, mais afin d’obtenir par ses prières, l’établissement de la réelle présence de Dieu dans le fond de notre âme. Nous avions eu quelques mois auparavant plusieurs lumières qu’il y a dans l’essence de l’âme une capacité comme infinie de recevoir cette réelle présence ou plutôt d’être abîmée en Dieu même ; nous étions dégoûtés de nous servir d’aucuns moyens, cette communication essentielle de Dieu ne se pouvant faire qu’en Dieu et par Dieu même, ce que notre âme expérimente par un instinct secret.

La première fois que nous vîmes la sœur Marie, nous lui dîmes que nous ne demandions que ses prières ; ce qu’elle approuva, de sorte que notre entretien ordinaire avec elle était de demeurer en silence et de dire quelque prière vocale quand elle en disait elle-même.

34. Elle ne laissa pas de nous dire des histoires, ou des visions ou lumières qu’elle avait eues de l’état de déification, qui faisaient connaître le bonheur d’une âme qui entre en cet heureux état. Nous lui témoignâmes de le désirer, et que nous ne pouvions plus goûter aucun don, mais Dieu seul, et qu’elle priât pour [429] nous obtenir cette grande miséricorde : nous trouvions notre intérieur changé, comme étant établi dans une région plus indépendante de moyens, et où il y a plus de liberté, de pureté et de simplicité, où l’anéantissement et la mort de soi-même sont expérimentés d’une manière tout autre que par le passé.

Ayant résolu de n’en demander aucune certitude à la sœur Marie, le Père Eude [sic] nous assura pourtant qu’elle lui avait témoigné que notre voie était bonne et de Dieu, ce qui nous fut suffisant pour y continuer avec fidélité ; soutenue par cette certitude jointe avec ce qui arriva à notre première visite en la présence du Père Eude et de M. de M. Le R. P. Eude lui ayant demandé qu’elle priât Notre Seigneur de lui faire connaître si notre état était bon, elle déclara qu’il était de Dieu, le sachant en sa manière ordinaire. Le P. Eude lui demanda qu’elle dit un Ave Maria pour témoignage que le don était vrai, et que la sainte Vierge en obtiendrait l’augmentation et confirmation ; ce qu’elle fit avec grande facilité, n’ayant jamais la liberté de prier que pour les choses que Dieu veut accorder.

35. Un jour en priant Dieu pour nous en notre présence afin de demander le don de Sagesse, on lui fit comprendre que c’était du vin de la vigne d’Engaddi, et non pas de l’amour ; ce don-ci étant doux et paisible, et non violent comme celui de l’amour. Il lui tomba aussi en pensée le jardin du saint Sacrement où les âmes déifiées se trouvent et demeurent, et que c’était la vraie explication des paroles de Notre Seigneur. « Quiconque perdra son âme, la trouvera ». Il me semble en effet que jusqu’à l’état de déification [430] l’âme se conserve encore elle-même dans les dons et grâces ; mais elle ne peut entrer en cet état qu’après s’être totalement perdue : qu’il y a de la différence entre la Sagesse et l’amour divin, qui prend l’âme entre ses bras, et la porte en Dieu pour être déifiée en lui et recevoir le don de Sapience.







21 Lettres du P. Maur de l’Enfant-Jésus à Madame Guyon

L’influence du P. Maur de l’Enfant-Jésus.

La fin du quatrième volume du Directeur comporte 21 lettres du Père Maur de l’Enfant-Jésus. Elles se placent plutôt au début de l’évolution de Madame Guyon et ouvrent donc cette section.

Ces 21 lettres forment le début de la seconde partie du volume IV du Directeur mystique, pages 265 à 309, sous le titre « Seconde partie,/ contenant/ Quelques Lettres Spirituelles du R. P. Maur de l’enfant Jésus et de Madame Guyon,/ qui n’ont point encore vu le jour. / Première section ou/ Lettres du R. P. Maur de l’enfant Jésus, Religieux Carme/ [Ces lettres sont écrites à une même personne et dans le même ordre] ».

Elles sont localisées entre 11 lettres très probablement adressées par Bertot à Madame Guyon et 21 lettres (en fait 22 si l’on intègre la « lettre » qui leur apporte une conclusion) qui lui sont nommément attribuées ; le nombre 21 est probablement symbolique, ce qui implique un choix préalable fait dans une correspondance plus large.

Nous avons relevé chez Maur quelques indices précis ayant échappé au nettoyage éditorial. La première lettre fait référence à « une personne mariée qui a grande famille… » ; la seconde lettre précise une localisation loin du sud-ouest où résidait Maur : « mais il faut qu’on paie le port à Paris » ; la lettre 8 revient sur la condition évoquée déjà dans la première lettre : « Il faut que vous portiez le poids et les croix d’une femme mariée et mère de famille » ; la lettre 10 indique un voyage de Maur et une certaine familiarité : « Je vous demandais des nouvelles de toute la famille. Celle que vous m’avez écrite, me donne bien de la joie, voyant que Notre Seigneur verse ses bénédictions sur vous tous. Je ne puis vous dire rien de bien particulier jusqu’à ce que je sache ce qui s’est passé en vous depuis mon départ. » ; la fin de la lettre 19 reprend : « Acquittez-vous tout le mieux que vous pourrez de vos obligations de mère de famille. »

Le carme Maur de l’Enfant-Jésus (1617 ou 1618 - 1690)331 fut un disciple privilégié du maître spirituel de la Réforme de Touraine, Jean de saint-Samson, ce qui explique la place prioritaire que ce dernier occupera dans le choix de textes mystiques qui constitue les Justifications rassemblées en 1695 par Madame Guyon. Maur vécut dans la région de Bordeaux, mais fit de nombreux voyages malgré un profond désir de solitude. Recherché comme directeur spirituel, il prit place au sein d’un réseau spirituel qui couvre Loudun, Rennes et Paris. Il décrit une dynamique de la transformation de l’âme :

Il faut renoncer à ses propres opérations, c’est-à-dire à l’amour propre qui « prétend se donner soi-même par là sa propre perfection. » À mesure que l’homme renonce à sa propre activité, Dieu commence à agir en lui comme premier principe. Tel est l’abandon total, même de l’opération consciente de s’abandonner332

Vient la nuit, et l’âme se démet de toute opposition à Dieu. C’est alors :

l’entière consommation. À ce niveau, c’est « l’opération divine » qui fait agir l’homme, non pas qu’il y ait suppression de l’activité humaine, mais il n’y a plus dualité d’action. … cet état de consommation semble être appelé aussi par Maur un état de résurrection, dans lequel « Dieu S’unissant à l’âme non plus par sa vertu mais par Lui-même, prend possession de toutes ses puissances333.

On retrouvera cette résurrection, accomplissement de la vie mystique, possible dès ici-bas, active mystiquement sous le nom « d’état apostolique », dans les Torrents, les Discours et les lettres de Madame Guyon.

La voie mystique présentée par Maur de l’Enfant-Jésus est sévère. Elle consiste à faire passer l’homme de son établissement, où règne sa volonté propre, au règne de Dieu en lui. Un dépouillement rigoureux est incontournable, mais il est possible d’aider ce travail de la grâce divine par un seul moyen : en s’y abandonnant complètement. La perte de tout rePère ou « vide » sera finalement rempli de Dieu. Maur est un praticien des âmes qui se soucie peu de méthode. Ses constats sont radicaux :

Il lui semble que […] tout ce qu’elle a vu et éprouvé autrefois de la part de Dieu, sont des illusions334

Il encourage celui qui en éprouve la dure réalité au cours de son « voyage vers Dieu ». Au départ :

chacun fait son petit établissement spirituel selon lequel on veut passer la vie, les uns en oraison, les autres en beaucoup d’austérités, d’autres en bonnes œuvres extérieures, mais il faut mourir et tout abandonner335

Comment ? Il n’existe aucune méthode :

Il ne faut point chercher ni passiveté, ni repos, ni aucun de tous les états et manières dont il est parlé dans les livres. Il ne faut que se laisser dans l’abîme de la volonté de Dieu336

À défaut de méthode, dont l’application renforcerait notre volonté propre, on peut quand même orienter la fine pointe de l’être :

regardez Sa volonté en toutes choses, tâchant que la vôtre passe tellement en celle de Dieu qu’elle devienne comme une même chose avec elle337

De fait,

la créature raisonnable ne saurait rentrer parfaitement en Dieu, qui est son centre et le principe d’où elle est sortie, qu’elle ne se perde totalement à elle-même338.

S’en suivent pertes douloureuses, chemin ardu, mise à l’épreuve :

C’est ce qu’Il a commencé à faire, vous jetant dans ce désert intérieur dans lequel vous dites qu’Il vous a mise. Il faudra y entrer plus avant et le traverser, si vous voulez atteindre à la jouissance du Bien souverain qui vous a touché le cœur dès votre enfance. N’y pensez pas trouver de route, ni des sentiers où vous puissiez avoir quelque assurance de votre voie339.

Lorsque la nuit intérieure atteint sa dirigée, 

Dieu […] la dépouille si entièrement de toutes les lumières et de tous les bons désirs qu’elle avait pour cela, et la réduit dans un tel état de sécheresse et d’obscurité, et même d’impuissance de s’aider elle-même en quoi que ce soit, qu’il lui semble que tout est perdu pour elle, et que tout ce qu’elle a vu et éprouvé autrefois de la part de Dieu, sont des illusions340.

Un tel dépouillement est nécessaire car :

pour se dénuder si nuement et se perdre dans un si profond abîme, il faut que l’opération de Dieu absorbe celle de la créature341. […] Il faut se perdre et s’abandonner totalement à l’opération divine, qui exécute son dessein en nous sans que nous sachions comment, sinon que nous souffrons et que notre esprit semble se diviser de l’âme, et que nous sommes pénétrés jusqu’à la moelle des os342.

Quoi qu’il en soit, « marchez devant vous quoique vous ne sachiez où vous êtes343 ! »

Ce qui conduit à une perte de tout repère :

l’on ne voit plus ni perte, ni abandon, ni dépouillement, ni ravissement, ni extase, ni présent, ni éternité, mais la créature expérimente que tout est Dieu344. […] L’abandon et le néant ne nous paraissaient plus, lorsque nous y sommes consommés et abîmés. Nous y vivons et demeurons comme nous voyons les poissons vivre et se mouvoir en l’eau345.

Alors le vide peut être rempli :

Il est devenu le principe et la cause principale de tous ses mouvements, de ses actions346. […] Dieu par Sa grâce Se faisant un autre nous-mêmes, gouverne tout l’intérieur : c’est pourquoi Il détruit et anéantit ce nous-mêmes347.

Ce qui permet à Maur de conclure :

Hé bien ! Ne vous accrochez donc plus à rien348 !



[1re] Du P. Maur. fin 1670?

Traverser le désert intérieur, demeurer en repos349.

Madame, la conduite que vous mandez que Notre Seigneur a tenue sur votre âme depuis vos premières années, fait voir les grandes [266] miséricordes dont il a usé en votre endroit. Vous ne devez pas être en peine de votre état, puisqu’il est comme vous me dites. Mais comme il demande une grande fidélité et un grand dépouillement de toutes choses pour correspondre aux desseins de Dieu, il faut préparer votre âme à soutenir des choses encore plus rudes que celles qui se sont passées. Cela ne se fait pas néanmoins tout d’un coup, car la divine Majesté qui accommode Sa conduite à notre faiblesse, nous fortifie peu à peu par Sa grâce, avant que de nous mettre dans des épreuves qui nous écraseraient par leur poids, au lieu de nous conduire par une douce et volontaire mort de nous-mêmes à la vie ressuscitée en Jésus-Christ.

C’est ce qu’Il a commencé à faire, vous jetant dans ce désert intérieur dans lequel vous dites qu’Il vous a mise. Il faudra y entrer plus avant et le traverser, si vous voulez atteindre à la jouissance du Bien souverain qui vous a touché le cœur dès votre enfance. N’y pensez pas trouver de route, ni des sentiers où vous puissiez avoir quelque assurance de votre voie. Ce sera seulement dans votre perte où vous trouverez votre assurance. Et parce qu’il vous faut trouver Dieu au-delà de tout ce que l’esprit humain peut concevoir ou penser, il vous faudra quitter toutes les façons et les moyens humains et naturels dont on se sert pour l’ordinaire pour arriver à ce que l’on désire, parce que tous les efforts de la créature ne sauraient atteindre à Dieu que d’une distance fort éloignée. Mais pour se dénuder si nuement et se perdre dans un si profond abîme, il faut que l’opération de Dieu absorbe celle de la créature et que la créature, succombant sous la force et la vertu divine, se laisse [267] transporter comme dans une autre région, où l’on ne voit plus ni perte, ni abandon, ni dépouillement, ni ravissement, ni extase, ni présent, ni éternité, mais la créature expérimente que tout est Dieu. En cet état elle ne se voit ni ne se sent plus, ni aucune autre chose qui ne soit pas Dieu.

Peut-être que je m’avance trop, et que je ne regarde pas que je parle à une personne mariée qui a grande famille et engagée dans le monde par la nécessité de son état. Je n’y saurais que faire et je ne fais que répondre à ce que vous m’écrivez, afin que, si vous êtes comme vous dites, vous continuiez à accomplir les desseins de Dieu sur vous. Je ne vous dis rien de vos obligations extérieures ni de la manière ou de l’esprit dans lequel vous les devez faire, parce que vous ne m’en dites rien : c’est, à ce que je crois, parce que rien ne vous y donne de la peine. Dieu en soit loué !

Pour la retraite que vous désirez faire, je vous conseille de prendre le temps pour cela. Si vous le trouvez, vous n’avez besoin de personne pour vous y aider. Il n’est pas aussi nécessaire de vous servir des méthodes dont on use ordinairement. Tâchez seulement d’oublier tout et de vous mettre en la présence divine, sans vous en former d’autre idée sinon que Dieu vous est intimement présent et comme une même chose avec vous. Et après, laissez cela même que vous vous formez, et demeurez en repos en Dieu, soit qu’Il vous fasse goûter Sa bonté, soit qu’Il vous laisse en sécheresse et dans l’impuissance de rien faire. Car tout vous doit être égal ; et Dieu est au-dessus de tout cela, qui Se fait quelquefois comme sentir en la pointe de l’esprit, et d’une façon qu’on [268] ne peut expliquer, tant elle est subtile et digne de Dieu. De quelque manière que ce soit, il n’importe, pourvu que vous ne mettiez pas d’empêchement de votre part à ce que Dieu fasse en vous toutes Ses opérations comme Il les fait dans le ciel. Il faudrait être bien morte pour cela, et bien ressuscitée avec Jésus-Christ, pour mener une telle vie. Prenez garde surtout à ne pas faire des efforts qui puissent nuire à votre santé, ni vous incommoder la tête, car si Dieu ne fait Lui-même Son ouvrage en nous, tout ce que nous faisons est comme rien.

Si vous m’écrivez une autre fois par cette même voie, peut-être vous me donnerez plus d’éclaircissement de votre état présent et je pourrai vous donner des lumières plus convenables. Je vous ai parlé selon que Dieu vous a conduite jusqu’ici. Je vois que Sa Majesté fait tout ce qu’il Lui plaît en tous les états et en toutes les conditions. J’admire ce que vous me dites et en loue Dieu, quoique vous ayez encore un très grand chemin à faire.

Ne vous étonnez pas de vos imperfections : Dieu vous en délivrera quand Il le verra à propos pour votre bien. Ne vous plaignez pas aussi de ce que Notre Seigneur met votre famille dans les croix, puisque c’est pour Se la conserver : ce qui est hors de là est sujet à la corruption. La croix est un champ d’immortalité. Tout le monde n’y est pas admis. Je prierai Dieu pour toute votre famille. Je suis votre frère Maur. [269]

Dans cette première lettre : « … votre famille dans les croix… Je prierai Dieu pour toute votre famille. », fait peut-être allusion à l’épreuve des varioles (octobre 1670). Madame Guyon aurait ainsi tenté de trouver un appui auprès de Maur de l’Enfant-Jésus avant la rencontre décisive avec Bertot datée du 21 septembre 1671. Sinon l’allusion au « désert intérieur » placerait cette lettre plus tardivement, par exemple après la mort de le mère Granger en octobre 1674, lorsque Madame Guyon eut l’impression que Monsieur Bertot ne la comprenait plus.

À la fin de la dixième lettre, on lira : « Je vous demandais des nouvelles de toute la famille. Celle que vous m’avez écrite, me donne bien de la joie, voyant que Notre Seigneur verse ses bénédictions sur vous tous. » Cela indiquerait un mari encore en bonne santé (il meurt en juillet 1676).

Nous situons donc le début de cette correspondance au plus tôt en 1670 et sa fin au plus tard en 1675. D’autres indices relevés dans les lettres suivantes nous font échelonner quelques dates plausibles favorisant plutôt l’option tardive.

[2e] Du P. Maur. 1673?

Tandis que chacun fait son petit établissement spirituel, il faut s’abandonner et mourir à soi-même.

Madame, je vous aiderai de bon cœur en tout ce que je pourrai. Je ne refuse pas aussi d’aider les personnes que vous me dites qui veulent aller à Dieu ; mais il faut qu’on paie le port [des lettres] à Paris, car je suis un pauvre Religieux qui n’a point d’argent.

Je vois par votre lettre que votre extérieur va bien et j’approuve fort que vous vous récréez avec votre famille : cela fait beaucoup de bons effets.

Pour votre oraison, encore que, si le cœur est bien à Dieu, tous les temps lui soient égaux et qu’il ne fasse point de différence de celui de l’oraison et celui des autres occupations, je vous dirai cependant qu’il faut en prendre tous les jours quelque peu pour s’appliquer plus particulièrement à cela. Ce n’est pas qu’il soit nécessaire de prendre des sujets particuliers pour s’occuper, mais c’est pour rappeler l’esprit des occupations des sens et de l’imagination, dans lesquelles on est contraint de se laisser aller dans les actions extérieures que l’obligation et la condition de l’état veulent qu’on fasse, et pour remettre l’esprit dans son repos, dans lequel, oubliant toutes choses et se purgeant de toutes les idées des créatures et de tout ce que l’on a fait, dit et entendu, il s’abîme et se perd en Dieu, qui [270] est son centre et son bien infini. Mais d’autant qu’on ne peut pas sitôt anéantir toutes ces espèces, et trouver ce repos dans l’unité des puissances, il faut peu à peu le faire, et tout doucement, sans se bander la tête. Si votre imagination est trop vive ou que vous ne puissiez pas faire autre chose, ne sentant rien du côté de Dieu, soyez aussi contente que si vous aviez reçu bien des lumières et toutes les grâces sensibles que vous sauriez désirer. Je ne dis pas que vous preniez beaucoup de temps pour votre oraison, mais ce qu’il en faut pour vous plonger en Dieu par un anéantissement tant de vous-même que de tout autre chose.

Vous dites bien que Dieu vous a mise dans le chemin de la croix pour éloigner le monde de vous, et vous de toutes les créatures. Hélas ! Où seriez-vous à présent si toutes choses étaient allées du train qu’elles avaient commencé ? Vous le verrez un jour. Suivez donc cette voie avec fidélité, et vous dégagez de toutes les créatures, excepté de celles que Dieu vous oblige d’aimer pour l’amour de Lui. C’est ce qu’Il demande de vous, et que vous ne Lui avez pas encore assez donné.

Vous dites bien que vous ne vous êtes pas encore donnée totalement à Dieu, si ce n’est de désir et de bonne volonté. Mais Il veut la réalité et l’effet, et que vous parveniez en un état où vous ne voyiez plus rien pour vous sur la terre, et que vous ne preniez plus intérêt à rien, sinon à ce que Dieu soit tout et vive uniquement en vous. C’est beaucoup demander à une personne séculière, étant engagée dans le monde ; mais ce n’est point trop pour une âme chrétienne à qui Dieu a fait tant de grâces, et qu’Il a retirée [271] de l’abîme de la vanité pour l’écrire au nombre de Ses amis.

Ne vous arrêtez point aux austérités corporelles, puisque Dieu vous prive de la santé nécessaire pour cela. Mais au lieu de ces austérités, Il demande que vous soyez fidèle à mourir dans toutes les occasions qui se présenteront dans lesquelles la nature sentira de la contrariété. Ne prenez jamais rien comme venant des créatures. Recevez tout de la main de Dieu, et regardez Sa volonté en toutes choses, tâchant que la vôtre passe tellement en celle de Dieu qu’elle devienne comme une même chose avec elle. Cette divine volonté est partout, excepté dans le péché.

N’ayez pas peur de la mort ; vous n’êtes pas prête pour cela. Mais quand il plairait à Dieu de vous retirer, abandonnez-vous à Sa miséricorde, et ne vous souciez que d’aimer en mourant. Je vous avoue qu’il faut être plus morte que vous n’êtes à présent pour ne plus réfléchir ni sur la vie ni sur la mort. Vous avez bonne volonté . Dieu vous a attachée, et non pas encore clouée à la croix. Vous avez mortifié quelque chose ; mais à dire vrai vous êtes encore quasi toute à vous-même, et il est nécessaire d’être morte pour passer en Dieu.

C’est là le passage qui arrête quasi toutes les âmes dévotes car lorsqu’il faut entrer dans les pertes universelles et passer par des chemins inconnus, ni hommes ni femmes n’y peuvent presque entrer ; car personne ne veut se perdre à soi-même : chacun fait son petit établissement spirituel selon lequel on veut passer la vie, les uns en oraison, les autres en beaucoup d’austérités, les autres en bonnes œuvres extérieures. Mais il [272] faut mourir et tout abandonner. Mon Dieu, qu’il s’en trouve peu !

Je vous dis tout ceci pour vous persuader de vous avancer et de ne mettre pas votre perfection dans les hautes choses et élévations d’esprit, mais dans une parfaite mort à vous-même et dans un total abandon entre les mains de Dieu pour disposer de votre vie, de votre honneur, de votre santé et de vos biens comme il Lui plaira. Que vous ayez le temps de faire oraison ou que vous ne l’ayez pas, pourvu que votre cœur soit tout à Dieu en tout et partout, c’est assez.

Vous verrez, en lisant mon livre, où il faut venir pour arriver à Dieu. La mort et l’abandon ne sont pas votre fin, mais il faut passer par là pour y arriver. Je crois qu’en voilà assez pour cette fois.

Lettre de 1673 ? En juillet, Madame Guyon fait un pèlerinage avec son mari à Alise sainte-Reine près de Semur-en-Auxois.

[3e] Du P. Maur. 1673?

L’état de néant et d’extrême abandon et pauvreté est le fondement sur lequel Dieu a dessein d’établir votre perfection.

Vous dites que vous êtes toujours dans le néant, et que vous y retournez aussitôt s’il vous arrive d’en sortir. Je suis bien aise que vous m’ayez donné occasion de vous parler sur ce sujet, qui est un des plus importants de la vie spirituelle.

Il est vrai que Dieu nous avait tirés du néant par Son amour et par Sa grâce, par laquelle nous étions et nous vivions en Lui ; mais depuis que [273] nous en sommes sortis par le péché, nous sommes retournés dans le chaos du néant, non pas de celui de notre être naturel, mais de notre être surnaturel. En sorte que nous n’avons été plus rien à Dieu ni en Dieu selon cet être surnaturel et de grâce, mais nous avons pris dans la région du péché un être tout opposé à Dieu, dans lequel nous avons vécu tout à nous-mêmes, n’ayant d’autre principe de notre vie que notre amour propre qui a tellement pénétré tout notre être naturel qu’il est devenu tout tourné au mal, et toujours porté à ne chercher que soi-même en toutes choses ; et ce venin s’est glissé si avant qu’il est arrivé jusqu’au centre de notre âme, comme nous l’avons si souvent éprouvé.

Voilà l’état dans lequel Dieu nous a trouvés, lorsque par Sa grâce et miséricorde Il nous a appelés à Lui. Nous étions dans l’incapacité de nous élever vers Lui, qui est notre unique bien. Il a été nécessaire qu’Il nous ait donné Ses grâces et Ses lumières pour nous faire traverser ces régions de mort et de ténèbres dans lesquelles nous étions éloignés et écartés. Il a fallu donner beaucoup de combats, et souffrir les horribles répugnances que la nature corrompue a ressenties en se dépouillant de ce qu’elle avait de plus cher. Et après que Dieu nous a tirés de ces ténèbres et misères pour nous mettre dans une région de lumières par le moyen desquelles nous avons vu quelque étincelle des beautés de sa Majesté, et connu que c’est pour Dieu seul que nous sommes et que nous devons vivre, Il nous a fait faire des résolutions de retourner à Lui tout à fait, et au prix de tout ce que nous sommes et de tout ce que nous avons, pour nous remettre en Son entière et absolue conduite, ne prenant [274] plus de règle en toutes choses que Sa seule volonté.

Voilà par où il a fallu commencer le voyage vers Dieu, lequel ne finira point que dans la pleine jouissance véritable et réelle de Dieu, de la manière qu’on la peut avoir en ce monde. Mais pour arriver à cette jouissance, il faut que l’homme perde cet être de propriété duquel il s’est revêtu dans l’état et la vie du péché, et qu’il soit revêtu de l’être de la grâce, qui le fasse vivre et opérer selon Dieu seulement, et non plus pour ses propres intérêts.

Or afin que l’être de propriété et de péché soit détruit, il est nécessaire que la créature soit réduite au néant de tout ce qu’elle avait de propre sans rien excepter. Et d’autant que cela a une étendue presque infinie à laquelle nous ne pourrions jamais atteindre, Sa divine Majesté qui nous attire à Lui, et qui veut nous donner toutes les dispositions nécessaires pour y arriver, nous fait entrer et nous présente mille occasions de mourir à nous-mêmes pour détruire cet être de péché et d’amour propre.

Ceci nous doit arrêter un peu, afin que je vous dise un secret des plus importants de la vie spirituelle sur lequel on ne s’avise guère de réfléchir, qui est que, depuis qu’une âme s’est abandonnée à Dieu et à Sa conduite, tout ce qui se fait désormais en elle et à l’entour d’elle, au-dehors et au-dedans, soit par Dieu soit par les créatures, soit bien soit mal, tout cela est tellement ordonné par la volonté de Dieu, à dessein de réduire cette âme dans l’état où Il la veut, que de s’en détourner et ne se pas accommoder à soutenir tous ces effets de la divine conduite, c’est empêcher Dieu d’accomplir en nous Ses desseins. Et faute de s’y rendre fidèle, nous voyons un [275] très grand nombre de personnes, fort excellentes d’ailleurs, qui rôdent le reste de leur vie sans avancer davantage, encore qu’elles voient par expérience qu’il y a encore fort à faire.

C’est ce point-là que je vous donne pour réponse à la vôtre, afin que vous vous rendiez si soumise à tout ce que Dieu fera en tout et par tout ce qui vous regarde, que n’y prenant et n’y voyant que Sa seule volonté, la vôtre se fasse tout aussitôt une avec celle de Dieu. Laissez-vous mener partout où il Lui plaira, en peines, en tentations, en chagrins, par les impuissances à s’élever à Dieu, dans les vues de votre perte, dans les craintes de la mort, enfin dans la dernière misère de vous voir et de vous sentir toute seule comme un néant et comme s’il n’y avait rien au monde pour vous, c’est à tout cela qu’il faut vous résoudre, si vous voulez être en état d’approcher et de vous unir à Dieu. Et cet état de néant et d’extrême abandon et pauvreté n’est que le fondement sur lequel Dieu a dessein d’établir votre perfection : c’est pourquoi Il le purge et le purifie par tant de manières. Car sachez qu’il y a encore une espèce de purgatoire à traverser, où les âmes sont purgées de toutes les affections terrestres et élevées aux inclinations des choses célestes. Et cet état de privation est divers dans les âmes selon qu’il plaît à Dieu, mais il n’y en a aucune qui arrive à l’union parfaite de Dieu qui n’y ait passé selon ce qu’il a plu à Dieu. C’est pour cela que tout ce qui fait mourir la nature est très bon et très utile.

Lorsque l’âme est purgée des restes du péché, Dieu S’établit une demeure en elle, et Se [276] fait dans son fond comme une même chose avec elle par le moyen de la grâce, en sorte qu’Il est devenu le principe et la cause principale de tous ses mouvements, de ses actions et de sa vie. Et après Il l’élève encore au-dessus d’elle-même dans une véritable jouissance de Sa divine présence réelle qu’elle expérimente et qu’elle goûte, quoiqu’avec beaucoup de différence de la béatitude.

Quand vous serez là, je vous dirai ce qui vous arrivera et ce qu’il vous faudra faire. Servez-vous de tout ceci comme vous pourrez. Les vrais morts et les vrais abandons ne se font et ne se passent bien qu’en solitude : c’est Dieu qui les opère dans l’âme lorsqu’elle est seule à seul avec Lui. Rien n’est si difficile à soutenir à la créature que l’immensité divine : ce poids lui est insupportable. Adieu.

[4e] Du P. Maur. 1674?

Ce ne sont pas nos efforts mais Sa divine opération qui nous fait atteindre à Dieu.

Vous dites que Dieu ne vous laisse point sans croix : c’est parce qu’Il ne veut vous donner de quoi vous appuyer, jusqu’à ce que vous soyez arrivée au bout du chemin qu’Il veut que vous fassiez pour Le posséder parfaitement. Sa divine Majesté opère merveilleusement en nos âmes par les souffrances. Si nous savions bien nous y soumettre et Le suivre par où Il nous conduit, nous nous trouverions infailliblement au terme qu’Il nous a désigné, sans que nous nous en soyons presque aperçus. Cette amertume que [277] la nature trouve dans les souffrances, la fait retirer avec ses inclinations aux choses créées, et la purifie des impuretés qu’elle a contractées par leur commerce. Je ne vous dis pas ceci pour vous persuader d’aimer tout ce qui vous fera souffrir. Je crois que vous savez bien que c’est par là qu’il faut passer pour mourir à soi-même et pour arriver à Dieu : ce qui se fait d’autant mieux que les croix sont plus sensibles et plus pesantes.

Il n’y a qu’à les porter lorsque Dieu les a mises sur nos épaules ; car leur poids opère sur nous par lui-même, sans autre application ni effort de notre part que la soumission à la volonté et aux ordres de Dieu. C’est cette simple soumission qui, nous unissant à la volonté divine, fait que Dieu opère secrètement en nous et qu’Il fait Son ouvrage, pendant que la nature corrompue est forcée de se purifier sous ce divin pressoir et de se vider de ses inclinations qu’elle avait vers les créatures. C’est pourquoi l’on doit se rendre attentif dans ce temps précieux pour n’en perdre pas un moment s’il est possible. Il n’y a autre chose à faire pour cela qu’à soutenir ce poids en paix et en repos, tant qu’il plaira à Dieu. Car ce ne sont pas nos propres efforts qui nous font atteindre à Dieu : il faut que ce soit Sa divine opération qui nous y fasse entrer. Et pour nous disposer et nous rendre capables d’un si grand bien, Il nous purifie par ces morts, ces abandons et ces croix, dans lesquelles Il crucifie et fait mourir en nous le vieil Adam, qui est notre amour propre, l’ennemi de Dieu et de Jésus-Christ, qui ne peut être le Maître ni régner en nos âmes, pendant que Son ennemi y aura sa demeure.

Ce n’est donc pas tant par notre industrie [278] et par nos opérations que nous devons parvenir à la perfection à laquelle Il nous destine, selon la mesure des grâces qu’Il nous a données et nous donne continuellement pour cela, que par une fidèle correspondance à suivre les divines opérations, en nous laissant aller à ce que Dieu fait en nous, soit par la rigueur des souffrances, soit par l’attrait de la douceur de Ses grâces, qui nous élèvent, lorsqu’il Lui plaît, au-dessus de toutes choses et de nous-mêmes, pour nous faire goûter dans la plénitude du repos inconcevable, la grandeur des richesses de la gloire qu’Il a préparée pour ceux qui se consommeront totalement pour Son divin amour.

En toutes ces deux manières, l’action de la créature est plus à soutenir Dieu et tâcher de ne point mettre d’obstacles à Ses desseins et à Sa divine opération, qu’à s’efforcer pour se mêler d’avancer par soi l’ouvrage de Dieu en elle ; et son occupation ne doit proprement s’étendre en ce temps-là qu’à recevoir vitalement et comme avec appétit les impressions de Dieu, sans chercher ni vouloir savoir où elle mèneront, et à quoi s’aboutira tout ce négoce. Car ici l’âme ne doit plus regarder rien pour soi, ni avancement, ni perfection, ni aucun autre intérêt, mais seulement celui de Dieu, qui veut anéantir tout ce qui lui est propre pour S’introduire Lui-même et Se faire un avec elle afin de lui servir de premier principe de sa vie et de ses actions.

Vous faites bien de vivre à chaque moment de ce qui se fait et passe, faisant que votre volonté veuille cela, parce que celle de Dieu le veut aussi. Il ne faut pas d’autre occupation. Et c’est n’être pas seulement passive, car cette [279] union actuelle, et comme vivante, de votre volonté à celle de Dieu dans tout ce qui se passe par Son ordre, est une action, ou, si vous voulez, une vie qui nous fait vivre sans cesse unis à Dieu. Il n’est pas besoin de faire autre chose ni d’autres actes.

Il ne se faut pas former une idée du néant dans lequel il faut entrer, parce que tout ce que nous pouvons avoir en objet par notre pensée, soit de Dieu, soit de l’abandon, soit du néant, n’est point une chose qui puisse faire notre bonheur ; puisque ce n’est qu’un effet de notre pensée, et Dieu est encore au-delà de tout ce que nous pouvons penser. L’abandon et le néant ne nous paraissent plus, lorsque nous y sommes consommés et abîmés : nous y vivons et demeurons comme nous voyons les poissons vivre et se mouvoir en l’eau, sans l’aller chercher hors du lieu où ils sont.

Lorsque les tentations et les passions nous tirent de ce repos et de cette mort, pour nous rappeler au-dehors et pour rallumer le feu de nos inclinations naturelles et corrompues, il ne faut point s’enfuir pour chercher à se cacher dans le repos et dans cette paix de l’âme qui tenait toute l’humanité en bon ordre. Il faut soutenir, dans la pauvreté et stérilité de votre âme, les combats que les racines de corruption et de péché qui ne sont pas encore mortes vous présentent. Il ne faut pas aussi vous amuser à les combattre par violence, mais, les soutenant comme des effets de la volonté de Dieu, empêcher que votre volonté ne se laisse aller à ce qu’elles demandent de vous, parce que Dieu veut que Sa grâce surmonte le péché en son propre trône, et qu’elle le chasse du fond de l’âme qui en était [280] infectée et empoisonnée. Ce qui se fait lorsqu’on soutient, par la vertu de cette même grâce et par une généreuse fidélité, ces attaques qui semblent vouloir tout renverser en un seul moment ce qu’on a jamais eu de bon. Il n’y a qu’à souffrir et soutenir toutes ces attaques et tous ces troubles sans s’y laisser aller.

[5e] Du P. Maur. 1674?

Sur l’indifférence surnaturelle.

Vous n’avez qu’à travailler à détruire le principe qui vous fait faire des fautes. Il faut que l’indifférence que vous dites que vous avez pour toutes choses vienne de ce que tout ne vous est rien, et qu’il n’y a que Dieu qui vous est toutes choses, auquel et duquel vous devez vivre par dessus tout. Car la simple indifférence de la seule raison naturelle est comme plusieurs philosophes l’ont eue : ce n’est pas assez pour une âme chrétienne, qui doit agir et vivre par des principes surnaturels. Laissez anéantir en vous-même toute l’activité naturelle, afin de passer par le moyen de la foi [dans la vraie passiveté]. Mais soyez ferme, et vous arriverez où est la vraie lumière.

Ne vous ennuyez1 pas. Le chemin est aussi long qu’il plaît à Dieu et que nous sommes fidèles à marcher et avancer toujours, nonobstant les doutes et les craintes que le démon et la nature nous présentent pour nous épouvanter, sous prétexte de craindre de se perdre, de s’abuser et de se tromper. Il faut traverser tout ce qui arrive de plus fâcheux en ce temps-là, peines, [281] tribulations, tentations, et toutes autres choses fâcheuses, et avancer toujours sans s’arrêter à quoi que ce soit. Il faut que tout vous soit bon : doux et amer, vert et sec. Vous ne devez chercher qu’à vous perdre en Dieu ; et tout vous y aidera, excepté l’amour propre, qui ne sait ce que c’est de se perdre.

1 Ne vous faites pas de souci. Le Verbe ennuyer a eu le sens fort de « causer des tourments ». (Rey).

[6e] Du P. Maur. 1674?

Travaillez pendant que vous avez le temps de le faire. Si vous saviez combien le chemin est long pour trouver Dieu comme Il veut se donner à nous, vous ne vous amuseriez pas. Qui peut se perdre soi-même a trouvé le vrai et droit chemin. Mais la pratique en est si difficile à la nature qu’elle ne peut souffrir que nous y entrions ; et néanmoins grands et petits y passent pour arriver à Dieu. Tâchez de vous écouler au travers des petites peines que Dieu vous enverra en les soutenant amoureusement et fortement.

[7e] Du P. Maur. 1674?

Il ne faut faire autre chose durant la maladie que de soutenir en paix et repos le poids que Dieu fait sentir et supporter, sans vouloir ni hausser ni abaisser rien de ce qu’on souffre en l’offrant à Dieu ou en s’humiliant. C’est assez qu’on accepte Sa volonté ; et c’est à Lui à en [282] faire l’application et à en tirer le fruit qu’Il veut, qui est d’anéantir les propres lumières et efforts de la créature, et Se rendre le maître de sa conduite, sans qu’elle sache où Il la mène, ni à quoi Il veut terminer cette affaire. C’est assez, encore un coup, qu’elle aille avec Lui, et qu’elle Le suive chargée de son fardeau et de sa croix. En voilà assez pour une malade.

[8e] Du P. Maur. 1674?

Je suis bien aise, ma très chère fille, que vous ayez fait amitié avec N. Faites ce que vous me dites que vous êtes résolue de faire, car il se faut donner à Dieu tout à fait, et sans aucune réserve, conservant toujours à un chacun ce qui lui est dû, car si vous vouliez vivre en religieuse, vous vous tireriez de la volonté de Dieu. Il faut que vous portiez le poids et les croix d’une femme mariée et mère de famille, tenant votre cœur dégagé, pour être toujours libre pour le donner à Dieu dans tous les emplois que votre obligation demandera de vous, hors desquels vous pouvez et devez le laisser écouler en Dieu de toute son étendue et de toute sa force, oubliant tout le créé pour vous abîmer dans l’infini Objet qui est le Bien souverain où toutes les créatures raisonnables se doivent perdre, pour n’être plus à soi-même, mais pour devenir une même chose avec cette mer immense de tous biens. [283]

[9e] Du P. Maur. 1674?

Quand voulez-vous travailler à vous mettre dans la disposition que Dieu veut pour Se donner totalement à vous ? Jusque ici, vous avez roulé dans les bons désirs et dans quelques pratiques de mort ; mais vous n’êtes pas encore entrée dans la perte totale de vous-mêmes, où il n’y a plus rien de la créature, et où Dieu règne purement après des agonies qu’Il a fait supporter à l’âme, qui sont inconcevables à ceux qui ne les ont pas éprouvées.

Mais comme Sa Majesté a mis une mesure à toutes Ses grâces, et qu’Il destine un chacun au degré de sainteté conforme à la mesure de Sa grâce, chacun doit travailler à remplir Son dessein et à se conformer à cette mesure de sainteté qu’Il nous a destinée. Il y aura de quoi contenter tout le monde, puisque tous Le posséderont parfaitement et autant qu’ils le voudront.

[10e] Du P. Maur. 1674?

Demande de nouvelles, et encouragement à répondre à Dieu qui nous attire.

Je vous ai écrit depuis peu. Je vous demandais des nouvelles de toute la famille. Celle que vous m’avez écrite me donne bien de la joie, voyant que Notre Seigneur verse Ses bénédictions sur vous tous. Je ne puis vous dire rien de bien particulier jusqu’à ce que je sache ce qui s’est passé en vous depuis mon départ1.

[284] Il est vrai que nous avons toujours tant à travailler, pour passer par la mort et par l’anéantissement de nous-mêmes à la vraie vie et au tout de Dieu, qu’on a toujours grand sujet d’en parler, et d’exciter les âmes que Dieu attire à Soi à entrer et s’avancer dans ces chemins de mort où la nature ne voit goutte, parce qu’il faut contrarier tous ses sens et se dépouiller de tout ce qui leur est agréable.

Si l’on pouvait bientôt traverser cette mort et cet anéantissement de toutes choses, Dieu qui nous attire sans cesse à Lui, ne manquerait pas de Se communiquer à l’âme et de la remplir de tout Soi-même. Mais c’est un abîme si profond que notre amour propre nous a causé, qu’il n’a presque point de fond. Il est vrai que le poids des croix que Dieu envoie dans la vie à ceux qu’Il veut sanctifier, les fait merveilleusement avancer dans l’expérience de leur propre néant et détruit cet amour de nous-mêmes qui nous éloigne de Dieu.

Travaillez avec la grâce à ne prendre rien hors de Dieu, si ce ne sont les souffrances et les humiliations ; et encore, il faut les recevoir et les porter en Dieu. Il ne doit y avoir rien hors de Dieu, qui nous doive attirer ni émouvoir. C’est assez que nous supportions tout ce qui arrive, s’il est fâcheux avec patience ; s’il est agréable en le rapportant à Dieu, sans s’y arrêter.

1 Madame Guyon rencontra peut-être Maur à la suite d’un voyage de celui-ci, dont on sait qu’il vivait en retraite dans le sud-ouest de la France.

[11e] Du P. Maur. 1674?

Pas d’efforts propres, mais se laisser anéantir. Dieu nous déiformera.

Je voudrais bien, chère fille, vous apprendre pendant que je suis en vie, les détours qui empêchent les âmes que Dieu attire à Lui, et qui font qu’elles n’y arrivent que fort tard, et quelquefois point du tout, au moins selon le degré de perfection que Sa divine Majesté leur avait destinée.

Un des plus grands qui se rencontrent, c’est que les personnes dévotes qui ont lu plusieurs livres spirituels et mystiques, voudraient entrer par leurs propres efforts dans les états fort hauts et relevés qu’elles ont trouvés dans ces livres. Et comme leur état n’est pas encore d’une si haute portée, et que c’est une maxime véritable que nous ne pouvons agir qu’autant que nous sommes en vertu et puissance intérieure, de là vient que ces personnes font des efforts inutiles et languissent toute leur vie, sans s’avancer vers ce qu’ils désirent de tout leur cœur. C’est une des causes qui fait que plusieurs âmes se dégoûtent et quittent tout, s’imaginant que la vie spirituelle n’est pas ce qu’elles avaient cru.

Ce malheur vient de ce qu’elles ne savent pas que Dieu veut qu’après que nous nous sommes servis de nos propres efforts et de toutes nos puissances pour nous retirer de l’esclavage du péché par l’acquisition des vertus, et que ces mêmes puissances étant épuisées à force de s’écouler [286] en Dieu par l’activité de leur amour, Dieu, dis-je, veut qu’elles cessent cette façon d’agir pour entrer par les obscurités de la foi dans un abandon universel de tout elles-mêmes et de tout ce qui les regarde. Et pour les y mieux faire entrer, Il retire Son concours sensible et laisse l’entendement et la volonté comme à sec et sans pouvoir se mouvoir ni de côté ni d’autre ; et comme si tout ce qui s’est passé en ces âmes était un songe, elles demeurent à elles-mêmes sans savoir que devenir. Mais si elles savent bien faire usage de cette disposition, c’est ici où elles doivent se préparer pour recevoir un jour les trésors du ciel.

Il faut donc qu’elles veuillent cela même et qu’elles se laissent sous ce pressoir de la volonté et opération de Dieu, qui les veut purifier jusque au fond et en tirer toutes les racines de l’amour propre. Et au lieu de vouloir s’efforcer pour s’élever au-dessus de soi et de tout ce qui se passe en elles, [ce] qui est assez souvent fort fâcheux parce que la nature corrompue se réveille, elles doivent se laisser anéantir, et porter avec foi et vigueur tout ce poids qui semble être tout péché. Car l’âme ne ressent ici que sa propre misère, qui l’accable comme un poids de dessous lequel il lui semble qu’elle ne pourra jamais sortir. Aussi faut-il que ce soit Dieu qui l’en retire, pour Se faire goûter à Sa créature d’une manière plus excellente qu’elle n’avait jamais éprouvée. Cela dure tant qu’il plaît à Dieu et quelquefois assez longtemps. Mais il faudra y être replongée plusieurs fois, et plusieurs fois d’autant plus excellemment relevée que le fond de l’âme aura été plus purifié.

Il faut remarquer que, quoique ce soit [287] Dieu qui fait ceci comme premier principe et agent principal, Il le fait néanmoins toujours conjointement avec l’âme qui s’abandonne à l’action de Dieu et agit par elle. On ne doit donc se mouvoir que par ce principe, ni vouloir autre chose que ce qu’il fait en nous. Car Dieu par Sa grâce Se faisant un autre nous-mêmes, gouverne tout l’intérieur : c’est pourquoi Il détruit et anéantit ce nous-mêmes pour y mettre Sa grâce, qui fait de notre être naturel purifié un être surnaturel et déiforme, selon lequel Dieu vit en nous et nous ne vivons qu’en Lui et par Lui. En voilà assez pour cette fois.

[12e] Du P. Maur. 1674?

Ce n’est point à la créature de vouloir choisir son chemin.

Vous voulez, chère fille, que je vous donne une règle générale que vous puissiez suivre toujours, tant pour la messe que pour la sainte communion. Vous ne me dites pas quelle difficulté vous y avez. Mais si ce n’est que pour satisfaire au précepte de l’Église, vous y satisfaites en allant à l’église à intention d’entendre la messe et assistant réellement lorsqu’on la dit, encore que vous vous occupiez de Dieu, sans avoir autrement votre esprit occupé aux cérémonies ni à tout ce qui s’y fait ; et pour les distractions et divagations qui y peuvent venir, cela n’empêche pas que vous ne vous acquittiez de votre obligation, surtout si vous ne les admettez pas volontairement.

Pour la sainte communion, il n’est pas nécessaire de changer votre façon ordinaire de vous occuper avec Dieu, parce qu’Il est de même partout. [288] C’est l’amour qui est la vraie disposition pour le recevoir. Aimez-Le selon que le pouvoir vous est donné de pouvoir aimer, et ne vous mettez pas en peine de faire d’autres actes, ni d’autres préparations.

Pour ce que vous dites que vous avez de la peine à trouver la volonté de Dieu dans les troubles que la nature excite au-dedans de vous-même, qui semblent porter tout au péché, sachez que, quoique Dieu ne veuille pas le péché et qu’Il n’y porte point, Il souffre et permet et veut que la créature qu’Il veut purifier, pâtisse non seulement dans l’esprit, en l’élevant par Son divin esprit et par Sa grâce jusqu’à sa parfaite jouissance, mais aussi dans la chair et dans toute la partie animale jusque au plus bas étage de l’humanité, en lui faisant part de la vertu de Jésus-Christ crucifié. Marquez ceci : Il retire de cette créature Son concours et Ses grâces sensibles ; Il l’abandonne, ce semble, à toute la corruption de la nature, et permet qu’elle ressente et qu’elle porte toutes les faiblesses, les misères et les bassesses auxquelles le péché l’a réduite, et veut que dans cet état et ces dispositions elle détruise et surmonte par la vertu de Jésus-Christ le péché dans le péché même, je veux dire dans toutes les attaques du péché, dans lesquelles on doute si on a péché. C’est assez que la volonté supérieure ne se soit pas déterminée à vouloir toutes les abominations que l’imagination fournit, quoiqu’il semble que toute l’animalité ne goûte et ne veuille autre chose.

C’est donc Dieu qui veut triompher par la fidélité de la créature et par la grâce qu’Il lui donne à soutenir ces peines infernales de Son ennemi, [289] le péché, qui était le prince de ce petit monde, et qui en sera chassé entièrement si on soutient fidèlement en s’abandonnant à Dieu, qui ne permettra jamais que le péché prévale, si on se confie en Sa divine Majesté.

Ce n’est point à la créature de vouloir choisir son chemin : c’est à Dieu à la conduire par où il Lui plaira, pour la faire arriver au terme qu’Il lui a destiné. Il ne faut point chercher ni passiveté, ni repos, ni aucun de tous les états et manières dont il est parlé dans les livres. Il ne faut que se laisser dans l’abîme de la volonté de Dieu, qu’Il nous manifeste par ce qui se passe en nous et hors de nous, car excepté le péché, la volonté de Dieu est partout. Qu’Il mette en repos, en passiveté, au néant : tout cela n’est point encore Dieu, et il faut le trouver au-dessus de tout cela. Et tant que nous pourrons nous former une idée de notre voie et de notre manière de nous tenir avec Dieu, nous ne sommes pas encore bien perdus à nous-mêmes. Ceci est beaucoup dire à une personne qui a beaucoup peur de se perdre, mais puisque Dieu vous y mène par la croix, ne vous souciez que de marcher par là, sans voir où cela s’aboutira.

Il n’y a rien de plus dangereux que de vouloir se faire son chemin, et c’est néanmoins ce qui est assez ordinaire dans la vie spirituelle. On se veut mettre dans des états qu’on a vus dans des livres ou des écrits, et Dieu veut mener par ailleurs. Je vous ai dit que nous ne saurions avoir une plus assurée connaissance de la voie de Dieu sur nous et de Sa divine volonté, que ce qui se passe en nous et à l’entour de nous, sans que nous l’ayons fait ni recherché, [290] et par conséquent il faut vouloir et s’accommoder à tout cela. Les imperfections même dans lesquelles on tombe, servent à nous faire ressentir la peine du péché. Ce n’est pas qu’on ne doive faire mourir en nous la cause de ces imperfections et vaincre dans l’occasion, mais lorsqu’elles sont commises, il faut supporter la peine qu’on en ressent au-dedans et s’en confesser à la première occasion.

Vous voudriez savoir si Dieu vous aime ou non. Ce n’est pas ce que doit chercher une personne abandonnée à Dieu, non pas même à l’heure de sa mort. Si vous vous confiez en Dieu, laissez-Le faire : votre affaire est de L’aimer et de mourir à tout.

[13e] Du P. Maur. 1674?

Dans les angoisses intérieures se laisser aller où Dieu nous conduit.

Vous devriez bien, chère fille, vous appuyer plutôt sur la fidélité de Jésus-Christ que sur la parole des hommes, pour vous assurer de la bonté de votre voie, qui sera toujours très certaine tant que vous vous tiendrez attachée au Principe et à l’Auteur de notre salut, en faisant avec humilité tout ce que vous pourrez pour Le suivre par tous les chemins difficiles qu’Il vous présentera pour vous conduire au Calvaire, où il faudra mourir avec Lui sur la Croix. Je ne puis vous rien dire de plus certain, ni vous donner une marque plus assurée de Son affection que les croix et les peines qu’Il vous envoie.

Et quoiqu’il y ait parmi ces peines des choses [291] qui semblent vous porter à ce qui déplaît à Dieu, néanmoins si vous les soutenez comme des effets de Sa volonté, laissant ce qui Lui pourrait déplaire, et retenant votre volonté en sorte qu’elle ne descende pas vers le péché, tout cela vous servira à vous sanctifier et à purifier votre âme des choses qui sont contraires à Dieu, qui veut que nous triomphions par sa grâce du péché dans ce qui nous porte au péché.

Pour tout le reste qui ne semble avoir d’autre effet que d’affliger l’âme, et qui la tient dessous la presse dans une oppression et douleur presque inexplicable, il ne faut que soutenir ce poids le mieux que vous pourrez. Portez ce chagrin et cette tristesse avec force et patience : c’est la main de Dieu, qui est d’autant plus proche de vous que cela vous est sensible. Mais aussi il n’y a rien qui pénètre si bien le fond de l’âme et qui le prépare si dignement, que ces angoisses intérieures, de quelque part qu’elles viennent. C’est bien en ce temps qu’il faut être passif, sans faire autre chose que soutenir, vouloir et suivre, en se laissant aller où Dieu nous conduit par cela, encore que nous ne sachions pas où c’est. Mais il faut se perdre et s’abandonner totalement à l’opération divine qui exécute son dessein en nous sans que nous sachions comment, sinon que nous souffrons et que notre esprit semble se diviser de l’âme, et que nous sommes pénétrés jusqu’à la moelle des os. Il ne faut rien faire pour nous tirer de cette presse ; il faut rendre l’âme à Dieu et faire mourir dans ce gibet le vieil homme avec son amour propre. Cela dure quelquefois assez longtemps, mais non pas toujours dans de si grandes agonies. [292]

Il n’y a autre chose à faire durant tout ce temps. Tout cela est votre oraison, votre pratique, vos exercices et le reste. Vous pouvez et devez faire vos pratiques extérieures accoutumées, comme s’il ne se passait rien en vous. Vous pouvez aussi vous soulager pour ce qui regarde le corps, plus qu’en un autre temps. Je ne manquerai pas de prier Dieu qu’il vous fasse une âme d’oraison, et qu’Il vous aide à porter votre fardeau.

[14e] Du P. Maur. 1674?

état passif du dépouillement.

Je vous mandais dans ma dernière lettre, chère fille, qu’il y a un grand nombre de personnes qui travaillent à la vie spirituelle et qui ne parviennent point à l’intime et réelle union avec Dieu, parce qu’ils s’y veulent introduire par leur propre industrie et leurs propres efforts ; au lieu qu’ayant épuisé tous ces mêmes efforts pour s’écouler vers Dieu, et sentant qu’ils ne peuvent avancer davantage d’eux-mêmes, ils devraient se contenter de leur impuissance et soutenir la privation que Dieu leur fait de Son concours sensible, afin de les réduire à s’abandonner à Lui par la foi, et à demeurer dans les ténèbres et dans l’impuissance d’agir ni de se mouvoir. Mais faisant le contraire, ils se tournent de tous côtés pour se tirer de cette [293] presse où ils se trouvent, et ne font rien que s’enfoncer davantage dans l’obscurité et la peine.

Ceux de qui je veux parler aujourd’hui, sont tout à fait opposés à ceux-ci qui, ayant lu dans les livres spirituels qu’il faut anéantir toute l’activité de la créature et que ce soit Dieu qui fasse tout en elle, se jettent d’eux-mêmes dans un certain état qu’on peut appeler d’oisiveté, où ils disent qu’ils anéantissent toutes choses, et demeurent là sans rien faire, croyant arriver à Dieu par ce moyen. Ils se persuadent que ce repos vaut mieux que tous les efforts qu’on puisse faire. Parce que, disent-ils, la créature ne pouvant atteindre Dieu réellement par son opération, il faut qu’elle attende en cette disposition d’anéantissement qu’Il l’élève par Son opération à un état plus haut et [parce] qu’il n’y a rien de meilleur pour elle que de se tenir ainsi anéantie devant Dieu, puisque après le néant il n’y a plus rien à faire pour elle. C’est en ce point où s’arrête la plus grande partie de ceux qui croient être plus avancés dans la vie mystique.

C’est un manquement irréparable de se mettre soi-même en cet état qui ne doit venir que de l’épuisement de toutes les puissances de l’âme à force de s’écouler en Dieu tant par la vue de tous les divins Mystères que par l’acquisition des vertus, et enfin par l’exercice de l’amour, qui l’ayant fait surpasser toutes les raisons et considérations qu’elle pourrait avoir pour se donner à Lui, l’a réduite dans une simplicité et unité si grande qu’il semble qu’elle ne peut plus passer outre et qu’elle ne voit plus rien que Lui vers qui elle puisse tendre. Mais ne pouvant rien faire davantage, elle est contrainte de [294] succomber devant la face divine, qui la cache du voile de la foi, et la réduisant dans une impuissance d’agir et de s’élever vers Dieu par ses propres efforts ordinaires, la laisse à soi-même et permet que, dans une pauvreté de toutes les lumières et secours spirituels, ses ennemis viennent fondre sur elle pour achever de l’accabler par des peines si horribles et des tentations si étranges que, se croyant perdue, elle se sent attaquée de désespoir. Elle n’a pas même la force ni le courage de se tourner à Dieu, qui la laisse ainsi en proie à ses ennemis ; la nature corrompue, qui semblait être morte, se réveille et lui fait éprouver des combats bien plus furieux que ceux qu’elle a soutenus dans le commencement de sa conversion. Elle ne voit plus rien, ni en haut ni en bas, sur quoi elle puisse s’appuyer ; et toutes les autres peines qu’il faut qu’elle souffre, sont si grandes et en si grand nombre qu’il faudrait un livre pour les expliquer.

Il n’y a guère d’âmes qui arrivent à la souveraine et dernière union avec Dieu qui ne passent par ce purgatoire, qui est plus long et plus affreux selon que Dieu veut élever davantage les âmes dans la jouissance qu’Il leur veut donner de Soi-même dans cette vie. Ce purgatoire et ces peines sont données à ces âmes pour purifier leur fond de la corruption du péché, et pour les rendre capable d’une vie toute divine qui leur est donnée par la grâce, qui les trouvant ainsi purifiées les pénètre dans la suite du temps dans une plénitude entière, en leur donnant un être surnaturel par lequel elles opèrent d’une manière digne de Dieu.

C’est pourquoi les directeurs de ces personnes qui sont ainsi traitées de Dieu doivent [295] bien prendre garde de ne les tirer de leur voie ni de ces peines, ni elles de s’en vouloir retirer en agissant et se servant de leur propre industrie pour reprendre leur activité première, ni leur simple tendance vers Dieu. Car toute leur affaire est au fond d’elles-mêmes, où Dieu opère secrètement par tout ce qu’elles ressentent de plus fâcheux dans la partie inférieure où elles sont pour lors toutes réduites, ne leur restant que leur simple bonne volonté, et qui même ne se sent pas quelquefois. Mais il n’importe : il n’y a rien à faire pour elles, quoi que ce soit qui se passe en elles, sinon de soutenir tout ce poids de la main de Dieu qui les tient sous ce pressoir, pour en faire sortir ce soi-même qui est l’amour propre, que le péché a si profondément enraciné en elles qu’il n’y a que Dieu qui l’en puisse arracher. C’est ce qu’Il fait en les jetant dans ces états de misères où elles croient être perdues.

Il y a bien de la différence entre les peines passagères qui arrivent ordinairement aux âmes dévotes en toutes sortes d’états, et entrea celles-ci qui vont jusqu’à la moelle des os ou jusqu’à la substance de l’âme, s’il est permis de parler ainsi. Les autres sont pour peu de temps. Celles-ci durent quelquefois plusieurs années, et même sont réitérées assez ordinairement, parce qu’il se trouve peu de personnes qui puisse les soutenir ou assez longtemps ou assez fortement pour pénétrer toute l’âme et la purifier entièrement. Outre qu’elles peuvent toujours recevoir de nouveaux degrés de purification, selon lesquels la grâce s’étend aussi de plus en plus en elles, et les rend capables de jouir plus parfaitement de Dieu, parce que leurs opérations par lesquelles elles jouissent de Lui sont d’autant [296] plus nobles et plus étendues que leur être surnaturel et divin s’est amplifié par la grâce, les opérations devant suivre la grandeur de l’Être d’où elles sortent et du Principe qui les produit.

Vous pouvez juger de ce que je viens de vous dire que ce n’est pas aux âmes à se jeter elles-mêmes dans ces états passifs, mais il faut attendre que Dieu les y mette, et qu’aussi il ne faut pas s’en tirer lorsqu’Il y a mis, mais s’abandonner à Sa conduite et demeurer dans ce dépouillement de toutes choses et dans cette pauvreté spirituelle autant qu’il plaira à Dieu et de la manière qu’Il voudra, se laissant abîmer dans son néant, duquel Il retire lorsque Sa divine Majesté le juge à propos.

Je sais bien que ceci n’est pas suffisant pour satisfaire des âmes qui seraient dans ces états pénibles, où elles auraient besoin presque continuellement d’être soutenues par des personnes expérimentées. Néanmoins si elles se veulent bien persuader qu’il ne faut que se perdre et s’abandonner et se laisser abîmer aveuglément par les divines opérations, sans regarder ce qui en arrivera ni où on les mène, elles se pourraient passer de tout. Il est vrai qu’il faut beaucoup de foi et de force pour soutenir toujours et pour outrepasser une infinité de doutes et de craintes qui se présentent. Les divers [es] rencontre [s] de la vie où il faut mourir aident beaucoup, conduisant à cette disposition si on est fidèle à les supporter dans la conformité à la volonté de Dieu, laquelle doit être notre règle en toutes choses, soit pour agir soit pour pâtir.

Je vous écris ces choses afin que, si je meurs devant1 vous, vous ayez au moins cela qui pourra vous servir. Je pourrai avec le temps vous parler plus au long de cet état de purification entière dans laquelle le vieil Adam est mis à mort et par laquelle on passe à une vie meilleure et fondée en Jésus-Christ, auquel nous sommes faits semblables par Sa grâce, et notre nature humaine est toute renouvelée et réformée, en telle sorte que c’est Lui qui vit et opère en nous, et non plus ce nous-mêmes de propriété et d’amour propre, qui nous a fait vivre si longtemps sous l’esclavage du péché, duquel nous avons été délivrés par Jésus-Christ. Je prie bien Dieu pour vous.

aentre : ajout inutile.

1avant.

[15e] Du P. Maur. 1674?

Se laisser perdre dans notre désert.

Si Notre Seigneur ne vous tenait sur la croix, comment voudriez-vous qu’Il consommât Sa rédemption en votre âme et en votre corps ? Il a rempli par Sa mort les obligations dont Il s’était chargé pour la rédemption de tout le genre humain. Mais pour le salut et rachat d’un chacun de nous, il est nécessaire qu’Il nous fasse participants de Sa Croix et qu’Il nous y fasse mourir, afin que nous Lui soyons semblables et qu’Il nous fasse aussi ressusciter avec Lui, en nous faisant participants de Sa vie divine. Ne vous étonnez donc pas de voir qu’Il vous attache si souvent à la croix : c’est parce qu’Il veut que vous y mourriez bientôt afin de vous donner cette divine vie qu’Il vous a préparée. Les croix qui vous approchent le plus de la mort sont les meilleures pour vous. La nature y souffre à la vérité de furieuses [298] agonies, mais il faut passer par là, et toutes ces peines cessent après la mort.

C’est encore où vous mène ce désert où vous êtes, dans lequel vous ne recevez ni goût ni vie de quoi que ce soit qui se présente à vous. Il ne faut pas même que vous en cherchiez, mais il faut vous laisser anéantir avec les actes de votre propre vie, sans vous mouvoir ni tourner de côté ou d’autre pour vous appuyer. Laissez-vous perdre et abîmer, jusqu’à ce qu’il ne vous reste plus rien de vous que le seul être naturel qui ne soit soutenu que de la grâce sans la sentir, et d’une foi toute nue, par la force de laquelle vous souteniez tout ce poids de la main de Dieu autant et aussi longtemps qu’il plaira à Sa divine Majesté. C’est sous cette pesanteur de la grandeur infinie de Dieu qu’il faut que la créature rentre comme dans son néant, et qu’elle rende tout et se purifie de tout ce qu’elle a pris pour elle-même par son amour propre et sur quoi elle s’est appuyée en laissant et oubliant Dieu, son premier et unique principe qui seul la peut faire subsister par Sa grâce et par Sa vertu.

Laissez-vous donc conduire par ces profonds abîmes où toute la nature est aveugle et où il n’y a que Dieu qui y puisse mener. C’est ce qu’Il nous a conseillé lorsqu’Il nous a ordonné de prendre nos croix et de Le suivre1. C’est pour cela qu’Il retire les lumières qu’Il avait accoutumé de donner, pour faire entrer dans les morts qu’Il préparait. Mais lorqu’il faut soutenir une mort totale à toutes choses, Il ôte tout, et lumière et vue et désir. Il faut que tout cesse, et que la créature se rende toute elle-même à Dieu dans son amertume, qui lui semble infinie parce qu’il n’y a rien que d’amer. C’est à cela que [299] vous disposent ces attaques que Dieu vous envoie. Vous seriez heureuse si elles vous pouvaient enfoncer si profondément que vous ne vinssiez jamais à vous-même et que tout fût perdu pour vous, car vous retrouveriez cent fois autant et plus en Dieu que ce que vous auriez perdu. Attendez ce que Dieu fera et vous perdez sans cesse, ne vous arrêtant point à chicaner avec Dieu sur votre conscience. Abandonnez-Lui tout et Le laissez faire.

1Matt. 10, 38 ; Matt. 16, 24 ; Marc 8, 34 ; Luc 14, 27.

[16e] Du P. Maur. 1674?

S’abandonner entre les bras de Dieu.

Je vois que la croix vous pèse beaucoup sur les épaules, et que vous voudriez vous en soulager en voyant ce que vous faites et où vous marchez. Mais ne voyez-vous pas que, Dieu vous conduisant comme Il fait, vous ne devez pas vous mettre en peine du chemin, puisque vous ne savez pas où Il vous veut mener ? Vos actes, votre application et tout ce que vous devez faire, c’est de demeurer dans votre abandon, dans votre obscurité, et marcher par où Dieu vous conduira. Suivez seulement, et soutenez ce qui se passe en vous-même et ce qui se fait au-dehors de vous qui vous touche. Et prenez tout cela, soit doux ou amer, comme des opérations de Dieu, qui veut purifier le fond de votre âme et le préparer pour sa demeure actuelle et réelle et pour y servir de principe d’une vie surnaturelle et déiforme qu’Il veut vous donner. Vous ne pouvez empêcher une infinité de pensées [300] de toute façon, qui viennent plutôt de la sécheresse et du vide de la nature où elle se trouve en cette grande privation qu’elle a de toutes choses et de Dieu même, que de quelques objets où le cœur soit attaché. Ainsi il faut laisser voltiger tout cela comme des mouches qui passent et ne s’y pas arrêter.

Ne vous inquiétez pas pour vos confessions. Quand vous ne sentez rien sur votre conscience, vous pouvez sans difficulté vous approcher de la sainte Table. Si l’on vous a permis autrefois de le faire tous les jours, faites-le. Si vous ne le faisiez pas si souvent, faites-le quatre fois la semaine. Ne vous étonnez pas de vous voir si pauvre et si chétive devant Dieu. Supportez votre misère avec humilité et patience, et Dieu vous fera autre quand il Lui plaira.

Si vous pouvez vous abandonner si parfaitement à Dieu que vous ne veuillez plus prendre soin de vous-même, ni de ce que vous êtes devant Lui, mais Le laisser faire tant pour le présent que pour l’éternité, tous les retours sur vous-même s’évanouiront et vous demeurerez en repos dans les mains de Dieu comme un enfant entre les bras de sa nourrice. Ne vous mettez donc plus en peine de votre état. Il est bon : soutenez-le seulement en regardant la volonté de Dieu qui l’opère. Mourez à tout le dehors autant que vous pourrez, et ne cherchez point à être autre que vous êtes que quand Dieu le fera. Il n’y a rien autre chose présentement à faire pour vous.

Pour ce qui est de la disposition qu’il faut que vous ayez à l’heure de la mort, c’est celle qu’il faut que vous ayez présentement, qui est de demeurer et de vous laisser entre les bras de Dieu sans vous mettre en peine de ce qu’Il voudra faire. [301] Ne retournez plus à la recherche de ce qui s’est passé en votre vie, et si vous vous en êtes bien confessée ou non. Il faut tout abandonner et demeurer seulement unie à Dieu en paix et en repos après avoir reçu les saints sacrements de l’Église. Si l’on vous fait faire des actes en vous exhortant, faites-les avec humilité, et si l’on vous importunait trop, priez humblement que l’on vous donne un peu de repos pour vous occuper avec Dieu. Voilà tout ce que vous avez à faire quand la mort arriverait présentement. Ce que vous avez lu touchant les croix qui purifient les fautes que l’on fait, est vrai. Ne vous mettez pas en peine du degré où vous êtes, Dieu sera votre tout et Sa main sera votre degré : appuyez-vous y seulement. Je Le prie bien pour vous.

[17e] Du P. Maur. 1675?

L’abandon entre les mains de Notre Seigneur, seul appui.

Notre Seigneur S’est donc servi de ces sottises du monde, pour vous faire goûter le bien qu’Il vous a fait de vous retirer de ses vanités, pour vous tenir dans les prisons obscures de Son amour, où il fait meilleur pour l’esprit que dans tous les palais des Grands de la terre, quoique la nature y souffre beaucoup ! Si Dieu trouvait des âmes assez fortes et assez fidèles pour soutenir les rigueurs de Son amour, Il les rendrait bientôt parfaites et purifiées des ordures du péché. Mais il faut qu’Il S’accommode à nos faiblesses et qu’Il mêle Ses amertumes de douceurs pour nous mener à la fin qu’Il nous a destinée.

Recevez tout ce qu’il Lui plaira de vous donner et demeurez dans toutes les dispositions [302] où Il vous mettra, toujours soumise à Sa conduite, acceptant tout ce qu’Il fera en vous, de bon cœur, sans vouloir savoir si cela vous est bon ou non. Car votre abandon entre Ses mains doit être votre seul appui dans lequel vous devez vivre de foi et laisser passer toutes choses en vous et hors de vous comme n’y prenant plus d’intérêt, non pas même à votre propre perfection que vous devez laisser ménager à Dieu. Vous n’avez donc qu’à soutenir tout ce qu’Il fera en vous, en suivant Sa divine volonté qui est que vous acceptiez sans cesse toutes choses comme elles se passent et comme des effets de cette divine volonté, qui opère votre perfection par des choses qui semblent n’être rien. Tâchez d’entrer en ces pratiques et vous vous en trouverez bien.

Vous voulez savoir quel temps il fait dans notre ermitage. Il n’y fait ni chaud ni froid : tout y est égal comme en paradis. Jugez par là si je dois m’y bien porter.

[18e] Du P. Maur. 1675?

Mais vous, que devenez-vous ? Que faites-vous ? Les croix commencent-elles à vous rassasier ? Il n’est pas temps. S’il faut aller avec Jésus-Christ à Son Père Eternel, il faut délaisser tout et être délaissée de tout à son exemple. La nature frémit de passer par des chemins si terribles, mais c’est pour être unie à Dieu et pour en jouir réellement dès cette vie d’une manière inconcevable. Pourquoi est-ce donc qu’on ne s’abandonnerait pas à une totale abnégation de [303] toutes choses et de soi-même pour posséder ce bien inestimable ?

Allez donc sans regarder si c’est sur les épines et dans de la boue que vous marchez. Pourvu que vous vous tiriez des chemins et que vous passiez par dessus tout, c’est assez. Je ne vous en dirai pas davantage pour cette fois.

[19e] Du P. Maur. 1675?

Laisser détruire puis édifier le tabernacle de Dieu.

Ne vous étonnez pas lorsque vous sentirez des tempêtes dans votre intérieur et que votre imagination excitera du bruit dans toute l’animalité, sur laquelle elle exerce un empire absolu, qui durera jusqu’à ce que la grâce et votre fidélité l’ait réduite sous l’empire de la justice et de la raison. Mais tous ces efforts et tous ces mouvements de rébellion qu’elle excite ne sont criminels devant Dieu qu’autant que la volonté y descend pour y prendre une complaisance libre et volontaire, car tant que nous tenons bon sans nous y laisser emporter, ces combats sont toujours avantageux pour nous, et il est nécessaire que les âmes que Dieu a choisies pour être tout à Lui soient éprouvées et purifiées par toutes sortes de voies, surtout celles qu’Il a destinées pour être unies à Lui et être Ses amies particulières. Il faut que la nature humaine soit crucifiée en chaque personne que Dieu veut préparer pour n’en faire qu’une même chose avec Soi. Et pour cela on la fait passer par toutes les épreuves du bien et du mal, par les tentations qui portent à rechercher tout ce qui serait [304] doux et agréable, et par les humiliations et les peines qui la pénètrent jusqu’au fond de l’âme et lui font rendre tout ce qu’elle pourrait avoir pris de plaisirs, par une amertume et une douleur de cœur qui ne s’explique qu’à ceux qui la ressentent.

Et si l’on demande ce qu’il faut faire et quels remèdes à tant de maux si contraires, il n’y en a point de meilleur ni de plus assuré que de se laisser abîmer et noyer en ces amertumes, où il faut mourir au plaisir que la nature se propose et qu’elle voudrait, et vivre de douleurs qu’elle fait ressentir dans les agonies qu’elle souffre par toutes les peines et les abandons qu’il faut traverser pour arriver au pays de la paix et du repos, que personne ne pourra plus ravir à l’âme qui sera assez heureuse et assez courageuse pour soutenir jusqu’à la fin et en marchant toujours dans son abandon et dans sa perte, sans vouloir savoir où elle est, ni où elle va, se contentant de s’être jetée avec confiance entre les bras de Dieu et de ne se soucier plus de soi-même.

Voilà ce que vous devez faire en tout ce qui vous peut arriver de plus fâcheux, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Allez toujours par les chemins que Dieu vous présente, ne vous conduisant plus que par Sa sainte volonté, qui vous est déclarée tant par ce qui se passe en vous-même que par les divers accidents extérieurs qui vous arrivent et aux personnes auxquelles vous prenez intérêt. Tout vous doit être un dans cette volonté de Dieu, et le bien et le mal, quand il n’y a pas de péché. Car c’est par ce moyen d’anéantissement de tout le créé que Jésus-Christ Se forme dans la créature qu’Il a rachetée par Son sang.

C’est un ouvrage si grand et si précieux, et [305] nous retranchons si peu de nous-mêmes pour en venir à bout, que ce n’est pas merveille qu’il soit si long à faire. Car il faut premièrement détruire tout ce qui est en nous de contraire à Dieu, qui est l’amour propre qui nous a pénétrés jusqu’aux os, puis édifier la demeure et le tabernacle de Dieu, qui doit être notre âme et notre corps et toute notre humanité, que Jésus-Christ doit et veut réformer à la façon de la Sienne, et s’y unir par Sa grâce comme Il était uni à Son humanité par Sa nature divine. Voilà à quoi vous devez aspirer. Jugez donc si toutes ces croix que vous me mandez que Notre Seigneur vous a envoyées, vous doivent être chères puisqu’elles vous conduisent à ce bien. Avalez tout ce qu’Il vous présentera de semblable et en vivez : c’est votre partage, laissez anéantir tout le reste. Acquittez-vous tout le mieux que vous pourrez de vos obligations de mère de famille, et allez votre train par la voie par laquelle Dieu vous conduira.

[20e] Du P. Maur. 1675?

Traverser le désert.

Il est vrai que la créature raisonnable ne saurait rentrer parfaitement en Dieu, qui est son centre et le principe d’où elle est sortie, qu’elle ne se perde totalement à elle-même et qu’elle n’ait détruit toute la propriété qu’elle a acquise en se retirant de la conduite de Dieu pour s’abandonner à la recherche et à l’amour des créatures par sa propre volonté. Et comme ce retour vers Dieu est si difficile et si [306] éloigné, et cette vie de péché et de dérèglement est si profondément enracinée dans nos âmes que nous ne savons presque plus par où nous y prendre pour le bien faire, il faut que la miséricorde de Dieu y mette la main, autrement nous n’en viendrions jamais à bout.

Il est vrai qu’il faut donner de si grands coups pour nous redresser, que la douleur que nous en ressentons semble nous porter à la mort, tant elle est violente. Car bien que nous soyons parfaitement persuadés qu’il faut souffrir et mourir à soi-même pour retrouver la vie divine que nous avons perdue par le péché, Dieu cependant, qui ne demande de l’âme sinon qu’elle le veuille bien, la voyant en cette disposition, la dépouille si entièrement de toutes les lumières et de tous les bons désirs qu’elle avait pour cela, et la réduit dans un tel état de sécheresse et d’obscurité et même d’impuissance de s’aider elle-même en quoi que ce soit, qu’il lui semble que tout est perdu pour elle et que tout ce qu’elle a vu et éprouvé autrefois de la part de Dieu sont des illusions.

Mais cette pénétrante douleur qui la vient attaquer au milieu de ce pitoyable état, brise son cœur d’une telle force qu’elle ne voit plus de jour pour en revenir jamais. C’est en ce point que se fait et passe le véritable abandon, par lequel la créature sort comme hors d’elle-même pour se perdre totalement en Dieu, qu’elle ne voit et ne connaît plus que comme un abîme sans fond et sans rive, dans lequel elle est jetée par une main invisible qui l’arrache de soi-même par l’excès de la douleur qu’elle éprouve, pour la précipiter et la perdre dans cet abîme.

Ce n’est pas merveille que rien ne la puisse [307] consoler en cet état, puisqu’elle est tirée au-dessus de ses puissances et de tout ce qui lui pourrait être représenté pour sa consolation. Aussi n’y a-t-il rien à faire pour une âme en cet état, que de se laisser abîmer par le poids de la main qui pèse sur elle et qui l’enfonce dans cette perte. Ce n’est plus à la créature à vouloir savoir ce que Dieu prétend faire d’elle : c’est assez qu’Il le sache et qu’elle se laisse aller à son amoureuse conduite, encore qu’elle ne voie pas même quelquefois que c’est Dieu qui opère ces choses en elle, particulièrement si cet état est accompagné de tentations et de révoltes de la nature, qui ne représentent à l’âme que l’image du péché, en lui en faisant ressentir les effets, qui ne sont cependant que des effets de nature parce que le consentement ni la volonté n’y est pas. Il faut demeurer fort et ferme en sa perte et abandonner tout à Dieu, avalant toutes ses misères en les soutenant comme ce qui nous est donné pour nous réduire à rien et nous faire éprouver notre propre néant. Il n’y a rien de plus cruel à la nature, ni de plus utile à l’âme qui sait vivre de foi et demeurer abandonnée et perdue entre les mains de Dieu. Aussi est-ce par ce moyen qu’Il veut nous rétablir dans la jouissance, et nous redonner la vie de grâce et de sainteté que nous avons perdue dans le règne de l’amour propre et de la nature corrompue.

Aimez donc cette vie et vous estimez heureuse lorsque Dieu vous en fait goûter quelque chose. Ne vous étonnez et ne vous arrêtez à rien de tout ce qui se passe dans la partie animale. Traversez toujours votre chemin et [votre] désert. Marchez devant vous quoique vous ne sachiez où vous êtes. C’est assez que vous sachiez que [308] vous vous perdez et que Dieu vous recouvrera. Il aura soin de tout, si vous Lui confiez totalement toutes choses. Il vous aime, puisqu’Il vous tient avec Lui dans la croix.

[21e] Du P. Maur. 1675?

Ne s’accrocher à rien sinon à Dieu.

Vous êtes un peu plus à votre aise, chère fille, que vous n’étiez les autres fois que vous m’écriviez. J’en loue Dieu, vous faites bien de ne courir pas après les croix et de vous contenter seulement de celles que Notre Seigneur vous envoie. C’est Lui qui en est le véritable dispensateur et qui les a faites selon qu’Il a jugé que chacun en avait besoin selon son état et condition et selon la mesure de la grâce qu’Il lui voulait donner. C’est donc à nous à Le laisser faire cette distribution qu’il Lui plaira, et Le suivre partout où Il voudra nous conduire.

Si l’on pouvait se bien accommoder à ne vouloir plus se mêler de soi-même, mais en laisser tout le soin à Dieu, l’on ferait bientôt de grands progrès. Mais parce que l’on veut voir ce que l’on fait et où l’on va, c’est cela qui fait qu’on ne peut entrer dans cette perte par laquelle il faut passer pour entrer en Dieu et qu’on roule la vie dans ses opérations propriétaires, qui semblent ne tendre qu’à Dieu ; et en effet elles n’ont point d’autre objet. Mais parce qu’il faut que la créature meure à tout ce qui est d’elle-même pour entrer en Dieu, tant qu’elle [309] se servira de ses propres efforts, elle ne jouira pas de ce bonheur.

Vous ne faites donc pas bien lorsque vous faites des actes pour vous assurer de votre voie. Car pour ce qui est de la peine que vous avez à n’avoir point de goût ni de sentiment sur nos Mystères, elle est mal fondée, puisque ce sont des Mystères de foi qui sont au-dessus de tous les goûts et sensibilités. Et Dieu ne vous les donne pas afin que vous vous éleviez à l’Auteur de ces mêmes Mystères, qui nous les a laissés comme des marques de Son amour par lesquelles nous devons nous élever à Lui. Mais lorsque nous y sommes arrivés par Sa grâce, nous trouvons en Lui tout, et ce qui est dans ces sacrés Mystères infiniment mieux.

Il n’est donc pas nécessaire, lorsque nous possédons la fin, de nous servir des moyens pour nous y faire arriver. Ils peuvent quelquefois servir pour nous y entretenir, et quoique l’on n’y sente pas grand goût, c’est parce que l’on a tout dans la fin qu’on possède. Les saints sacrements sont toujours nécessaires, parce que Dieu y est réellement, ou Sa grâce, par laquelle nous sommes plus profondément unis à Lui.

Ne jugez jamais de la vérité de l’état de votre âme par le goût et le sentiment, mais par la vérité et fidélité à suivre en tout, et par goût ou non-goût, la volonté de Dieu, qui vous est manifestée par tout ce qui se passe en vous et hors de vous, et qui vous regarde. Hé bien ! Ne vous accrochez donc plus à rien, et mettez votre salut dans l’abandon entre les mains de Dieu, et ne pensez qu’à L’aimer et à bien mourir à vous-même : tant que vous ne voudrez que ce que Dieu veut et ce qu’Il fait et permet en vous, vous irez bien. Mais faites-le donc sans réfléchir sur vous-même.









21 Lettres de Madame Guyon concluent le Directeur Mystique

Madame Guyon dirigée

La correspondance couvrant la jeunesse de Madame Guyon précède ses voyages en Savoie et en Piémont. Elle aurait totalement disparu si elle-même n’avait rassemblé des textes en mémoire de son Père spirituel, Jacques Bertot, sous le titre Le Directeur mystique350, en s’appuyant bien naturellement en premier lieu sur les nombreuses lettres qu’il lui avait adressées.

La dirigée a bénéficié du soutien direct de la mère Geneviève Granger, supérieure du couvent des Ursulines de Montargis et elle-même liée à Bertot, puis de la direction écrite de celui-ci, qui demeurait éloigné et résidait à Paris quand il ne visitait pas des monastères en Normandie ; elle a brièvement rencontré Archange Enguerrand, qui se rattache, par Jean Aumont, à la source commune du milieu de l’Ermitage de Jean de Bernières et du Père Chrysostome de saint-Lô.

L’influence de Maur de l’Enfant-Jésus, qui vivait dans un ermitage du sud-ouest de la France, est attestée par la présence de vingt et une de ses lettres dans Le Directeur mystique. Son rattachement à Jean de saint-Samson peut expliquer pourquoi Madame Guyon cite ce dernier si souvent dans ses Justifications, ne pouvant par contre reprendre Bernières, condamné351.

Nous avons présenté ces diverses influences du milieu normand de l’Ermitage sur la jeune Madame Guyon dans notre préface à l’édition critique de la Vie par elle-même.



Madame Guyon succède à Monsieur Bertot

Vingt et une lettres, nommément attribuées à Madame Guyon, achèvent avec autorité le Directeur mystique, ce qui la place comme le successeur de M. Bertot352.

Nous n’avons pas les lettres de la jeune Madame Guyon adressées à ses directeurs, mais le premier volume du Directeur mystique présente des opuscules de Bertot avant ses lettres (qui constituent la plus grande part des trois volumes suivants). Certains opuscules traduisent une relation avec Madame Guyon qui a dû constituer primitivement une correspondance ou du moins un dialogue oral appartenant encore à sa jeunesse spirituelle. Voici quelques extraits de ces opuscules : [284]

Avis sur l’état d’une âme qui commence à se perdre en Dieu par la foi nue353.

M. Bertot m’a dit que, si je suis fidèle, j’irai très loin, que j’en ai la vocation et les qualités nécessaires. Il dit que le dénuement doit aller si loin, et que je dois me tellement perdre en Dieu par le centre, qu’en effet mon intérieur soit si absolument perdu qu’une goutte d’eau ne le soit pas plus quand elle est dans la mer. Et que, quand cela sera, je ne trouverai plus d’intérieur quel qu’il puisse être, ni selon les sens ni selon la raison et les puissances, sans pouvoir avoir rien sans exception sur quoi m’appuyer : en sorte que je ne posséderai plus ni paix ni calme, et ne verrai que passions, inutilités et perte entière de temps sans pouvoir seulement me recueillir ; et que mon âme par son propre poids tombera dans ce néant comme une pierre tombe dans son centre.

Sur ce que je lui ai dit que j’étais dans un grand dénuement et que je ne voyais point d’intérieur en moi, il m’a fait connaître que cela n’était pas au point que je crois, puisqu’il y a des moments que je suis convaincue que j’en ai et que Dieu est le principe de mes actions, enfin que je possède mon esprit, mais qu’en ce temps je ne le posséderai plus. [...]

[289] M. B [ertot] assure que Dieu m’a fait de plus grandes grâces dans ma petite retraite de janvier 1676 qu’Il ne m’avait encore fait, qu’Il a dessein de me communiquer très abondamment le don d’oraison, et que je serai très passive [...] C’est pourquoi il veut que je sois bien réjouie, et tienne mon âme libre et gaie, ne la laissant jamais abattre. Il dit qu’une des choses que j’ai le plus à craindre, est la tristesse et la mélancolie ; parce que j’y ai du penchant à cause de mon tempérament, qu’aussitôt que je m’en apercevrai, je dois passivement me remettre dans ma lumière générale...

[408] Question : Cette lumière de foi [...] ne me paraît pas lumière, [...] car il me semble que durant tout le temps que les sens et les puissances se simplifient et se perdent je ne sais où, [...][j’éprouve] obscurités, sécheresses et pauvretés [...] Réponse : Il est vrai que tout ce que vous me dites paraît ainsi. Mais [...] il ne faut pas croire ce qu’en croient ces pauvres sens et ces pauvres puissances. [...] Ils n’expérimentent qu’un défaut de lumière, qu’une vraie disette et un manque de tout ; et ainsi ils sont contraints malgré eux de cesser et de mourir à leur opération. Il ne faut pas les croire, mais marcher sur la foi des âmes éclairées qui vous aident et certifient. [...][409] Pour lors ils vous diront [...] qu’ils défaillent heureusement, sans à la fin jamais plus se retrouver en leur manière propre, mais bien en la manière de Dieu et en Dieu, dont ils sont capables par l’excès de la lumière de la foi qui les fait disparaître. […]

[411]… Les sens et les puissances étant fort simplifiés et perdus en leur opération, on n’aperçoit qu’une simplicité obscure et très sèche, qui ne marque aucune opération ? […] Je dis plus, un temps considérable même se passe, […] sans que l’on aperçoive et voie aucune opération […] Étant désunies de leur premier principe, en agissant elles le faisaient sans union perceptible : les sens ayant leurs sentiments à part, les passions, les appétits, la mémoire, l’entendement et aussi la volonté, ayant leur action propre. Quand, par la perte d’elles-mêmes, elles sont heureusement réunies à leur premier principe, alors elles retrouvent leur opération, mais dans une union admirable. C’est une harmonie que la seule expérience peut faire connaître, [...][413] capable des vertus et des merveilles de Dieu [...] dans une vaste et pleine fécondité.

[414] Je vous prie de me dire s’il arrive des extases et des visions à telles âmes ? [...] Cette grande et générale extase de tout elles-mêmes les élève au-dessus de la faiblesse des extases particulières. Pour ce qui est des visions, elles n’en ont presque jamais […] Cette lumière est comme infiniment supérieure à toutes celles des visions, quelque sublimes qu’elles puissent être.

[414] Dites-moi encore si la perte et le recoulement des sens et des puissances est long […] ? […][415] L’entendement commence le premier, [...] ensuite la volonté suit, et en dernier lieu la mémoire. La foi, au lieu d’occuper et de remplir l’entendement, le met en vide et dans une vaste et très pure lumière, qui ne peut occuper ni être occupée de rien. La volonté suit ensuite par une secrète foi amoureuse [...] dans une vastitude [...] dénuant et perdant la volonté, la faisant sans amour, sans désirs, sans inclination à quoi que ce soit [...] [418] Une si grande augmentation de la foi en pureté et nue lumière […] abîme et perd aussi la mémoire ; mais cela est une grande peine : [...] ne pouvant comprendre comment on peut vivre dans la terre parmi les créatures sans se ressouvenir des affaires et des nécessités, non plus que sans idées saintes du côté de Dieu, [l’âme] se défend, [...] mais enfin après bien du temps […] elle est mise comme dans une région sereine où tout lui est donné sans vue, sans ressouvenir et sans soin. Aussi, c’est un grand repos, [...] possession sans recherche.

[430] Comment il faut garder ses sens et tout l’intérieur et l’extérieur pour vivre en pureté ? […][442] C’est une tromperie [...] de croire que les âmes les plus passives [...] soient fainéantes. [...] Tout au contraire, un degré de plus grande élévation est aussi un degré de plus grande purification. [...] Dieu étant Lui-même un abîme dont jamais aucune créature ne peut trouver le fond.

Nous reprenons le texte constituant la conclusion du dernier volume du Directeur mystique (1726) qui rassemble (surtout mais non exclusivement) les œuvres de Bertot, posant ainsi Madame Guyon comme héritière dans la lignée mystique. La pagination indiquée entre  crochets est celle du Directeur mystique. Elles sont précédées par l’indication : « Seconde section contenant quelques lettres spirituelles de Madame Guyon qui n’ont point encore vu le jour.. »

Ces lettres sont reprises par Dutoit, vol. 5, p. 464-559 sous le titre : « Quelques lettres spirituelles de Madame Guyon telles qu’elles se trouvent dans le volume IV des Œuvres de Mr. Bertot », avec la note suivante : « Les lettres qui suivent sont adressées au célèbre Mr. Poiret ». En fait seule la quatrième lettre lui aurait été adressée de manière sûre selon l’Indice, p. 630 du même volume : « A Mr. Poiret […] Quelques-unes des Lettres de Me. Guion, extraites du 4e volume de Mr. Bertot, singulièrement la 4e et non pas les 22 lettres, comme porte la note qui est au bas de la page 464. »

 1. Voie pour devenir une créature nouvelle.

Dieu, en nous créant, a mis dans l’essence de notre âme une tendance de réunion à son principe et un germe d’immortalité. Si l’âme ne perdait point son innocence après son baptême et qu’elle fût instruite de se tourner au-dedans et d’invoquer Dieu, elle y découvrirait cette pente à la réunion et, demeurant sans cesse tournée vers ce je ne sais quoi qu’elle y découvrirait, sans se tourner vers elle ni vers aucune créature, elle découvrirait d’une manière admirable ce Dieu caché dans le fond d’elle-même. Elle éprouverait ce principe vivant qui animerait toutes ses actions.

Mais ceci est très rare que, dès l’enfance, on cherche Dieu de la sorte, ce que l’on aurait fait dans l’état d’innocence et que la grâce de Jésus-Christ [311] nous communiquerait si nous ne perdions pas la grâce du baptême. Mais elle est offusquée1 par le venin du Serpent, ce qui fait que l’âme devient propriétaire et que l’amour-propre, qui se glisse partout, qui se


1Offusquer signifie pendant très longtemps « arrêter dans son fonctionnement régulier ». (Rey).

mélange avec toutes les œuvres de justice et porte sans cesse l’âme à se recourber sur elle-même, à attribuer à son soin et à sa fidélité une grâce si éminente, fait qu’elle se détourne de Dieu. C’est ce qui fait qu’il est si rare de trouver des âmes qui aient conservé l’innocence de leur baptême, et entièrement fidèles à ne se recourber jamais sur elles-mêmes et à ne se rien attribuer ni approprier, qu’il est inutile d’en écrire.

Il faut en revenir à la conversion. Si une âme, après avoir péché, et qui sent les pointes des remords et un désir véritable de se convertir, prenait la route de son intérieur, c’est-à-dire qu’elle cherchât Dieu au-dedans d’elle-même et qu’elle se tournât à Lui dans son fond de tout le cœur, sa conversion serait tout d’un coup véritable, et elle se perfectionnerait d’autant plus qu’elle s’attacherait plus fortement à Dieu habitant en elle. Elle s’éloignerait de plus en plus de la créature, et par conséquent du péché, car pour retourner au péché, il faudrait qu’elle se détournât encore de Dieu et s’en séparât, car l’homme ne pèche jamais qu’en s’éloignant de Dieu, se détournant de Lui et se retournant vers la créature. Il est donc certain que celui qui, dès le moment de sa conversion, retournerait à Dieu dans son intérieur, et L’y chercherait avec une constante fidélité et y adhérerait sans cesse, serait parfaitement converti du péché à la grâce.

Mais comme la cupidité et les mauvaises [312] habitudes sollicitent sans cesse l’homme animal d’adhérer à elles, et que l’homme spirituel est affaibli par la contradiction que lui donne l’homme animal et par l’empire qu’il a eu sur son esprit, il faut, dans le commencement de la conversion, châtier son corps et vivre dans une mortification continuelle sans se ménager, sans quoi on n’avance pas, et l’on vit toujours dans la nature. La lumière étant alors donnée pour se combattre soi-même, on doit y travailler de toutes ses forces, et se roidir contre ses passions. A mesure que l’âme adhère à Dieu, Dieu la soulage dans son travail ; et la douceur de Sa présence, la paix, tout concourt à rendre ce travail aisé.

Il faut remarquer qu’il est de la dernière conséquence de travailler à la correction des défauts pendant que la lumière est tournée de ce côté-là, car, l’intérieur croissant, la lumière des défauts se perd peu à peu, et l’âme pour ne s’être pas servie de la lumière actuelle, vit avec un mélange de grâce et des défauts considérables. De plus, c’est que, ne travaillant pas avec la lumière actuelle pour ses défauts extérieurs, Dieu ne travaille pas par l’application de la divine justice à purifier les défauts fonciers, l’amour-propre et la propriété. Ainsi sans la fidélité à ce premier travail, on ne devient jamais une nouvelle créature en Jésus-Christ, on n’arrivera jamais en cette vie à son origine et perdra des biens immenses et infinis.

Tout dépend donc d’abord d’une mortification générale, entière et sans interruption, avec une adhérence continuelle à Dieu, soit dans [313] l’oraison soit durant le jour. Et comme Dieu nous aide dans nos faiblesses, Il fait la principale partie de l’ouvrage, car Il ne le fait pas alors entier, laissant occupée la propre activité de l’âme contre elle-même, ce qui l’amortit peu à peu et enfin fait tomber l’âme dans l’état passif. Il faut ajouter à ces mortifications une grande fidélité à remplir les devoirs de son état et préférer l’ordre de Dieu à tout le reste. Dieu donne ordinairement un grand goût pour la croix, et la divine Providence n’en laisse pas manquer. La volonté par cette adhérence continuelle à Dieu se gagne de plus en plus, et devient peu à peu souple, pliable, et conforme à celle de Dieu. L’âme se soumet sans cesse à Dieu et perd aussi toute facilité de raisonner, l’esprit se simplifie insensiblement, en sorte qu’à mesure que la foi s’empare de l’esprit et fait tomber le raisonnement, la charité s’empare de la volonté et lui ôte peu à peu toute activité, comme la foi a ôté celle de l’esprit.

L’âme arrivée ici croit n’avoir plus rien à faire tant elle goûte de paix et de tranquillité. Ce n’est néanmoins que le commencement ; c’est un état tantôt actif, tantôt passif, jusqu’à ce que Dieu, par Son opération en foi et amour, ait absolument détruit toute l’activité de l’âme, et qu’elle devienne passive. Alors non seulement son oraison est passive, mais ses épreuves le sont aussi. L’âme avait bien eu quelques tentations, mais c’était peu de chose : elle discernait fort bien sa résistance, qui lui paraissait d’autant plus vigoureuse que son activité était plus forte. Mais cette résistance même, si démêlée, si aperçue soutenant sa propriété, Dieu lui envoie de plus fortes tentations de toutes [314] manières, car il est alors question d’une purification foncière ; et comme elle a perdu son activité, elle ne résiste que passivement, de sorte qu’elle entre dans des craintes terribles, ne démêlant pas assez sa résistance. Au commencement, elle la discerne encore, mais plus elle devient passive, moins elle la peut discerner. C’est ce qui la met dans des désespoirs effroyables par la crainte d’offenser Dieu. Elle croit même souvent que ses tentations et ses peines lui sont venues par sa faute, quoique cela ne soit point. De sorte que, si elle n’a pas une personne éclairée, elle retournerait sur ses pas, et se trouvant encore plus misérable, ou elle quitte la piété, ou elle se désespère presque.

Que faut-il donc faire en cet état ? Faut-il combattre activement ? Point du tout. Cela est presque impossible, et l’âme rentrant dans sa propre conduite tomberait dans le péché. Que faut-il faire ? S’abandonner à Dieu sans réserve, afin qu’Il détruise en nous nos ennemis. S’Il ne le fait pas sitôt, c’est à cause de cet amour-propre qui est comme identifié à nous, et qui se nourrit de ce qu’il discerne, et qui s’attribuerait la victoire que Dieu remporte. Enfin plus les tentations durent longtemps, plus nous devons conclure que notre amour-propre et notre propriété sont fortement enracinés en nous.

Il est d’une grande conséquence de mourir sans cesse à soi-même dans cet état d’épreuve, ne cherchant ni en soi ni en aucune créature de l’appui et du soulagement, se laissant dévorer à la peine, sans se multiplier par actes formés, ni aussi se divertir avec les créatures sous prétexte de détourner sa peine ou de ne pas s’en occuper. Il faut demeurer mort et renoncé [315] entre les mains de Dieu, en Lui faisant un sacrifice de tout soi-même en temps et en éternité. L’âme est, par cette peine, si prodigieusement humiliée qu’elle ne voit qui que ce soit qu’elle ne croie meilleur que soi, même les plus grands pécheurs. Elle se livre à la divine Justice afin qu’elle s’exerce sur elle sans l’épargner, et que, si elle a été assez malheureuse pour offenser Dieu, (ce qui lui est impossible de démêler, ne pouvant être assurée du pour ni du contre,) qu’elle la punisse des châtiments les plus rigoureux. Elle désire d’abord d’être punie en cette vie, mais enfin elle se résigne totalement aux décrets éternels de Dieu sur elle.

Peu à peu, de cette profonde humiliation et de cette haine qu’elle conçoit contre elle-même, elle tombe dans le néant. Elle n’a plus ces peines véhémentes, ce qui lui est une douleur bien plus profonde : elle croit être devenue insensible, elle se croit endurcie, et qu’elle a perdu Dieu. Car plus l’âme est exercée par les peines et tentations, plus Dieu Se cache, jusqu’à ce que l’âme désespérant de toute chose et d’elle-même, elle tombe dans un repos de mort et de néant.

Lorsqu’elle n’attend plus rien, qu’elle n’espère plus rien d’elle ni en elle, c’est alors que Jésus-Christ, cette divine lumière, vient éclairer ses ténèbres et lui dit comme à Lazare3 : « Sors dehors ». Elle sort effectivement de ce sépulcre et est dans un étonnement le plus grand du monde d’apercevoir ce nouveau jour qui n’est encore qu’en son commencement. Elle sent une paix profonde et intime, non sensible. [316] Elle se trouve vivante après une si profonde mort. Elle ne comprend pas encore tout son bonheur, qui croît peu à peu comme le jour. Ce commencement n’est que comme l’aube du jour ou crépuscule, qui s’éclaircit insensiblement. L’âme se trouve si différente de ce qu’elle a été autrefois, qu’elle ne se connaît plus elle-même ; elle est dans l’admiration et dans un profond anéantissement devant Dieu, se tenant dans sa bassesse et laissant à Dieu faire en elle et d’elle ce qui Lui plaît, sans y prendre aucune part. C’est ici le commencement de la nouvelle créature qui emporte avec soi des états sans nombre. Mais j’ai tant écrit de ces derniers états que ceci suffit.

21 Jean 4, 1.

3Jean 11, 43.

 2. Filiation spirituelle.

J’ai vu par votre lettre que vous êtes en peine sur la filiation. Il y en a de deux sortes : l’une qui se connaît par des effets extérieurs. Celui qui nous engendre à Jésus-Christ est notre véritable Père, et N.1 vous doit tenir cette place, puisque Dieu s’est servi de lui pour cela. Il y a une autre filiation qui se fait par le cœur et d’une manière purement intérieure : Dieu donne mouvement à ce cœur supérieur de se répandre dans un autre. Et le divin petit Maître se sert de ce moyen, en sorte que celui pour lequel ce don est fait en ressent les effets d’une manière tranquille et recueillie. C’est une filiation intime et purement intérieure, plus rare que l’autre, qui a besoin d’une grande fidélité et d’une [317] correspondance entière de la part de celui qui doit recevoir, sans quoi la grâce que Dieu répandait par ce moyen, redonde2 sur celui que Dieu avait choisi pour se communiquer. On en trouve deux exemples dans l’Evangile. Lorsque l’hémorroïsse approcha de Jésus-Christ, Il demanda : « Qui est-ce qui m’a touché, etc. ? Une vertu secrète est sortie de moi3 ». Il en est de même de ce cœur maternel : il sent une vertu secrète qui sort de lui pour se communiquer à cet enfant de grâce. Mais lorsque le cœur de l’enfant est inappliqué ou qu’il manque de foi, on éprouve intérieurement ce que dit Jésus-Christ dans une autre endroit : S’ils sont enfants de paix, ils recevront la paix ; mais s’ils ne sont pas enfants de paix, cette paix retournera sur vous4. Ainsi je vous dis qu’il y a de ces filiations purement intérieures et que l’âme goûte en silence lorsqu’elle est préparée pour cela : ce silence est plus efficace qu’une multitude de paroles. Je ne crois donc pas que ce soit cette seconde filiation qui soit entre N. et vous, mais pour la première, dont parle saint Paul, vous n’en devez pas douter.

Il est certain que le démon fait ce qu’il peut pour empêcher l’union des saints. Jésus-Christ  ne demande qu’à réunir tout en Lui, et le démon ne tâche qu’à tout diviser. Mon cher frère, défiez-vous de tout ce qui divise, sous quelque prétexte qu’on se puisse servir. Le démon se sert de l’inquiétude de l’esprit pour tourmenter les enfants de Dieu ; il se sert de certains défauts extérieurs que Dieu leur laisse pour les cacher et à eux et aux autres, pour



1Il s’agirait de Fénelon ? Nous pensons plutôt à Pierre Poiret car l’allusion à « l’union des saints » et l’adresse finale à « mon cher frère… », suggère un correspondant protestant. Il pourrait s’agir de Godart van Evijk et de sa femme, membres du groupe de Poiret qui demeuraient à Rijnsburg. (v. M. Chevallier, Pierre Poiret…, p.116). 

2 Redonder : au figuré, « être en excès, abonder en ». (Rey).

3Luc,  8, 45-46.

4 Luc, 10, 6.

diminuer [318] l’estime qu’on doit avoir d’eux, ne se souvenant pas assez que Dieu Se sert des choses faibles pour confondre les fortes5. Il est dit6 que, lorsque les enfants de Dieu étaient en Sa présence, Satan se trouvait avec eux. Il en fait de même à présent : il n’y a rien qu’il ne fasse pour diviser, il tente de toutes manières, et c’est une expérience que les plus grands serviteurs de Dieu ont faite. Il tenta Lot de quitter Abraham, sous prétexte que leurs serviteurs ne pouvaient vivre ensemble et qu’il n’y avait pas assez d’étendue pour leurs troupeaux ; vous savez tout ce qui lui arriva après qu’il eut quitté ce grand serviteur de Dieu. Roidissez-vous contre tout ce qui peut vous désunir, Dieu vous ayant unis pour achever ensemble votre course. Je vous dirais volontiers ce que disait le grand saint Antoine à Euloge7 : « vous êtes prêts à paraître devant Dieu, prenez garde qu’Il vous trouve ensemble, afin que vous ayez la récompense qu’Il vous a destinée. » Je ne doute point de votre droiture et de la sincérité de votre cœur, et je suis bien assurée que vous ne voudriez rien faire volontairement [qui pût déplaire à Dieu]8, mais le démon pallie si fort les choses par ses artifices qu’il ne nous laisse rien à nous reprocher. Y avait-il une plus grande droiture que celle du bon Euloge ? Que n’avait-il point fait pour l’estropié ? Cependant saint Antoine le reprit sévèrement.

Prenez courage, mon cher frère, et notre chère sœur aussi. Je vous souhaite à tous deux toutes sortes de bénédiction. Vos âmes me sont très chères en Jésus-Christ .

 3. Mourir à soi et s’abandonner.

[319]  Il est vrai, les écrits pour les commençants sont plus à la portée de tout le monde, tout le monde les entend. Mais il y a aussi un inconvénient en cela, que ceux qui ne voient que des écrits pour les commençants, y demeurant attachés toute leur vie sans avancer d’un pas, ne meurent point à eux-mêmes, ne rendent point justice à Dieu, ne restituent point leurs usurpations, et par conséquent ne Lui rendent pas une grande gloire.

Sans s’attacher si fort aux détails des moyens, ceux qui ont appris qu’il faut se renoncer continuellement et mourir par tous les événements de la Providence dans l’état et la condition où Dieu nous a mis, ceux, dis-je,


5I Corinthiens, 1, 27.

6 Job, 1, 6 - 2, 1.

7 Voir Vitae Patrum Rosweidi Lib. VII chap. 19. Lib. VII c.26 (Poiret).

8Les crochets indiquent une addition probable de l’éditeur Poiret.

qui savent cela et qui ont une oraison simple, doivent se contenter de ce détail : se beaucoup abandonner à Dieu, se tenir dans un anéantissement profond, n’attendre rien de soi, attendre tout de Dieu, et néanmoins faire tout ce qui se présente à faire à chaque instant. Celui qui saura ces choses, qui sera assez petit pour assujettir les lumières de la raison à la foi, ne manquera pas d’arriver, ayant plus de détails qu’il ne lui en faut. Mais l’esprit de l’homme veut toujours voir un détail pour s’y attacher et pour s’en nourrir, et rentre par là dans la circonférence de lui-même dont on le veut faire sortir ; il ne fait plus que décrire un cercle sans trouver le point central ; et étant arrêté à la circonférence, il n’arrivera [320] jamais au but quand il marcherait sans cesse.

Presque tous les hommes sont arrêtés par leur propre raison, qui veut juger elle-même de ce qui est fort au-dessus de sa portée, et qui, au lieu de devenir assez petite pour en faire faire l’expérience, veut juger des plus profondes expériences. Ces personnes veulent, disent-elles, marcher par la foi nue et l’abandon, et cependant raisonnent sans cesse sur l’un et sur l’autre, et ne veulent point sortir des bornes de leur capacité propre parce qu’ils ne veulent point mourir à leur propre raison ; ces personnes au bout de trente ans seront les mêmes et, se tenant fixées à leurs idées et à leur raisonnement, ne passeront point outre. Tous les détails du monde ne leur serviront de rien, car ils ne feront que les rejeter encore dans la circonférence du raisonnement : ils reculent au lieu d’avancer. Celui qui sait mourir à soi à chaque moment, croire et s’abandonner, deviendra bientôt savant par son expérience. Celui qui ne veut rien pour soi, qui veut Dieu pour Dieu, qui ne cherche que la gloire de Dieu, qui aime Dieu purement, qui ne veut d’autre récompense dans son amour que l’amour même, sera bientôt parfait, non selon ses vues, mais selon Dieu.

Mais pourquoi changer de route ? Pourquoi avez-vous abandonné celle que vous suiviez ? « Je voulais vous tailler à ma mode, dit le Seigneur, je voulais vous rendre selon mon cœur, mais vous n’avez pu porter votre nudité : vous cherchez des habillements : vous êtes autant et plus rentré en vous-même que vous avez fait de pas pour en sortir. Rentrez dans votre simplicité, abandonnez-vous à Moi tout de nouveau, laissez-vous conduire [321], reprenez votre chemin. Ne cherchez que Moi pour Moi, et non pour vous satisfaire en vous-même, et vous rentrerez dans votre voie : Je vous conduirai par tout le soin de Ma Providence, vous serez Mon peuple et Je serai votre Dieu ». Sinon, vous irez toujours dans une route contraire, vous vous éloignerez de plus en plus, vous vous dessécherez, vous irez non dans les ténèbres de la foi, mais dans les ténèbres de vous-même.

 4 A POIRET. Foi nue et oraison simple.

Je vous assure, N.1, que Dieu vous appelle à une foi très simple et très nue, à un certain général que vous éprouvez, et si je puis avoir certitude de quelque chose, c’est de cela. Loin qu’une foi particularisée et une oraison discursive vous fussent avantageuses, elles vous nuiraient beaucoup, parce qu’elles entretiendraient votre raisonnement, qui est tout ce qu’il y a de plus mauvais chez vous. Ce raisonnement, en vous tirant de la simplicité de la foi, vous jetterait dans un labyrinthe d’incertitudes, vous multiplierait en vous-même et serait contraire au dessein de Dieu sur vous.

Soyez donc certifié que Dieu vous appelle à une oraison très simple, à une foi pure, nue et générale. Il veut être le principe de votre oraison. Quand vous n’aurez qu’un simple recueillement, demeurez-y : c’est le meilleur pour vous, étant cela où Dieu vous appelle. Lorsqu’Il vous donnera quelque vue ou goût particulier, soit de Sa [322] volonté soit de Sa Providence, recevez-le de même : tout ce qui vient de Dieu, ne multiplie point. Ce qui pourrait vous nuire est ce que vous vous donneriez vous-même, sous quelque prétexte que ce puisse être, appréhendant d’être oisif et de vous dénuer 2 trop tôt. Laissez-vous en la main de Dieu qui prend soin de vous.

Les distractions vagues de l’imagination n’interrompent point l’oraison, pourvu qu’on ne s’y entretienne pas volontairement. Je crois comme vous qu’une oraison trop longue ne vous accommode pas : une faite par reprise vous conviendrait davantage. Cependant il ne faut pas vous étonner des sécheresses ; elles sont utiles. Lorsque vous êtes trop distrait, un simple retour au-dedans suffit, soit adorant la divine volonté qui vous tient en cet état pour vous purifier, soit en vous supportant vous-même et votre pauvreté, rendant hommage par elle à l’indépendance divine. Ne désirez ni un état ni un autre, mais d’être à chaque moment comme Dieu vous fait être.

Jusqu’à ce que l’âme ait une longue habitude au recueillement, il lui est fort pénible : Dieu tire d’un côté, l’habitude et les sentiments de l’autre. C’est quelque chose qui divise ; à la suite, cela vous sera plus facile. Je voudrais que sitôt que vous vous sentez attiré au recueillement, vous cessassiez toutes choses dans l’instant pour vous habituer au repos ; quand ce ne serait que


1Cette lettre est adressée à Pierre Poiret, v. notre note qui introduit les 21 lettres présentes. Compte tenu de son caractère introductif à l’oraison simple, il s’agit peut-être ici de la première d’une série à laquelle certaines des lettres suivantes appartiendraient. Poiret fut un pasteur protestant philosophe disciple de Descartes et estimé par Leibnitz, ce qui explique la critique qui suit du « raisonnement ». On note l’inutilité d’une « foi particularisée » : Fénelon tenta en vain de convertir le pasteur.

2Dénuer : démunir.

pour des moments, ce moment aura toujours son effet, car ces moments sont des touches qui portent effet dans l’âme quoiqu’on n’en connaisse rien, car quoique les touches ne soient que pour des moments, l’effet reste subsistant, comme un coup de lancette laisse une [323] cicatrice : ainsi ces petits moments de grâce sont très efficaces, pourvu qu’on ait la fidélité de n’en laisser passer aucun sans y correspondre. C’est la voix du Verbe qui appelle. Cette fidélité à correspondre à ces moments est plus essentielle pour avancer qu’une longue oraison. La raison de cela est que c’est nous qui choisissons nos temps, mais, alors, c’est Dieu qui appelle et qui est le principe du temps et de la prière.

Dieu, qui vous appelle à la simple unité, n’a garde de vous donner du goût pour les Mystères en particulier, etc., parce que cela, en vous multipliant, vous empêcherait de tomber dans l’unité. Mais lorsque étant réduit en unité, vous aurez trouvée Dieu Lui-même, qui vous invitera à vous perdre en Lui, vous trouverez en Lui tous les Mystères sans vous multiplier, et d’une manière admirable. Mais le temps n’en est pas venu. Il faut donc à présent tendre à l’unité et éviter tout ce qui peut vous multiplier. Rien ne peut vous multiplier que votre propre action sous bon prétexte. Croyez ce qu’on vous dit au-dessus de vos vues, de vos lumières et de vos sentiments. Lorsque Dieu a choisi un moyen pour nous faire connaître ce qu’Il veut de nous, il Le faut croire sans envisager ce moyen, mais simplement Dieu qui nous a choisi un tel moyen : le plus faible et le plus pauvre est le plus propre en Sa main.

Si Dieu a les desseins sur vous qu’Il m’a fait connaître, et si vous n’y mettez point d’obstacle, vous éprouverez encore plus votre misère et pauvreté, afin que, n’attendant rien de votre propre industrie, vous vous jetiez à corps perdu dans le divin abandon.

Ce que vous dites de votre état est vrai, c’est- [324] à-dire cette tendance vers Dieu qui vous invite amoureusement et vous donne l’instinct d’y correspondre. Toutes les créatures paraissent peu au cœur qui a goûté Dieu. La plus grande marque que Dieu est dans un cœur, c’est qu’Il fait disparaître tout le reste, comme il est dit que les montagnes se sont évanouies en la présence du Dieu de Sinaï 1.



1Psaumes 96, 5 et 67, 9.

 5. Usage des incertitudes. Anéantissement.

Tant que nous désirons des assurances dans notre voie, nous sommes accablés d’incertitude, et c’est une peine qui dure longtemps et qui augmente toujours considérablement. Cette peine sert à exercer l’âme, mais elle ne la fait point avancer et ne la purifie que médiocrement, l’arrête et recule même souvent, à moins qu’elle n’en fasse l’usage que je vais dire : c’est de s’abandonner totalement à Dieu et de redoubler son abandon à mesure que l’incertitude augmente. Lorsqu’on en use de la sorte, l’incertitude fait beaucoup avancer l’âme, la purifie, la fait mourir à elle-même, et fortifie son abandon à un point qu’elle arrive à se déprendre d’elle-même, s’abandonnant au-dessus de tout intérêt propre, croyant au-dessus de toute foi comprise, espérant contre l’espérance même. Comme la foi et l’abandon ôtent tous les appuis, l’âme reste incertaine, car le [325] plus fort appui est la certitude. Il n’y a qu’à s’abandonner toujours plus fortement au-dessus de toute certitude ; alors, sans trouver de certitude, on trouve l’immuable.

L’incertitude ou plutôt la peine de l’incertitude ne vient que de l’amour de nous-mêmes, et de ce que nous n’abandonnons pas assez à Dieu tout ce qui nous concerne pour entrer dans l’amour de Son ordre et de Ses desseins éternels sur nous. L’incertitude vient de retour sur nous-mêmes : tout retour sur nous-mêmes vient d’amour-propre, sous quelque bon prétexte qu’on le fasse et quel nom qu’on lui puisse donner. Le parfait amour est comme une pure flamme qui monte toujours en haut et qu’on ne recourbe point vers soi-même.

Vous me répondrez : « Mais je ne sais si ce que je fais déplaît à Dieu, et c’est ma peine ». Si vous n’êtes qu’incertain, allez votre chemin en vous abandonnant sans réserve à Celui qui ne peut se méprendre et qui ne veut pas vous tromper. Si vous êtes certain de ne pas faire Sa volonté, donnez- vous bien de garde de [ne] jamais faire ce que vous êtes certain que Dieu ne veut pas de vous. A l’incertitude, il faut l’abandon total, mais à la certitude d’un mal, il faut plutôt mourir que de le commettre ; cette règle est certaine. Evitez tout ce que vous connaissez avec certitude être mal ; lorsque vous avez fait quelque chose qui ne vous a pas paru mal avant que de le faire, et qu’ensuite la réflexion vous fasse douter et hésiter, il n’y a alors qu’à s’abandonner à Dieu sans réserve. Il ne faut pas agir dans le doute ; mais quand une chose est faite, il faut agir avec Dieu en enfant et s’abandonner [326] pour tout ce qui en peut être et arriver. De cette manière, l’incertitude, loin de vous nuire, vous servira : ce sera comme un coup d’éperon pour réveiller votre abandon, empêchant qu’il ne s’engourdisse.

Ô Lumière éternelle, conduisez vous-même N. dans ces sacrées ténèbres qu’il faut franchir pour vous trouver, puisque, selon l’Ecriture1, un nuage

épais vous environne, et ailleurs2, une eau ténébreuse et profonde.  Mais à quoi servent les paroles, ô Seigneur, si Vous-même ne les imprimez dans le fond de son cœur ? L’habitude de raisonner fait un obstacle si grand à l’abandon, à la foi nue, au pur amour, que c’est à vous, Seigneur, à détruire cette habitude. Nous frappons à la porte : Vous seul la pouvez ouvrir. Et quand vous l’aurez une fois ouverte, qui pourrait la refermer ?

Ô Tout immense, il n’importe de quel moyen vous vous servez pour nous enfoncer dans notre néant, pourvu que nous puissions dire avec le Prophète-Roi : « J’ai été réduit au néant et je ne l’ai pas su3 ». Car tant que dure la voie de l’anéantissement, nous ne comprenons point que c’est pour nous anéantir que Dieu permet tout ce qui nous arrive ; nous ne le connaissons que quand il est arrivé. Et à quoi le connaît-on ? Ecoutons Job : « J’ai été réduit à néant, il a emporté mon désir comme un vent4. » Ainsi qu’un vent impétueux enlève tout ce qui est léger, le néant enlève tous les désirs ; or, c’est à cette impuissance de désirer qu’on connaît qu’on est anéanti. Celui qui ne désire [327] plus, se contente de tout, se trouve bien partout, ne cherche et ne craint rien.

Voilà le néant où Dieu vous appelle. Vous n’y arriverez que par un abandon généreux qui vous fasse outrepasser toute vue et tout sentiment, par une foi dénuée de tout appui, par un amour pur qui exclut tout intérêt propre.

1 Ps. 96, 2.

2 Ps. 17, 12.

3 Ps. 72, 22.

4 Job 30, 15.

 6. Abandon de son sort à Dieu.

Ce serait une idée bien illusoire de croire qu’il fallût, par des péchés, risquer son éternité pour l’amour de Dieu. Celui qui n’aime pas assez Dieu pour ne pas appréhender de Lui déplaire, ne L’aimera jamais assez pour Lui abandonner, absolument et sans restriction, son sort pour le temps et l’éternité. Ce même Sauveur qui a dit que celui qui ne renonce pas à tout ce qu’il possède ne peut être son disciple1, nous a aussi assuré2 que nul ne peut assez donner pour sauver son âme ; que, quand on donnerait tout ce qui est au monde pour la sauver, ce n’est rien en comparaison du prix de notre âme, qui a coûté tout le sang d’un Dieu. Il dit aussi : Celui qui veut perdre son âme pour l’amour de moi, la sauvera par cette perte3; mais Il ne parle de la perdre pour Lui qu’après avoir perdu tout le reste pour la sauver. Comment celui qui tient à mille choses serait-il en état de perdre son âme pour Dieu ? [328]

Lorsque nos péchés sont effacés par la pénitence, et que nous sommes dans une résolution sincère de plutôt mourir que d’offenser Dieu, alors l’âme peut et doit abandonner son sort entre les mains de la Justice pour le temps et l’éternité. Il faut pour cela qu’on n’ait que des péchés passés, et non des présents. J’appelle péchés présents ceux qu’on a encore inclination de commettre, et lorsqu’on n’est pas prêt de les éviter au dépens de sa vie. Celui qui n’est pas résolu d’en éviter pour jamais l’occasion, qui flatte ou entretient le penchant de son cœur, est bien éloigné de cette charité qui fait dire à saint Paul : Nous sommes assurés que ni la mort, ni la vie, etc. ne sauraient nous séparer de la charité de Dieu qui est en Jésus-Christ4. Celui qui a des attaches est bien loin de donner tout son bien aux pauvres et de livrer son corps aux flammes, qui sont des actions qu’on peut néanmoins faire sans charité. Comment aurait le pur amour celui qui, étant tout enfoncé en soi-même, est plein de soi, de raisons et d’opinions ?

Le pur amour est si grand, si élevé, que rien moindre que Dieu ne peut l’arrêter un moment. Son feu monte toujours en haut et ne penche jamais d’aucun côté. C’est cet amour que la multitude des grandes eaux ne saurait éteindre, car, comme il est dit dans le Cantique5 : « Quand l’homme donnerait tout ce qu’il a et tout ce qu’il est, il le compterait pour rien au prix de la charité. » Cette charité a porté Jésus-Christ  à quitter le sein de Son Père pour notre amour, et nous craignons d’abandonner [329] un pays où nous trouverions immanquablement la perte de ce même amour ! « Ecoutez6, ma fille, quittez la maison de votre Père, et le roi concevra de l’amour pour votre beauté. » Votre âme sera véritablement belle, si vous renoncez toutes choses et vous-même pour son amour.

Mais, grand Dieu, que nous en sommes loin ! Nous avons quitté le péché, mais nous en conservons l’inclination. Nous ne combattons pas nos penchants : loin d’en avoir de l’horreur, nous y pensons avec plaisir. Nous nous éloignons toujours plus de la vérité en nous affermissant dans nos pensées et nos inclinations. Or la vérité est charité, et la charité ne se trouve point en dehors de la vérité. On trouve bien quelque ressemblance de charité, mais ce n’est point elle-même, comme ces fausses pommes qui ressemblaient si fort aux véritables, qu’on ne pouvait les discerner qu’en les ouvrant. Il ne faut pas flotter entre deux termes : il faut choisir l’un ou l’autre.

Je prie Dieu de vous envoyer Sa véritable lumière, d’éclairer votre esprit, d’embrasser votre cœur, et de vous faire faire la véritable Pâque. Après que les Israélites eurent passé la Mer rouge, ils ne la repassèrent plus pour retourner en Egypte. Je prie Dieu qu’Il vous donne quelque Moïse. [330]

1Luc 14, 33.

2Marc 8, 37.

3Matth. 10, 39.

4Rom. 8, 38-39.

5Cant. 8, 7.

6Ps. 44, 11-12.

 7. Dieu affermit la foi.

Dieu ne détruit jamais les vertus comme vertus, mais il détruit la propriété de ces mêmes vertus. Dieu, loin de détruire les vertus théologales, les rehausse et ennoblit admirablement. La foi n’a donc garde d’être détruite en l’âme ; au contraire, elle est tellement fortifiée dans les choses essentielles à la religion qu’elle y devient inébranlable, et ce qui avait paru douteux à la raison faible et flotteuse est imprimé dans l’âme avec des caractères ineffables et ineffaçables. Ce que Dieu détruit est le propre raisonnement. Car, quoique la foi soit si conforme à la raison, elle ne peut admettre le propre raisonnement. Il faut marcher de foi en foi d’une foi qui ne nous est obscure qu’à cause de la faiblesse des yeux de notre entendement, dans une foi nue. Remarquez que c’est toujours foi, et non destruction de foi, ce qui serait une folie.

Nous l’appelons foi nue parce qu’elle est si pure qu’elle n’admet aucun raisonnement pour croire. Elle croit parce que cela est, sans chercher de certitude ni de lumière. Car loin que les lumières et les certitudes servent à la foi, elles la détruisent, car qui dit croire suppose qu’on ne voit point, qu’on ne sait point. On ne croit point ce qu’on voit ni ce dont on est certain. La foi a en elle-même une certitude infaillible, mais cette certitude est en elle [331] et non en moi1 ; ainsi je dois m’attacher uniquement à elle, sans chercher en moi des certitudes qui lui seraient entièrement contraires et qui ne m’assureraient jamais moi-même. Car les mêmes raisons qui m’assurent aujourd’hui, seraient détruites demain par d’autres raisons qui me paraîtraient plus probables2 ; ainsi, je rendrais ma foi sujette à mon raisonnement, au lieu de captiver mon raisonnement sous le joug certain et infaillible de la foi.

Dieu ne détruit donc pas la foi : Il l’affermit et la perfectionne par la destruction de tout raisonnement, de toute lumière acquise et infuse, qui sont entièrement opposés à la foi. L’amour pur et généreux n’admet rien non plus de toutes ces choses : il soutient la foi en l’âme, lui faisant sentir que tout ce qui n’est point Dieu est indigne d’elle. Ainsi la foi sert, également avec la pure charité, à perdre l’âme en Dieu, où la foi se trouve absorbée et surmontée par la charité et non pas détruite ; au contraire, elle acquiert dans l’amour une dignité qu’elle n’avait point auparavant. [332]

1La foi étant un élan ne peut s’appuyer sur nous-même.

2On trouvera un écho de ce recours à la foi seule jusques chez S. Kierkegaard, influencé par G. Tersteegen disciple de Poiret : ainsi dans son Post-scriptum il nous présente un philosophe âgé qui découvre le nouveau livre qui remet son système en cause.

 8. Danger des voies extraordinaires.

Nous1 sommes bien éloignés de vouloir poser des bornes à la puissance de Dieu, et nous sommes persuadés qu’il y a différentes routes, quoiqu’elles doivent toutes aboutir au même chemin, qui est Jésus-Christ. Mais si on ne pouvait pas se méprendre, saint Jean ne nous dirait pas1a d’éprouver les esprits, et2 : « Ne croyez pas à toutes sortes d’esprits. Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes poussés », dit Jésus-Christ . Le zèle peut donc venir d’un bon et d’un mauvais esprit, c’est pourquoi le discernement des esprits est si nécessaire. Notre-Seigneur Jésus-Christ  n’a-t-Il pas dit3 que, dans les derniers temps, il y aurait des faux prophètes ? Et plus ces derniers temps approchent, plus nous devons craindre et pour nous et pour nos frères : la charité chrétienne demande cela de nous. Il ne suffit pas d’une bonne intention pour n’être pas sujet à la méprise, car les apôtres avaient [333] de bonnes intentions dans leur zèle. Et si l’Ange de ténèbres ne se transformait pas en Ange de lumière4, il n’y aurait pas tant de méprises, et on ne nous en aurait pas précautionnés.


1Ecrite à l’occasion de certains nouveaux prophètes qui, se voyant désapprouvés de l’auteur dans une lettre (Voir la lettre 124 du 4e volume des lettres [éditée dans ce volume, D.4.124]), répliquèrent là-dessus qu’on voulait poser des bornes à la puissance de Dieu, etc. (Dutoit). – Il s’agit de  camisards émigrés, « french prophets » qui firent sensation en Angleterre et en Ecosse, (ils passèrent à Edinburgh en 1709) : « their whole bodies trembled and twitched […] the messages which came from the lips of these unconscious instruments were of destruction because of God’s wrath. They called for repentance… » (v. la notice qui leur est consacrée par Henderson, Mystics of the North-East, p. 191-196). Toute une littérature de controverse se développa autour d’eux ; Henderson édite une correspondance à leur sujet entretenue par G. Garden, ami de Poiret et guyonnien (Id., p. 224).

L’Esprit souffle où il lui plaît5 : c’est au fruit qu’on connaît l’arbre6, car les voies extraordinaires doivent porter des fruits extraordinaires. Quand cela n’est pas, nous devons les suspecter. Les prophètes de Baal étaient en grand nombre, mais il n’y avait qu’un prophète du Seigneur7, et je vous assure que l’Esprit du Seigneur ne se communique guère de la sorte. Le prophète Balaam a dit8 des choses plus admirables que les autres prophètes.

Lorsqu’une impulsion extraordinaire fait agir, et qu’un esprit étranger commande avec empire, tout ce qui se dit dans ce temps doit être la vérité et ne doit point impliquer contradiction. S’il est vrai que ce soit Dieu, tout ce qui se dit dans ce temps actuel de l’impulsion d’un esprit étranger doit être absolument véritable ; si cela n’est pas, il faut conclure que l’Ange des ténèbres s’est transformé en Ange de lumière.

J’estime tout à fait la droiture et les bonnes qualités de N., mais qu’il se souvienne que les Pères des déserts envoyèrent éprouver saint Siméon Stylite et ne l’éprouvèrent que sur son obéissance9, tant les voies extraordinaires ont toujours été suspectées et examinées de près. Ce grand saint ne fut-il pas trompé lui-même lorsqu’il allait monter sur le chariot de feu, croyant être enlevé au ciel comme un autre Elie10 ? [334]

L’attache et l’amour de l’extraordinaire vient ordinairement d’un goût secret de notre propre excellence, ce qui fait que nous nous imaginons facilement que Dieu nous meut et nous pousse ; et cet amour ou certitude en nous-mêmes des choses extraordinaires est [le lieu] où la propre excellence se mêle le plus, et par conséquent ce que le démon contrefait plus facilement. Si le démon ne faisait faire que des choses mauvaises, il serait bientôt reconnu, et le cœur droit le discernerait d’abord et s’en défierait. Le diable est éloquent, il parle de Dieu parfaitement, il est chaste, il souffre ; mais il est toujours démon, parce qu’il ne saurait être humble, simple et docile. Le démon paraît zélé, charitable ; il n’est rien moins que cela. Ce fut l’amour de la propre excellence qui le fit tomber du Ciel ; il tâche de nous inspirer la même chose. C’est pourquoi saint Paul dit11 : Quand je donnerais mon corps aux flammes, etc. Si je n’ai la charité, je ne suis que comme un airain battu, car l’airain fait grand bruit lorsqu’on le frappe, mais il est vide par le dedans. 

Ce qui est impétueux au-dehors est souvent vide. L’Esprit du Seigneur, dit Elie12, n’était point dans le vent impétueux, lorsqu’il était à la porte de sa caverne ; il n’était ni dans le feu ni dans la commotion ou tremblement de terre ; mais il se trouva dans le zéphir, parce que l’inspiration du Seigneur est délicate. Mais dira-t-on, le zèle d’Elie a été fort impétueux ? Cela ne venait que pour des grandes choses, et la prophétie était accompagnée de la vérité et du don de miracles : hors de cela, il passait sa vie dans la solitude et sur la montagne, ou dans les cavernes. [335]

Tout se passait dans l’Ancien Testament par l’extraordinaire. Mais depuis la naissance de Jésus-Christ, plus les choses sont simples et paraissent arriver comme tout naturellement, plus elles sont de Dieu. Ce qui arrive à Jésus-Christ,  lorsqu’Il naît dans une étable, arrive comme tout naturellement: la sainte Vierge est obligée de se faire enrôler, étant de la race de David, et obéissant aux puissances temporelles ; ne trouvant point de place dans les hôtelleries, Il est obligé de naître en une étable ; Il fuit en Egypte pour éviter la persécution comme un homme ordinaire. Il n’y a que les dernières années de Sa vie où, étant obligé de fonder Son Église et de détruire celle qui était établie sur des miracles si éclatants, Il fait quelques miracles et guérisons. Sa doctrine est simple et naïve, mais pleine d’une grâce divine. Il ne laisse pas, dans cet état tout simple, d’accomplir les Écritures. La vie cachée a été Sa nourriture : il semble que le peu qu’il y a eu d’éclatant, Lui échappait comme malgré Lui, car durant trente années il n’est rien dit de Lui que ces paroles : Et il leur était soumis13, à la réserve de Sa dispute au milieu des docteurs. Mais pour faire voir qu’Il ne faisait des miracles éclatants que pour gagner un peuple mené par l’extraordinaire et dont le goût était l’extraordinaire, Il a voulu mourir pauvre et nu au rang des malfaiteurs, préférant la pauvreté, la souffrance, l’humiliation, le mépris et la confusion à tout le reste. Il semblait détruire par Sa mort ignominieuse ce qu’Il avait établi par l’éclat de ses miracles, tant Il préférait l’un à l’autre. La sainte Vierge a mené une vie commune. [336]

Mais enfin, tendons à n’être rien ni à nos propres yeux ni à ceux des hommes, et  nous serons dans la vérité. Le démon n’entre point dans ce sentier, il s’en éloigne, parce qu’il est naturellement superbe.  Je prie Notre-Seigneur de faire entendre la vérité de ces paroles et de les imprimer dans le cœur d’une personne que j’estime véritablement, et auquel je souhaite le vrai bien, qui est qu’il soit animé de Jésus-Christ, simple, petit, tranquille, renoncé et mourant à tout. Amen, Jésus.

1aI Jean, 4, 1.

2Luc, 9, 25.

3Mt, 7, 15.

4II Corinthiens, 11, 14.

5cf. Jean, 3, 8.

6cf. Mt, 7, 16-20.

7III Rois, 18, 22.

8Voir Nombres, chap. 23 et 24.

9Voir Rosweidi Vit. Part. L. I. p. 177. (Dutoit).

10Voir sa vie, chap. 6, dans les Vies des saints Pères des déserts. (Dutoit).

11I Corinthiens, 13, 1-3.

12III Rois, 19, 11-13.

13Luc, 2, 51.

 9. Résistance à Dieu, peines et abandon.

Quand je ne serais pas aussi convaincue que je la suis, ma chère sœur, que tout ce qui n’est pas fait par amour, mais avec gêne et contention, ne saurait subsister longtemps, votre lettre m’en aurait persuadée. L’homme est tellement né pour la liberté que tout ce qui le contraint lui est un supplice, parce qu’il le met dans un état violent ; et cette nature contrainte est comme un oiseau, qui a rompu le filet qui le retenait, et qui prend d’autant plus d’essor qu’il avait été plus gêné. Il vous est arrivé de même : vous vous êtes jetée dans l’autre extrémité, et vous avez donné l’essor à vos passions parce que vous vous étiez gênée avec excès. L’amour sacré fait faire sans gêne les choses les plus gênantes, et tout le bien dont il n’est pas l’auteur, est un supplice.

Vous avez eu grand tort de vous prendre à [337] Dieu de toutes vos peines, puisque, loin qu’Il en soit l’auteur, c’est vous qui vous [vous] les êtes causées, par la résistance que vous lui avez faite. Et vous avez éprouvé par là la vérité de ce passage : Qui a pu résister à Dieu et vivre en paix1 ? Dieu vous avait fait une très grande grâce qui était de vouloir vous conduire Lui-même à Sa mode et non à la vôtre. Au lieu de vous soumettre à Lui, vous Lui avez toujours résisté, et cette résistance a été la source du dérèglement de vos passions et ensuite de toutes vos peines. Si vous aviez soumis votre cœur et votre esprit au fort et puissant Dieu, Il vous aurait conduit, et vous auriez éprouvé une liberté douce, ainsi que Jésus-Christ  le dit Lui-même : Si le Fils vous met en liberté, vous serez véritablement libre2.

Or, cette liberté consiste à être assujetti à ce Fils bien-aimé qui est à notre égard voie, vérité et vie3 : voie pour nous conduire, vérité pour nous éclairer comme notre lumière et nous instruire comme notre Maître, et vie pour nous animer. Vous vous êtes opposée à tout cela : vous avez voulu suivre votre propre voie que vous vous étiez tracée vous-même, et vous n’avez pas suivi Jésus-Christ  dans le chemin où Il voulait vous mener ; et vous avez voulu suivre les règles et les méthodes de votre propre raison, et n’avez pas reçu la vérité ou lumière, Jésus-Christ ; vous avez voulu vivre en vous-même et dans votre bien-être, et Jésus-Christ voulait être votre vie, que vous ne vécussiez [sic] plus, et qu’iI vécût seul en vous. Dieu est infiniment [338] jaloux de Son domaine et de Sa sainteté : Il voulait vous assujettir à Son empire, et vous Lui avez résisté pour agir à votre mode ; Il voulait être saint en vous, et que vous Le laissassiez agir en vous sans vous en mêler, et qu’Il fût Lui-même votre sainteté, ainsi qu’il est écrit : Je me sanctifie moi-même pour eux4.

Que faut-il faire pour remédier à cela ?  C’est de laisser Dieu faire tout en vous, sans vouloir vous en mêler ni y mettre la main, sous quelque prétexte que ce puisse être, car, ma très chère sœur, toutes peines de révolte contre Dieu ne viennent que de nos résistances. Lorsque nos peines viennent simplement d’épreuves de Dieu, elles font souffrir à la vérité, mais ces souffrances, quelques grandes qu’elles soient, sont accompagnées, si ce n’est d’une résignation aperçue, du moins d’un fond soumis qui ne résiste pas. Le trouble vient de la même chose lorsque ce trouble dure. Car la paix sèche et le non-trouble ne quitte point une âme qui ne résiste pas à Dieu. Que faut-il donc faire ? Rien, rien, rien, mais vous abandonner à Dieu sans réserve. Il faut le laisser maître de votre oraison et de toute votre conduite, et vous vous trouverez tout autre. Que votre oraison soit une simple exposition devant Lui ; restez abandonnée ensuite. Vos actes, vos prières ne sont que des assurances que vous cherchez et des appuis à la nature que Dieu rejette, et où vous ne trouverez jamais la paix. Vous vous éloignez toujours plus par votre activité du but que vous cherchez. Si vous saviez vous abandonner à Dieu en temps et en éternité, ce serait la meilleure préparation à la mort que vous puissiez faire, et votre salut serait [339] d’autant plus assuré en Dieu, qu’il le serait moins en vous.

Il ne faut pas croire que Dieu rejette tout le bien que vous voulez faire. Ce n’est pas le bien que Dieu rejette : Il en est incapable, puisqu’Il est la source  de tout bien. Mais le bien n’est bien, qu’autant qu’Il le connaît pour tel et qu’il est selon Sa volonté. Ce que Dieu rejette, ce sont les œuvres propriétaires, ou la propriété dans le bien, c’est-à-dire ces œuvres dont nous sommes en quelque sorte le principe, quoique la grâce les accompagne, l’opération du moi, ce qui m’est propre, qui sont les œuvres de la volonté de l’homme, et non celles de la volonté de Dieu qui sont les vraies bonnes œuvres, et non une multitude d’œuvres propriétaires qui n’ont que très peu de valeur devant Dieu. Dieu vous avait choisie pour vous conduire, et pour faire, comme dit l’Ecriture5, en vous, toutes vos œuvres. Loin de céder à ce Dieu plein d’amour et de bonté, vous Lui avez résisté de toutes vos forces, et avez été par cette résistance la cause de toutes vos peines. Il voulait vous rendre heureuse, et vous vous êtes rendue misérable.

Quittez donc toute action, toute pratique, qui ne sont pas absolument nécessaires dans votre état : abandonnez-vous à Dieu pour le temps et l’éternité. Laissez-Lui opérer votre salut, qu’Il vous prépare Lui-même à la mort. Vous retrouverez la paix, la liberté, la joie, et peut-être la santé, car la peine de la résistance altère souvent l’esprit, cause la folie ou le désespoir. Laissez tout faire à Dieu, ne vous mêlez plus de l’œuvre. Vous avez fait trop de tentatives inutiles [340] et trop vu votre impuissance. Il y a trop longtemps que vous résistez à Dieu ; cédez-Lui une bonne fois pour ne vous plus reprendre et ne plus vous mêler de vous.

Méprisez les ruses du démon, qui veut vous donner de la vanité. C’est pour vous tirer de l’oraison simple qu’il vous embarrasse l’esprit de tout cela. Car comment prendre de la vanité d’une chose où vous n’avez aucune part, et dont Dieu seul est le principe ? Ayez de la vanité de ce qui est à vous, on vous le permet. Or vous n’avez en partage que le néant et le péché ; c’est ce qui vous appartient, tout le reste est à Dieu. C’est donc à Dieu, selon l’Écriture, qu’appartient la gloire de toutes nos œuvres6. Ne nous glorifions comme saint Paul7 que de nos faiblesses.

Je vous porterais compassion de toutes vos peines que vos résistances ont causées, si je n’espérais qu’elles vous rendront fidèle à vous laisser conduire à Dieu, et que vous étant si mal trouvée de vous être mêlée de vous, vous n’aurez plus envie de le faire. Pour le mépris de vos sœurs, c’est une excellente chose qu’il faut recevoir de tout le cœur.  Je prie Dieu qu’Il vous soit toutes choses8.

1Job 9, 4.

2Jean 8, 36.

3Jean 14, 6.

4Jean 17, 19.

5Isaïe 26, 12.

6Isaïe 26, 12 et Matt. 5, 16.

7II Cor. 11, 30.

8La destinataire inconnue pourrait être sa cousine, Melle de la Maisonfort.

 10. Perte de la raison et de la volonté.

Ce que fait la foi est premièrement de s’élever sur le débris de notre raison ; elle combat [341] souvent et très longtemps : quelquefois la raison paraît la surmonter, d’autres fois tout est balancé ; et cela arrive souvent et dure longtemps. La peine alors de l’homme, et de l’homme raisonnable qui avait ajusté toutes choses dans la même raison autant juste qu’éclairée, est de sentir que peu à peu cette raison claire et ferme le quitte, et ne le quitte pas pour lui donner une lumière de révélation divine, certaine et brillante, mais pour le mettre dans l’obscurité et dans l’incertitude. Cela est toujours plus de cette sorte jusqu’à ce que la foi, par son obscurité sèche et pénible, ait réduit l’âme dans un si grand aveuglement qu’elle ne va plus qu’à tâtons, et ensuite, ne pouvant plus marcher, elle est contrainte de s’abandonner sans réserve à un guide inconnu qui ne lui dit pas où il la mène, mais qui veut qu’elle s’en fie à lui lorsqu’il paraît l’égarer et la mener par des routes entièrement opposées au chemin que la raison lui avait tracé.

L’âme conduite de la sorte, voyant que ses soins sont inutiles, que sa raison est sans lumière, qu’elle perd peu à peu tout pouvoir d’user d’elle, et que les efforts qu’elle a faits pour s’en servir sont inutiles, est contrainte de s’abandonner sans réserve, de perdre toute voie et de marcher aveuglément dans un chemin qui lui paraît sans route et où elle ne trouve personne qui l’assure de la bonté de ce chemin : au contraire, l’on ne parle que de pertes et de précipices autant inévitables qu’ils sont affreux. C’est alors que la foi s’exerce parfaitement, et qu’elle fait un trophée à Jésus-Christ  de la ruine de la raison ; c’est alors qu’Il devient notre propre conduite et qu’Il semble que la foi disparaisse pour [342] donner lieu à Jésus-Christ,  Sagesse éternelle, de nous conduire Lui-même.

Il est à remarquer qu’à mesure que la foi travaille, en la manière que je l’ai dit, sur notre raison, la charité, encore plus active que la foi, travaille sur la volonté et fait perdre à l’âme tout dégoût, tout vouloir et non-vouloir, de sorte qu’à mesure que l’homme perd toute route et tout moyen de se conduire, il perd aussi tout vouloir d’en avoir. Et cela va si loin qu’il perd même à la fin la puissance de vouloir et de raisonner : il demeure assujetti à Jésus-Christ qui veut et ordonne tout ce qui Lui plaît et en la manière qu’il Lui plaît.

Quoique la foi travaille en même temps, le triomphe de la charité paraît le premier. Il semble à l’âme que la volonté soit bien plus tôt détruite que la raison, et qu’elle perd très longtemps le pouvoir de vouloir avant que de perdre celui de raisonner ; cela est de la sorte. Et cependant, dans la fin, l’on s’aperçoit que la volonté est ce qui se consume le dernier, et que c’est en elle que la raison se termine, que la charité absorbe la foi et que tout se trouve réuni dans la pure charité, qui est Dieu même.

Je ne vous parle point de l’espérance, quoiqu’elle soit inséparable des deux autres. C’est elle qui soutient longtemps dans le désespoir même, et c’est elle cependant qui se perd la première, car celui qui espère est supposé avoir le désir de ce qu’il espère, car l’on n’espère pas ce que l’on ne peut vouloir.

Il serait inutile à un homme aussi pénétrant que vous l’êtes1, d’expliquer les choses plus au long : il suffit que c’est là votre route sans route, et que c’est où l’on vous veut conduire [343] et où l’on vous conduira sans doute, parce qu’il faut qu’un autre vous possède. Conduisez-vous par la raison tant que vous vous possédez vous-même, mais de quoi vous peut servir votre raison lorsqu’un plus puissant que vous vous veut conduire par un chemin tout contraire ? Je vous dis avec Jésus-Christ parlant à saint Pierre : Lorsque vous étiez jeune, vous alliez où vous vouliez ; mais lorsque vous serez devenu vieux, un autre vous ceindra, et vous mènera où vous ne vouliez point aller1.  Oh ! n’est-il pas juste que Jésus-Christ règne ! qu’Il règne et que je périsse !

1Poiret ?

2Jean 21, 18.

 11. Fermeté dans l’abandon.

La lettre que je vous avais écrite a fait dans votre âme l’effet que Notre-Seigneur en prétendait, qui est de vous élargir le cœur et vous communiquer paix et force pour passer l’état qu’il veut assurément vous faire passer. Ce qui a duré tout le temps que vous êtes restée fixe et ferme à ne vous épargner en quoi que ce soit de tout ce que Dieu pourrait vouloir de vous ; ce qui comprend bien des choses. Car quoique l’on ne pénètre pas en détail ce que Dieu pourrait vouloir, ce qu’Il ne montre pas toujours, ce consentement implicite suffit, comme la sainte Vierge, en consentant à être la mère de Dieu, consentit implicitement à tous les travaux et les suites de cette maternité.

Soyez donc assurée que Dieu ne fait jamais rien faire d’extraordinaire à une âme qu’Il n’ait tiré son consentement, ou implicitement ou en [344]  détail. Si vous étiez restée ferme à cette résolution de vous abandonner sans réserve, votre paix aurait toujours duré ; mais la nouvelle qui est venue vous a mise en réflexion et en retour sur vous-même, et par cela vous êtes rentrée en vous, car vous deviez agir, n’ayant un quart d’heure, comme devant y être plus longtemps. Etant rentrée en vous, vous êtes tombée dans la réflexion, et les avis du P.1, étant venus au secours de votre raison, ont fait du ravage en votre âme. Vous ne devez pas vous étonner de cela. Cela vous arrivera bien des fois avant que vous soyez établie dans l’état ferme d’abandon. Plus vous avancerez et vous précipiterez avec courage, plus vous serez forte, mais non pas à couvert de ces vicissitudes d’embarras, de peines et de scrupules, qui seront d’autant plus violents que l’état sera plus poussé et que la raison y perdra toute prise.

Le P., n’étant pas hors de la raison illuminée de la foi, ne peut pas conduire dans un chemin qui le passe absolument, de sorte qu’il est impossible que vous entriez sans vous troubler dans ce qu’il vous dit, ni qu’il entre dans votre voie, qui sera toujours pour lui abîme impénétrable. Et c’est la différence des âmes poussées violemment par le démon d’une manière ouverte ou cachée qu’il leur reste toujours l’appui de la violence ; et quoiqu’elles ne le voient pas et se croient bien perdues, la marque qu’elles ne le sont pas autant qu’elles se le persuadent, est qu’une perte plus naturelle, plus insensible, et où il ne paraît rien de violent, les effraie, et ils ne la peuvent supporter même en choses de moindre conséquence.

Soyez donc fidèle, au nom de Dieu, non à [345] vous regarder et à suivre une fidélité qui vous paraisse telle, mais à vous perdre à l’infini : c’est la voie de Dieu sur vous. Tout ce qui n’est point cela, quelque grand et saint qu’il vous paraisse, et qu’il le soit en effet pour les autres, ne l’est point pour vous. Les conseils qui ne sont pas perte totale peuvent bien vous arrêter quelque temps, vous brouiller et vous faire entrer en vous-même ; mais ils ne vous communiqueront jamais paix et joie au saint-Esprit, largeur et immensité dans l’immensité même. Je ne m’étonne point du dégoût ; cela vous fera un bon exercice. Mais portez tout avec courage ; c’est le temps de tout dévorer.

Quoique les dispositions où vous ont mise les conseils du P. soient bonnes en elles-mêmes et admirables pour une âme autre que la vôtre, elles ne vous sont pas utiles, parce que votre défaut n’est pas la présomption, mais la timidité, et que vous avez besoin de courage pour avancer et de vous perdre absolument de vue, de sorte que tout ce qui vous arrête en vous pour peu que ce soit, quand ce serait pour y pratiquer les plus admirables vertus, n’est plus ce qu’il vous faut. Aussi Dieu, qui a de vous un soin particulier, en vous remettant dans votre place a réveillé en vous l’instinct d’avancer et d’outrepasser tout, ce qu’il a appuyé d’un nouveau courage pour vous perdre, puisque vous ne pouvez avancer qu’en vous perdant.

Laissez donc tous les conseils et votre raison pour vous perdre dans l’abîme inconnu où Dieu vous conduira Lui-même si vous Le laissez faire, et si vous suivez en paix Ses démarches, sans vous regarder un moment sous quelque prétexte que ce puisse être. Ceci est ce que Dieu [346] veut de vous ; n’hésitez plus. La conformité de ces avis à ceux de M. Bertot2 devrait vous assurer. Mais il ne s’agit pas de chercher d’assurance, mais de vous perdre. Il vous viendra souvent dans l’esprit que vous êtes trompée et que l’on vous trompe. Ne cherchez point dans la raison des arguments pour prouver le contraire, mais dévorez tout cela, et soyez affamée de votre perte, vous mettant avec générosité au-dessus de vous-même et de tout intérêt quel qu’il soit. Je sais bien à qui je parle, et ces avis ne sont que pour vous.

1Le P[ère] n’est pas connu.

2Des lettres et opuscules de Bertot (1620-1681), le maître de Madame Guyon, circulaient entre la France et la Hollande avant l’édition du Directeur Mystique.

 12. Fidélité dans la voie de la perte.

Qui peut mettre des bornes au pouvoir divin pour dire : « Si l’état a été de Dieu, il doit suivre telle et telle chose » ? On veut se soutenir par quelque endroit, et lorsque tout soutien manque, c’est alors que l’esprit subtilise1 pour en trouver en quelque chose. Se reprenne et se garde qui pourra ! Pour moi, je ne puis ni ne veux faire autre chose que de me laisser davantage. Plus ma perte est assurée, et plus je suis bien, puisque celui qui n’a prétendu que de se perdre doit être entièrement content lorsque sa perte est plus sûre. Mais vouloir trouver son salut en soi-même lorsqu’il faut tout perdre en Dieu, ou prétendre sortir de sa perte, c’est n’être qu’à demi-perdu.

O vous qui êtes à Dieu, et qui valez quelque chose, conservez ce qui vous reste, ou tâchez de retrouver ce que vous avez perdu. Mais [347] pour ce cœur, il demeure perdu sans ressource, et a plus d’horreur de se regarder soi-même que du diable. Que Dieu garde ce qui est à Lui, ou qu’Il laisse perdre ce qu’il ne veut pas, que Sa volonté soit faite ! Mais il est impossible à une âme perdue en Dieu de se trouver pour s’observer, non seulement comme dans l’état passif, où cela est bien d’une autre manière ; mais c’est que celui qui n’est plus ne peut s’observer ; s’il se trouve pour cela, il est quelque chose. L’âme peut bien voir ce qu’on lui fait voir, mais ce n’est plus en elle ou comme à elle, mais hors d’elle. Il n’y a rien que le rien et la perte totale pour cette âme.  Oh ! brûlez, perdez, s’il y a encore à perdre, ou s’il reste quelque chose ou au-dehors ou au-dedans qui ne soit pas perdu ! Ô Dieu, vous avez tout pouvoir ! Traitez du moins cette créature à Votre gré, mais j’aimerais mieux périr mille fois que de me trouver pour faire le moindre bien par moi-même.

Ô homme, tu veux toujours subsister en quelque chose ! Tu veux te trouver dans ta perte ! Tu veux ton salut pour toi où tu disais te vouloir perdre ! Ô Dieu, soyez seul Dieu ! Faites à jamais de ce méchant néant tout ce qu’il Vous a plu ! Qu’il soit effectivement perdu ! Il n’a pas prétendu autre chose lorsqu’il s’est jeté dans l’abandon entier, il n’a point espéré qu’un secours favorable l’en tirerait. D’où vient donc que lorsqu’il se voit comme dans l’abîme, il frémit, il pâlit, il regarde de tous côtés s’il lui peut venir quelque secours, et n’en trouvant point, il se plaint à soi-même d’y être tombé ?

Ô âme, demeure dans ton rien ! Il faut y mourir, il faut y suffoquer, il faut tout perdre sans [348] espoir de le retrouver jamais. Mais hélas ! Où est le cœur qui est absolument sans tendance ou sans espérance, ou qui, après la perte de toute espérance conçue et de tout appui, n’a pas quelque sombre douleur  ? ...2

1Entre dans des subtilités.

2Le reste de cette lettre manque. (Dutoit).  

 13. D’assurance dans la voie de la perte.

Vous demandez trop de raison, et vous voulez trop raisonner et trop d’assurance. Je n’ai nulle règle à vous donner, vous ferez ce que Dieu vous inspirera : soit que vous résistiez, ou que vous suiviez Ses mouvements, Il vous instruira par votre expérience, et Il ne vous laissera jamais égarer, ni rien retenir, sans vous faire sentir, par la gêne où Il vous mettra, ce qu’Il veut de vous. Soit que vous mouriez de douleur ou d’autre chose, c’est toujours mourir, mais, croyez-moi, si vous mourez, ce sera d’une bonne mort. Plus vous serez peinée, plus vous aurez de santé : Dieu est assez fort pour soutenir votre santé et votre esprit. Et quand il les faudrait perdre, tout n’est-il pas à Lui ? Je n’ai donc rien à vous dire là-dessus, sinon de vous laisser à Dieu : Il saura fort bien faire de vous tout ce qui Lui plaira. Pour M., il s’étrangle et le doit toujours faire, ne suivant rien que le mouvement de Dieu, et non de la cupidité.

Je n’ai aucune assurance à vous donner : peut-être serez-vous perdue1 tout de bon, je ne suis [349] caution de rien. Vous voulez des règles et des mesures dans ce qui est fait pour faire perdre toute mesure. Laissez-vous à Dieu, et faites ce qu’Il vous fera faire. Quand je ne serais plus au monde, Dieu saurait bien vous faire tomber dans l’abîme.

Communiez le plus souvent que vous pourrez. Ne craignez point ce que vous m’avez mandé, Dieu ne le permettra jamais. Je ne suis nullement surprise de toutes les pensées que vous avez, si cela n’était pas de la sorte, vous ne mourriez jamais à vous-même. Il est bon qu’il y ait quelque chose en vous de particulier qui vous fasse perdre toute assurance.

Soyez persuadée que N. est capable de tout ; si vous avez mouvement de lui parler, il ne vous en faut point retenir par les considérations de votre raison. N. a passé des trajets qu’assurément vous ne passerez pas. Je n’ai jamais parlé à lui, mais je n’en suis pas moins savante. Il y a une manière de se connaître qui n’attend pas la découverte des personnes mêmes.

Vous voudriez être perdue et trouver des assurances dans votre perte, cela est tout à fait impossible. Il faut que tout périsse, il ne doit point y avoir de réserve pour Dieu. Vous n’êtes pas à bout de douleur et d’angoisse. Il est inutile que vous cherchiez de l’appui dans l’exemple d’autrui. Dieu ne permettra pas que vous en trouviez. Et quand vous verriez plusieurs exemples semblables au vôtre, Dieu permettra plutôt que vous crussiez toutes ces personnes dans l’illusion que de vous les laisser voir comme appui.

Laissez-vous donc sans autre soutien que la perte même où le cœur se glace par l’assurance de sa perte totale, qui sera bien autre lorsque [350] vous verrez les choses augmenter, loin de diminuer, et aller contre les idées d’état et de perfection, même dans cet état que vous vous êtes figurée selon vos vues. Plus vous avez été sage et prudente, plus vous avez eu d’égard2, plus tout vous paraîtra étrange. Je ne dis pas de vous précipiter, car je serais bien fâchée que vous prissiez de loin des idées de faire ou de ne pas faire. Mais je vous laisse à Celui qui saura bien vous faire faire Sa volonté, et après, ôter toute idée que vous l’ayez faite pour ne vous laisser voir que la nature toute pure. Et ce qui est pis, c’est que souvent l’on fait les choses comme une bête sans savoir pourquoi on les fait.

1Au féminin chez Dutoit. On appréciera la vigueur de la direction donnée.

2Avoir égard : surveiller, examiner.

 14. Communications des esprits. Souplesse sous Dieu.

Les esprits purifiés non par leur propre vertu, mais par l’abandon parfait et par le passage de leur volonté en celle de Dieu, s’écoulent les uns dans les autres, et tous ces ruisseaux ainsi mélangés se perdent dans la mer et ne font qu’une même chose avec elle. L’âme de David1 fut collée à celle de Jonathas lorsqu’il le vit, parce qu’ils se trouvèrent conformes : c’est un échantillon de la pénétration des esprits bienheureux. Il me semble que tous les Mystères du temps et de l’éternité s’éprouvent dès cette vie.

Vous verrez bientôt comme Dieu ôte à [351] l’âme toute répugnance quelque légère qu’elle soit, pour tout ce qu’Il peut ordonner d’elle, et cela à tel excès qu’elle ne voit rien de bon ou de mauvais que ce que Dieu voit pour elle. Elle n’a plus nul retour, comme elle n’a plus d’intérêt. Si elle craint plus une disposition qu’une autre, quelque étrange et pleine de misères qu’elle lui paraisse, elle vit et subsiste encore, et n’est point propre à être perdue en Dieu. Un corps mort se laisse jeter par les vagues de la mer également dans la boue ou sur le sable, dans les abîmes ou sur les rochers. Le corps vivant se défend de tout cela, et tâche avec un reste de force de gagner le rivage et d’approcher du bord ; à mesure que ses forces se perdent, il se laisse emporter au gré des ondes, mais il se laisse emporter comme malgré lui ; il a ou quelques rayons d’espérance, ou bien il est saisi de transes mortelles et accablé de désespoir. Mais sitôt qu’il est expiré, il n’a plus aucune de ces choses, ni crainte, ni désespoir, ni répugnances : il est balloté et le jouet des vagues ; cependant il n’a aucun intérêt pour soi, quel qu’il puisse être ; il en est incapable. Et si l’âme est bienheureuse, ne voit-elle pas avec plaisir son corps être le jouet des ondes, comme elle a été le jouet de la Providence ? C’est la fortune d’un homme abandonné à Dieu que d’être de cette sorte le jouet de la Providence.

Je vous dis ceci, car c’est à quoi vous êtes particulièrement destiné, à cette souplesse infinie sous la main de Dieu. Il vous jettera quelquefois dans la boue, d’autres fois Il vous mettra sur le sable ; et lorsqu’il vous paraîtra être arrivé au port, de cette même main, comme une vague, Il vous enfoncera dans le plus profond [352] de Lui-même2, et tout cela sans que vous changiez de situation.

Regardez-vous donc comme une personne qui n’est plus à soi, et qui étant achetée d’un grand prix, est dans l’absolue disposition de celui qui l’a acquise. Votre affaire est de vous laisser en la main de Dieu : qu’Il sauve ou qu’Il perde, qu’Il tue s’Il veut, qu’importe ? Ô M[onsieur], que j’embrasse de tous les bras de mon cœur, soyez à Dieu de cette sorte, et avec tant de dégagement pour vous-même, qu’à quelque état qu’Il permette que vous soyez réduit, vous ne tâchiez pas d’y apporter de remède. Ne vous regardez pas même, mais portant les intérêts de mon Dieu et de Sa volonté souveraine, entrez dans Son parti contre vous-même : frappez ce qu’Il frappera, laissez tout enlever sans exception. Qu’Il profane, s’Il veut, Son lieu saint, qu’Il détruise les sabbats, qu’Il renverse les autels, qu’Il y mette la désolation ; tout cela ne vous touche plus. Plus vous serez appauvri, couvert de boue en apparence, et plus vous serez bien, supposé l’entière désappropriation et la perte de tout intérêt. Vous verrez que le ver est fait pour la boue, et non pour être dans des lieux ornés, qu’il trouve là son centre et son repos. Et à mesure que la suprême partie de nous-mêmes est abîmée en Dieu et y trouve son parfait repos, ce qui est de nous en nous, ou plutôt ce qui appartient proprement à l’homme, trouve le sien 3 dans la misère et la faiblesse. Il n’y a que l’expérience qui puisse parfaitement instruire de ceci.

1I Rois 18, 1.

2Peut-être : de vous-même. (Dutoit).

3 II Cor. 4, 7-12, 9-10.

 15. De la perte en Dieu.

 A L’AUTEUR :

Je suis comme une personne bannie de son pays, qui ne sait ni où elle est, ni où elle va, et à quoi aboutira la vie qu’elle mène, et qui néanmoins ne s’inquiète de rien et va au jour la journée, persuadée qu’elle perd son temps, et qui passe par-dessus tout, et est contente, gaie et libre plus qu’elle n’a jamais été. Mes fautes mêmes ne peuvent me toucher, quoique tout le monde les voie, et que je sois presque toujours convaincue que mon état n’est point ce que l’on pense ; que je suis sortie de ma voie par ma faute, pour n’avoir pas assez rempli chaque degré, et pour avoir trop peu nourri mon âme, n’avoir pas fait toutes mes actions, mes lectures, mes oraisons et communions avec assez de préparation, c’est-à-dire avoir suivi ma vivacité, et m’y être laissée emporter; et qu’enfin mon état est tout naturel ; que je ferais bien de me soumettre à recommencer et à reprendre mes règles pour toute ma journée et de m’y attacher malgré ma répugnance, qui n’est peut-être que naturelle, - le néant et la cessation de toutes choses que j’aime, et où je retombe toujours pour tout exercice, n’étant qu’inutilité en moi. Je me persuade que, si mon état est de Dieu, mes forces diminueront encore : car souvent je ne laisse pas d’avoir une paix ou calme aperçu ; souvent aussi il n’y a que l’égarement et la distraction.

REPONSE :

 [354] Vous dites bien que vous êtes comme une personne bannie de son pays, car le dessein de Dieu est de vous chasser de chez vous, où vous avez toujours demeuré d’une manière tranquille et paisible dans un fond vaste : il faut perdre toute demeure et être bannie de tous les êtres pour entrer dans le parfait néant. Si Dieu a de plus grands desseins sur votre âme, vous verrez par les pertes infinies qu’Il vous fera faire, combien vous êtes éloignée du parfait dénuement ; et ce que vous nommez perte et dureté, vous paraîtra un grand salut au prix de ce qu’il vous faudra éprouver. Dieu est impitoyable : ce que la guerre laisse, la famine le tue ; ce que la famine a laissé, est détruit par la peste ; et le feu consume ce que ces trois fléaux ont épargné. Voyez combien il y a encore à perdre avant que d’être perdue en votre être original.

Si vous croyiez que votre état fût bon, ce serait un grand soutien : il faut perdre toute confiance que cela soit. Je ne voudrais ni vous assurer, ni que vous fussiez assurée de n’avoir pas perdu votre voie et de ne l’avoir pas perdu par votre faute. Si vous ne perdiez jamais votre voie, comment vous égarer et vous perdre ? Celui qui se perd, ne se perd que parce qu’il s’égare et s’écarte de la route ordinaire qu’il ne peut plus retrouver.  S’il marchait un chemin battu [355] et connu, quand il ne le serait que de lui seul, il ne s’égarerait jamais. Perdez donc toute voie, tout sentier, et n’en trouvez plus. Vous avez jusqu’à présent possédé votre voie, quoique d’une manière fort simple ; il faut à présent vous égarer pour vous perdre. Mais comment vous perdre ? Peut-être d’une manière toute divine, qui charme l’âme et l’enlève ? C’est tout le contraire : toutes ces assurances vous soutiendraient sur l’eau, et vous empêcheraient de tomber dans le fond de la mer où vous devez trouver tout votre bonheur. Il faut vous perdre dans la perte même, dans un précipice autant affreux qu’il est inconnu.

Comment recommencer une voie que l’on ne possède plus ? On est égaré, il est aussi difficile de trouver le commencement que la fin. Il ne faut plus penser à reprendre une voie, mais à marcher errant et vagabond dans le désert tant qu’il plaira à Dieu nous y laisser. Que si nous mourons en chemin, qu’importe ? Dieu sera glorifié de notre défaite. Si nous trouvons un abîme, et que nous tombons dedans sans trouver de main favorable pour nous en tirer, à la bonne heure : nous en serons plus tôt perdus. Il ne faut non plus se soucier de soi-même que d’un chien mort, ni de toutes les créatures. Dieu suffit à Lui-même, c’est assez. Notre intérêt n’est rien.

Oubliez-vous le plus que vous pourrez, et si vous tombez dans l’abîme, ne le regardez pas pour avoir compassion de vous-même. Je n’en aurai point non plus, je vous assure ; au contraire, comme cruelle, je me rirai de votre perte, votre égarement fera mon plaisir. Dieu semblera rire de vous, comme Il fait des pécheurs. [356] Oh ! que cela sera grand si cela vous contente ! comme il plaît infiniment à Dieu ! Dieu dissimule, pour ainsi dire, que cela Lui plaît, Il semble même S’irriter quelquefois. Tout cela ne doit point faire reculer : il faut demeurer dans l’abîme jusqu’à ce que Dieu en tire Lui-même. Vous avez raison de croire que vos forces diminueront encore. Soyez persuadée que la perte n’est qu’à peine commencée.

Je prie Celui qui m’a fait vous écrire cela de vous le mettre dans le cœur,  vous donnant le courage qui vous est nécessaire pour vous perdre autant qu’Il le désire.

16. Perte totale, source de tout bien.

J’ai beaucoup de joie lorsque je reçois de vos nouvelles, parce que vous m’êtes chère en Notre-Seigneur, et vous la serez d’autant plus que vous vous perdrez davantage. Il est vrai que je ne le puis assez dire, qu’il se trouve peu d’âmes qui veulent bien se perdre sans ressources et entrer dans l’abîme sans fond avec un courage infini. C’est là où il n’y a plus de vue de récompense, puisqu’il n’y a plus qu’une assurance de perte totale sans rien qui puisse paraître de Dieu. C’est bien en se perdant que l’on sert Dieu pour Lui-même, et sans aucune vue de récompense, puisqu’il n’y a plus de propre intérêt et que l’on ne pense non plus à soi-même, pour le temps ni pour l’éternité, que si l’on n’était pas au monde. [357]

O heureuse perte, tu apportes tout bien ! Mais où te trouvera-t-on ? Hélas ! que tu es rare ! Je ne vois de tous côtés que des gens qui s’éloignent de toi et qui te regardent avec horreur, comme si tu devais leur apporter tous les maux, ignorant que tu es la source de tous biens, mais biens qu’ils ne trouveront jamais en eux-mêmes. Ils ne les trouveront qu’en Jésus-Christ, s’y perdant sans ressources, et après s’être perdus sans espoir, mais perdus dans la perte même.

J’avoue, N., que l’abîme dans toute son étendue est encore loin. Vous êtes cependant sur le bord de l’abîme, et déjà sur le penchant du précipice. Perdez-vous y sans retour, perdez-vous. Oh ! que si vous aviez assez de cœur  pour vous y jeter comme une folle ! Mais patience ! Perdez-vous donc peu à peu, puisque les choses sont disposées de la sorte. Souffrez, soutenez, mourez par les agonies effroyables qui vous sont préparées de toutes manières. Ne faites non plus d’état de votre âme, de votre corps, de votre santé, de votre propre salut, du temps et de l’éternité que d’un moucheron. 

Mais que dis-je? Ne fais-je point un blasphème ? Non. Courage ! Dévorez, consumez. Perte, perte sans vue, sans retour, sans s’effrayer des folies de l’imagination, des désirs qui semblent venir du cœur, et de mille autres choses. Vous ne serez jamais mieux que lorsque vous croirez être absolument mal. Mais à quoi cela aboutira-t-il ? A l’abîme, à la perte, et perte sans ressource. Mais cela est horrible à penser ! Il le sera bien plus à dévorer. Ne vous épargnez donc pas, et ne dites pas : « Je pouvais éviter cela. » Vous ne l’avez évité que trop, puisqu’il [358] y a longtemps que vous avez été arrêtée en vous-même sous bons prétextes. Et vous y seriez peut-être restée toute votre vie, si Dieu n’avait pris soin de vous envoyer quelqu’un pour vous en tirer. Oh ! que vous étiez bien chez vous pour vous ! L’ordre et la paix y étaient admirables. Mais que vous y étiez mal pour Dieu, qui était privé de Son plaisir lorsqu’Il vous comblait de plaisirs ! Ne vous mettez non plus en peine des fautes que vous voyez dans les autres que de celles que vous faites vous-même. Laissez tout tel qu’il est.

Vous éprouverez souvent de pareilles angoisses à celles que vous avez souffertes. Mais courage ! Le temps de la mort est venu : il faut mourir sans miséricorde. Mourez par tout ce qui se présente à chaque moment, quel qu’il soit, sans vouloir ni ajouter ni réfléchir sur quoi que ce soit. Dieu saura vous faire des morts proportionnées à ce que vous êtes. Vous ne mourrez point selon vos vues, mais selon la volonté de  Dieu, et Ses desseins éternels. Vous verrez que Dieu agira en maître, et qu’Il vous fera entrer peu à peu dans ce qu’Il veut de vous. Courage sans courage ! Car la mort est longue, ennuyeuse et angoissante pour les sens.

Prenez les petits soulagements nécessaires pour votre santé. Oubliez-vous profondément, devenez cruelle sur vous-même. Il est temps de témoigner à Dieu votre amour. Vous L’avez aimé en vous, en goûtant  l’amour : il faut L’aimer en Lui, sans goûter l’amour, dans la perte de toutes choses. Ô heureuse mort qui produit une si divine vie ! Ô heureuse perte qui opère un tel salut, non en nous, mais en Dieu ! Ô heureux néant qui donne le Tout. Mais que [359] dis-je ? Perte, mort, néant qui fait passer dans le Tout immuable, et change ce rien en Son Tout, sans qu’il cesse d’être rien: Dieu lui tient lieu de tout, sans y rien prendre pour soi. Dieu Se suffit à Lui-même, et c’est assez.

 17. Règne du pur amour.

Ô Amour! Jusqu’à ce que l’âme soit en la main de Dieu comme un chiffon serait en la main d’une personne pour se laisser tourner, mener, salir, et blanchir, elle n’a point le pur amour et l’abandon parfait. Tant qu’elle a quelque réserve, quelque reste de ménagement, pour petit puisse-t-il être, l’amour pur n’est point satisfait. Ô Amour, je commence de comprendre et de connaître, du milieu du profond abîme de boue où je suis descendue, quel est votre règne parfait.

Dieu n’est point parfaitement souverain, si, au moindre signal, l’âme ne se précipite sans ordre ni raison dans Son bon plaisir. Ici, il n’est plus question d’un commandement, d’une force, d’un entraînement puissant, il suffit du moindre signal. Oh ! afin qu’une âme ait cette souplesse et cette suprême indifférence, et cette égalité parfaite à suivre sans aucune réserve tous les premiers mouvements de la grâce, les plus légers et imperceptibles, par quels étranges renversements et précipices la faites-vous passer ! Je comprends, ô mon Amour-Dieu, que c’est pour cette seule chose que vous faites passer de si [360] étranges états. On est longtemps dans la disposition de tout cela hors de l’état, mais sitôt que l’état est arrivé, qu’il est réel ! Oh ! l’on se défend, l’on ne s’y laisse aller que le plus tard que l’on peut, et après s’être défendu ! Mais où trouve-t-on des âmes qui ne résistent plus ?

Ô Amour ! c’est ainsi que vous me voulez ; vous me le faites assez entendre par votre langage muet. C’est à cette seule chose que vous me destinez. Ô loi, ô oraison, ô vertu, ô méthode, ô prudence, ô sagesse, ô soin pour Dieu, pour les créatures, ou pour soi, vous n’êtes plus de saison pour cette âme ! Ô Amour, achève et fais tout sans résistance ! Oh ! qu’il me semble que tu es bien véritablement le maître en cette maison qui commence à être tienne ! Oh ! si je pouvais dire ce que je conçois de ton véritable honneur, de ta véritable gloire ! Mais je ne serais pas comprise ni entendue. Que les autres fassent ce qu’ils voudront ; pour moi, tout mon bien est de laisser régner Dieu.

Ô mon Dieu, il me semble que c’est à présent que je Vous aime, ou plutôt que l’Amour-Dieu est Dieu souverainement. Oh ! non, non, je ne puis ne pas avoir cet amour pur, sans bornes ni limites ! Oh ! non plus de résistance, d’hésitation, de défiance, ni de défense ! Ô Amour maître, Amour souverain. Je ne puis l’expliquer, mais il est aussi réel [qu’il est réel] que j’ai un être, que cet Amour est tellement étendu dans toutes ses parties par cet abandon total, non d’actes, mais d’action et d’effet, que je ne le puis exprimer. Oh ! la créature n’a pas ce pur amour, si elle n’en suit à l’aveugle le plus simple et léger mouvement !

 18. Agrément de l’abjection.

[361] Je ne puis vous expliquer l’abîme d’abjection où je suis, et quelque chose en moi en crie : « Encore plus ! ». Quoique ce renfoncement soit extrême, je ne puis rien exprimer là-dessus, car cet état encore ne dit point comme ces âmes sont, qui veulent l’abjection et la croix avec courage et comme quelque chose de glorieux. Mais c’est d’une manière terrassée comme un morceau qui m’est propre, comme, si vous voulez, les damnés dirent 1 : Montagnes, écrasez-nous. Ce n’est pas cela encore, car c’est quelque chose de plus abject que l’abjection, mais plus paisible que la paix même. Quand vous avez dit à la messe2 : Je suis un ver et non un homme, mais l’opprobre des hommes, c’était, ce me semble, mon endroit. Je me suis mise en repos, en posture d’oraison, et il m’est venu dans l’esprit comme si Notre-Seigneur me disait : « Je ne veux plus que tu te justifies, mais Je veux que l’on croie, et que tu laisses croire, tout ce que l’on voudra de toi, sans dire un mot ». Et il m’est venu plusieurs fois ces paroles3 : Vous serez tous scandalisés en moi.

1Apoc. 6, 16.

2Ps. 21, 7.

3Marc, 14, 27.

 19. Abandonnement, etc.

Oh ! comment pourrais-je exprimer l’état où je me trouve1 ? Quelque chose en moi [362] voudrait crier de toutes ses forces, mais la voix est arrachée, et il ne se trouverait personne pour entendre ces cris. Cette créature pleure et se lamente  sans pouvoir dire ni connaître ce qui la réduit à cet état, car elle ne voit ni n’aperçoit nulle cause de sa peine. Et elle ne peut pas dire même que ce soit peine, parce qu’il y a une distance quasi infinie entre l’esprit et cette partie abandonnée, et quoique la douleur soit extrême, il semble qu’elle me soit étrangère. Le corps brisé et moulu ne demanderait que la terre, ou du moins un lieu de repos, mais il ne lui est pas accordé ; et cette nature abandonnée d’une manière indicible regarde comme une insensée de tous côtés, d’où pourrait lui venir du secours, sans qu’elle en puisse demander pour peu que ce soit, ni même en désirer.

Mais loin d’en trouver du côté du ciel, qui est fermé pour elle, et qu’elle n’ose même envisager, ni du côté de l’Esprit, -c’est que cet Esprit est bandé contre elle d’une manière qui ne se peut comprendre, et s’Il pouvait ou la plaindre ou la regarder, ce serait avec indignation de ce qu’elle n’a pas assez de maux ; non qu’Il lui souhaite des maux et des peines pour la purifier, car il n’y peut penser ; mais la voyant livrée, Il ne saurait s’en soucier ni l’envisager, mais la laisser comme une chose qui ne Le touche pas - cependant cette créature crie, se lamente et ne sait que faire, parce qu’elle ne trouve personne qui ait pitié de son mal et veuille la soulager : elle ne peut même penser au soulagement.

Elle ne peut ni ne doit espérer la fin de ses souffrances, elle se désespère de ce qu’elles ne sont pas plus extrêmes : leur augmentation serait un rafraîchissement qu’elle demandait autrefois ; [363] mais elle n’ose ni l’espérer ni le prétendre : c’est une grâce dont elle est indigne et dont elle se voit rejetée. Oh ! tout ce qui sert pour punir et les plus misérables et les plus criminels n’est pas pour cette créature abandonnée et bannie de tout refuge ! On ne saurait croire comme tout ce qui serait le plus cruel et le plus extrême serait un refuge pour cette créature, si on voulait la recevoir. Mais ce n’est pas pour elle. Ô Seigneur, Vous avez créé l’abîme pour les démons, et les démons seraient infiniment plus malheureux qu’ils ne sont s’ils ne le trouvaient pas ; et il m’est aisé de comprendre que ce lieu infiniment cruel, étant ordonné pour les recevoir, est pour eux un lieu de miséricorde, parce que s’ils ne le trouvaient pas, ils seraient bien plus à plaindre.

1S’agit-il de la nuit mystique ? Cette série de lettres nous semble antérieure ou située au début de la rencontre avec le Père Lacombe. Le style ressemble à des pages écrites par la jeune Madame Guyon (A.S.S., ms. 2057).

 20. état d’une âme perdue en Dieu.

Le livre que je vous envoie, surtout le 13e chapitre, me paraît très conforme à l’état que j’ai passé il y a déjà longtemps. Cette pensée ne peut subsister en moi par réflexion, à cause qu’il met cet état si relevé que je ne sais que dire. Cependant mon expérience me fait voir qu’il y en a encore un plus simple, plus nu, plus rien, plus Dieu. Notre-Seigneur me donna, il y a longues années, cette expérience de l’amour sans connaissance, en sorte que j’aimais sans vue, ni raison, ni motif d’aimer ; et mon amour était plutôt, comme il l’exprime bien, un serrement, et un embrassement du centre le plus profond, qui se sentait sans sentir, embrasser et posséder1. Lorsque je dis sentir, c’est pour faire comprendre que rien ne se passait dans les sentiments, mais dans une expérience intime, réelle et très profonde.

L’état que je porte2, autant que je le puis comprendre selon la vue présente qui m’en est donnée, est très différent de celui-là. L’âme n’est plus ni serrée ni possédée, ni même ne possède, ni ne jouit ; elle ne peut faire nulle différence de Dieu et d’elle, rien voir en Dieu, rien posséder, rien distinguer : Dieu est elle, et elle est Dieu, en sorte que c’est comme la vie naturelle, sans amour, sans connaissance, sans que la volonté puisse se tourner de côté ni d’autre, ni vers aucune chose créée pour les vouloir désirer, ou goûter, ni vers Dieu même qu’elle ne trouve plus. Elle ne peut ni s’élever vers Lui, ni s’abaisser, ni se joindre. [365] Mais elle est non seulement comme s’il n’y avait que Dieu et elle, ce n’est point cela, mais comme si Dieu était seul, car elle est si éloignée de penser de Dieu, de goûter Dieu, d’avoir de la reconnaissance, de désirer rien ni pour Lui ni pour elle, que cela ne se peut dire.

Autrefois, elle était insensible aux peines dans les temps de jouissance à cause de la profonde paix qu’elle goûtait, qui lui durait longtemps, et aussi aux faiblesses mêmes. Mais ici, ce qui la rend insensible, est qu’elle l’est pour tout, aussi bien pour Dieu comme pour tout le reste, pour tous ses intérêts, qu’elle ne distingue jamais s’ils ne lui sont montrés par quelqu’un. Elle est comme une chose qui ne se peut exprimer, tant pour le créé que pour l’incréé. Et il semble quelquefois que les grâces viennent comme chatouiller la partie propre, qui est dans un fort grand éloignement, mais la volonté  reste en ce qu’elle est : l’âme ne peut distinguer ni la nature ni la grâce, ne sachant si la grâce est devenue naturelle, ou si la nature est devenue grâce. Mais lorsque certaines faveurs viennent qui semblent revivifier cette nature, elle paraît alors dans un étage bas et éloigné ; mais pour l’ordinaire, il n’y a nulle distinction.

Je cherche dans les livres, et je ne trouve rien pour moi, ni qui exprime, non ce que je sens, mais ce que je ne sens pas. Cela m’étonnerait, si je pouvais ou douter ou être étonnée ou être incertaine, mais tout cela est bien éloigné de ceci. Je trouve seulement une chose, qui est que, lorsque je me vois abandonnée de toutes créatures, la nature ou la grâce veut pour un instant s’en réjouir ; mais toute joie est ôtée aussi bien que toute tristesse : l’âme ne [366] correspond ni à l’une ni à l’autre, et ne peut qu’être immobile, soit que vous la laissiez ou non.

Il me semble cependant que Dieu veut que je vous dise tout, et je le fais sans me mettre en peine du succès. Si je vous ai celé quelque chose sur ce qui regarde les autres, c’est l’appréhension de blesser la charité, non que j’ai cette vue actuelle, mais c’est que je crois facilement le bien des autres, et j’oublie presque tout. Cet oubli incommode le prochain humain, à qui peut-être je ne rends pas les devoirs civils et humains, mais je ne puis faire autrement.

Tout intérêt est tellement ôté de mon âme, que si on pouvait comprendre cela, on l’estimerait folie ou bêtise. Si je pouvais le voir ou discerner ou craindre, j’aurais lieu de le croire mauvais, mais je ne puis faire tout cela. Je n’ai plus de scrupules. Et si je veux réfléchir, je ne trouve que cela qui me fasse sortir de mon état et qui me nuise. Tout le reste ne me donne aucun reproche, non plus que si je n’avais point de conscience. Je suis toute bête, et ne puis ni penser ni savoir les raisons de ce qui me concerne, à moins qu’elles ne me fussent données. Il faut demeurer telle que je suis.

1ou : embrassée et possédée ? cf. paragraphe suivant : L’âme ne peut faire aucune différence de Dieu et d’elle.

2Admirable description qui conclut le contenu spirituel de cette série de lettres (la 21e étant une conclusion donnée en forme de « mode d’emploi »). On peut rapprocher cette description du dernier état constant livré dans certaines pages de la Relation de 1654 de Marie de l’Incarnation (du Canada). Il faut reconnaître ici plus de sobriété.

 21. Usage des écrits intérieurs.

Ou conclusion de tous les écrits de Mme G[uyon].

Si jamais ces écrits tombent entre les mains de quelqu’un devant ou après ma mort, je [367] le prie de ne point les examiner scrupuleusement, mais d’en tirer le fruit que Dieu prétend, soit par Son onction, soit pour instruire et animer à l’amour divin. Si on lit quelque chose qu’on [n']entend pas, et qu’on travaille à mourir à soi-même, Dieu en donnera l’intelligence lorsqu’on sera plus avancé. Chacun y peut trouver quelque nourriture selon son degré, laissant ce qui le passe sans vouloir anticiper la lumière, l’attendant humblement de la bonté de Dieu.

Si on les lit de cette manière, ils ne nuiront à personne et serviront à beaucoup ; et Dieu, par cet humble procédé, donnera la lumière pour les comprendre. Ou du moins ils béniront Dieu de ce qu’Il a départi Ses faveurs aux hommes avec tant de profusion ; ils travailleront courageusement à se renoncer et à mourir à eux-mêmes, afin de se rendre dignes par là des communications divines.

Que si Dieu ne leur donne rien, ils se complairont dans le bon plaisir de Dieu qui dispense Ses faveurs comme il Lui plaît ; et alors ils auront tout croyant ne rien avoir : ils supporteront leurs misères avec petitesse, se perdant sans cesse dans la volonté de Dieu et dans Son ordre divin, se tenant volontiers dans leur néant, attendant plus de la bonté divine que de leur travail, sans cesser de travailler néanmoins à la mort à toutes choses tant intérieures qu’extérieures, recevant également de la main de Dieu ce qui les crucifie et vivifie, s’accoutumant à perdre sans cesse toute volonté propre dans celle de Dieu, chérissant les croix que Sa Providence envoie comme le plus grand des biens et la plus éminente faveur.

Qu’ils soient persuadés qu’on n’obtient rien [368] que par un renoncement continuel, une mort à toute chose et une conformité entière à Jésus-Christ, qui a été dans les travaux dès sa jeunesse1, qui a choisi la croix plutôt que la joie2, qui assure qu’il est écrit qu’Il fera la volonté de Dieu. C’est par ces choses qu’on Lui devient conforme suivant Ses maximes évangéliques, et par un pur et parfait amour soumis à tous les ordres de la Providence. C’est où il n’y peut avoir de tromperie ; il y en peut avoir dans tout ce que nous choisissons, mais non dans l’obéissance à Dieu, la pauvreté d’esprit, le renoncement continuel, la croix et la mort à toute chose. Je crois qu’on n’y trouvera rien qui ne se trouve dans les saints Pères et les saints  Docteurs mystiques. Je prie Dieu de donner l’intelligence  aux petits.

1Cf. Ps. 87, 16 : « Je suis pauvre et dans les travaux dès ma jeunesse, et après avoir été élevé j’ai été humilié et rempli de trouble. » (Sacy).

2Cf. Hébr. 12, 2.

 

 







ANNEXES





EDITION DE BERLEBOURG 1742

comportant 488 pages



Page de titre :

« LE DIRECTEUR / MISTIQUE / ou / EXTRAIT / des ŒUVRES SPIRITUELLES / de Monsr. BERTOT./

Ami intime de feu Mr. BERNIERS / & Directeur de Mad. GUION./

Tiré des Quatre Volumes / de ces mêmes Œuvres de Mr. Bertot.

Imprimé à Cologne 1726.

- - - - - - -- - - - - - - - - - - -

à Berlebourg, / Imprimé par Christoffle Michel Regelein. / 1742 »



Contenu comparé au DM

Avertissement

Discours 1 à 5 soit = DM I II II IV (V & VI absents) VII (VIII à XII absents)

Lettres 1 à 27 soit DM 1 à 6 = III 29 32 36 45 56 58 ;

7 à 19 = II 66 31 48 46 43 35 36 45 59 63 61 64 65

20 à 30= III 5 15 16 48 53 61 62etLA 69etLA 70etLA 64 59

Quelques lettres spirituelles de Mad. Guion 1 à 14etLA 15 à 22 = sans correspondance = vérifier !

Addition. Conseils de la sœur Marie des Valées

[ « LA » pour« lettre à l’auteur »]



SOURCES

D. Tronc

www.cheminsmystiques.com

&

Base personnelle

.../ ED_txt / 47. & 48. BERTOT/...

.../ MYS_17 / 17s. / BERTOT/...



Bibliothèque municipale de Lyon :

(Reprise de la Bibliothèque Jésuite de Chantilly)

https://catalogue.bm-lyon.fr/search/8be779e7-6348-40fc-acf7-29563802da5d

Conclusion des retraites, ou il est traité des degrez , & des états differens de l'oraison, & des moyens de s'y perfectionner [Livre]

Auteur : Bertot, Jacques, (1620-1681) [4]

Éditeur : A Paris (chez Jean François Dubois), 1684

Diverses retraites. Où une ame après avoir conneu son desordre par la lumiere du Sainct Esprit, se resoud à le quitter, & embrasser le chemin de la saincte perfection [Livre]

Auteur : Bertot, Jacques, (1620-1681) [4]

Éditeur : A Paris (pour Madame l'Abesse de Montmartre), [après 1661] / Date : 1662

Continuation des retraites, dans lesquelles l'ame puisera des lumieres pour travailler solidement à sa perfection. De plus les degrez d'oraison sont expliquez pour une plus grande facilité à faire ...

Auteur : Bertot, Jacques, (1620-1681) [4]

Éditeur : Paris (pour Madame l'abesse de Montmartre), [après 1661] / Date : 1600



Google books :

Directeur mistique tome 1, 1726 :

https://books.google.fr/books?id=8vA8AAAAcAAJ&pg=PP5&lpg=PP5&dq=bertot+directeur&source=bl&ots=2tNpjQeEHT&sig=s8RCyGZfEB3xesYkYl0Yw0Lo3Aw&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjkrNHpuK7QAhWDRhQKHVt_DJgQ6AEIRDAI#v=onepage&q=bertot%20directeur&f=false

Tome 2, 1726 :

https://books.google.com.pk/books?id=_fA8AAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Bibliotheque cant. et univ. De Lausanne :

Le directeur mistique ou Les oeuvres spirituelles de Monsr. Bertot...: avec un recueil de lettres spirituelles tant de plusieurs auteurs anonimes, que du R.P. Maur de l'Enfant JesusLe directeur mistique ou Les oeuvres spirituelles de Monsr. Bertot...: avec un recueil de lettres spirituelles tant de plusieurs auteurs anonimes, que du R.P. Maur de l'Enfant Jesus

Tome 3, 1726 :

https://books.google.com.pk/books?id=D_E8AAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Tome 4, 1726 :

https://books.google.com.pk/books?id=nfQ8AAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Le choix effectué dans le Directeur mistique et édité à Berlebourg en 1746 :

https://books.google.fr/books?id=TIlDAAAAcAAJ&pg=PA1&lpg=PA1&dq=bertot+directeur&source=bl&ots=P3B4ohOJuI&sig=FcQs_EeN-ncbOJZ0BqXE-4NeUWg&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjkrNHpuK7QAhWDRhQKHVt_DJgQ6AEIQTAH#v=onepage&q=bertot%20directeur&f=false





MONSIEUR BERTOT, DIRECTEUR MYSTIQUE 2005

1. Une « école » des mystiques

Avant d’aborder la biographie de Jacques Bertot, évoquons le milieu spirituel dans lequel il occupe une place centrale, autant d’un point de vue chronologique (le pic de son activité se situe peu après le milieu du siècle) que par son rôle de passeur entre deux localisations géographiques (la Normandie et Paris).

Ce milieu a laissé relativement peu de traces en dehors des écrits restés confidentiels de ses membres et de condamnations affectant certains d’entre eux354. « École de spiritualité » selon une appellation érudite souvent utilisée ? Il s’agit plutôt d’un réseau d’amitiés : les mystiques se reconnaissent entre eux, s’aident mutuellement ; les ainés guident les plus jeunes. Ce réseau est remarquable par le rôle décisif joué par des laïcs : Jean de Bernières gagne sa vie grâce à la recette des impôts, le baron de Renty est actif dans les œuvres. Une formation mystique commune assure la continuité de « l’enseignement », dont les écrits ne sont qu’un reflet. Une forte exigence intérieure les relie, et un vocabulaire commun. Ne s’identifiant à aucun ordre religieux tels que capucins, sulpiciens, jésuites, etc., encore que l’on puisse reconnaître une forte empreinte franciscaine, ce réseau n’a pas été étudié dans son ensemble parce qu’il ne forme pas une « famille » aux contours extérieurs visibles, même si des monographies mettent en valeur quelques-unes de ses belles figures.

La part qui est consacrée à « Monsieur Bertot » dans les histoires de la spiritualité demeure donc pour l’instant modeste en comparaison des écoles françaises liées à des ordres vivants aujourd’hui et qui s’intéressent à leurs origines. Quelques auteurs ont cependant relevé la filiation reliant Bernières à Bertot, puis Bertot à Madame Guyon : P. Pourrat, I. Noye dans une étude approfondie sur le thème de l’Enfance si chère à Madame Guyon, J. Le Brun en présentant les écoles de spiritualité françaises du grand siècle355. Nous avons récemment présenté la filiation qui relie Jean-Chrysostome de saint-Lô à Bernières, ce dernier à Bertot…356.

Le Père Jean-Chrysostome de saint-Lô (1594-1646) fut en effet l’initiateur de ce courant : franciscain du tiers-ordre régulier, il demeura dans l’ombre, tout comme Monsieur Bertot, mais on ne saurait en sous-estimer l’importance : il est celui vers lequel tous ceux de la « première génération » se tournent avant de prendre une décision importante. Nous ne pouvons ici que passer sur cette figure essentielle et auteur non négligeable. Jean de Bernières témoigne ainsi de la direction de celui qu’il considère comme son Père spirituel :

[…] ce me serait grande consolation que […] nous puissions parler de ce que nous avons ouï dire à notre bon Père […] puisque Dieu nous a si étroitement unis que de nous faire enfants d’un même Père […] Savez-vous bien que son seul souvenir remet mon âme dans la présence de Dieu357 ?

Jean de Bernières, né en 1602 d’un trésorier général de France, mena une vie laïque, sensible à l’amitié, insensible aux différences sociales, payant de sa personne lorsque maladie et misère sont en cause, désirant la pauvreté, demeurant humain dans la peur de la mort. Il fut ferme dans ses convictions et lorsqu’on attaque ses amis, il les défend avec énergie : quand le grand archidiacre d’Evreux, Boudon, victime d’une conjuration, est menacé d’interdiction, Jean déclare à la cohorte ennemie que Boudon aura toujours un refuge en sa maison, et que lui, Jean, « se trouverait heureux d’être calomnié et persécuté pour lui »358.

De concert avec Gaston de Renty (1611-1649), autre mystique laïc, grand Seigneur qui passa des armes et des sciences à l’exercice de la charité359, Bernières contribua à la fondation d’hôpitaux, de couvents, de missions et de séminaires. Boudon, devenu son biographe indique qu’il « paye de sa personne, car il va chercher luimême les malades dans leurs pauvres maisons, pour les conduire à l’hôpital. » Il « porte sur son dos les indigents qui ne peuvent pas marcher jusqu’à l’hospice […] il lui faut traverser les principales rues de la ville : les gens du siècle en rient autour de lui »360.

« Directeur des directeurs de conscience » selon Souriau, il parle avec humour d’un « hôpital » un peu particulier qu’il crée sur ordre de Chrysostome pour accueillir des hôtes de passage :

Il m’a pris un désir de nommer l’Ermitage l’hôpital des Incurables, et de n’y loger avec moi que des pauvres spirituels […] Il y a à Paris un hôpital des Incurables pour le corps, et le nôtre sera pour les âmes361. Je vous conjure, quand vous irez en Bretagne, de venir me voir ; j’ai une petite chambre que je vous garde : vous y vivrez si solitaire que vous voudrez ; nous chercherons tous deux ensemble le trésor caché dans le champ, c’est-à-dire l’oraison362.

Nous vivons ici en grand repos, liberté, gaieté et obscurité, étant inconnus du monde, et ne nous connaissant pas nous-mêmes. Nous allons vers Dieu sans réflexion […] Je connais clairement que l’établissement de l’Ermitage est par ordre de Dieu, et notre bon Père [Chrysostome] ne l’a pas fait bâtir par hasard ; la grâce d’oraison s’y communique facilement à ceux qui y demeurent, et on ne peut dire comment cela se fait, sinon que Dieu le fait363.

Ces derniers fragments évoquent l’atmosphère recueillie, ouverte et libre en même temps, certainement appréciée par le jeune Bertot.

Bernières animait un large cercle sous la direction attentive du Père Chrysostome : parmi eux, M. de Gavrus fonda l’hôpital général de Caen ; Boudon deviendra l’archidiacre « persécuté » d’Evreux, écrivain abondant auquel nous devons de précieuses informations ; Lambert de la Motte (Mgr de Béryte) fut l’un des premiers évêques de la Chine.

L’influence de ce cercle s’étendit au Canada, dans la mesure où Bernières facilita le départ de Marie de l’Incarnation (1599-1672), de Dieppe à Québec, par la flotte de printemps, en 1639 ; la grande mystique animera la communauté ursuline du Québec tandis que Bernières restera son correspondant préféré (avec le Fils de cette dernière, dom Claude Martin), mais les longues lettres « de quinze ou seize pages » qu’il lui écrivit sont perdues.

En France, Catherine de Bar devenue mère Mectilde du saintSacrement, appréciée de Madame Guyon 364, fonda les bénédictines de l’Adoration perpétuelle du très saint Sacrement à Paris ; elles essaimeront en Lorraine, le pays d’origine de leur fondatrice, puis jusqu’en Pologne 365. Elle se lia à Bernières et ils demeureront en correspondance. Elle passa environ un an au monastère de Montmartre et au moins trois années à Caen 13366.

Jean de Bernières sera influent à Paris par l’intermédiaire du jeune confesseur Jacques Bertot. Ce dernier aura une influence déterminante sur Madame Guyon.

Nous présentons à la fin de ce volume, en deux annexes et trois tableaux, un grand nombre de figures appartenant à cette « école » des mystiques. L’Annexe I présente une table synchronique. Elle fait apparaître les recouvrements chronologiques entre des spirituels d’orientation mystique, condition d’une influence d’aîné à cadet. L’Annexe II présente l’école « quiétiste » par ses principales figures, incluant celles de l’annexe précédente. Elles influèrent ou furent tributaires de l’influence directe et indirecte de Bertot. Plus de deux siècles s’écoulent entre les initiateurs, nés à la fin du XVIe siècle, figurant dans les trois premières rangées, et les figures appartenant au XIXe siècle, de la dernière rangée.

2. La vie cachée de Monsieur Bertot.

Nous disposons de très peu de renseignements sur Jacques Bertot: il semble avoir réussi à effacer toutes traces personnelles, au point qu’il a été parfois confondu avec des homonymes car ce nom est commun en pays normand (sous des orthographes diverses). Même l’année de sa mort fit l’objet de relations contradictoires comme nous le verrons367.

Un bref résumé de sa vie ainsi qu’un témoignage sur la fidélité de disciples est inclus dans l’Avertissement placé en tête des œuvres rassemblées sous le titre du « Directeur mistique » par Madame Guyon et publié quarante-cinq ans après la mort de Bertot368 :

« Monsieur Bertot… natif de Coutances369… grand ami de… Jean [5] de Bernières… s’appliqua à diriger les âmes dans plusieurs communautés de Religieuses… [à diriger] plusieurs personnes… engagées dans des charges importantes tant à la Cour qu’à la guerre… Il continua cet exercice jusqu’au temps que la providence l’attacha à la direction des Religieuses Bénédictines de l’abbaye de Montmartre proche [de] Paris, où il est resté dans cet emploi environ douze ans [6] jusqu’à sa mort… [Au] commencement de mars 1681 après une longue maladie de langueur… [7] [il fut] enterré dans l’Eglise de Montmartre au côté droit en entrant. Les personnes… ont toujours conservé un si grand respect [qu’elles] allaient souvent à son tombeau pour y offrir leurs prières.

Par ailleurs les autres sources nous renseignant sur divers événements auxquels il prit part le font apparaître successivement : comme le jeune compagnon voyageant aux côtés de son aîné Jean de Bernières, et qui s’épuise à la tâche, selon des extraits de correspondances entre religieuses ; comme un confesseur inflexible dans une chronique tardive racontant l’histoire de son premier monastère ; comme la cheville ouvrière responsable de la naissance du groupe quiétiste parisien. Si nous rassemblons la mosaïque issue de toutes ces sources370, se dessine alors la trajectoire sans éclat apparent d’un confesseur de religieuses et de laïcs. Elle le mènera de Normandie à Paris.

Il naît à Caen le 29 juillet 1622, car probablement baptisé dès le lendemain selon la coutume en cette époque de forte mortalité infantile371. En ce qui concerne les origines familiales et pour la période de jeunesse, on dispose à ce jour d’une lettre assez détaillée, mais d’elle seule. Nous la citons entièrement, dans le texte principal ou en note, répartie en plusieurs fragments :

il s’appelait Jacques Bertot natif de St Sauveur de Caen, Fils de Louis Bertot et de Judith Le Mière sa mère qui était sœur de Mr Le Mière Père de celui qui est présentement Lieutenant particulier de Mr le vicomte de Caen. Le d[it] Sr Louis Bertot était m[archan]d drappier de profession à Caen. Il quitta le négoce environ l’année 1640 vivant de son bien qui est scis [sic] en la paroisse de Tracy proche [de] Villers. Mr l’abbé Bertot était Fils unique qui étant dans les ordres sacrées [sic] se mist à l’hermitage avec feu Mr de Bernières et plusieurs autres personnes pour y vivre saintement tous ensemble…372

Il est donc issu d’une famille bourgeoise aisée. Nous avons d’ailleurs retrouvé, dans les archives notariales relatives au couvent des ursulines de Caen fondé par Jourdaine de Bernières, une « liasse à 24 pièces » relative aux ventes de parcelles de terres de la paroisse de Tracy à Louis et Philippe Berthot, des années 1495 à 1601, puis le témoignage silencieux d’un don fait par Bertot au couvent373.

Bertot vécut d’abord à Caen, puis à Paris ; mais on se gardera toutefois d’attribuer une trop grande importance à ces localisations compte tenu de voyages fréquents dont témoigne Catherine de Bar (dont quelques extraits relatifs à Bertot sont donnés ci-dessous) : le suivi de religieuses dans divers couvents a pu le rendre itinérant comme ce fut le cas du P. Chrysostome de saint-Lô, le directeur de Bernières, et d’autres familiers de Bertot.



Caen

Après des études au collège de Caen, il devint prêtre et s’attacha à Jean de Bernières et à son groupe de l’Ermitage, comme le souligne le titre Le directeur Mistique […] ami intime de feu Mr de Bernières… Ce dernier lui écrivit des lettres qui tranchent par leur ton et leur profondeur spirituelle particulière sur l’ensemble de sa correspondance374. Elles sont adressées à « l’ami intime » : on y sent l’autorité de l’expérience, mais aussi une complicité spirituelle et la certitude d’être parfaitement compris d’un compagnon qui suit le même chemin22375 :

Dieu seul, et rien plus. Je n’ai manqué en commencement de cette année de vous offrir à Notre Seigneur, afin qu’Il perfectionne, et qu’Il achève Son œuvre en vous. Je conçois bien l’état où vous êtes: recevez dans le fond de votre âme cette possession de Dieu, qui vous est donnée en toute passiveté, sans ajouter votre industrie et votre activité, pour la conserver et augmenter. C’est à Celui qui la donne à le faire, et à vous, mon cher Frère, à demeurer dans le plus parfait anéantissement que vous pourrez. Voilà tout ce que je vous puis dire, et c’est tout ce qu’il y a à faire. Plus une âme s’avance dans les voyes de Dieu, moins il y a de choses à lui dire…376.

Mon cher Frère, demeurez bien fidèle à cette grande grâce, et continuez à nous faire part des effets qui vous seront découverts : vous savez bien qu’il n’y a rien de caché entre nous, et que Dieu nous ayant mis dans l’union il y a si longtemps, Il nous continuera les miséricordes pour nous établir dans Sa parfaite unité, hors de laquelle il ne faut plus aimer, voir, ni connaître rien24377.

Bertot devient rapidement le prêtre séculier confesseur du monastère des ursulines de Caen, de 1655 à 1675. C’est dans ce monastère tout proche de l’Ermitage construit par Jean de Bernières, que vivait la sœur de ce dernier, Jourdaine de Bernières, ainsi que Michelle Mangon, une figure discrète mais importante aux yeux de Jean. Bertot exerça les fonctions de supérieur à la mort de M. Rocher de Bernesq, vicaire générale de Bayeux, survenue en 1655.

Ce fut sa principale activité en Normandie. Une ursuline témoignera plus tard, dans quelques passages de précieuses Annales378, du rôle parfois délicat qu’assuma Bertot. Nous relevons ces passages dans leur presque totalité, compte tenu de la rareté des sources. Sur la nomination de Bertot :

[La même année 1655 biffé] Au même temps (add. marg.) […] nous perdîmes Monsieur Du Rocher de Bernay [suit son éloge] […] On procéda incessamment à l’élection d’un autre supérieur. Messieurs François de Laval, et Jacques Bertot furent présentés à l’évêque MonSeigneur de Servien qui confirma supérieur Monsieur Bertot379.

Les Annales racontent comment Jourdaine tenta d’échapper à sa troisième nomination :

Elle fut élue unanimement pour la dernière fois. Sa surprise la fit sortir du chœur et courir s’enfermer dans sa chambre pour empêcher sa confirmation et en appeler à l’évêque ; mais Monsieur Bertot, Supérieur qui présidait à l’élection et Mr. Postel son assistant, allèrent la trouver et lui faire un commandement exprès de consentir à ce que le chapitre venait de faire. À ces mots, vaincue par son respect pour l’obéissance, elle ouvre la porte et se laisse conduire à l’église pour y renouveler son sacrifice…380.

Bertot devint donc en 1655 le supérieur du couvent, ce qui donna lieu à un incident qui bouleversa les cœurs. Il eut lieu avec Jourdaine de Bernières qui, remplaçant Michèle Mangon dans les fonctions de supérieure, jouissait en même temps du prestige d’avoir été la fondatrice du couvent, d’être la sœur du vénéré Jean de Bernières et d’assurer une édition relativement fiable de l’œuvre de ce dernier. Tout ne se passa pas sans quelques difficultés dues au caractère apparemment abrupt de Bertot – ce dont se plaindra aussi la jeune Madame Guyon. Bertot affronta donc Jourdaine ; le compte-rendu des Annales, dont la rédaction est assez tardive, fait penser, par sa dignité vertueuse quelque peu démonstrative, à ceux qui illustrent l’histoire du premier Port-Royal381, mais le sens profond en est autre. Dans ce milieu, la direction mystique est assurée avec une rigueur absolue parce que rien ne doit rester qui soit obstacle à la grâce. Même s’il y avait erreur de la part de Bertot, Jourdaine l’interprète comme signe de Dieu, comme nous le verrons chez Madame Guyon dans des circonstances analogues :

1670 [le ms. est daté en tête de page]. La mère de sainte Ursule étant en charge, le supérieur reçut quelques avis sur quelques points qui lui semblèrent importants où il crut que la Supérieure ne s’était pas acquittée de son devoir. Poussé d’un zèle peu réfléchi de donner des ordres qu’il croyait nécessaires, et en même temps de faire voir que là où il y allait des devoirs de sa charge, et de l’intérêt prétendu de la communauté, il n’avait égard à personne, il fit assembler les religieuses au chœur, et en leur présence, blâma la conduite de leur Supérieure à qui il fit une ferme réprimande avec des termes si humiliants que plusieurs des religieuses qui connaissaient son innocence en furent sensiblement touchées (et même scandalisées biffé) mais l’humble Supérieure, sans rien perdre de sa tranquillité ordinaire, se mit à genoux et écouta avec une paix et une douceur inaltérable tout ce qu’on voulut lui dire, sans répliquer une parole, ni pour se plaindre, ni pour se justifier des choses [210] qui lui étaient imputées, ce qui lui aurait été facile. On la vit sortir de cette assemblée plus contente que si on lui eut donné des louanges, de sorte que cette humiliation publique qui fit verser des larmes à plusieurs, n’eut point d’autre effet que de faire éclater son humilité et sa patience en nous laissant un rare exemple de sa vertu.

Après cette correction elle fut au réfectoire et à la récréation qu’elle aussitôt soutint avec son agrément ordinaire, tandis que plusieurs de celles qui avaient été témoins de ce qui s’était passé n’eurent pas la force de s’y trouver. Elle seule parut insensible à ses intérêts. Une officière feignant une affaire la pria d’aller à sa chambre où elle la suivit, croyant lui donner lieu de se décharger le cœur, mais la généreuse Supérieure donna ordre à toutes les affaires qui se présentèrent [211], sans parler de la sienne, répondant à celles qui blâmaient la trop grande facilité du Supérieur à croire les rapports qui lui avaient été faits, qu’on avait eu raison de la bien humilier, qu’elle le méritait pour tant de fautes connues de Dieu seul, qui n’avait jamais permis cette occasion que pour la faire mieux connaître.

Une particulière qui avait intérêt dans l’affaire, la vint trouver, fort pénétrée de douleur, pour se plaindre de la manière dont on l’avait traitée. Ma sœur, lui dit-elle, il nous faut regarder Dieu en tous événements, ne conserver non plus de ressentiment de ce qui vous touche que j’en ai de ce qui a été dit et fait à mon égard. Ce qu’elle lui dit avec une douceur admirable, quoique elle eût bien plus de sujet de se plaindre, ayant été taxée [212] sur trois ou quatre chefs plus considérables…[mots illis.] que les autres dont la plupart n’étaient pas même venus à sa connaissance.

Elle poussa encore plus loin les preuves de sa vertu, car le jour même elle fut trouver le Supérieur au parloir, non pas pour (se plaindre ou biffé) se justifier, mais pour lui parler des affaires de la maison comme à son ordinaire, dont il fut également surpris et édifié. Toutes choses bien éclaircies, il conçut une plus haute estime de la mère de saint Ursule qu’il n’avait eue et se reprocha fort de s’être laissé prévenir par les rapports (qu’on lui avait faits biffé). Il dit en plusieurs occasions que cette sage Supérieure s’était beaucoup mieux justifiée par son silence et sa modération, qu’elle n’aurait fait par toutes les bonnes raisons382.

Finalement, on annonça le départ de Bertot qui devient confesseur à Montmartre 383 :

Mr Bertot, après avoir été notre Supérieur, voulut se démettre de cette charge, ayant trouvé à Paris des occupations qui l’obligeaient à la résidence ; on fit élection de Monsieur de Launé Hué, [docteur de Sorbonne : ajout marginal], pour remplir sa place [ajout interligne : le 15 avril 1675.]384.

Bertot ne se limitait pas à la conduite spirituelle au sein du couvent fondé par Jourdaine de Bernières. Il fut en relation avec de nombreuses385 figures spirituelles : Marie des Vallées 32 qui fut influente sur saint Jean Eudes et sur d’autres membres du groupe de Caen, l’appréciait ; Bertot témoigna de leur relation :

Et remarquez bien une belle parole que m’a dite autrefois une âme très unie à sa Divine Majesté, savoir, que les montagnes recevaient bien les pluies, mais que les seules vallées les gardent, fructifient et en deviennent fertiles386.

Elle me disait que la Miséricorde [en note : c’est-à-dire l’amourpropre chargé des richesses spirituelles de la Miséricorde] allait fort lentement à Dieu, parce qu’elle était chargée de dons et de présents, de faveurs et de grâces de Dieu, qu’ainsi son marcher était grave et lent ; mais que l’amour divin qui était conduit par la divine Justice, allant sans être chargée de tout cela, marche d’un pas si vite que c’est plutôt voler387.

Son rayonnement s’étendait au-delà du monastère de Caen. En témoigne une lettre écrite en 1667 par Mgr Pallu : ce missionnaire qui avait dressé un « projet de notre Congrégation apostolique », envoyait sa rédaction aux Directeurs du Séminaire des Missions étrangères en demandant l’avis de quatre personnes dont Bertot :

Sur la Méditerranée, en vue de Candie, 3 mars 1667, […] conférez-en avec Messieurs Bertot, du Plessis et quelques autres personnes de leur esprit et de leur grâce […] [Ces messieurs devront répondre en donnant leurs avis après 15 jours de réflexion :] Priez aussi Messieurs Bertot et du Plessis et les autres auxquels vous vous en ouvrirez de m’écrire ce qu’ils en pensent…388.

Le même Pallu enverra de Surate, en 1672, une demande d’avis sur un auteur spirituel portugais qu’il avait traduit et qu’il proposait de faire voir à quelques personnes dont J. Bertot389.

Comme tous ses amis normands, Bertot se passionna pour l’apostolat au Canada, aventure rendue célèbre par la mystique Marie de l’Incarnation (1599-1672). En témoignent deux belles lettres écrites en 1673-1674 à un dirigé canadien390.

Enfin Bertot fut lié assez étroitement à Catherine de Bar. Devenue la « Mère du saint-Sacrement » au monastère de la rue Cassette, cette fondatrice des bénédictines du saint-Sacrement vécut assez longtemps pour être appréciée par Madame Guyon. Leur lien est attesté par plusieurs de ses lettres adressées à des tiers :

(a) une lettre à Jean de Bernières391, extraite d’une correspondance suivie entre Catherine et Jean, raconte des activités fructueuses du jeune Bertot et demande à le sauvegarder contre ce qui pourrait être un excès de zèle de sa part. Elle montre combien Monsieur Bertot, qui n’avait alors que vingt-cinq ans, était perçu comme un Père spirituel qui répandait la grâce autour de lui. Nous percevons ici l’autre visage de Monsieur Bertot dont le travail n’avait ici pas besoin d’être empreint de rigueur. Sa présence pleine d’amour est regrettée :

De l’Hermitage du saint Sacrement, le 30 juillet 1645.

Monsieur,

Notre bon Monsieur Bertot nous a quittés avec joie pour satisfaire à vos ordres et nous l’avons laissé aller avec douleur. Son absence [52] nous a touchées, et je crois que notre Seigneur veut bien que nous en ayons du sentiment, puisqu’Il nous a donné à toutes tant de grâces par son moyen, et que nous pouvons dire dans la vérité qu’il a renouvelé tout ce pauvre petit monastère et fait renaître la grâce de ferveur dans les esprits et le désir de la sainte perfection. Je ne vous puis dire le bien qu’il a fait et la nécessité où nous étions toutes de son secours […] mais je dois vous donner avis qu’il s’est fort fatigué et qu’il a besoin de repos et de rafraîchissement. Il a été fort travaillé céans, parlant [sans] cesse, fait plusieurs courses à Paris en carrosse dans les ardeurs d’un chaud très grand. Il ne songe point à se conserver. Mais maintenant, il ne [53] vit plus pour lui. Dieu le fait vivre pour nous et pour beaucoup d’autres. Il nous est donc permis de nous intéresser de sa santé et de vous supplier de le bien faire reposer. […]

Il vous dira de nos nouvelles et de mes continuelles infidélités et combien j’ai de peine à mourir. Je ne sais ce que je suis, mais je me vois souvent toute naturelle, sans dispositions de grâce. Je deviens si vide, et si pauvre de Dieu même que cela ne se peut exprimer. Cependant il faut selon la leçon que vous me donnez l’un et l’autre que je demeure ainsi abandonnée, laissant tout périr. […].

b) Dans une autre lettre, Catherine de Bar transmet le récit de Bertot sur la mort assez brusque de son directeur Jean de Bernières, (nous n’avons pas retrouvé le récit de Bertot qui accompagnait la lettre) ; apparaît ici la figure du Père Paulin qui témoignera par la suite sur Madame Guyon :

Mon très cher et bon frère, […] si déjà vous ne le savez par la voye du R.P. Paulin, […] Dieu nous a ravi notre cher Monsieur de Bernières, autrement dit Jésus Pauvre, le 3 du mois de mai dernier. Voici ce que M. Bertost [Bertot] nous en a écrit, vous y verrez comme il est mort anéanti, sans aucune apparence de maladie392.

c) Peu de temps après, le nom de Bertot apparaît dans des lettres adressées à d’autres religieuses bénédictines :

-- à la mère Benoite de la Passion, prieure de Rambervillers, le 31 août 1659 :

Monsieur [Bertot] a dessein de vous aller voir l’année prochaine, il m’a promis que si Dieu lui donne vie il ira. Il voudrait qu’en ce temps-là, la divine providence m’y fit faire un voyage afin d’y venir avec vous […] C’est un enfer au dire du bon Monsieur de Bernières, d’être un moment privé de la vie de Jésus-Christ […] il faut mourir. Monsieur Bertot sait mon mal […] s’il vous donne quelques pensées, écrivez-le moi confidemment393.

-- à la mère Dorothée (Heurelle), sous-prieure, le 3 septembre 1659 :

[Monsieur Bertot] voulait avoir la bonté de nous venir voir à Pâques. Vous feriez une singulière charité à mon âme de m’obtenir ce bienlà, car il me semble que j’ai grande nécessité de personnes pour mon âme394.

-- à la même, le 8 août 1660 :

A Rambervilliers ce 8 août 1660 / M. Bertot est ici, qui vous salue de grande affection… je ressens d’une singulière manière la présence efficace de Jésus-Christ Notre Seigneur42.

d) Plus tard, dans une lettre adressée à une religieuse de Montmartre en juin 1664, elle écrira à propos de Bertot arrivé à Montmartre :

Je serai mille fois plus peinée si je ne savais que notre bon M. Bertot lui tiendra lieu de Père et de frère et l’aidera à porter la croix que le saint-Esprit a mise dans son cœur395.

Nous avons également retrouvé, relevés par le P. du Chesnay, d’autres passages de moindre portée où apparaît le nom de Bertot et les reproduisons en note396.



Montmartre

Dans la dernière partie de sa vie, en 1675, J. Bertot fut nommé comme confesseur à la célèbre abbaye de Montmartre, proche du pèlerinage à St Denis397. Le lieu était à cette époque isolé de l’agglomération parisienne :

Montmartre : 223 feux, y compris ceux de Clignancourt. Ce village est sur une hauteur, au nord, près d’un faubourg de la ville Paris [sic] auquel il donne son nom […] La chapelle des martyrs […][possède] une statue de St Denis en marbre blanc. C’est l’endroit où l’on croit qu’il fut enterré avec ses compagnons. On a beaucoup de vénération pour ce lieu, et l’on y voit presque toujours un grand concours de peuple. Le monastère est également vaste et beau, bien situé et accompagné de jardins d’une grande étendue. L’abbesse est à la nomination du roi. Dans le village est une église paroissiale398 dédiée à St Pierre399.

Bertot – comme Madame Guyon après lui – a dû souvent monter et descendre la butte en contemplant la vue qui s’offrait à ses yeux :

En parcourant le tour de la montagne [sic], on jouit d’une vue très belle et très agréable ; on découvre en plein la ville de Paris, l’abbaye

de St Denis et quantité de villages. Les environs sont remplis de moulins à vent. Il y a beaucoup de carrières, dont on tire continuellement le plâtre pour la consommation de Paris […] on trouve assez fréquemment au milieu de cette masse de gypse, des ossements et vertèbres de quadrupèdes qui ne sont point pétrifiés, mais qui sont déjà un peu détruits, et sont très étroitement enveloppés dans la pierre…400.

Le rôle de la vénérable abbaye bénédictine, fondée en 1133 était central depuis sa réforme mouvementée qui avait eu lieu au début du siècle avec l’aide de Benoit de Canfield. Bertot a dû souvent entendre évoquer des souvenirs proches de cette période refondatrice :

[16] Les religieuses de plus en plus mécontentes des efforts de leur abbesse […] deux fois essayèrent vainement de l’empoisonner ; une autre fois, elles décidèrent quelques-unes de « leurs amis » à l’assassiner, mais l’un d’eux recula devant ce crime et prévint Madame de Beauvilliers qui dès lors logea dans une chambre séparée, à porte double et ne mangea plus d’aucun plat qui ne fut préparé par une des deux sœurs converses sur lesquelles on pouvait compter [elle les avait amenées avec elle] […] l’évêque de Paris […] rassembla les religieuses […] ordonna tout d’abord le rétablissement de la clôture ; toutes se levèrent et s’emportèrent, à ce qu’il paraît, de la façon la plus scandaleuse. Le prélat se retira en promettant à Mme de Beauvilliers de la défendre et en réalité il ne fit rien. / Mme de Beauvilliers, soutenue par son seul directeur, le P. Caufeld [Canfield], prit résolument son parti…401.

Ceci se passait juste avant 1600 soit plus d’un demi siècle avant l’activité de Bertot. Mais il a pu connaître la réformatrice, Mme de Beauvilliers,402 morte en 1657 dans ce couvent50, et il a certainement lu attentivement l’opuscule qu’elle composa pour ses religieuses, en suivant de très près Benoît de Canfield, et dont voici un passage relatif à la conformité spirituelle :

s’il est si plaisant et agréable d’entrer dans le secret de notre intime ami, qu’est-ce d’entrer dans le secret et le plus caché du cœur de Dieu ? Et c’est ce que fait, et à quoi arrive l’âme par l’exercice continuel de la conformité de sa volonté à celle de Dieu, car en faisant la volonté de Dieu, l’âme la connaît…403.

Bertot fut surtout lié à Françoise-Renée de Lorraine, Madame de Guise404, abbesse de 1644 à 1669, en des temps moins troublés, et qui mourut dans ce même couvent en 1682 :

M[ada]me de Guise dirigea l’abbaye pendant vingt-cinq ans. Douée d’une haute intelligence, elle était en relation avec les beaux esprits et les femmes élégantes du temps : le docteur Valant, le médecin de M[ada]me de Sablé et de toute la société précieuse en même temps que de l’abbaye, nous a conservé plusieurs billets d’elle fort galamment tournés […] Son administration avait été très favorable au monastère405.

L’origine de cette amitié est décrite ainsi par la lettre citée au début de cette biographie :

Quand il fut prêtre, il devint directeur des dames Ursulines et la communauté le députa pour aller à Paris à cause des affaires qu’elle avait avec feu Mr Du Four abbé d’Aunay. Ce voyage lui procura l’honneur de la connaissance de Madame l’Abesse [sic] de Montmartre et de son altesse royale406 Mademoiselle de Guise407.

Bertot ne se cantonnait cependant pas au rôle de confesseur des bénédictines de Montmartre. Il avait conservé des activités en Normandie : ainsi, on note qu’il fut chargé de régler, probablement en 1673 ou 1674, une affaire compliquée où Jean Eudes, ami de Jean de Bernières, fut attaqué par ses anciens confrères oratoriens. Ces derniers tentèrent de le discréditer, entre autres en ridiculisant son attachement à Marie des Vallées :

les Oratoriens [de Caen]…n’eurent pas de peine à faire entrer en lice, une fois encore, le belliqueux Charles du Four, qui était chanoine de Rouen et abbé d’Aunay. Celui-ci fut pourvu de divers manuscrits relatifs à Marie des Vallées ; il en tira un pamphlet anonyme […] Le P. Eudes était accusé d’avoir commis douze hérésies…408.

Cela montre que J. Bertot, vers la cinquantaine, avait acquis des qualités de diplomate que nous ne devinions pas lorsqu’il abordait avec très grande netteté et sans concession les problèmes intérieurs de ses dirigés. On entrevoit tout un réseau de relations établi entre divers membres du groupe de l’Ermitage et débordant ce groupe vers d’autres spirituels dont Marie des Vallées. Le passage suivant d’une lettre de Bertot serait adressé à Jean Eudes : celui-ci avait été aidé par l’abbesse de Montmartre qui appréciait et éditera une œuvre de Bertot:

J’ai beaucoup de joie de tout ce que vous me mandez de votre cher séminaire […] Je remercie Dieu de ce que MonSeigneur est avec vous pour vous aider […] Je prie Dieu que la providence divine se mêle de votre bâtiment. Tout ce que l’on voit en ce pays s’y oppose bien par sa pauvreté. Je suis tout à vous409.

En milieu parisien, l’amitié de l’abbesse de Montmartre et de Madame de Guise aide à la constitution d’un cercle dévot autour de Bertot, comme le sous-entend la suite de la même lettre citée :

MonSeigneur le duc de Guise le considérait beaucoup aussi bien que Mr de Noaille, Mr le duc de St Aignan et Mr le duc de Beauvilliers410.

L’activité d’un tel cercle411 est attestée par la publication des deux volumes de retraites sous l’impulsion de l’abbesse. Ces schémas de retraites, comme plus tard les petits traités du premier volume du Directeur Mystique, ont pu être rapportés ou réécrits en partie par d’autres412. Ces témoignages de son activité sont suivis, mais bien plus tard, de la très intéressante mise au point par la plume de Bertot lui-même sous le titre Conclusion aux retraites, publiée en 1684 et également destinée à Madame de Guise. Ce texte fondamental est probablement le texte évoqué par Fénelon : Jean Orcibal qui ne connaissait que les deux premiers volumes de retraites, dont il fixe la date à 1662, après avoir rappelé que divers ouvrages portaient le mot Retraite dans leurs titres, cite l’appréciation donnée par Fénelon en la supposant attribuée à ces deux volumes 413.

Le rayonnement de Bertot, qualifié de « directeur de conscience apprécié414 » ou de « conférencier très apprécié de l’aristocratie et, en particulier, de divers membres de la famille Colbert415 », déborde donc sur un cercle laïc dont on retrouvera les membres groupés autour de Madame Guyon.

Les méchantes langues de la Cour ne comprenaient pas ce qui unissait ce groupe d’amis que saint-Simon appelait le « petit troupeau » avec son ironie coutumière. Il dit de Madame Guyon, le 16 janvier 1694 :

Elle ne fit que suivre les errements d’un prêtre nommé Bertaut [sic], qui bien des années avant elle, faisait des discours à l’abbaye de Montmartre, où se rassemblaient des disciples, parmi lesquels on admirait l’assiduité avec laquelle M. de Noailles, depuis Maréchal de France, et la duchesse de Charost, mère du gouverneur de Louis XIV, s’y rendaient, et presque toujours ensemble tête à tête, sans que toutefois on en ait mal parlé. MM. de Chevreuse et de Beauvilliers fréquentaient aussi cette école416.

Saint-Simon indique également le rôle antérieur important joué par la duchesse de Béthune, autre dirigée de Bertot :

Dans ce petit troupeau était une disciple des premiers temps [la duchesse de Béthune], formée par M. Bertau qui tenait des assemblées à l’abbaye de Montmartre, où elle avait été instruite417.

Bertot est reconnu comme le chef du « petit troupeau » quiétiste par le même Saint-Simon, toujours précisément informé par ses amis les ducs de Chevreuse et Beauvilliers :

[on pouvait] entendre un M. Bertau à Montmartre, qui était le chef du petit troupeau qui s’y assemblait et qu’il dirigeait418.

Le témoignage capital donné par un informateur au service de Madame de Maintenon confirme le rôle central de Bertot dans les cercles laïcs constitués autour de Montmartre. Il met aussi en lumière son activité auprès des Nouvelles Catholiques, auxquelles Madame Guyon et Fénelon furent attachés. Bertot avait auparavant fait une donation aux Nouvelles Catholiques – en les associant à une œuvre de charité419. Le lecteur appréciera le parfum d’enquête policière qui se dégage d’un document par ailleurs fort bien informé420 :

[f° 2v°] Si cette doctrine [le quiétisme] a eu cours ou non, si elle fut étouffée alors, ou si elle s’est perpétuée par le dérèglement de quelques misérables prêtres ou religieux, c’est ce que je ne puis dire. Il y a plus de vingt ans que l’on voit à la tête de ce parti Mr Bertau [Bertot], directeur de feu Madame de Montmartre, qui mourut en 1679 ou [16]80. Cet homme était très ignorant et très grossier, sa conduite n’était pas trop édifiante ; j’ai parcouru quelques-uns de ses ouvrages, entre autres quelques lettres manuscrites qui me viennent d’un endroit sûr, ce sont les mêmes principes, le même jargon, et le même galimatias que nous trouvons dans Molinos et dans les autres quiétistes que nous connaissons. Cet homme était fort consulté ; les dévots et les dévotes de la Cour avaient beaucoup de confiance en lui ; ils allaient le voir à Montmartre, et sans même garder toutes les mesures que la bienséance demandait, de jeunes dames de vingt ans partaient pour y aller à six heures du matin tête-à-tête avec de jeunes gens à peu près du même âge. On rendait compte publiquement de son intérieur, quelquefois l’intérieur par écrit courait la campagne. Mr B[ertot] faisait aussi des conférences de spiritualité à Paris dans la maison des Nouvelles Catholiques, et auxquelles plusieurs dames de qualité assistaient et admiraient ce qu’elles n’entendaient pas. Les sœurs n’y assistaient pas [y assistaient ?], les supérieurs de cette maison ne voyant rien d’ouvertement mauvais ne les empêchèrent pas. Les ouvrages de cet homme tant imprimés que manuscrits sont en grand nombre, je ne sais pas précisément quels ils sont. Madame G[uyon] était, disait-il, sa fille aînée, et la plus avancée, et Madame de Charost était la seconde, aussi soutient-elle à présent ceux qui doutent. Elle paraît à la tête du parti, pendant que Madame Guyon est absente ou cachée. Quoique j’ai bien du respect pour Madame de Charost, je crois vous devoir avertir qu’il faut y prendre garde. […] [f° 39v°] On pourra tirer des lumières de la sœur Garnier et de la sœur Ansquelin des Nouvelles Catholiques, si on les ménage adroitement, et qu’on ne les commette point. Elles peuvent parler sur Madame Guyon, sur la sœur Malin et sur Monsieur Bertot. Il se faisait chez elles des conférences de spiritualité auxquelles présidait Monsieur Bertot. Les Nouvelles Catholiques n’y assistaient pas, elles pourront néanmoins en dire quelque chose. Madame la duchesse d’Aumont et Madame la marquise de Villars pourront dire des nouvelles de la spiritualité du sieur Bertaut avec qui Madame Guyon avait une liaison si étroite qu’il disait que c’était sa fille aînée. […]

Malgré la vindicte de Madame de Maintenon, ce petit groupe était fort apprécié de Louis XIV pour sa haute moralité et son honnêteté : Chevreuse fut conseiller particulier du roi, Beauvilliers conservera la responsabilité des finances royales, Fénelon fut nommé précepteur du Dauphin. Malgré le manque de liberté de conscience sous ce règne, le cercle solidement constitué par Bertot, puis regroupé autour de Madame Guyon, résistera à toutes les intimidations et survivra longtemps après la mort de celui-ci.

J. Bertot mourut prématurément à 59 ans à Paris le 28 avril 1681421:

11e septembre 1684, Transaction devant les notaires de Caen au sujet du testament du sieur abbé Bertot : […] on célébrera tous les ans à perpétuité un service solennel le jour de son décès arrivé le 28 avril 1681 pour repos de son âme avec une basse messe de Requiem tous les premiers mardy de chaque mois où les pauvres dud[it] hopital assisteront… »422.

Madame Guyon a ainsi raison lorsqu’elle situe la mort de son directeur avant le début de ses voyages :

Je ne pouvais plus consulter M. B[ertot], car il était mort quatre mois avant mon départ…423.

Le savant prélat érudit Huet donne une date fausse dans la lettre citée au début de cette biographie de Bertot, dont nous terminons ici la reproduction :

Mr le duc de Beauvilliers qui eût bien la bonté d’accepter la charge d’être exécuteur de son testament. Il [Bertot] mourut le vingt-trois d’avril 1683 à Montmartre, âgé de 59 cinquante neuf [sic]. Il est inhumé au dessous du bénitier dans l’église de la d[ite] abbaye424.

Les écrits reproduits dans le Directeur Mystique ont probablement cheminé par le duc de Beauvilliers, exécuteur testamentaire, ensuite par une religieuse de Montmartre, puis par le Père Paulin d’Aumale qui les remit à la duchesse de Charost425. Ce Père eut en dépôt les écrits de Bertot car tous deux fréquentaient probablement le même couvent de Nazareth à Paris.

7 juillet 1694. Il y a environ dix ans que Dieu m’ayant donné la connaissance de Mme la duchesse de Charost, par une visite qu’elle me fit l’honneur de me rendre dans notre église, à l’occasion de quelques manuscrits de feu M. l’abbé Bertot, qu’une religieuse de Montmartre, nommée Mme de saint-André, m’avait chargé à sa mort de lui remettre entre les mains […] je l’allais voir chez elle…426

Ces manuscrits parvinrent finalement à Madame Guyon. On peut supposer qu’elle disposait également de lettres confiées à ses proches ; tous ces écrits furent préparés pour l’édition par Madame Guyon après sa sortie de la Bastille et enfin édités, sous le nom du Directeur mistique [sic], par les amis de Poiret, en 1726.

Bien que sans événement majeur, la vie de Bertot fut donc extrêmement remplie. Pourtant, grâce aux très rares confidences échappées au fil des lettres du Directeur Mystique427, on sait que ce rôle ne fut pas dicté par sa volonté personnelle :

Les affaires sont un poison pour moi et une mort continuelle qui ne fait nul bien à mon âme, sinon que la mort, de quelque part qu’elle vienne, y donne toujours un repos. Mais je n’expérimente pas que cela soit ma vocation ; et ainsi ce repos n’est pas de toute mon âme, mais seulement de la pointe de la volonté428.

Son rôle fut capital : ce prêtre entièrement dévoué à la tâche de direction spirituelle, assura la transmission de la spiritualité vécue par le groupe normand constitué autour de l’Ermitage de Jean de Bernières et du monastère de Jourdaine de Bernières, vers le groupe de Paris, constitué autour du monastère de Montmartre et du cercle qui deviendra celui de Madame Guyon quand elle succèdera à son directeur spirituel.

Des copies de lettres de Bertot circulaient chez les fidèles de Madame Guyon et celle-ci jugeait ses écrits si importants qu’elle s’est donné la peine de les rassembler elle-même dans le Directeur Mystique. L’Avertissement du premier volume, rédigé probablement par elle, atteste sa reconnaissance envers lui.

L’influence de Monsieur Bertot se poursuivra jursqu’au siècle suivant : il a été lu dans les cercles guyonniens en Europe au XVIIIe siècle. Les noms de Bertot et Bernières furent engloutis dans la catastrophe de la condamnation du quiétisme et disparurent du monde catholique. Leur importance mystique ne fut plus reconnue que par des protestants éloignés dans le temps, ce qui en quelque sorte « ferme la boucle » sur deux siècles d’histoire. Un choix d’extraits du Directeur mystique a été réédité en milieu piétiste 429. On trouve le Directeur Mystique ainsi que le Chrétien intérieur de Bernières dans les rares livres possédés par le pasteur Dutoit430 et saisis par la police bernoise, lorsque l’activité jugée suspecte de ce dernier provoque une descente chez lui :

Inventaire et verbal de la saisie des livres et écrits de Monsieur Dutoit, 1769 :… l’inventaire suivant : la Bible de Madame Guyon et plusieurs de ses ouvrages, Monsieur de Bernières, soit le Chrétien intérieur, la Théologie du Cœur, Le Directeur mystique de Monsieur Bertot,431 Œuvres de Ste Thérèse [en note : appartient à Mr Grenus], La Bible de Martin, l’Imitation d’A. Kempis. Déclarant de bonne foi…79.

Les noms de Madame Guyon et de Bertot sont associés dans une lettre de Fleischbein, dont l’épouse, Pétronille d’Eschweiller, fut présente à Blois, auprès de Madame Guyon. Il déclare à son jeune disciple suédois, le comte de Klinckowström :

Dévorez, consumez écrivent Mme Guyon et M. Bertot… [et plus loin :]… C’est ce que conseillent et attestent Mme Guyon, M. Bertot, tous les mystiques…432.

L’importance de Bertot et Bernières est donc reconnue par les disciples de Madame Guyon, majoritairement des étrangers protestants. On sait le rayonnement de Fénelon et l’influence souterraine exercée par nos mystiques sur les jésuites Milley et Caussade, les protestants Tersteegen et Wesley, au XVIIIe siècle. Leur redécouverte, amorcée par Ramière, autre jésuite redécouvrant Caussade au XIXe siècle, est récente. Le nom même de Bertot réapparaîtra sous le nom de Berthod dans la monumentale Histoire du sentiment religieux de Bremond433 où il redécouvre de grands spirituels en retournant aux textes eux-mêmes. Bertot a droit, cette fois sous son vrai nom, à un article de Pourrat dans le Dictionnaire de Spiritualité puis, à un exposé sérieux : « J’ai peur de trop bien comprendre. Les actions de l’âme ne sont plus les siennes mais celles de Dieu ». L’époque où œuvrait Pourrat explique sa sévérité vis-à-vis des « préquiétistes » auxquels appartiendraient Bernières, le frère Laurent de la Résurrection ( !), le grand carme Maur de l’Enfant-Jésus disciple de Jean de saint-Samson, etc.434.

Le mot « quiétisme » est apparu aux historiens modernes comme une étiquette qui ne correspond à aucun contenu cohérent : on ne retrouve pas les propositions condamnées dans les auteurs dits « quiétistes »435. Notre époque, enfin, semble capable de redécouvrir sans peur l’expression profonde de ces grands mystiques sans leur accoler d’étiquette toute faite ou des idées préconçues.



3. L’œuvre.

Le corpus de l’œuvre, tel que nous avons pu le reconstituer pour la première fois, comporte sept volumes publiés en trois fois sur une très longue durée de soixante-quatre ans. Un huitième volume qui s’intitulerait De la Contemplation resterait peut-être à découvrir436.

Les Retraites

En 1662 parurent Diverses retraites où une âme après avoir connu son désordre par la lumière du saint-Esprit, se résoud à le quitter, et embrasser le chemin de la sainte perfection ainsi que la Continuation des retraites dans lesquelles l’âme puisera des lumières pour travailler solidement à sa perfection437 : elles donnent en deux volumes, comportant toutefois une pagination unique sinon cohérente, des schémas de retraites probablement rassemblés par les soins d’auditeurs.

Le caractère schématique et de seconde main, ou du moins attestant des retouches, nuit au contenu, même si l’on admet que les protestations ultérieures de J. Bertot, qui seraient à l’origine du complément de sa main intitulé Conclusion aux retraites…, ne sont pas à prendre au pied de la lettre. Le genre littéraire propre aux schémas de retraites est bien connu ; de nos jours il apparaît caduc car il est plutôt adapté à des prédicateurs préparant des retraites de dix jours qu’aux besoins actuels. On se reportera plutôt aux retraites de Jean Chrysostome de saint-Lô qui ont été en honneur dans le groupe de l’Ermitage et méritent la plus grande attention438 ; c’est pourquoi nous ne retiendrons aucun texte de ces deux volumes, bien qu’ils reflètent l’activité pastorale de Bertot.

La Conclusion des Retraites […] de l’oraison…

Vingt-deux ans plus tard, en 1684, paraît La conclusion des retraites où il est traité des degrés et des états différens de l’oraison, et des moyens de s’y perfectionner. Ce troisième et dernier volume édité, après la mort de Bertot439, par les soins de la supérieure du couvent de Montmartre, a été retrouvé à Chantilly grâce à A. Derville, S. J. Il s’agit d’un traité bref, mais bien charpenté et très précis, couvrant avec grande autorité toute la voie mystique : nous n’en connaissons pas d’équivalent contemporain. Le seul texte qui puisse l’égaler est celui des Torrents de Madame Guyon qui reprend le fond de cet exposé sous une forme parfois lyrique. Les deux textes sont d’une grande finesse psychologique. Nous rééditons ce traité dense dans sa totalité, en conclusion du volume. Il résume les principaux thèmes de la correspondance et des opuscules.

Bertot y prend le risque d’affirmer sa grande autorité, poussé à rédiger un tel traité, contrairement à son habitude, pour corriger la perspective des deux volumes de Retraites précédemment publiés :

« Tous les degrés d’oraison sont expliqués, les marques pour connaître quand on y est, y sont données, et les effets de chaque degré sont aussi marqués. »

Il est réputé écrire peu et présente en premier lieu les raisons qui justifient cette entreprise pour lui inhabituelle : précaution contre tout risque de fuite devant la réalité, reconnaissance des dons de la grâce prête à répondre à toute ouverture, reconnaissance de la fonction propre à chaque degré qui devra être parcouru au rythme propre à chacun. La grâce divine apporte le bonheur dès cette vie.

Ensuite commence l’exposition des degrés et des états, partie constituant le traité proprement dit. Elle nous intéresse par la précision de la définition des états et des critères de passages entre eux, qui révèle une expérience de première main couvrant l’ensemble du parcours mystique.

Elle est écrite avec concision sinon légèreté, ce qui est possible car les éléments de persuasion, caractéristiques de l’activité d’un confesseur conférencier, ont été laissés aux deux premiers volumes de Retraites, dont ce traité constitue l’adjonction correctrice. Le lecteur doit surmonter un style recherchant la précision plutôt que l’élégance mais sera largement récompensé de ses efforts. Une certaine pesanteur traduit la volonté du directeur d’éliminer tout ce qui pourrait être source de méprises sur la situation réelle des dirigés.

Le Directeur mystique.

De nombreux manuscrits de Jacques Bertot furent transmis après sa disparition à Madame Guyon. Ils furent mis en ordre par celle-ci, à Blois, probablement après 1710, à une époque où elle était en relation avec l’éditeur P. Poiret, devenu son disciple. Elle avait connu l’errance, la reconnaissance publique suivie des prisons, une série d’événements qui normalement auraient pu la distancier d’un ancien directeur mort trop tôt, en 1681. Mais dans sa vieillesse, elle veut rendre hommage à celui qui l’a formée et qui lui a transmis la possibilité d’aider les autres.

La mise en ordre des écrits de Monsieur Bertot nous apparaît ainsi comme un témoignage de respect rendu vers la fin de sa vie, un « tombeau » élevé à sa mémoire440. Ces textes sont édités en 1726 sous le titre : Le directeur Mistique ou les Œuvres spirituelles de M. Bertot, ami intime de feu M. de Bernières et directeur de Mad. Guion441 par le cercle de P. Poiret peu après la mort de ce dernier ; il s’est alors écoulé quarante-cinq ans depuis la mort de Bertot…

Le titre révélateur de « Directeur Mystique » peut paraître étrange mais l’association des deux termes résume bien le contenu des quatre volumes. En conclusion sont données vingt et une lettres – vingt-deux si l’on compte l’ajout d’une lettre-conclusion – de Jeanne Guyon qui ne sont pas adressées à son directeur et qui apparaissent comme postérieures à la mort de ce dernier. Ces lettres montrent la maturité et l’autorité de celle qui s’adresse à son tour à des dirigés, reprenant ainsi la tâche de direction spirituelle là où Monsieur Bertot l’a interrompue442. Cela traduit la volonté des disciples de Madame Guyon en relation avec le cercle de P. Poiret, (lui-même devenu l’un d’entre eux), d’indiquer J.-M. Guyon comme le successeur.

L’avertissement indique que Bertot est un disciple de Bernières et souligne la continuité doctrinale entre eux, qui sera de même assurée par Madame Guyon par rapport à Bertot :

les Écrits et les Lettres de Monsieur Bertot, son Ami intime et son Fils Spirituel … enseignent la même doctrine…443.

Il est très difficile de distinguer leurs écrits. C’est la même eau qui court, dans un style plus abrupt et dense chez Monsieur Bertot, plus clair et lyrique chez sa dirigée. Une réécriture de certains textes a pu avoir lieu pour quelques opuscules ou petits traités du tome I444. C’était l’époque où l’on se permettait facilement d’intervenir dans le texte d’autrui. De toute façon, ce groupe ne se préoccupait pas de la vanité d’être un auteur. Ils se souciaient uniquement de transmettre une expérience commune grâce à un vocabulaire identique, de génération en génération, de façon à ce que les mystiques futurs puissent s’appuyer sur des textes solides.

Douze traités (vol. I) sont suivis de 221 lettres montrant les qualités de précision et l’autorité du directeur (vol. II à IV). Elles sont adressées à des correspondants non cités par discrétion ou prudence.

A l’œuvre de Bertot, Madame Guyon (ou peut-être les proches de Poiret, mais nous doutons qu’ils aient pris une telle liberté par rapport à « notre mère ») a ajouté une relation concernant Marie des Vallées (vol. II), et des lettres qui lui furent adressées par Maur de l’Enfant-Jésus (vol. IV) : ils sont nommément cités. L’ensemble se termine sur des lettres de Madame Guyon adressées à des disciples, indiquant une continuité dans l’apostolat445.

Il est difficile d’établir des attributions certaines pour les lettres de Bertot qui constituent la plus grande partie du DM : les références personnelles sont rares, car elles ont été volontairement omises lorsqu’elles n’étaient pas intimement intégrées au sein du texte. Les dates aussi ont été enlevées. Le classement de l’édition, initié par Madame Guyon, poursuivi par Poiret, mélange les correspondants et n’est pas chronologique, parce qu’il a été établi selon un critère d’intériorité croissante.

De nombreuses lettres sont adressées à Madame Guyon, souvent en réponse aux questions que celle-ci posait sous forme de « lettres à l’auteur » : l’ensemble constitue ainsi une correspondance fascinante qui complète heureusement ce qu’elle rapporte dans la Vie. Cette correspondance corrige l’aspect quelque peu négatif de leurs relations telles qu’elles sont rapportées au début de la Vie dont la rédaction se situe encore tôt dans la vie de Madame Guyon. Elle apprécia mieux par la suite Monsieur Bertot en préparant ce Directeur mystique.

Autres sources

On retrouve quelques lettres de Bertot reprises dans la correspondance publiée de Madame Guyon446, ainsi qu’une belle lettre447restée manuscrite, datée du 22 mars 1677, recopiée de la main de Dupuy, copiste de lettres de Madame Guyon au duc de Chevreuse.



4.Aperçu de la voie

Monsieur Bertot se situe dans une tradition chrétienne reconnue, comme le montrent les quelques recommandations de lecture qu’il donnait :

Tant de livres ont été faits par de saintes personnes pour aider les âmes en la première conduite, comme Grenade, Rodriguez et une infinité d’autres… Pour la voie de la foi, il y en a aussi plusieurs, comme le bienheureux Jean de la Croix, Taulère, le Chrétien Intérieur [de Bernières] et une infinité d’autres…448.

Le livre de la Volonté de Dieu [ou Règle de Perfection] de Benoît de Canfeld peut beaucoup servir449.

Mais il ne s’agit jamais d’une « théorie » relevant du champ théologique. Le progrès dans la voie ne dépend jamais d’états spirituels ou d’extases, ces moments privilégiés qui fascinent beaucoup d’entre ceux qui approchent la littérature spirituelle. Bertot reste des plus discret à leur sujet : ce directeur expérimenté considère les « lumières » comme des appels à se mettre en chemin et une aide à en accepter les fatigues, mais dont les spirituels confirmés auxquels il s’adresse doivent se détacher. Il affirme sans détour la réalité d’un état permanent en Dieu vers lequel il appelle sans relâche à se diriger sans s’arrêter en route.

Dans le premier volume du Directeur mistique, Monsieur Bertot distingue deux degrés qui correspondent à la découverte de l’intériorité puis à l’établissement dans l’unité, un troisième qui correspond à la désappropriation, un dernier à la renaissance à une nouvelle vie : la foi commence à simplifier l’âme, et le feu de ses opérations diminue sans savoir comment ; s’ensuit le repos qui consiste à trouver Dieu en son fond de même que l’on clarifie de l’eau en la laissant reposer ; l’âme se laisse alors couler et perdre dans l’abîme, non par son action mais par une inclination centrale ; enfin l’âme ayant perdu son soi-même en Dieu devenu son principe divin, elle fait ce que Dieu veut faire d’elle et par elle. On retrouve là l’écho de son maître Jean de Bernières :

La pure oraison cause la perte de l’âme en Dieu où elle s’abîme comme dans un océan de grandeur, avec une foi nue et dégagée des sens et des créatures. Jusqu’à ce que l’âme en [237] soit arrivée là, elle n’est point en Dieu parfaitement, mais en quelque chose créée qui la peut conduire à ce bienheureux centre ; c’est pourquoi il faut qu’elle se laisse conduire peu à peu aux attraits de la grâce pour ainsi s’élever à une nudité totale par sa fidélité. […] Cette perte en Dieu ne se peut exprimer que grossièrement, comme par la comparaison d’une goutte d’eau qui tombe dans la mer : par cette chute elle s’y abîme et s’y perd et devient en quelque manière la mer même par la pleine participation de toutes ses qualités. Ainsi une âme élevée en Dieu par la foi nue s’y unit, s’y abîme et s’y perd, participant aux perfections de Dieu qui la déifient en quelque [238] manière…450.

Une longue description dans le troisième volume du même Directeur mystique précise le chemin :

Il y a quatre degrés en la vie spirituelle, et par lesquels l’âme est conduite en cette vie. Le premier est celui des bonnes lumières et des bons désirs… Le second… est l’oraison passive en lumière, qui n’est autre chose qu’une quantité de lumières divines données de Dieu dans les puissances ; et leur effet particulier est de les purifier, en leur faisant voir la beauté… Ce troisième degré est commencer à entrer dans l’intérieur du temple, je veux dire de Dieu même ; et pour cet effet Dieu lui soustrait ses lumières, ses goûts et les désirs de Lui… Elle se débat et fait des efforts pour donner ordre à ce malheur… c’est une divine lumière obscure et inconnue qui est donnée à l’âme dans le fond et non dans les puissances, qui fait évanouir votre première lumière qui était dans les puissances et fait voir ainsi leur vie et malignité… Comme la première lumière des puissances faisait voir les ordures du dehors… celle-ci fait voir la vie et la saleté de la créature… comme les effets de la première lumière étaient de remplir et de nettoyer, les effets de celle-ci sont de vider et de faire mourir… Après un long temps de mort et que l’âme y a été bien fidèle et y a bien souffert ce qui ne se peut dire, par la purification de son intérieur selon toutes ses parties, mais comme en bloc et en confusion, car la lumière y est générale, Dieu lui ôte encore toute la dévotion qu’elle avait … Elle se résout donc de plus en plus à mourir et de se laisser ainsi tuer toute vive et malgré elle… C’est pour lors que l’on découvre cette beauté admirable de notre âme dans sa ressemblance avec Dieu : Vous avez gravé en nous et sur nous la beauté de votre visage. Et un pauvre paysan… vous dira des merveilles de l’unité de Dieu… Il voit dans son âme comme dans une glace cette unité divine et dans l’opération de ses puissances revivifiée



5. La direction de Madame Guyon

Monsieur Bertot fut le directeur de très nombreuses personnes, aussi bien de religieuses que de laïcs, d’aristocrates et de gens très simples. Mais les rares traces qui nous en restent n’existent que par le témoignage de madame Guyon. C’est pourquoi nous allons parler plus particulièrement des relations de Monsieur Bertot avec Madame Guyon, sa dirigée la plus connue, car elle est la seule à en avoir relaté les détails dans son autobiographie.

Nous donnons des extraits assez larges parce qu’ils éclairent ce que peut être une direction qui vise à faire franchir le plus rapidement possible les grands obstacles rencontrés sur le chemin mystique. La mémoire de la dirigée est encore vive puisque le début de sa Vie par elle-même a été rédigé dès 1682.

Madame Guyon rencontra Monsieur Bertot grâce à des intermédiaires que celui-ci connaissait depuis longtemps : il est intéressant de voir comment s’enchaîna une succession de rencontres providentielles qui répondaient à son désir d’un approfondissement intérieur. Ce fut la mère Geneviève Granger, supérieure des bénédictines du couvent de Montargis, qui prit en charge Madame Guyon, et qui la présenta à Monsieur Bertot, la jugeant probablement arrivée à une certaine maturité spirituelle.

Nous ne possédons malheureusement que peu d’informations sur cette belle figure de religieuse dont l’influence, majeure sur la jeune femme, fut parallèle à celle de Bertot451 :

« … après sa mort [il s’agit de la mère Granger] ses amis ayant demandé quelque chose à garder pour l’amour d’elle, on fut contraint de les refuser, son trésor ne renfermait que deux choses, un pauvre crucifix et un chapelet. … aux pauvres gens qui venaient au tour du monastère, elle avait des respects… prenait plus de plaisir à converser avec eux qu’avec les grands du monde, elle ne pouvait souffrir qu’une religieuse parlât de sa naissance… elle se regardait comme une cloche qui avertit les autres d’aller à Dieu… avait en horreur sa propre excellence, disant qu’il n’y avait rien qui éloignât davantage les âmes de la perfection que l’estime secrète… voulait que l’on fît des actions ordinaires d’une façon surnaturelle … Elle avait reçu de Dieu une lumière surnaturelle pour connaître l’intérieur de ses filles… [qui] n’avaient point la peine de lui déclarer leur état… Approchant d’elle leurs nuages étaient dissipés…[La mère] demandait à Dieu de faire son ouvrage lui-même dans les âmes afin… qu’elle n’y eut point de part. »

Madame Guyon fait ainsi le récit de sa première rencontre avec Bertot :

Je dirai que la petite vérole m’avait si fort gâté un œil que je craignais de le perdre tout à fait, je demandai d’aller à Paris pour m’en faire traiter, bien moins cependant pour cela que pour voir M. B[ertot] que la M[ère] G[ranger] m’avait depuis peu donné pour directeur et qui était un homme d’une profonde lumière. Il faut que je rapporte par quelle providence je le connus la première fois. Il était venu pour la M[ère] G[ranger]. Elle souhaitait fort que je le visse ; sitôt qu’il fut arrivé, elle me le fit savoir, mais comme j’étais à la campagne, je ne trouvais nul moyen d’y aller. Tout à coup mon mari me dit d’aller coucher à la ville pour quérir quelque chose et donner quelque ordre. Il devait m’envoyer quérir le lendemain, mais ces effroyables vents de la St Matthieu vinrent cette nuit-là de sorte que le dommage qu’ils causèrent m’empêcha de retourner de trois jours. Comme j’entendis la nuit l’impétuosité de ce vent, je jugeai qu’il me serait impossible d’aller aux Bénédictines ce jour-là et que je ne verrais point M. Bertot. Lorsqu’il fut temps d’aller, le vent s’apaisa tout à coup, et il m’arriva encore une providence qui me le fit voir une seconde fois452.

C’est453 ainsi que Madame Guyon trouva son directeur101 : elle se référera à son autorité jusqu’à la fin de sa vie, ce dont témoigne une lettre au comte de Metternich :

« Je vous envoie une lettre d’un grand serviteur de Dieu qui est mort il y a plusieurs années. Il était ami de Monsieur de Bernières, et il a été mon Directeur dans ma jeunesse454. »

Tout en demeurant à Montargis, sa ville natale, mais « montant » parfois à Paris, Madame Guyon faisait donc maintenant partie d’un cercle spirituel qui comprenait entre autres la mère Granger, la duchesse de Charost et le duc de Noailles, les ducs de Chevreuse et de Beauvilliers455. Tous avaient une grande vénération pour Monsieur Bertot.

Étrangement, Madame Guyon ne relate dans sa Vie que ses difficultés de relation avec lui. Mais elle en dit la raison : son impossibilité à parler de son état spirituel sauf en mal, alors qu’elle est déjà dans un état d’oraison sans considérations. Elle raconte :

Paris n’était plus pour moi un lieu à redouter, le monde ne servait qu’à me recueillir et le bruit des rues augmentait mon oraison. Je vis

M. Bertot, qui ne me servit pas autant qu’il aurait fait si j’avais eu alors le don de m’expliquer, mais Dieu tenait une telle conduite sur moi que, quelque envie que j’eusse de ne rien cacher, je ne pouvais rien dire. Sitôt que je lui parlais, tout m’était ôté de l’esprit456, en sorte que je ne pouvais me souvenir de rien que de quelques défauts que je lui disais. Ma disposition du dedans était trop simple pour en pouvoir dire quelque chose, et comme je le voyais très rarement, que rien n’arrêtait dans mon esprit, et que je ne lisais rien qui fut conforme à ce que j’éprouvais, je ne savais comment m’en expliquer. D’ailleurs je ne désirais faire connaître que le mal qui était en moi : c’est ce qui a fait que M. Bertot ne m’a connue qu’après sa mort. Cela m’a été d’une très grande utilité pour m’ôter tout appui, et me faire bien mourir à moi-même457.

Chez Bertot qui avait à s’occuper de beaucoup de gens, ce mutisme a entraîné un apparent désintérêt :

Je fus faire une retraite avec M. Bertot et Madame de C[harost], au P.[lieu inconnu]. Dieu permit que M. Bertot ne me parlât point qu’un demi-quart d’heure au plus. Comme il vit que je ne lui disais rien, que je ne savais que dire, et que d’ailleurs je ne lui avais jamais parlé des grâces que Notre-Seigneur m’avaient faites, non par envie de les cacher, mais parce que vous ne le permîtes pas, ô mon Dieu, qui n’aviez sur moi que des desseins de mort, M. Bertot parlait aux âmes qu’il croyait d’une plus grande grâce, et me laissait comme celle où il n’y avait presque rien à faire458.

La Vie témoigne aussi de malentendus qui firent beaucoup souffrir Madame Guyon :

M. B[ertot], sur des rapports qu’on lui fit que je faisais de grandes austérités, car des gens se l’imaginaient à cause de l’extrême peine où j’étais, qui me rendait méconnaissable, et qui me les avait défendues, crut que je me conduisais à ma tête et comme dans cet état déplorable je ne lui pouvais rien mander de moi, Dieu ne le permettant pas, – car quoique j’eusse des peines si vives du péché, lorsque je voulais écrire ou en parler, je ne trouvais rien et j’étais toute stupide ; même lorsque je me voulais confesser, je ne pouvais rien dire sinon que j’avais du sensible pour la créature ; ce sensible était tel que, dans tout le temps qu’il dura, il ne me causa jamais aucune émotion ni tentation dans la chair – M. Bertot m’abandonna, il me fit mander que je prisse un autre Directeur. Je ne doutais plus que Dieu ne lui eût fait connaître mon méchant état, et que cet abandon ne fût la plus sûre marque de ma réprobation [condamnation]. / Je restais si affligée que je crus que je mourrais de douleur459.

Au moment où elle luttait contre un penchant amoureux, Monsieur Bertot se montra inexorable :

Je croyais être perdue : car tout ce que j’avais pour l’extérieur et l’intérieur me fut ôté. M. Bertot ne me donna plus de secours ; et Dieu permit qu’il comprît mal une de mes lettres, et qu’il m’abandonnât même pour longtemps dans mon plus grand besoin, ainsi que je le dirai dans son lieu460.

Même lorsqu’elle pensait que son état spirituel s’améliorait, Monsieur Bertot ne la laissait pas être contente d’elle-même :

J’eus l’occasion de voir M. Bertot pour quelque moment. Je lui dis que je croyais mon état bien changé, sans lui en dire le détail, ni ce que j’éprouvais, ni ce qui l’avait précédé. J’eus très peu de temps à lui parler, et encore était-il appliqué à autre chose. Vous permîtes, ô mon Dieu, qu’il me dit que non, peut-être sans y penser. Je le crus, car la grâce me faisait croire ce que l’on me disait malgré mes lumières…461.

Ce n’est qu’en rédigeant son autobiographie qu’elle comprit la signification de ce que la Providence lui avait infligé :

Il semblait que Dieu ne m’avait donné M. Bertot que pour m’ôter les appuis, et non pour m’en servir…462.

À la fin de son existence, elle reconnaîtra définitivement le sens de ce qu’elle a vécu avec Monsieur Bertot dans l’hommage solennel rendu dans l’Avertissement qui précède le DM :

Ceux qui auront vu l’histoire de la Vie de Madame Guyon écrite par elle-même, y auront remarqué sans doute que notre Auteur a été son Directeur presque durant tout le temps que le divin Amour la conduisit par les voies les plus dures et les plus rigoureuses pour lui faire trouver la vie ressuscitée en Dieu… Il est vrai qu’elle reconnaît que, par une [3] providence toute particulière, et pour lui ôter tous les appuis qui auraient pu empêcher en elle la perte de toute vie propre, il ne l’aidait guère pour son intérieur. Cependant Mr. Bertot étant mort dans les commencements de la vie nouvelle,… elle nous marque que non seulement elle eut quelque signe de sa mort, et même qu’elle fut la seule à qui il s’adressa, mais aussi qu’il lui a semblé qu’il lui fit part de son esprit pour aider ses enfants spirituels463.

En réalité, même si Madame Guyon donne beaucoup d’emphase à sa souffrance, Monsieur Bertot apparaît aussi comme un soutien qui agit quand cela est nécessaire. Il connaît ses besoins malgré la distance physique qui les sépare :

Le jour de l’Assomption de la Vierge de la même année 1672, que j’étais dans une désolation étrange, soit à cause du redoublement des croix extérieures, ou de l’accablement des intérieures, j’étais allée me cacher dans mon cabinet pour donner quelque essor à ma douleur, je vous dis : « O mon Dieu et mon Époux, vous seul connaissez la grandeur de ma peine. » Il me vint un certain souhait : « O si M. B[ertot] savait ce que je souffre ! » M. B[ertot], qui n’écrivait que rarement, et même avec assez de peine, m’écrivit une lettre datée de ce même jour de l’Assomption sur la croix, la plus belle et la plus consolante qu’il ait guères écrite sur cette matière. Il faut remarquer qu’il était à plus de cent lieues d’où j’étais464.

De même qu’il avait su à distance la mort de la mère Granger :

M. B[ertot], quoiqu’à cent lieues du lieu où la mère Granger mourut, eut connaissance de sa mort et de sa béatitude et aussi un autre religieux465.

Quand Madame Guyon a besoin d’un précepteur pour son Fils, Monsieur Bertot vient à son secours :

J’allai à Paris exprès pour voir M. Bertot. Je pris prétexte d’une affaire, comme j’en avais un extrême désir. Les instantes prières que je lui avais fait faire de me conduire, jointes à la mort de mon mari dont il crut que je serais fort affligée, l’obligèrent à me conduire de nouveau, ce qui ne me fut que très peu utile, car outre que je ne pouvais lui rien dire de moi, ni me faire connaître à lui, parce que toute idée m’était ôtée, même celle de mes misères, lorsque je lui parlais, votre Providence, ô mon Dieu, permettait que, lorsque j’étais empressée de le voir dans le besoin extrême que je croyais avoir de lui, c’était alors que je ne le pouvais voir. Je fus bien douze ou quinze jours à Mon[tmartre] sans lui pouvoir parler et en près de deux mois je ne lui parlai que deux fois, et encore pour peu de temps, et de ce qui me paraissait le plus essentiel. Je lui dis le besoin que j’avais d’un ecclésiastique pour élever mon Fils et lui ôter les mauvaises habitudes et les impressions désavantageuses qu’on lui inspirait contre moi, ce qui était d’autant plus de conséquence qu’il devenait plus grand, car ma belle-mère lui inspirait sans cesse que je n’étais qu’une gueuse, que tout le bien venait de son côté, ce qui n’était pas tout à fait vrai. Cela vint à tel point que, quand il parlait de moi, il ne m’appelait jamais sa mère, mais « elle a dit, elle a fait ». M. Bertot me trouva un prêtre dont on lui avait rendu de très bons témoignages, il me l’envoya466.

Quelle que soit la difficulté de sa relation avec Monsieur Bertot, Madame Guyon lui témoignait une confiance absolue, voyant en lui l’ordre de Dieu :

Je crus cependant que, quoiqu’il ne m’aidât plus, je devais m’adresser à lui pour une affaire de cette importance, et préférer ses lumières à toutes autres, persuadée que j’étais qu’il me dirait infailliblement la volonté de Dieu. J’y allai donc et il me dit que mon dessein était de Dieu et qu’il y avait déjà quelque temps que Dieu lui avait fait connaître qu’il voulait quelque chose de moi. Je le crus sans hésiter ; et je revins pour mettre ordre à tout467.

Madame Guyon est la destinataire très probable, mais non citée par discrétion, de nombreuses lettres citées dans le DM. Dans celleci, le détail de la maladie de la goutte du mari rend cette attribution certaine. Cette lettre rend compte de l’atmosphère habituelle qui régnait entre Bertot et Madame Guyon pendant les dix ans que dura leur relation :

Lettre à l’auteur : Depuis dix ou douze jours Mr. N [Guyon] a eu la goutte. J’ai cru qu’il était de l’ordre de Dieu de ne le pas quitter et de lui rendre tous les petits services que je pourrais. J’y suis demeurée,

mais avec une telle paix et satisfaction que je n’en ai expérimenté de même… La bonne Mère [Granger] m’aide infiniment. Je suis bien heureuse qu’elle souffre que je lui conte mes misères : tout ce qu’elle me dit va bien avant dans mon cœur et j’ai fort envie d’en profiter… / Lettre 29 [réponse de Bertot] : Vous avez très bien fait de m’écrire et vous pouvez être sûre M[adame] que j’ai une joie extrême de vous pouvoir être utile en quelque chose. J’en ai reçu une que je ne vous puis exprimer, remarquant en votre lettre non seulement l’accroissement de la lumière divine en votre âme, mais encore ses grandes démarches. Car vous ne pouvez être plus certaine par aucune chose de la vérité de cette divine lumière en votre âme que par cette paix et joie à vous contenter de l’ordre de Dieu dans le service que vous rendez à M[onsieu]r. Remarquez donc que non seulement tout ce service est ordre de Dieu sur vous, mais encore tout ce que ce divin ordre opère en votre âme. Autrefois vous auriez désiré un million de choses et auriez été chagriné en ce bas emploi : mais l’esprit de Dieu vous employant par sa divine lumière en cela, vous y fait trouver Dieu qui vous met dans le repos, et qui vous y fera trouver une plénitude où vous trouverez toutes choses… Vous faites bien d’être fidèle aux quatre heures d’oraison que vous faites : mais quand la providence vous en dérobera, pour lors laissez-vous heureusement surprendre…Vous ne m’avez jamais mieux exprimé votre intérieur, ni mieux dit ce qui s’y passe ; soyez en certaine : c’est pourquoi je renvoie votre lettre avec celle-ci, afin que gardant l’une et l’autre, elles vous servent, d’autant que cela vous sera utile pour toute votre vie468.

Cette alliance d’amour et de rigueur, caractéristique de Monsieur Bertot, se voit dans les lettres de provenances diverses rassemblées dans le DM. Dans ce décalogue, il montre un esprit concret, raisonnable mais exigeant envers son interlocutrice (nous allégeons beaucoup le contenu des paragraphes, ce qui lui donne toute sa force) :

Vous avez vécu jusqu’ici en enfant avec bien des ferveurs et lumières. / Lisez et relisez souvent ceci ; car c’est le fondement de ce que Dieu demande de vous…

1… Si le bon Dieu vous donne des lumières… vous pouvez vous y appliquer par simple vue et recevoir de sa bonté ce qu’il lui plaira de vous donner ; et si votre âme n’a aucun désir de cette application, il ne faut que continuer votre simple occupation.

  1. Continuez votre oraison quoique obscure et insipide. Dieu n’est pas selon nos lumières et ne peut tomber sous nos sens.

Conservez doucement ce je ne sais quoi qui est imperceptible et que l’on ne sait comment nommer, que vous expérimentez dans le fond de votre âme ; c’est assez qu’elle soit abandonnée et paisible sans savoir ce que c’est.

Quand vous êtes tombée dans quelque infidélité, ne vous arrêtez pas à la discerner et à y réfléchir par scrupule ; mais souffrez la peine qu’elle vous cause, que vous dites fort bien être un feu dévorant, qui ne doit cesser que le défaut ne soit purifié et remédié.

Pour la douceur et la patience, elles doivent être sans bornes ni mesures. …

Pour les pénitences, la meilleure que vous puissiez faire est de les quitter…

Soyez fort silencieuse, mais néanmoins selon votre état… en observant ce que vous devez à un mari, à vos enfants…

Ce que vous me dites est très vrai que vous êtes bien éloignée du but … Pourvu que vous soyez fidèle, je ne vous manquerai pas au besoin, pour vous aider à vous approcher de Dieu promptement.

Vous expérimenterez très assurément que plus vous travaillerez de cette manière, plus vous vous simplifierez et demeurerez doucement et facilement auprès de Dieu durant le jour, quoique dans l’obscurité : au lieu de vous nuire, cela vous y servira.

Quand vous avez fait des fautes et que vous y avez remédié… oubliez-les par retour simple à Dieu sans faire multiplicité d’actes…469

Son amour appelle à rejeter tout attachement et à dépasser toute limitation pour aller vers la vie en Dieu qu’il connaît d’expérience :

Vous avez cru autrefois avoir des merveilles et vous n’aviez rien : et à présent que vous croyez n’avoir rien et être toute corruption et pauvreté, vous pouvez être tout si vous en faites usage, concourant avec Dieu, qui y agit en Dieu, vous laissant doucement pourrir et mourir et vous dénuer, et par là tomber dans le calme et l’abandon470.

Il ne faut pas s’arrêter en chemin :

Je vous dis que c’est la voie, et non pas votre centre : car vous ne devez pas vous y reposer ni y jouir, mais passer doucement plus loin en Dieu et dans le néant ; c’est-à-dire qu’il ne faut plus vous arrêter à rien quoiqu’il faille que vous soyez en repos partout. Sachez que Dieu est le repos essentiel et l’acte très pur en même temps et en toutes choses…471.

Monsieur Bertot peinait à sortir de ses états mystiques et n’écrivait que si la grâce l’incitait à le faire :

En vérité Il me détourne tellement des créatures que j’oublie tout, volontiers et de bon cœur. Ce m’est une corvée étrange que de me mettre la main à la plume, tout zèle et toute affection pour aider aux autres m’est ôtée, il ne me reste que le mouvement extérieur : mon âme est comme un instrument dont on joue ou, si vous voulez, comme un luth qui ne dit ni ne peut dire mot que par le mouvement de Celui qui l’anime. Cette disposition d’oubli me possède tellement, peut-être par paresse, qu’il est vrai que je pense à peu de chose 472.

Aux paroles et aux lettres, ce profond spirituel préférait la communication directe avec les âmes dans le silence :

Puisque vous voulez bien que je vous nomme ma Fille, que vous l’êtes en effet devant Dieu qui l’a ainsi disposé, vous souffrirez que je vous traite en cette qualité, vous donnant ce que j’estime le plus, qui est un profond silence. Ainsi lorsque vous avez peut-être pensé que je vous oublierais, c’était pour lors que je pensais le plus à votre perfection. Mais je vous parlerai toujours très peu : je crois que le temps de vous parler est passé, et que celui de vous entretenir en paix et en silence est arrivé. Demeurez donc paisible, contente devant Dieu ou plutôt en Dieu dans un profond silence. Et pour lors vous entendrez ce Dieu parlant profondément et intimement au fond de votre âme.473.

Je vous en dis infiniment davantage intérieurement et en présence de Dieu ; si vous y êtes attentive, vous l’entendrez.474

Madame Guyon ne l’avait pas compris, bien qu’elle ait constaté sans se l’expliquer qu’elle était forcée au silence devant Monsieur Bertot. C’est seulement plus tard dans son propre cercle spirituel qu’elle expérimentera la communication en silence.

Dans plusieurs lettres à des intimes, Monsieur Bertot affirme sans ambages la véritable nature de sa direction spirituelle. Elle se situe non dans le langage, mais dans l’union directe avec les âmes parce qu’il les retrouve dans la profondeur divine.

Je vous assure, Madame, que mon âme vous trouve beaucoup en Dieu et qu’encore que vous soyez fort éloignée, nous sommes cependant fort proches, n’ayant fait nulle différence de votre présence et de votre absence, départ et éloignement. Les âmes unies de cette manière peuvent être et sont toujours ensemble autant qu’elles demeurent et qu’elles vivent dans l’unique nécessaire : là elles se servent et se consolent aussi efficacement pour le moins que si elles étaient présentes, et la présence corporelle ne fait que suppléer au défaut de notre demeure et perte en Dieu… C’est donc là que l’on trouve ses amis et qu’on leur est plus utile qu’en toute autre manière, car en les trouvant on ne laisse pas d’avoir Dieu et de jouir de Lui. Et au contraire quand on a ses amis et qu’on en est occupé par les sens, pour l’ordinaire on est peu en Dieu et on leur est peu utile475.

Comme dans la tradition des Pères du désert ou des staretz de l’Orthodoxie, il porte ses enfants spirituels dans sa plongée en Dieu et affirme avec hardiesse qu’à travers ce « néant » qu’il est devenu, la grâce divine peut agir :

Je veux bien satisfaire à toutes vos obligations et payer ce que vous devez à Dieu : j’ai de quoi fournir abondamment pour vous et pour beaucoup d’autres ; j’ai en moi un trésor caché, c’est un fond inépuisable qui n’est autre que mon néant : c’est là que tout est, c’est là que je trouve de quoi satisfaire à vos obligations. Ce trésor est caché car on croit que je suis quelque chose : c’est qu’on ne me connaît pas. Ce fonds est un trésor, car c’est toute ma richesse, c’est mon bien et mon héritage, c’est mon tout. … Il est inépuisable car Dieu en peut tirer tout ce qu’Il veut… Je donne tout d’un seul coup et je suis ravi de n’être et de n’avoir plus rien. Je vous soutiendrai que Dieu ne peut épuiser notre néant, comme Il ne peut épuiser son tout.476

Dans une admirable lettre, cet homme qui s’épanchait si peu, livre avec émotion son souhait le plus profond :

Si j’entre dans cette unité divine, je vous attirerai, vous et bien d’autres qui ne font qu’attendre ; et tous ensemble n’étant qu’un en sentiment, en pensée, en amour, en conduite et en disposition, nous tomberons heureusement en Dieu seul…477.

Monsieur Bertot mourut le 28 avril 1681 et Madame Guyon le sentit à distance. Quelques années plus tard, elle reprit la direction spirituelle des laïcs qui s’étaient regroupés autour d’elle, disant que Monsieur Bertot lui avait transmis son « esprit pour aider ses enfants spritituels » : le travail de Monsieur Bertot put ainsi continuer.







Annexes de l’édition 2005

I : Table synchronique de membres de l'école de l'amour pur

Cette table fait apparaître les recouvrements entre les membres de cette école qui rendent possibles des influences « d'aînés à cadets ». Les quatre figures principales en capitales forment en ce sens une filiation mystique : le franciscain Chrysostome de Saint-Lô, Monsieur de Bernières, Monsieur Bertot, Madame Guyon.

Les recouvrements visualisent les liens entre les individus, suggérés par leur proximité visuelle (avec quelques compromis inévitables : ainsi le père Chrysostome et Bertot d'une part, Marie des Vallées et Bernières d'autre part, se connaissaient mais ne figurent pas dans des cases connexes du second diagramme). On s'est ici limité aux figures nées entre 1590 et 1651, soit trente années ou une génération de part et d'autre de 1620 (la date de naissance de Bertot). Son extension dans le temps est limitée : point trop éloignée de la durée moyenne d'une vie humaine, elle laisse les recouvrements visibles.

Table synchronique des membres de l'école de l'amour pur nés entre 1590 et 1651.

1590 Marie des Vallées 1656

1594 P. JEAN-CHRYSOSTOME 26.03.1646

1596 Jourdaine de Bernières (mère de Ste Ursule) 26.09.1670

1599 Marie de l'Incarnation (du Canada) 1672

1601 Jean Eudes 1670

1602 Jean de BERNIERES 3.05.1659

?1600 Michelle Mangon (Ursule de la Conception) 1660

1611 Gaston de Renty 1649

1614 Catherine de Bar (Mectilde du St Sacrement) 1698

1620 Jacques BERTOT 1681

1631 Archange Enguerrand 23.04.1699

1640 P. La Combe 1715

15.04.1646 Pierre Poiret 1719

1648 Jeanne-Marie GUYON 1717

1651 Fénelon 1715


II : Tableau général de l'école quiétiste du pur amour

Ce tableau (réparti sur deux pages) s'étend beaucoup plus dans le temps. Assez complet pour le XVIIe siècle, il doit être considéré comme une simple esquisse après 1750, et nous avons perdu les traces de groupes guyonniens peu avant 1840. On élargit ici le réseau des figures mystiques à de nombreux spirituels — représentant ici un total de cinquante figures. Environ cinquante autres noms dont nous avons reconnu les physionomies originales sont laissés de côté. Cette turba magna des mystiques, ici relevée pour une seule école méconnue, suggère une multiplicité si vaste d'influences qu'elle déborde toute possibilité d'enquête exhaustive.

Suggérons brièvement une identité pour chaque nom cité :

Deux premières rangées : Vincent de Paris est un des franciscains arrivés à Paris à la fin des guerres de religion. Antoine Le Clerc est un laïque parisien cultivé qui éveilla la vocation de Chrysostome de Saint-Lô.

Première colonne (traversant les deux pages) : les carmes de la réforme française, indépendante de celle d'Espagne, Jean de Saint-Samson ainsi que son disciple Maur de l'Enfant-Jésus exercèrent une influence directe (par Maur) sur Madame Guyon ; la mère de Bassompierre transporta probablement un manuscrit issu de Madame Guyon qui servit ensuite au jésuite Jean-Pierre de Caussade pour une mise en forme finale sous le titre de L'abandon à la Providence divine. Ramières est un autre jésuite, spirituel notable du XIXe siècle, qui édita le premier ce texte.

Deuxième colonne : Jean-Baptiste de Saint-Jure, ..., Archange Enguerrand furent membres du cercle de l'Ermitage animé par Ber-nières ou peuvent y être rattachés par influence. Pierre Poiret édita Madame Guyon et de nombreux mystiques (dont Catherine de Gênes) ; il eut pour disciple le théologien Tersteegen, lui-même influent sur Kierkegaard.

Colonne centrale : le P. Chrysostome, Jean de Bernières, Jacques Bertot, Madame Guyon, constituent les membres que nous reconnaissons comme appartenant à une filiation qui transmet un même « enseignement » de coeur à coeur, éclairé par leurs écrits. L'une des deux duchesses de Mortemart ou de Grammont a peut-être succédé à Madame Guyon (mais sûrement pas Ramsay ou un Ecossais : par ailleurs la place manque pour citer tous les disciples).

Quatrième colonne: elle regroupe de nombreuses figures féminines : la simple mais profonde Marie des Vallées, influente sur Eudes, Renty, Bernières ; les ursulines Jourdaine, soeur de Jean, et Michèle Mangon ; la mère Geneviève Granger en relation avec Bertot à qui elle présenta Madame Guyon ; Catherine de Bar qui prit le nom de Mectilde du Saint-Sacrement, vécut longtemps, fut en relation étroite avec Bernières et Chrysostome dans sa jeunesse puis estimée par Madame Guyon lorsque celle-ci la connut, âgée ; et, liée à un autre réseau incluant des quiétistes italiens, la mère Bon, ursuline du Dauphiné, fut influente sur le père Lacombe et apparut en rêve à Madame Guyon.

La même colonne comporte également des figures masculines : Jean-François d'Argentan, du cercle de l'Ermitage, édita Bernières mais son travail de réécriture ne fut pas apprécié de Jourdaine. Paulin d'Aumale, du tiers-ordre régulier franciscain comme Chrysostome, intervint dans la transmission de l'oeuvre de Bertot qui aboutit à Madame Guyon et constitua le Directeur Mystique (au moins en partie). Le P. Lacombe est le confesseur de Madame Guyon : il vaut mieux que la réputation qu'on lui a faite et fut considéré comme un martyr par les disciples du siècle suivant. Les ducs et duchesses de Chevreuse et Beauvilliers, issus du cercle créé par Bertot, ainsi que le fidèle Dupuy grâce auquel de nombreux textes nous sont parvenus, furent des proches de Madame Guyon. Celle-ci dirigea le marquis de Fénelon, jeune neveu de l'archevêque ; enfin Wesley apprécia beaucoup Madame Guyon mais la découvrit profondément trop tard, après l'édition de la collection de textes mystiques qu'il assembla, ce qui ne permit pas d'accroître l'influence de celle-ci sur les protestants méthodistes.

La cinquième et dernière colonne comprend des figures plus éloignées des figures centrales de ce diagramme, en général de par leur situation géographique : Marie de l'Incarnation passa près de la moitié de sa vie au Canada, le mystique Louys Epiphane, confesseur et proche de Catherine de Bar, résida en Lorraine ; le baron de Metternich, marié à Pétronille d'Eschweiler, le comte Fleischbein, sont des guyonniens résidant à l'étranger. Le pasteur Dutoit, deuxième éditeur de Madame Guyon après Poiret, a eu pour disciple le jeune Pétillet qui animera le dernier cercle guyonnien reconnu de Morges, tout près de Lausanne.

Bertot, qui figure en colonne centrale à la cinquième rangée, occupe ce que l'on doit considérer comme le centre de gravité du tableau. Rappelons qu'une saisie de la police bernoise, qui eut lieu en 1790 chez le guyonnien tardif Dutoit, ne découvrit que quelques livres, mais le Directeur Mystique de Bertot en faisait partie.

Tableau général de l'école quiétiste du pur amour (autour de Jean-Chrysostome, Jean de Bernières, Jacques Bertot).

µµ deux images à introduire

III : Sources de Monsieur Bertot, Directeur Mystique

— Sources utiles à l'approche biographique

Les sources relatives à J. Bertot sont les suivantes (nous traitons séparément des éléments biographiques rapportés par Madame Guyon dans notre édition de sa Vie écrite par elle-même, qui précise ses rapports avec Monsieur Bertot) :

A. Sources publiées :1. Le directeur Mistique..., Poiret, 4 vol., 1726; 2. Madame Guyon, Vie écrite par elle-même ; 3. P. Pourrat, Dict. Spir., tome I, col. 1537-1538, art. « Bertot » (jugé fautif par le P. Berthelot du Chesnay) et La Spiritualité Chrétienne, IV Les temps modernes, Lecoffre, p. 183 ; 4. J. Orcibal, note 15 à la lettre no. 44, p. 155, et note 1 à la lettre no. 78, p. 200, de l'édition de la Correspondance de Fénelon, tome II, page 200 ; 5. R. Heurtevent, L'oeuvre spirituelle de Jean de Bernières, Beauchesne, 1938 ; 6. Catherine de Bar, Lettres inédites, Rouen 1976; 7. Note 38, p. 72, de J. Bruno, La Vie de Madame Guyon..., dans Les cahiers de La Tour Saint-Jacques, Paris 1962; 8. G. Joppin, Fénelon et la mystique du pur amour, Beauchesne, 1938, pages 41-45; 9. Bertot J. , DHGE t. VIII, col. 1027.

B. Sources manuscrites : 1. Les notes rassemblées par le P. Berthelot du Chesnay pour la préparation de son grand oeuvre sur Ber-nières interrompu par son décès.

2. Lettre de M. du Houël à P-D. Huet, BN E Fr. 11 911, transcrite par du Chesnay ;

3. Lettre 38 à Fénelon, BN n. acq. Fr. 11 010, f. 136v° ;

4. Recueils de lettres de la R.M. Mechtilde conservés chez les bénédictines de Rouen.

Le P. du Chesnay commente ainsi des sources normandes dérivées: « Au point de vue biographique [...] : P.-D. Huet, Les origines de la ville de Caen, 2e éd., Rouen, 1706, pp. 398-399 ; Fr. Martin, Athenae Normannorum, v. Bourrienne et T. Genty, Caen, Jouan, 1901, p. 317. Le père François Martin, qui avait renseigné Huet sur Bertot, comme on peut le constater à la BN (mss. F. Fr. 11 911, f. 30, 33) et par leur correspondance, publiée par la Revue catholique de Normandie (années 1895-1898) n'ajoute rien à Huet, si ce n'est des fautes d'impression, dans les dates, qui ne se trouvent pas dans d'autres auteurs bien inspirés en suivant Huet ; Ed. Frère, Manuel du bibliographe normand, t. I, p. 99; F. Boisard, Notices sur les hommes du Calvados, p. 22; N. Oursel, Nouvelle biographie normande, t. I, p. 76... » ; Arch. Eudistes, Fonds du Chesnay, R13/16.

— Identité, baptême, décès

Identité:

Confuse aux yeux de nombreux historiens, car notre Bertot, que nous trouvons orthographié Bertaut par Saint-Simon, Berthod par Bremond, etc., porte un nom normand très courant. Il a donc été confondu avec des homonymes. On trouve ainsi parmi les bienfaiteurs des missions de Jean Eudes (qui connut notre Bertot) : « ... 7. Bertaut (Bertin), v. 1581-1658, Sr du Parc, était un prêtre originaire de Valognes. Il fut curé d'Alleaume (1627-1635) et titulaire de sa chapelle, N.-D.-de-la-Victoire, jusqu'en 1633. Lorsqu'il était « confesseur principal et directeur » des Bénédictines de Valognes, il se qualifiait y. 1640-1648, de « prédicateur et théologien ». C'était un homme charitable qui « assistait les pauvres malades... ». [...][il] avait un frère, Robert, qui était également prêtre et fut chanoine de la collégiale de Valognes. / 8. Bertaut (Claude), + v. 1685, prêtre, était chanoine de la cathédrale de Coutances. Il fut mêlé aux affaires relatives à Marie des Vallées : d'abord quelque peu prévenu contre la « béate du Père Eudes », v. 1651-1658, il finit par l'invoquer... » (Ch. Berthelot du Chesnay, Les missions de Saint Jean Eudes, contribution à l'histoire des missions de France au XVIIe siècle, 1967, Procure des Eudistes, appendice I, « Les bienfaiteurs des missions... », p. 326).

Baptême :

« Extrait du registre des baptêmes faits dans l'église de St Sauveur

de Caen ainsi qu'il suit : « ...le trente de juillet 1622 Jacques, fils de Louis Berthot et Judith Le Mière sa femme a été baptisé. Le nom luy ayant été donné par honeste homme Jacques le Mière fils Jacques, et Magdeleine Guérin ... parrain et maraine » (extr. du 28.4.1699 signé Le Carpentier dans les papiers de Huet, B.N. f. fr. 11 911 fol.33 Archives Eudistes, Fonds du Chesnay, Bernières.)

Décès :

Les sources se contredisent et le P. du Chesnay lui-même, auquel nous devons l'établissement exact en l'année 1681, hésita :

Dates du décès erronées : 1. Réponse du P. du Chesnay à une lettre de 1955 de Madame Agnès de la Gorce : « ...Bertot est né à Caen, a été baptisé dans l'église Saint-Sauveur (qu'il ne faut pas confondre avec l'ancienne église Notre-Dame qui aujourd'hui porte ce nom) — né le 29 juillet, baptisé le 30 juillet 1622 ; il mourut à Montmartre, le 27 avril 1683, et y fut inhumé. » Fonds du Chesnay, R13/16; 2. Orcibal, note 15 à la lettre no. 44, p. 155 de l'édition de la Correspondance de Fénelon, tome II, retient 1683. L'origine de cette erreur de deux ans en est peut-être la Lettre de M. du Ho:4N à P-D. Huet : « Il mourut le vingt-trois d'avril 1683 à Montmartre, âgé de 59 cinquante neuf. » (B.N.F. Fr. 11 911). L'âge de 59 ans attribué à sa mort par du Houê1 qui situe (correctement) sa naissance en juillet 1622 conduirait en fait à... avril 1682.

Vraie date du décès, outre l'extrait donné dans le texte principal : 1. « Né à Caen, le 29 juillet 1622, il mourut à Paris (abbaye de Montmartre) le 28 avril 1681. (Renseignement fourni par le R.P. Charles Berthelot du Chesnay). » Catherine de Bar, Lettres inédites, Rouen 1976, note (1), p. 183; 2. Décès en mars ou avril 1681 dans le Directeur mistique et selon la Vie de J.-M. Guyon.

Figures amies

Le cercle dévot à Montmartre.

Nous citerons ici seulement quelques figures illustres autour de l'abbesse et de l'altesse, toutes deux de Guise : Mr de Noailles (Anne, marié en 1645 à Louise Boyer très pieuse, ter duc de Noailles en 1663, mort en 1678) ; Mr de duc de St Aignan (François de Beau-villiers et de St Aignan, ler duc de Saint-Aignan en 1663 (v. 1608 —1687) qui épouse en 1633 Antoinette Servien (+ 1680) puis vers 1680, Françoise Géré de Rancé (+ 1728)) ; Mr le duc de Beauvilliers (Paul de Beauvilliers, duc de St Aignan, dit de Beauvilliers (1648 — 1714) qui épouse en 1671 Henriette-Louise Colbert (+ 1733), couple en relation étroite avec Madame Guyon comme avec celui du duc de Chevreuse). Nous nous reportons, soit à Moreri parfois erroné, ou mieux à Ch. Levantal, Ducs et Pairs et duchés-pairies laïques à l'époque moderne (1519-1790), Maisonneuve et Larose, 1996.

— Le corpus

Il comporte sept volumes :

(1) [1662] Diverses RETRAITES où une âme après avoir connu son désordre par la lumière du Saint-Esprit, se résoud à le quitter, et embrasser le chemin de la sainte perfection, A Paris, pour Madame l'Abesse [sic] de Montmartre, in-16, Avertissement, Trois dispositions, approbations : 60 pages non numérotées ; suivies de quatre retraites : pages 1 à 384 (de 22 lignes de 30 caractères chacune). La date de 1662 des approbations est reprise par Orcibal, note 1 à la lettre no. 78... déjà citée : « nous penserions plutôt au « livre des Retraites que Jacques Bertot fit en 1662 pour l'abbesse de Montmartre ». Selon Ch. du Chesnay, « La quatrième retraite est sans doute celle dans laquelle on retrouve les thèmes chers à Bernières... »

(2) [1662] Continuation des RETRAITES dans lesquelles l'âme puisera des lumières pour travailler solidement à sa perfection, seconde partie, Paris, pour Madame l'Abesse [sic] de Montmartre, in-16, table suivie de cinq retraites : pages 375 (sic) à 855.

Ces deux volumes ont pour seuls exemplaires répertoriés ceux de l'ancienne bibi. des Fontaines de Chantilly, sous les cotes A 401/677678, maintenant à Lyon; toutefois Ch. du Chesnay signale Diverses retraites... à Valogne, BM, C 6785, (Archives Eudistes, Fonds du Chesnay, Bernières).

(3) [1684] CONCLUSION des RETRAITES Où il est traité des degrés et des états différens de l'oraison, et des moyens de s'y perfectionner, A Paris, chez Jean-François Dubois, rue Saint-Jacques, à la Reyne du Clergé & à l'Image S. Denis, vis-à-vis S. Yves, 1684, (in-16, 210 pages. Une annotation moderne en vis-à-vis de la page de titre rectifie comme suit une autre annotation moderne portée sur la page de titre elle-même : « Le livre de Jacques Bertot est écrit pour Françoise-Renée de Lorraine et non par elle... ». Une note du P. Watrigant, de graphie différente, « Le P. Eudes fut en relation... » est par ailleurs attachée en page de garde).

(4-7) [1726] LE DIRECTEUR MISTIQUE, OU LES OEUVRES SPIRITUELLES DE MONSR. BERTOT, ami intime de feu Mr de Bernières & directeur de Made. Guion, /avec un recueil de Lettres Spirituelles tant de plusieurs Auteurs anonimes, que du R.P. Maur de l'Enfant Jésus, Religieux Carme, & de Madame Guion, qui n'avaient point encore vu le jour. Divisé en Quatre volumes, A Cologne, Chez Jean de la Pierre. 1726. (Nous unifions les corps en minuscules après le début du titre ; les 4 volumes comportent respectivement 453 p. , 430 p. , 526 p. , 368 p.)

Contenu détaillé du DM :

1. Dans l'édition [1726] réalisée par l'équipe Poiret, peu après la

mort de ce dernier :

Volume I composé de 12 traités de longueurs très inégales :

[ p. 1 (Chaque page représente 1700 signes environ)] 1. Conduite

de Dieu sur les âmes,

[ 18] 2. De l'état du repos sacré,

[ 30] 3. Profondeur des S. Évangiles,

[ 39] 4. États d'oraison, représentés dans l'Évangile du Lazare,

[ 50] 5. Degrés de l'oraison, comparés aux eaux qui arrosent un

jardin,

[117] 6. Voie de la perfection sous l'emblème d'un nautonnier, [178]

7. L'Oiseau ou De l'oraison de Foi, sous la figure d'un petit Oiseau,

[251] 8. Les croix, inséparables du don de l'oraison,

[260] 9. Opérations de la Ste Trinité dans les âmes,

[266] 10. Sur l'état du Centre,

[284] 11. Sur l'état du Centre ("Mr Bertot m'a dit..."),

[292] 12. Éclaircissements sur l'oraison et la Vie intérieure [fin en p. 453].

Vol. Il composé de lettres de Bertot et d'une addition :

[p. 1] Lettres 1 à 70, (aux 70 lettres s'ajoutent 5 « lettres à l'auteur » très probablement de Mme Guyon appelant leurs réponses - dont la dernière longue lettre qui comporte 6 réponses).

Addition : conseils d'une grande servante... Marie des Valées [sic] [fin en p. 430].

Vol. DI, composé de lettres de Bertot :

[p. 1] Lettres 1 à 70, additions 1 à 4 [fin en p. 526].

Vol. IV, composé de lettres de Bertot, Maur de l'Enfant-Jésus et

Madame Guyon :

[p. 1] Lettres 1 à 81,

[265] Lettres 1 à 21 de P. Maur,

[310] Lettres 1 à 21 de Madame Guion [fin en p. 368].

562 Monsieur Bertot

2. Dans la réédition restreinte [1742] réalisée à Berlebourg :

Le Directeur Mistique ou Extrait des oeuvres Spirituelles de Monsr. Bertot. Ami intime de feu Mr Bernières et directeur de Mad. Guyon, tiré des quatre volumes de ces mêmes oeuvres de Mr. Bertot imprimé à Cologne 1726. A Berlebourg, imprimé par Christoffle Michel Regelein, 1742, 488 pages (réf. Chantilly A342/170). Ce volume unique reproduit : Avertissement, 5 Discours dont Lazare et l'Oiseau extraits du vol. I, puis [p. 59] 30 lettres soit extr. de III : lettres 29, 32, 36, 45, 56, 58, 66, extr. de II : lettres 31, 48, 46, 43, 35, 36, 45, 59, 63, 61, 64, 65, extr.de III : lettres 5, 15, 16, 48, 53, 61, 62, Lettre à l'auteur 69, Lettre à l'auteur 70, Lettre à l'auteur 64, 59, puis [p. 397] suivent les 22 lettres à Mme Guyon.

- Écrits du P. Chrysostome

Nous avons repéré sept exemplaires des écrits « composés par un Religieux [le P. Chrysostome] d'une vertu éminente et de grande expérience en la direction des âmes » : un des trois ex. de la B. M. de Valognes comporte son portrait gravé (réf. C4837) ; un ex. est à la B.N.F. ; trois ex., consultés à Chantilly, sont actuellement à Lyon. Ils se ramènent - l'ordre des matières peut varier - à deux titres : Divers traités spirituels et méditatifs à Paris, 1651 ; Divers exercices de piété et de perfection, composés par un religieux d'une vertu éminente et de grande expérience en la direction des âmes, à la plus grande gloire de Dieu et de NSJC, à Paris, 1655. De nombreux autres titres, que nous n'avons pu localiser, sont donnés par Boudon, CEuvres II, Migne, col. 1320 ss. Leur étude est très intéressante pour fixer l'atmosphère du groupe de l'Ermitage dirigé par Bernières. Ces écrits furent certainement médités par Bertot.

IV : Chronologie de la vie de Monsieur Bertot

Les rares événements que nous avons pu dater sont tous présentés dans cette chronologie :

1622: Le 29 juillet, naissance du fils unique d'une famille de marchands drapiers de Caen.

Études au collège de Caen.

Devenu prêtre, il s'attache à l'Ermitage de Jean de Bernières situé dans cette même ville : « Il y fit sa demeure... il y passa douze à quinze ans. » Il devient le jeune disciple de Jean qui lui écrira : "Je n'ai manqué ... de vous offrir à Notre-Seigneur afin ... qu'il achève Son oeuvre en vous."

1645: « Il a renouvelé tout ce pauvre petit monastère et fait renaître la grâce de ferveur... » (Catherine de Bar, la mère Mectilde du Saint-Sacrement).

1655: "Monsieur Bertot" devient le prêtre séculier confesseur du monastère des ursulines de Caen fondé par Jourdaine de Bernières (ce qui ne l'empêche pas d'accompagner Bernières lors d'une visite à Paris cette même année).

1659: « Dieu nous a ravi notre cher Monsieur de Bernières, autrement dit Jésus pauvre... Voici ce que M. Bertot nous en a écrit... » (Catherine de Bar).

1662: Parution de schémas de retraites, probablement rassemblés par les soins d'auditeurs, en deux volumes : Diverses retraites... et Continuation de retraites...

1664: « Notre bon M. Bertot lui tiendra lieu de père et de frère et l'aidera à porter la croix que le Saint-Esprit a mise dans son coeur. » (Catherine de Bar à une religieuse de Montmartre).

1667: Il est l'un des religieux auxquels Mgr Pallu, en voyage pour Candie, demande un avis sur un projet de congrégation.

1670: affrontement avec Jourdaine, au sein du monastère des ursulines de Caen.

Le 21 septembre 1671, il rencontre la jeune Madame Guyon par l'intermédiaire de la mère Granger (Vie, 1.19.1-2).

1673-1674: lettres à un dirigé canadien ; lettre à Madame Guyon dont il devine à distance une épreuve intérieure (Vie, 1.19.13) ; implication dans une affaire qui lui permet de connaître l'abbesse de Montmartre ; mort de la mère Granger.

1675: il quitte le couvent de Caen pour celui de Montmartre animé par Françoise-Renée de Lorraine. Elle préparera l'édition d'un traité de l'oraison que Bertot jugea utile de composer à la suite des volumes de retraites. Ce traité paraîtra tardivement sous le titre peu explicite : Conclusion aux Retraites...

Constitution du cercle dévot qui sera repris par Madame Guyon.

1677: Cette dernière se sent « ignorée ». Toutefois Bertot lui attache un ecclésiastique qui sera le précepteur de son fils survivant. Seule lettre datée (du 22 mars) de leur correspondance.

1681: le 28 avril, mort de Jacques Bertot à Paris.

1682: mort de Francoise-Renée de Lorraine.

1684: parution à Paris de la Conclusion aux retraites...

1717: mort de Madame Guyon.

1726: parution en Hollande du Directeur mystique, ou les oeuvres spirituelles de Mr Bertot... correspondances et opuscules antérieurement rassemblés par Madame Guyon, l'auteur de la préface.



TABLE DES MATIERES

Je place un * devant les lettres supposées adressées à madame Guyon.

Quarante lettres complètes ont été éditées dans le premier volume de la Correspondance de Madame Guyon, comme faisant partie de la correspondance passive reçue par la jeune femme entre 1672 et mars 1681, date de la mort de son directeur1. Il est probable que de nombreuses autres lettres conservées dans le DM lui sont également adressées



Table des matières

JACQUES BERTOT 3

Œuvres mystiques III 3

& 3

Amis 3

RETRAITES 1662 7

Avertissement pour la retraite. 9

Trois dispositions 19

Approbations. 22

Première retraite 22

Premier jour. Méditation. De la fin pour laquelle nous sommes créés. 22

II. jour. Méditation. De la fin de votre rédemption. 25

III. jour. Méditation. Du malheur des âmes qui s’éloignent de leur fin. 27

IV. Jour.Méditation. Pour concevoir le bonheur d’une âme, laquelle après être vraiment efficacement touchée de ces vérités, conçoit un désir de retourner à son Dieu. 30

V.Jour. Méditation. De l’horreur et éloignement extrême qu’une âme doit avoir du péché pour arriver à sa fin. 34

VI. Jour. Méditation. Combien le péché véniel est dommageable à l’âme, et de sa malignité. 38

VII Jour. Méditation. Du grand mal que fait en nous la vie tiède et négligente. 42

µ manquent 84 et 85 46

IX. Jour. Méditation. Continuation de la vie illuminative. 51

Xe Jour. Méditation. Continuation. 55

Seconde retraite 66

Avertissement. Cet exercice est pour découvrir à une âme ces défauts et son désordre, 66

Premier jour. 67

2e jour. 68

3e jour. 70

4e jour. 71

5e jour. 72

6e jour. 74

7e jour. 75

8e jour. 77

µ manquent 206 207 208 78

9e jour. 78

10e jour. 79

Conclusion. 82

Troisième retraite. Exercice de 10 jours pour exciter une âme à la conversion véritable de soi-même vers Dieu. 83

Avis. 83

Premier jour. 86

2e jour. 87

3e jour. Convivificavit nos in Christo, vi essemus in ipso Nova Creatura. 88

4e jour. Méditation. Dieu est en soi une Majesté infinie, toutes les créatures ne sont devant lui qu’un pauvre néant, ou rien du tout, les ayant créés toutes par une seule parole. 89

5e jour. Méditation. Excutere de pulvere, consurge, et solve vincula colli tui captiva filia Sion ! 90

6e jour. Méditation. Donnez-vous à notre Seigneur Jésus-Christ pour avoir part à sa lumière, afin de pénétrer ces vérités. 91

7e jour. Méditation. Continuez à vous donner à l’esprit de Jésus-Christ pour voir ces vérités si importantes. 93

8e jour. 95

9e jour. Méditation. Donnez-vous à la lumière de Dieu, pour entrer dans ces vérités. 96

10e jour. 98

Conclusion. 99

Quatrième retraite. Avertissement pour les méditations suivantes. 100

Premier jour. Méditation. Considération pour s’unir et participer à la grâce du divin Mystère de la Purification de la très sainte Vierge, ce qui peut servir très fructueusement pour dix jours de Solitude. 102

2e jour. 102

3e jour. 103

4e jour. 104

5e jour. 105

6e jour. 106

7e jour. 107

8e jour. 109

9e jour. 111

10e jour. 113

[374] LITANIES du saint Enfant Jésus [omises]. [384] 119

CONTINUATION DES RETRAITES, dans lesquelles l’âme puisera des lumières pour travailler solidement à sa perfection. 120

Cinquième retraite. Dispositions pour la fête de l’Ascension. 120

Premier jour. La grâce et l’effet merveilleux du Mystère dans la sainte Vierge et les saints apôtres et ensuite dans les âmes qui participent à ce divin Mystère. 123

2e jour. 124

3e jour. 126

Avertissement. 127

Sixième retraite. Dispositions intérieures pour se préparer à grand et admirable fait de la Pentecôte, afin d’y recevoir le saint esprit et ses dons 128

Premier jour. 128

2e jour. Dispositions dans lesquelles étaient les saintes âmes attendant la venue du saint Esprit dans le cénacle. 132

3e jour. Maximes nécessaires pour recevoir la grâce de ce saint jour. 134

4e jour. Du don de sagesse. 136

5e jour. Le Don d’entendement. 137

6e jour. Le don de conseil. 138

7e jour. Le don de Force. 141

8e jour. Le Don de Science. 143

9e jour. Du Don de Piété. 144

10e jour. Le don de crainte. 146

Septième retraite. Dispositions intérieures sur le S. Mystère de la Visitation de la sainte Vierge. 148

Premier jour. Effet de la présence de Jésus-Christ en la sainte Vierge. 149

2e jour. 150

3e jour. 151

5e jour. 153

6e jour. 153

7e jour. Effet de la présence de Jésus sur l’âme de saint Jean. 155

8e jour. 156

9e jour. 158

10e jour. 159

Conclusion. 160

Huitième retraite. Avant-propos à la retraite des divins attributs. 161

Premier jour. De l’existence divine. 162

2e jour. De l’Immensité divine. 165

3e jour. De la simplicité et pureté divine. 168

4e jour. De l’Immortalité et de l’Immutabilité divine. 170

5e jour. De l’Infinité et Incompréhensibilité divine. 174

6e jour. De la vérité divine. 178

7e jour. De la sainteté divine. 183

8e jour. De la Sapience et Providences divine. 186

9e jour. De la Bonté et Amour divin. 190

10e jour. De la Puissance divine. 194

Neuvième retraite. Ou solitude pour passer 10 jours, afin d’exciter l’âme à l’amour de Jésus-Christ. 198

II. Jour. Jésus sagesse éternel. Méditation. Un. 205

III. Jour. Jésus-Christ est le roi des rois. Méditation. Un. 208

Méditation. Un. 212

CONCLUSION DES RETRAITES 1684 247

Approbations 247

Extrait du privilège du Roi 248

TABLE de ce qui est contenu en ces Conclusions des Retraites : 249

CONCLUSION 250

[INTRODUCTION] 251

DEGRES D’ORAISON 257

De l’oraison d’affection 257

[Différence de la méditation et de l’oraison d’affection] 257

[Ce que c’est que l’oraison d’affection] 258

[Deux sortes d’oraisons d’affection] 258

[Effets de l’oraison d’affection] 259

[Marques pour connaître quand on doit quitter la méditation pour passer à l’oraison d’affection] 260

De l’oraison de simplicité 262

[Pourquoi cette oraison s’appelle de simplicité] 262

[Différence de l’oraison d’affection et de simplicité] 262

[Définition de l’oraison de simplicité] 263

[Effets de l’oraison de simplicité] 265

[Comment l’âme agit dans l’oraison de simplicité] 267

[Marques pour juger quand une âme doit passer de l’oraison de simplicité à l’oraison passive] 269

De l’état de l’oraison passive 271

[Divers degrés de cette oraison] 272

Premier degré de la mort passive 275

[Degré de mort] 275

[Pourquoi ce degré est premier] 275

[Différence de la soustraction de cet état, et de l’état de simplicité] 276

[Dépérissement de cet état de mort] 276

[Effets de ce degré de mort] 277

[Dans l’entendement] 277

[Dans la volonté] 277

[Dans la mémoire] 279

[Différences des peines de cet état et de celles des précédents et comme elles doivent être portées différemment] 281

[Abus touchant les peines des premiers états] 282

Second degré de la contemplation passive 284

[En quoi consiste ce second degré et la différence dans les autres degrés et états] 284

[Effets de ce degré] 285

[L’entendement est revivifié] 286

[La volonté est vivifiée] 287

[La mémoire est vivifiée] 287

[Des sécheresses et tentations de cet état] 288

[Marques de la fin de cet état] 288

Troisième et dernier degré d’union 289

à laquelle parviennent les âmes qui sont assez heureuses pour être appelées à faire un grand progrès dans ces routes de l’oraison, et qui s’y rendent fidèles. 289

[Ce que c’est que ce dernier degré] 289

[Comparaison qui exprime bien cet état] 290

[Du commencement de cet état] 291

[Du milieu de cet état] 292

Marques pour discerner quand une âme passe de l’oraison de simplicité dans l’état passif. 293

[Première marque] 293

[Seconde marque] 293

[Troisième marque] 294

[Combien l’état passif est périlleux sans vocation] 294

ÉCLAIRCISSEMENTS 295

sur plusieurs difficultés de ces degrés d’oraison qui pour l’ordinaire donnent beaucoup de peine aux âmes qui ne sont pas instruites. 295

[Pourquoi on ne dit rien des révélations] 295

[Comme on se doit servir du sujet dans l’oraison d’affection et les autres degrés] 296

[Comment se font les examens, actes de contrition et autres pratiques dans les divers degrés d’oraison] 298

[Comment on est certifié de son état] 300

[Que doit être le directeur] 300

[Abus ordinaire des âmes qui sont dans les ténèbres] 301

[Différence des véritables obscurités et des fausses] 302

[On doit parler des degrés d’oraison avec méthode] 303

[Abus de quelques spirituels] 303

[Si l’on doit généralement conseiller l’oraison] 304

[Comment on doit conseiller l’oraison, selon la capacité de la personne] 305

[Prétextes malheureux qui font quitter l’oraison] 309

MANIERES D’AGIR DANS LES MALADIES et à la mort pour chaque degré 311

INFLUENCES REÇUES PUIS EXERCEES 317

Jean de Bernières à Jacques Bertot 319

Les événements importants dans la vie de Jean de Bernières 319

Titres, sigles, corps de caractères 320

Correspondance 321

31 Mai 1645 L 1,18 Le Cœur seul de Jésus-Christ me pourrait suffire de lecture et de conférences. 321

4 juillet 1645 L 1,19 Cinq ou six personnes de rare vertu. 324

3 octobre 1645 L 1,21 Ce qui vient de la Providence est bien meilleur pour notre perfection, que ce que nous choisissons. 325

1646 L 1,58 La seule vie en Dieu par un abandon et un écoulement en Lui m’est douce. 327

5. [Arfuyen] A son ami intime, des opérations de Dieu en l’âme. 329

23 Août 1653 L 3,32 La vraie oraison c’est Dieu même en l’âme. 330

7. [Arfuyen] Au même, où il déclare…. 332

17 Septembre 1654 L 3,55 Le seul appui est la pure foi 332

14 Octobre 1654 L 2,39 Comme une petite étable de Bethléem. 335

17 Octobre 1654 L 3,5 Autant on est détaché de toute choses, autant on est disposé à être uni à Dieu. 336

L 3,61 Quel bonheur c’est de jouir de Dieu dans le centre. 337

11 Mars 1655 L 3,59 Ce Jour d’éternité est un jour de vérité 339

14 Septembre 1656 L 3,25 Tant de goût et de saveur à être anéanti. 341

10. [Arfuyen] Au même, sur les richesses du parfait anéantissement. 343

21 Janvier 1657 L 3,31 Les biens qu’apporte cette sorte d’oraison sont innombrables 345

1 Juillet 1658 L 3,45 Vous êtes en chemin vers un pays qu’on appelle le néant. 347

7 Octobre 1658 L 3,48 Quand Dieu se manifeste Lui-même et révèle, ô quelle perte ! Quel anéantissement dans une âme ! 349

10 Octobre 1658 L 3,44 Dieu écoulé dans votre fond sollicite et tire votre âme de passer du rayon en Lui seul. 353

31 Octobre 1658 L 3,50 Une différence très grande entre la lumière du rayon et la lumière du centre 356

12 Janvier 1659 L 3,46 C’est le trésor des trésors de se perdre en Dieu. 359

24 Janvier 1659 L 3,43 Le seul ordre de Dieu nous donne Dieu seul. 361

Incipits 363

Mère Mectilde & Monsieur Bertot 365

De l’Hermitage du saint Sacrement, le 30 juillet 1645. 365

Mectilde écrit à son amie mère Benoîte de la Passion : 366

Benoîte de la Passion s’inquiète  367

Deux ans plus tard, Mectilde écrit à Benoîte 367

Mectilde écrit à une religieuse de Montmartre au sujet de la mort du frère de leur abbesse 367

Mectilde écrit à la mère saint Placide 368

La mère Catherine de Jésus  écrit le 24 octobre 1702 : 369

[Reprise de corespondances :] Monsieur Bertot à Madame Guyon avec les réponses de cette dernière. 371

Monsieur Bertot, directeur mystique. 371

De J. Bertot. 1672. [3,67 DM] 374

De J. Bertot. Avant octobre 1674. [2,06 DM] 392

De J. Bertot. Avant octobre 1674. [2,25 DM] 396

De J. Bertot. Avant octobre 1674 ? [2,26 DM) 398

À J. Bertot. Avant octobre 1674 ? [DM] 405

De J. Bertot. Avant octobre 1674 ? [2,28 DM] 406

À J. Bertot. Avant octobre 1674. [2,29 DM] 409

De J. Bertot. Avant octobre 1674. 410

Réponse à la lettre de Madame Guyon. 410

De J. Bertot. 1674 ? [2,58 DM] 413

De J. Bertot. Avant juillet 1676 ? [2,30 DM] 415

De J. Bertot. Avant juillet 1676. [2,56 DM] 422

De J. Bertot. 22 mars 1677. [A.S.-S.] 424

De J. Bertot. Avant 1678 ? [2,57 DM] 426

De J. Bertot. Avant 1678 ? [2,59 DM] 429

De J. Bertot. Avant 1678 ? [2,60 DM] 431

De J. Bertot. Avant 1678 ? [2,61 DM] 433

À J. Bertot. Avant 1678 ? [2,68 DM] 437

De J. Bertot en réponse. 1678 ? [2,69 DM] 440

De J. Bertot en réponse à six questions1. 1678 ? [2,70 DM] 443

De J. Bertot. 1678 ? [3,32 DM] 453

De J. Bertot. 1678. [3,33 DM] 460

À J. Bertot. Avant avril 1681. [DM « Lettre à l’auteur »] 464

De J. Bertot en réponse. Avant avril 1681. [3,66 DM] 466

À J. Bertot. Avant avril 1681. [DM « Lettre à l’auteur »]µ 470

De J. Bertot en réponse. Avant avril 1681. [3,68 DM] 472

À J. Bertot. Avant avril 1681. [4,32 DM] 473

De J. Bertot. Avant avril 1681. [4,33 DM] 474

De J. Bertot. Avant avril 1681. [4,34 DM] 479

« Onze dernières lettres de M. Bertot dans le même ordre à une même personne.  Avant avril 1681.» 480

[1ere ] De J. Bertot. [DM 4.70] 480

[2e ] De J. Bertot. [DM 4.71] 482

[3e ] De J. Bertot. [DM 4.72] 483

[4e ] De J. Bertot. [DM 4.73] 485

[5e ] De J. Bertot. [DM 4.74] 486

[6e ] De J. Bertot. [DM 4.75] 487

[7e ] De J. Bertot. [DM 4.76] 489

[8e ] De J. Bertot. [DM 4.77] 489

[9e ] De J. Bertot. [DM 4.78] 490

[10e ] De J. Bertot. [DM 4.79] 492

[11e ] De J. Bertot. Avant avril 1681. [DM 4.80] 494

De J. Bertot. Avant avril 1681. [DM 4.81] 495

AUTRES MYSTIQUES EDITES DANS LE DM 503

Marie des Vallées à Monsieur de Bernières 505

Conseils d’une grande Servante de Dieu appelée Sœur Marie des Vallées 505

Sur le don d’anéantissement ou de la foi nue, l’emploi pour le prochain, la présence réelle de Jésus-Christ, la conversation en esprit et en silence, la communication essentielle de Dieu. 506

21 Lettres du P. Maur de l’Enfant-Jésus à Madame Guyon 523

L’influence du P. Maur de l’Enfant-Jésus. 523

[1re] Du P. Maur. fin 1670 ? 527

[2e] Du P. Maur. 1673 ? 529

[3e] Du P. Maur. 1673 ? 532

[4e] Du P. Maur. 1674 ? 534

[5e] Du P. Maur. 1674 ? 537

[6e] Du P. Maur. 1674 ? 538

[7e] Du P. Maur. 1674 ? 538

[8e] Du P. Maur. 1674 ? 538

[9e] Du P. Maur. 1674 ? 539

[10e] Du P. Maur. 1674 ? 539

[11e] Du P. Maur. 1674 ? 540

[12e] Du P. Maur. 1674 ? 541

[13e] Du P. Maur. 1674 ? 543

[14e] Du P. Maur. 1674 ? 545

[15e] Du P. Maur. 1674 ? 548

[16e] Du P. Maur. 1674 ? 549

[17e] Du P. Maur. 1675 ? 551

[18e] Du P. Maur. 1675 ? 552

[19e] Du P. Maur. 1675 ? 552

[20e] Du P. Maur. 1675 ? 554

[21e] Du P. Maur. 1675 ? 555

21 Lettres de Madame Guyon concluent le Directeur Mystique 559

Madame Guyon dirigée 559

Madame Guyon succède à Monsieur Bertot 560

Avis sur l’état d’une âme qui commence à se perdre en Dieu par la foi nue. 560

 1. Voie pour devenir une créature nouvelle. 563

 2. Filiation spirituelle. 567

 3. Mourir à soi et s’abandonner. 569

 4 A POIRET. Foi nue et oraison simple. 570

 5. Usage des incertitudes. Anéantissement. 573

 6. Abandon de son sort à Dieu. 575

 7. Dieu affermit la foi. 576

 8. Danger des voies extraordinaires. 577

 9. Résistance à Dieu, peines et abandon. 580

 10. Perte de la raison et de la volonté. 583

 11. Fermeté dans l’abandon. 585

 12. Fidélité dans la voie de la perte. 587

 13. D’assurance dans la voie de la perte. 588

 14. Communications des esprits. Souplesse sous Dieu. 590

 15. De la perte en Dieu. 591

 A L’AUTEUR : 591

16. Perte totale, source de tout bien. 593

 17. Règne du pur amour. 595

 18. Agrément de l’abjection. 596

 19. Abandonnement, etc. 597

 20. état d’une âme perdue en Dieu. 598

 21. Usage des écrits intérieurs. 600

Ou conclusion de tous les écrits de Mme G[uyon]. 600

ANNEXES 602

EDITION DE BERLEBOURG 1742 603

Page de titre : 603

Contenu comparé au DM 604

SOURCES 605

D. Tronc 605

Bibliothèque municipale de Lyon : 605

Google books : 606

MONSIEUR BERTOT, DIRECTEUR MYSTIQUE 2005 608

1. Une « école » des mystiques 608

2. La vie cachée de Monsieur Bertot. 612

Caen 614

Montmartre 622

3. L’œuvre. 633

Les Retraites 633

La Conclusion des Retraites […] de l’oraison… 634

Le Directeur mystique. 635

Autres sources 637

4.Aperçu de la voie 637

5. La direction de Madame Guyon 641

Annexes de l’édition 2005 653

I : Table synchronique de membres de l'école de l'amour pur 653

Table synchronique des membres de l'école de l'amour pur nés entre 1590 et 1651. 653

II : Tableau général de l'école quiétiste du pur amour 654

III : Sources de Monsieur Bertot, Directeur Mystique 656

Sources utiles à l'approche biographique 656

Identité, baptême, décès 657

Le corpus 659

Contenu détaillé du DM : 660

- Écrits du P. Chrysostome 662

IV : Chronologie de la vie de Monsieur Bertot 662

TABLE DES MATIERES 666

Fin du volume 676

US Trade 15,24 x 22,86 corps 11 maigre marges 2,5 1,5 – 0,6 0,6 676

I Bertot DM I & II = 611 pages 676

II Bertot DM III & IV = 534 pages 676

III Bertot Retraites =581 pages 676



Fin du volume





US Trade 15,24 x 22,86 corps 11 maigre marges 2,5 1,5 – 0,6 0,6



I Bertot DM I & II = 622 pages

II Bertot DM III & IV = 534 pages

III Bertot Retraites = 679pages











1En deux volumes : Diverses RETRAITES où une âme après avoir connu son désordre par la lumière du saint Esprit, se résoud à le quitter, et embrasser le chemin de la sainte perfection, A Paris, pour Madame l’Abesse (sic) de Montmartre, in-16, Avertissement, Trois dispositions, approbations: 60 pages non numérotées; suivies de quatre retraites : pages 1 à 384 de 22 lignes de 30 caractères chacune & Continuation des RETRAITES dans lesquelles l’âme puisera des lumières pour travailler solidement à sa perfection, seconde partie, Paris, pour Madame l’Abesse de Montmartre, in-16, table suivie de cinq retraites : pages 375 (sic) à 855. (seuls exemplaires connus : cotes A 401/677-678 Bibl. des Fontaines, Chantilly).

2Retraite très faible traduisant les contraintes du temps. On appréciera d’autant plus la liberté d’un Bertot plus tardif dans ses lettres personnelles.

3L’expérience du mystique.

4Les rois mages.

5Annotations manuscrites sur la page de titre : « de la bibliothèque du monastère des sœurs bernardines du sang précieux rue Vaugirard » ; Annotations précédant la table : « cet ouvrage contient les 5e 6e 7e 8e 9e retraite. La table ne correspond pas au contenu. »

6Dont extraits : « 8E RETRAITE. Sur les divins attributs.

Premier jour. De l'existant divine page 543.[....]

9e retraite. Pour exciter l'âme à l'amour de Jésus-Christ.

Premier jour. De Jésus Dieu homme. Page 687. [....]

10e jour. De Jésus patience et longanime. Page 854.

[Absent de l'exemplaire de Chantilly ! DT]

10e retraite. Dans laquelle l'âme, amoureuse de Jésus-Christ apprend avantageusement à se conformer à lui.

Premier jour. De l'anéantissement de Jésus-Christ. Page 863. [....]

10e jour. De Jésus délaissé et abandonné. Page 1036.

Conclusion des retraites sur les divers degrés de l'oraison.

De la méditation et les exercices de ce degré. 6. Page de l'avertissement pour la retraite, de la première partie.

De l'oraison d'affection. Page 1081.

De l'oraison de simplicité. Page 1095.

De l'oraison passive. Page 1123.

Du premier degré de cette oraison, savoir la mort passive. Page 1134.

De la contemplation passive, second degré de cette oraison. Page 1158.

Du degré d'union, qui est le 3e de cette oraison. Page 1174. 

Éclaircissements sur plusieurs dif[374]ficultés des degrés d'oraison, qui pour l'ordinaire donnent beaucoup de peine aux âmes n'en instruites. Fin.»

7*

8Expérience mystique.

9Votre tête

10Juste ambition mystique.

11Note à placer ailleurs : lorsque je transcris ces retraites il m’est facile de surmonter les particularités d’époque et ses croyances car Bertot se centre sur Jésus et non sur la fondation improbable d’une religion exclusive (mais il y est immergé). L’exercice consiste à universaliser l’expérience mystique de Jésus cad l’identité divine atteinte : que Bertot propose à tous tout en s’étonnant du faible nombre de ceux qui prennent au sérieux promesse et conditions certes « terribles ». Oublions « -Christ » ou plutôt identifions à la une promesse de partage total avec le divin. Alors il n’y a plus de division, l’unité est vécue mais indicible et le silence convient. Noter la force de l’appel du pasteur des religieuses et la paix promise dès ici-bas. Noter la croyance en la « communion des saints » et au recours possible auprès de ces figures. Réelles ou imaginaires peu importe puisqu’il s’agit d’incarnations efficaces des « vertus » au sens ancien de puissances de forces d’énergie. Avalokitesvara ou Vierge peu importe, il s’agit de la même réalité peinte diversement.

12Image puissante.

13Noter la majuscule répétée à « Foi »

14« Ame » avec majuscule que nous avons souvent omise. Il s’agit d’un essentiel non une dualité âme-coprs mais l’unique Réalité sans fond.

15Tout cette partie remarquable des Retraites (contre d’autres parfois affligeantes ?) traduit l’interprétation mystique des Evangiles et des Actes, ce que l’on oublie souvent : pour Bertot il y a intemporalité, ce qui était alors est toujours – hors temps.

16A comprendre comme communion des saints hors de l’institution humaine.

17Condition pour avancée mystique

18Toujours avec majuscule dans l’imprimé (comme pour Ame).

19*

20Perdu ?

21*

22*

23*

24*

25*ce dont témoigne l’appel mystique initial.

26Trranscription de l’oral ?

27Majuscule.

28L’immortalité divine seule.

29Difficile à rendre compte dans un cadre dualiste théologique.

30Soumission intérieure distincte de l’obéissance aux hommes. Le christianisme intérieur.

31*

32J’ai souvent omis la majuscule peut-être à tort.

33*

34Précédemment iédité dans Jacques Berot Directeur mystique, 2005, Partie III, pp. 473-546.

35Les dates espacées entre approbation, privilège, édition, posent problème : faut-il comprendre que le texte était achevé dès 1663 c’est-à-dire juste après l’édition des deux volumes de retraites qui, semblant rester insatisfaisantes par leur accent sur la méditation au détriment d’une vue d’ensemble du chemin, lequel inclut les états d’oraison passive et de nuit voire de résurrection, demandaient un supplément correctif ? On serait peut-être alors ici en présence du huitième volume « perdu » de la Contemplation qui aurait simplement changé son titre en un titre plus anodin lors d’une édition tardive provoquée par une abbesse âgée qui n’en verra pas la sortie — elle est morte en 1682 — voulant sauver un texte jugé capital. Les nuages s’accumulent dès cette époque sur la mystique, la condamnation du quiétisme aura lieu en 1687 et incluera Bernières post-mortem. L’opus nous serait alors parvenu complet. Cependant page [170] du présent texte Bertot déclare : « Nous avons déjà parlé un peu de cela en un autre livre… »

On note que le format et même la présentation (peu de lignes par page d’un corps assez gros pour être facilement lisible même par des sœurs âgées) rappellent l’édition de l’Exercice divin, ou pratique de la conformité de notre volonté à celle de Dieu, résumé canfeldien très intéressant rédigé par Marie de Beauvilliers. Il s’agirait en quelque sorte d’une tradition qui serait reprise par Mme Guyon : elle-même ne verra pas l’édition en 1726 du Directeur Mystique…

Le texte est très dense (mais court), digne d’un manuel de médecine — ici de l’âme — et comporte de fréquentes incorrections grammaticales outre de nombreux mots manquants, mais implicites. Nous avons revu la ponctuation, divisé les longs blocs en nombreux paragraphes, tenu compte des incises à l’aide de tirets, tenté d’éclairer les anacoluthes (phrases rompues où une construction amorcée est abandonnée), complété les mots implicites (et même ajouté parfois des mots qui explicitent le sens) entre crochets. De même les résumés marginaux qui articulent bien la lecture sont insérés dans le texte en italiques entre crochets.

36Précédant le traité des DEGRES D’ORAISON se place [1-14] une introduction donnant trois raisons de son utilité, outre celle de compléter les deux volumes de retraites. Elle est absente de la table des matières imprimée et sans annotations marginales : nous l’ajoutons à cette table, entre crochets, de même que les paginations d’origine.

Le traité des DEGRES possède des annotations marginales qui articulent opportunément le texte : nous les reproduisons dans le texte en italiques et entre crochets, mais non pas ici : ils obscurciraient la structure de ces degrés.

La CONCLUSION où tous les degrés d’oraison sont expliqués… de la table ne se retrouve pas dans le texte dont les pages [140-188] sont par contre éclairées par les annotations marginales que nous donnons (ici entre crochets) comme dans le texte à la suite de [140] Éclaircissements…

Nous ajoutons surtout la grande articulation du texte : Manières d’agir… absente de la table. Elle annonce un opuscule autonome couvrant les pages [189-210], probablement associé à fin de publication aux Degrés d’oraison.

En résumé l’œuvre comporte quatre sections : une introduction justificatrice, le traité des DEGRES, des éclaircissements, un traité à l’usage des mourants.

37Il s’agit probablement des notes manuscrites préparées par Bertot pour assurer les retraites des religieuses du couvent de Montmartre dont il fut le confesseur pendant environ vingt ans. On sait que Bertot animait également à Montmartre un cercle de laïcs.

38Numéro de page de ce (troisième) volume de format in-16 qui en comporte 210 (seul exemplaire conu : cote A 401/679 Bibl. des Fontaines, Chantilly). Une annotation moderne en vis-à-vis de la page de titre rectifie comme suit une autre annotation moderne portée sur la page de titre : ‘Le livre de Jacques Bertot est écrit pour Françoise-Renée de Lorraine et non par elle, sur elle voir (...)’; Une note du P. Watrigant, de graphie différente, ‘Le P. Eudes fut en relation (...)’ est par ailleurs attachée en page de garde.

39D’informer et d’expliquer

40Il s’agit de l’Avertissement et dispositions en tête du premier volume Diverses retraites...

41Il ne s’agit pas seulement d’une précaution oratoire, mais fait écho au conseil que Bertot donna à la jeune Mme Guyon.

42Si elles [les âmes] que nous corigeons ici en s’ils. Nous corrigerons sans toujous le signaler les archaïsmes grammaticaux.

43On trouvera de nombreuses précisions entre parenthèses : peut-être des corrections ne provenant pas de Bertot (à l’instar de celles de Poiret apportées aux écrits de Mme Guyon).

44Le but en vue. Prétention : « visées, intentions » (1671) (Dict. Rey).

45outre : au-delà de la méditation.

46Trois degrés : de méditation, puis d’affection (attache de l’âme par sa volonté à quelque chose : « …l’affection de laquelle connaissance de Dieu, jointe avec celle de soi-même était si bien gravée et empreinte au cœur de notre Père saint François… » Canfield, Règle, I, 2, 14v°), enfin de foi nue.

47Il s’agit « d’épuiser » les bienfaits de la grâce donnée à chaque degré – en suivant une progression ascendante qui ne s’arrête jamais en chemin. Le sens de la continuité est très fort chez Bertot, de même que celui de la cohérence entre tous les niveaux, du naturel au sur-naturel.

48« L’instant » de grâce n’est pas degré ou état. Le seul test sûr de sa réalité est celui de son efficace qui entretient l’âme une fois « sortie » d’oraison.

49Soyez assurées.

50Au féminin : il s’agit des âmes et/ou des religieuses auxquelles ce texte est destiné en premier lieu.

51On retrouve la même méfiance exprimée par Mme Guyon.

52« C’est un chemin tout droit que celui d’être conforme, uniforme avec Dieu, et enfin transformé en Lui. » Mme Guyon, Discours 2.04.

531. Annotation figurant en marge du texte principal. Ces annotations scandent bien le texte. Nous les intégrons donc dans le fil de celui-ci – entre crochets pour les distinguer des divisions figurant dans le texte principal.

54« Je t’avais donné une âme capable de ne regarder que Moi, sans te distraire et recourber sur toi-même. Tu te serais vu en Moi sans cesser de Me voir… » Mme Guyon, Discours 1.46.

55Dieu fait alors ce que l’âme voudrait faire.

56« …il ne paraît plus que Jésus-Christ, Sagesse Éternelle, qui Se forme et Se lève en l’âme comme l’aurore… » Mme Guyon, Discours 2.17.

57va en vont.

58Ajout de l’original.

59rencontrent fréquemment.

60Cette insistance sure la simplicité est caractéristique et se retrouve chez Mme Guyon qui évite comme suit la tautologie : « En quoi consiste la simplicité ? C’est dans l’unité : si nous n’avons qu’un regard unique, un amour unique, nous sommes simples. » Discours, 1.40. (v. aussi D. 2.59., D. 1.55., D. 2.28.). Sont associés étroitement : unité comme condition d’union, simplicité et paix, pureté par purification (de l’or fondu au creuset : D. 1.62., D. 2.62.)…

61Rare distinction entre deux niveaux de l’entendement qui pourraient se nommer actif ou passif, par discours ou par simple regard, d’exercice ou de contemplation. Sa disparition suivra en temps utile.

62Festiner, « faire un festin » (1649) est sorti d’usage. (Dict. Rey).

6311. Au sens d’« habileté » provient (1559) de la contamination par adroit. (Dict. Rey).

64Recolligé (1656, Bossuet) : « recueilli en soi-même. » (Dict. Rey).

65« le soing de s’augmenter en sagesse et en science » Montaigne (Littré). Augmenter est un mot fréquent chez Bertot. Il prend le sens de croître, s’épanouir…

66Comparaison solaire souvent reprise par Mme Guyon : « ...Lorsque le soleil est en son midi, de mêm toutes les vertus sont tellement absorbées dans la pure charité... » Discours, 2.49.

67Le simple regard.

68Se recueille.

69Rarement donné par Dieu.

70à croire corrigé. S’en faire accroire : « se tromper ou se laisser tromper » (Dict.Rey)

71« …elle dit avec saint Paul : Je ne vis plus, mais Jésus-Christ vit en moi. Elle n’a plus alors ni peine, ni incertitude, parce qu’elle demeure absorbée dans Celui qui vit en elle et qui la fait vivre en Lui. » Mme Guyon, Discours, 2.52. (& 2.66).

72On retrouve la continuité ou progressivité chère à Bertot qui se défie des « sauts », ruptures, révélations, etc.

73très intense, extrême ; en médecine, « douleur exquise ». (Dict. Rey).

74L’âme coopère.

75Morte à soi-même, « l’âme arrivée à la parfaite passivité, non seulement pour l’oraison, mais aussi pour l’action, laisse Dieu opérer comme il Lui plaît, sans en rien retenir. » et cette passivité est « souplesse infinie, pour se laisser tout ôter. Elle exige de plus l’attention de l’âme. » Mme Guyon, Discours, 1.37. & 2.25. On note la vigilance nécessaire pour ne rien retenir de l’opération divine, ce qui gèlerait immédiatement son flux. On voit bien la distance que Bertot et Mme Guyon prennent par rapport à ce qui serait une « paresse quiétiste ».

76supporterait.

77« Cette âme a donc une faim étrange de son Dieu : Il l’attire fortement hors d’elle et lorsqu’il semble qu’elle soit proche de Lui, Il la repousse… » Mme Guyon, Discours, 2.19.

78Un million de fois, d’autres peines etc. : expressions caractéristiques ou « signatures » de Bertot.

79Effroyable, dès l’époque classique (1647) se disait pour « énorme » ; sens premier de effrayant. (Dict. Rey).

80Epouvantable (1663) : « très mauvais, inquiétant ». (Dict. Rey).

81Sens du XVIe siècle d’« énumérer, exposer en détail ». (Ibid.).

82« Car la peine de la pourriture passe jusque dans la moelle de ses os… » Mme Guyon, Torrents, I, 8, 18. Les § 8-13 sont consacrés à cet état : il précède celui de cendre. Voir aussi Discours, 2.36, § I.

83dans l’état religieux.

84Sur le thème du Lazare, voir Bertot, Opuscule 1, « Conduite de Dieu sur les âmes. » ; Opuscule 4, « états d’oraison, représentés dans l’Évangile du Lazare. » Le thème est repris par Mme Guyon : Torrents, 2.1.1 ; Vie, 2.12.3.

85Nous ajoutons des rePères A. et B. pour souligner les deux « remarques ».

8634. Analyse de l’expérience acquise dans les monastères de Caen, puis de Montmartre dont Bertot était confesseur.

87« …elle ne trouve rien pour elle, elle crève de dépit, fait des échappées, porte l’âme à se multiplier en actes aperçus… » Mme Guyon, Discours, 1.19. Contrairement à l’usage moderne, où il est marqué comme très familier, l’usage ancien du mot en parlant d’un être humain implique seulement une idée de « mort violente ». (Dict. Rey).

88Le thème du bonheur est souvent négligé tandis que l’appétit des croix du XVIIe siècle dévot est souligné et cependant, en ne puisant seulement que dans les Discours de Mme Guyon : « Que Vous rendez un cœur heureux lorsque Vous Vous emparez de lui ! » D. 1.62. « Dieu qui met l’homme dans l’ordre et la disposition divine, dans la fin de sa création, le rend heureux et d’autant plus heureux qu’étant dans son Centre, il est par conséquent dans une parfaite paix. » D. 2.04. « Ce n’est pas le dessein de Dieu de faire souffrir l’âme : au contraire, Il ne prétend que de la rendre heureuse comme Il est Lui-même infiniment heureux, et comme elle l’est en effet lorsqu’elle est passée en Dieu. » D. 2.35. « Ce sont nos impuretés qui sont la matière de Son feu, mais lorsque toute l’impureté est détruite, Elle [la divine Justice] rend heureux son sujet. » D. 2.52.

89Lamentations de Jérémie, 1, 13 : Il a envoyé d’en haut un feu dans mes os, et il m’a châtiée ; Il a tendu un rets à mes pieds, et Il m’a fait tomber en arrière. Il m’a rendue toute désolée et toute épuisée de tristesse pendant tout le jour. (Sacy).

90Ce dont elle peut se servir.

91Nos tirets.

92Ga 2, 20 : « Et je vis, non plus moi-même ; mais c’est Jésus-Christ qui vit en moi : et en ce que je vis maintenant dans la chair, c’est dans la foi du Fils de Dieu qui m’a aimé, et qui S’est livré Lui-même pour moi à la mort, que je vis. » (selon l’adaptation par Poiret utilisée dans les Explications du Nouveau Testament de Mme Guyon).

93« Elle vit continuellement sans retour et fait continuellement la volonté de Dieu sans penser qu’elle la fasse, comme une personne respire continuellement l’air qui lui est propre et naturel, sans penser qu’elle respire. Ou, si vous voulez, comme un poisson qui vit dans la mer parce que c’est son élément, et qui suit le mouvement de cette mer d’une manière toute naturelle. » Mme Guyon, Discours, 1.37.

94au sens de plus (issu de l’adVerbe latin magis).

95Cantique, 3, 4.

96« Si une pierre qu’on jette dans la mer trouvait une profondeur infinie, elle s’enfoncerait toujours plus par son propre poids, sans s’arrêter… » Mme Guyon, Discours, 1.49. « Or je dis que l’âme, [étant] par l’effort qu’elle s’est fait pour se recueillir au-dedans, tournée en pente centrale, sans autre effort que le poids de l’amour, elle tombe peu à peu dans le centre. Et plus elle demeure paisible et tranquille, sans se mouvoir elle-même, plus elle avance avec vitesse parce qu’elle donne plus de lieu à cette vertu attractive et centrale de l’attirer fortement. » Moyen court, 11.3.

97Cantique, 6, 10 : Je suis descendue dans le jardin des noyers pour voir les fruits des vallées, pour considérer si la vigne avait fleuri, et si les pommes de grenades avaient poussé. (Sacy).

98Critère qui s’applique aussi à la littérature contemporaine sur ce thème.

99Peut-on voir ici l’indice de reprise du traité « perdu » qui se serait intitulé De la Contemplation, titre proche des degrés d’Oraison ? Ce qui contredirait la référence à un ouvrage antérieur, page [170] de l’édition originale.

100Recommandation de tous les mystiques, dont Jean de la Croix dans la Nuit Obscure et Mme Guyon : « tous les états des visions, révélations, assurances, sont plutôt des obstacles … parce que l’âme accoutumée aux soutiens a de la peine à les perdre … Toute intelligence est donnée sans autre vue que la foi nue. » Vie, 2.4.

101Noter un certain recul vis-à-vis de Thérèse commun à Bertot et à Mme Guyon : « sainte Thérèse l’a soufferte [cette épreuve et purification] parce que toutes les âmes conduites par les lumières et les dons, qui sont toutes lumières médiates, ont une épreuve proportionnée à leurs dons. » Discours,2.19. – Voir ici lettres 2.12 [49] et 4.33 [125].

102Je ne veux entendre parler de…

103Fin critère de la passiveté.

104Précision utile, qui va au-delà de l’alternative : recours à ou rejet des lectures.

105Bertot s’adresse d’abord à des laïcs. Les religieuses feront l’objet du paragraphe suivant.

106Bernières était laïc et dirigeait, tout comme Renty. On aimerait connaître à qui fait allusion Bertot – qui appartient à la génération suivante.

107Car il ne s’agit pas là de la nuit mystique.

108La succession.

109Accusation faite au Moyen court de Mme Guyon, mais il ne contient aucun secret, ni délai : court étant pris comme le synonyme de direct.

110Assemblage d’objets divers, mais, en général sans grande valeur. Un ramas de vieux livres. Fig. « Mon livre n’étant qu’un ramas de sottises, j’espère que chaque sot y trouvera un petit caractère de ce qu’il est. » (Scarron). 2e sens selon Littré.

111Allusion à l’ouvrage perdu De la Contemplation ?

112Matthieu, 20,1-16 : Les ouvriers envoyés dans la vigne à diverses heures.

113sens spécial de gros : « rude » … pour « rustre ». (Dict. Rey).

114Mme Guyon ne rejette pas le recours à des lectures introduisant doucement au recueillement : « Lorsque je vous ai dit de lire avant l’oraison, cela a été pour vous faciliter le recueillement et lorsque je vous ai dit d’entremêler les affections, cela a été pour la même chose, et pour ramener votre esprit lorsqu’il est trop distrait ; mais quand vous êtes recueilli, il faut bien vous donner de garde d’interrompre le recueillement pour produire des affections… » Lettre au Marquis de Fénelon, 7 août 1714 ; v. aussi Discours 1.03.

115Une unité de sens.

116Forme dialoguée, tirets ajoutés.

117Oraison jaculatoire, prière courte qu’on adresse au ciel avec un vif mouvement de cœur. (2e sens selon Littré. Au 1er sens : Terme d’hydraulique. Fontaine jaculatoire, fontaine qui lance un jet d’eau à une grande hauteur.)

118II Corinthiens, 12, 10 : C’est pourquoi je me plais dans mes faiblesses, dans mes opprobres, dans ma pauvreté, dans mes persécutions, dans les

119Cet que nous corrigeons en c’est

120On trouvera parfois une accumulation de passages attribués à une même date — indiquée en fin de Lettre ou fournie en marge des Maximes par la mère de saint-Charles. On se reportera à l’histoire et à la description d’éditions de «l’oeuvre» de Bernières dans Œuvres mystiques I L’intérieur Chrétien…, coll. «Sources Mystiques», Éditions du Carmel, 2011, 13-21 & 503-507.

121Les Amitiés mystiques de mère Mectilde du saint-Sacrement 1614-1698, Un florilège établi par D. Tronc avec l’aide de moniales de l’Institut des Bénédictines du saint-Sacrement, Parole et Silence, Collection « Mectildiana ».

122C’est la première lettre répertoriée dans les oeuvres spirituelles adressée à l’ « A l’ami intime », Monsieur Bertot, le futur supérieur des Ursulines de Caen, à partir de 1655.

Le culte du Sacré Cœur commence à poindre sérieusement comme un antidote au jansénisme ambiant auxquels sont confrontés de plein fouet Bernières et son ami Jean Eudes. La fête du Sacré n’est pas encore instituée officiellement, mais cette fête est célébrée dès le XVIIe siècle dans plusieurs diocèses et monastères. saint Jean Eudes fera célébrer la messe du Cœur de Jésus et Marie en octobre 1672. D'après sainte Marguerite-Marie Alacoque, religieuse du monastère de la Visitation de Paray-le-Monial, l'institution de la fête du Sacré-Cœur lui est demandée par le Christ, lors d'une apparition privée, en juin 1675 : « Je te demande que le premier vendredi après l'octave du saint sacrement soit dédié à une fête particulière pour honorer mon cœur...» Après un temps de discernement, le témoignage de Marguerite-Marie est recueilli et appuyé par ses supérieures et par le Père jésuite Claude la Colombière qui a bien connu et fort apprécié l’Ermitage de Caen. Assez rapidement, la fête du Sacré-Cœur est célébrée dans différents diocèses de France et d'autres pays. Ainsi, le monastère de la visitation de Dijon la célèbre dès 1689. Et en 1721, Mgr de Monclay, évêque d'Autun, l'adopte pour tout son diocèse, avec une messe et des offices propres.

123Cf. Chr. Int. VI,14 : « Ô bon Jésus, donnez à mon cœur votre divin Esprit, qui me fasse vivre de votre vie. Que vos bassesses me semblent grandes, vos abjections honorables, vos pauvretés riches, et vos croix douces ! Mon cœur languit après la possession de votre Esprit, il le désire de toutes ses forces ; et tout ce qui n'est point votre Esprit lui est un tourment. Ah ! Que j'ai d'amour pour embrasser vos croix ! Et que je le ferais, ce me semble, avec excès, si on me le permettait ! Cependant je ne fais rien, et dans l'occasion j'ai peine à souffrir les moindres choses. Mon Sauveur, que cette vie m'est ennuyeuse ! Permettez-moi que j'entre dès à présent dans la pratique de cette vie cachée, crucifiée, méprisée, que vous avez menée sur la terre, et que je puisse dire en vérité : Absit mihi gloriari, nisi in cruce Domini nostri (Gal 6,14). »

124Cf. Chr. Int V, 12 : « Mon Dieu, vous voyez le fond de mon cœur. Je sens ce que je ne puis dire. Je souffre à la vérité, mais je ne voudrais pas ne point souffrir. Je ne puis rien faire qu'aspirer après une plus ample possession de votre infinie Bonté. »

125Cf. Chr Int. VI,2 : « Une vie sans croix est une vie sans Amour. Ces mots qui se disent de plusieurs : « Il faut passer sa vie doucement » sont indignes d'une bouche chrétienne, car c'est-à-dire : il faut vivre naturellement et bassement. »

126Cf. Chr. Int. II,9 : « Je n'avais jamais bien compris ce que c'était que la vue de la pureté de vertu. C'est la vue de cet état de vie surhumaine, dans laquelle l'âme ne vit plus en soi, à soi et pour soi, mais toute en Dieu, à Dieu et pour Dieu. Elle y vit toute transformée en lui, et toute séparée des créatures. Hélas ! Qu'elle est pour lors tourmentée, cette pauvre âme, voyant si hautement et opérant si bassement ! Parce qu'elle agit souvent selon les inclinations naturelles, et d'une vie purement humaine, ce qui lui donne des sujets de gémissements, et une langueur continuelle. »

127Cf. Chr.Int. I,5 : « S'il y a de la pureté d'amour en terre, c'est dans le cœur qui aime son abjection, puisqu'il ne désire que le pur intérêt de Dieu, sa gloire et son contentement, en s'oubliant soi-même. Voir que Dieu élève les autres dans les états sublimes et éclatants, et qu'on n'est qu'un atome en comparaison, et demeurer content dans sa petitesse : c'est l'abjection la plus difficile à aimer, puisqu'en cela on quitte en quelque façon ses intérêts, même spirituels, se contentant de la mesure des biens que Dieu nous veut faire, et de la gloire qu'il veut tirer de nous, qui est souvent petite. Il est vrai que cette force d'abjection n'a point été en Jésus-Christ, parce qu'il est Dieu, à qui appartient la plénitude de toutes les grandeurs. Mais elle nous est toute propre, parce que nous sommes des créatures à qui appartient la souveraine pauvreté, et la plus profonde bassesse ; pour peu que Dieu nous donne, c'est toujours plus que nous ne méritons, puisque nous ne méritons rien de nous-même. »

128Cf. Chr. Int. III,13 : « J'avoue que Notre Seigneur me traite de la sorte, car, sans avoir aucun soin de nourrir ma petite âme de viandes spirituelles, ne les cherchant quasi point dans les livres, mais seulement dans son sacré Cœur, j'expérimente que rien ne me manque. J'en suis quelquefois tout étonné, et crains qu'il n'y ait de la négligence de travailler si peu de ma part. Néanmoins, toutes ces craintes durent peu, voyant que Dieu pourvoit à mes besoins sans que j'y pense. »

129Cf. Chr. Int. VII,11 : « Quand on considère une vérité chrétienne, par exemple l’excellence de la pauvreté, comme séparée du sacré Cœur de Jésus, l’âme se divertissant de sa vue, tombe en distraction et regarde quelque autre chose indifférente ; mais quand elle voit la pauvreté comme résidente en Jésus et qu’elle s’en divertit, elle s’occupe pour lors en Jésus. »

130Cf. Jean 7, 37-39 : « Le dernier jour de la fête, le grand jour, Jésus, debout, s'écria: "Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi, et qu'il boive, celui qui croit en moi!" selon le mot de l'Ecriture: De son sein couleront des fleuves d'eau vive. Il parlait de l'Esprit que devaient recevoir ceux qui avaient cru en lui; car il n'y avait pas encore d'Esprit, parce que Jésus n'avait pas encore été glorifié. »

131Cf. Chr. Int. VII,11 : « C’est pourquoi je crois que l’âme se doit occuper à Dieu et aux vérités qu’elle regarde, dedans lui ; et à Jésus et aux vérités chrétiennes comme résidentes dans son sacré Cœur. De cette sorte (sauf l’estime de la Foi, qui est toujours la plus certaine), la volonté s’embrase bien autrement en l’amour, l’adoration et la complaisance de son Dieu, et à l’imitation des divines perfections de Jésus. Cette sorte d’oraison est simple et ne tracasse point l’âme par plusieurs discours. Car la perfection et les effets extérieurs qu’elle produit se voient d’une manière simple et tout d’un coup, comme la Toute-puissance de Dieu se peut voir en elle-même seulement ou avec la Création du monde ; la Providence se peut voir et adorer ou seule en elle-même ou avec les effets admirables qu’elle fait voir dans le gouvernement du monde. En l’une et l’autre sorte, l’âme n’est point multipliée par discours, mais envisage cela d’une seule vue. »

132Cette lettre est adressée à l’« l’Ami intime ». En juillet Bernières est à Paris, à saint-Maur-des-Fossés où il voit le Père Jean-Chrysostome qui est de passage. Le Père du Chesnay mentionne une lettre de Bernières du 4 juillet adressée à Rocquelay. Cf. « Dossier du Chesnay, Bernières Trésorier de France à Caen (1631-1653) », Archives Eudistes. Cela semble étonnant vu le contexte de la lettre. De fait, Bernières parle de « cinq ou six personnes de rare vertu », à savoir Mère Mectilde et ses sœurs, comme si le destinataire ne les connaissait pas encore. Or Mectilde correspond depuis longtemps déjà avec Rocquelay. Elle connaît aussi Bertot à en lire la lettre du 30 juillet : « Notre bon Monsieur Bertot nous a quitté avec joie pour satisfaire à vos ordres et nous l’avons laissé aller avec douleur, son absence.» Il ne semble donc pas être le destinataire de cette lettre. Cela ne peut pas être Dom Quinet qui connaît mère Mectilde, pour l’avoir aidé à se fixer à Barbery en 1643 avec ses sœurs malgré l’échec qui en a suivie et le transfert de la communauté à saint-Maur-des-Fossés. L’attribution par l’éditeur « A l’ami intime » reste une énigme. Bien que les lettres de mère Mectilde adressées à Rocquelay durant cet automne 1645 semblent bien confirmer qu’il est resté à Caen, loin de Bernières. On trouve dans une lettre de mère Mectilde à Rocquelay en automne 1645 : « Jésus soit le tout de nos cœurs pour jamais ! Monsieur, Je vous écris ces mots pour savoir si vous êtes de retour de vos missions et si notre Seigneur a béni votre travail. Comme il vous a donné grâce efficace pour tendre au sacré dénuement, vous êtes privé pour un temps de la présence de notre cher Ange [Bernières]. » ces missions dont il est question sont peut-être l’objet de cette lettre du 4 juillet : « Cherchez donc un lieu pour ce sujet, où elles puissent demeurer closes et couvertes, en lieu sain et auprès de pauvres gens.» Il est donc plus sage de penser avec le Père du Chesnay que le destinataire de cette lettre est l’abbé de Rocquelay.

133Cf. Chr Int IV,1 : « La vie solitaire a tant de beautés et des attraits si charmants que, quand l'âme les a goûtés, elle y trouve son vrai Paradis. Je fus dire adieu à une personne de mes amis, qui s'en retournait chez soi dans son pays. Après l'avoir quitté, il me prit aussitôt un fort sentiment, qui fut tel : « Hélas, mon Dieu, quand m'en retournerai-je chez moi, c'est-à-dire chez vous, puisqu'il a plu à votre bonté me faire habiter une éternité dans vos Idées, avant que de me produire au-dehors de vous, et puisque vous m'avez créé en me considérant toujours au milieu de vous, et qu'enfin vous voulez être mon héritage et ma demeure pour jamais ». Votre chez-vous, mon âme, n'est pas vous-même, mais c'est Dieu même. »

134Le groupe des frères de l’Ermitage est déjà bien constitué. La lettre de mère Mectilde à Bernières du 30 juillet mentionne la présence de Mr Lambert et de Monsieur des Messiers.

135Cf. 1 Corinthiens 3, 2 : « C'est du lait que je vous ai donné à boire, non une nourriture solide; vous ne pouviez encore la supporter. Mais vous ne le pouvez pas davantage maintenant. »

136Les « cinq ou six personnes de rare vertu, et attirées extraordinairement à l'oraison » sont Catherine / Mectilde de Bar et ses sœurs qui habitent à saint-Maur-des-Fossés. Cf. Dossier du Chesnay, « Bernières Trésorier de France à Caen (1631-1653) », Archives Eudistes.

137L’année suivante Mère Mectilde sera priée de prendre en main le monastère de Notre-Dame-de-Bon-Secours de Caen, filiale de l’abbaye de Montivilliers.

138Bernières demande à « l’Ami intime » de bien vouloir faire le nécessaire pour prévoir un lieu de fondation pour mère Mectilde, non loin de l’Ermitage.

139Cf. Chr. Int. V, 10 : « Une âme en cet état recevant la sainte Communion, doit demeurer simplement unie à Jésus présent, et recevoir en quiétude les effets de la Grâce qu'il opère en elle, qui sont de ne vivre plus à elle-même ni en elle, mais d'entrer en effet dans les états pauvres et abjects de Jésus, pour vivre comme lui et par son Esprit, et non plus comme le monde ni par l'esprit du monde. »

140« A l’Ami intime ». Bernières est toujours à Paris et il écrit à Rocquelay.

141Chr. Int. I,5 : « Notre Seigneur nous fait quelquefois entreprendre certains bons desseins dont il ne veut point l'exécution, mais seulement la pratique de plusieurs vertus, qui se rencontrent dans la poursuite et dans la rupture d'iceux. La nature n'est point choquée dans le bon succès, mais bien dans le mauvais succès des affaires qui regardent la gloire de Dieu. Mais Dieu, par un trait admirable de sa Sagesse, tire souvent plus de gloire des renversements que des événements favorables : car les dispositions d'humiliation, de résignation, de douceur qu'il voit en une âme, lui plaisent plus que le bien qu'elle prétendait. »

142Cf. Chr. Int. III,14 : « Ô mon âme, serez-vous jamais parfaitement abandonnée au bon plaisir de Dieu ? Aurez-vous jamais l'égalité d'esprit autant dans les abandonnements que dans les réjouissances ? Quand serez-vous satisfaite dans toutes sortes d'événements, dégagée de tout ce qui n'est point Dieu, et ne faisant cas que de son bon plaisir ? Voyant que Marie est contente d'être privée de la présence visible de Jésus, aimant mieux son bon plaisir que sa passion, [ne] devez-vous pas vous attacher uniquement à sa divine Volonté, et vous tenir indifférente à tout le reste ? S'il fallait choisir, [il] faudrait prendre les désolations plutôt que les consolations, les mépris et les rebuts plutôt que les honneurs et les caresses, puisque Jésus et Marie les ont plus aimés ; mais l'abandon parfait et la sainte indifférence à tout état valent encore mieux. »

143Cf. Chr. Int. III, 10 : « Jésus a dit dans l'Évangile qu'un passereau n'est pas en oubli devant Dieu. Pourquoi donc tant de crainte de manquer, principalement à une âme appelée à la pauvreté de providence ? S'il permet que tout nous manque, c'est qu'il veut nous faire souffrir, et nous perfectionner par les croix. Dieu me donne son précieux Corps chaque jour, et il me dénierait du pain ? Je ne le saurais croire. Toute pensée contraire est du démon, ou de la nature trop discrète. Ma confiance doit être toute en Dieu seul. »

Cf. 23 avril 1646 L 1,31 : « J'ai reçu vos dernières, qui me font voir que c'est tentation et pure nature, que le combat qui se passe en moi touchant la pauvreté de Providence que vous trouvez bon que j'entreprenne. J'y suis plus résolu que jamais. Mes répugnances diminuent quelquefois et puis recommencent, sans néanmoins, par la grâce de Notre Seigneur, que la suprême partie de mon âme ait égard aux vues et aux sentiments de la raison humaine qui ne va point jusques là, que de connaître l'excellence de l'état d'une vie abandonnée seulement à la Providence. »

144Cf. Chr. Int. III,12 : « Il me fait connaître manifestement les dispositions avec lesquelles il veut que je marche en sa présence et dans ses voies, qui sont humilité, patience, longanimité, simplicité et pureté. Quelque disposition où l'on se trouve, […] La simplicité fait qu'elle ne se détourne point de Dieu, mais s'attache à sa seule conduite, et ainsi entres-en la pureté avec lui. »

145Cf. Chr. Int. III, 4 : « Mais il faut que la pureté et la paix soient très grandes dans l'intérieur pour y conserver l'impression de cette Présence, car, comme l'haleine ternit le miroir, de même les imperfections volontaires ternissent la pureté de l'âme ; et comme la moindre émotion qui trouble l'eau de la fontaine, lui fait perdre l'image du soleil, de même les extroversions et l'épanchement vers les créatures fait perdre à l'âme la vue de cette divine Présence. »

146Cf. Chr. Int. VIII,6 : « C'est nous affliger de la perte de notre propre excellence, qui ne sera point reconnue dans une mauvaise conduite et dans un petit succès ; et puis on jurerait que c'est le seul honneur de Dieu et la perfection des âmes que l'on cherche. Ceux qui le cherchent, s'attristent bien quelquefois ; mais c'est un déplaisir doux et tranquille, plein d'onction et tout amoureux de Dieu : déplaisir qui donne la paix à l'âme au lieu de lui ôter, et la dispose à s'unir avec Dieu et à la pratique de toutes sortes de vertus. »

147Cf. Chr.Int. VII,10 : « L’âme, qui ne sait rien de Dieu en cette disposition sinon qu’il est incompréhensible, se perd dans les ténèbres qui environnent cette infinie Grandeur. Cette vue sans vue ne voit rien de distinct et particulier de Dieu, mais est une savante ignorance de ce que Dieu est en soi-même, qui laisse en l’âme de grands effets d’estime et d’amour, pénétrant beaucoup l’intérieur en lui faisant une impression très forte de la grandeur de Dieu et de ses infinies perfections. Dieu demande une grande pureté et paix intérieure à une âme dans cet état. »

148Bernières écrit à l’« ami intime. », auquel il explique son état de santé.

149Cf. Chr. Int. III, 11 : « Notre Seigneur me donne des attraits extraordinaires, pour être tout à lui. Il fait entrer mon âme en la possession d'un état de grande paix, où la vertu ne coûte guère. J'aspire après la chère solitude, et à la sainte pauvreté. Ma santé est toujours fort faible, c'est pourquoi je me hâte de beaucoup aimer en terre, afin d'aimer aussi d'un plus pur amour dans le Ciel. Ma vie apparemment ne peut pas être longue, et je tâche déjà de vivre avec autant de dégagement comme si j'étais mort en effet. Notre Seigneur me donne un esprit de nudité pour toutes les créatures : je les chéris, mais, ce me semble, sans nulle attache. Je ne vis plus en moi-même ; cette demeure en moi et à la créature me paraît très basse, et je ne puis avoir nul goût. »

150Cf. Chr. Int. III, 11 : « Je souffre à présent beaucoup de me voir si éloigné de Dieu parmi tant de distractions que les nécessités du corps et des affaires me donnent. Quand Dieu s'est un peu manifesté à l'âme, et qu'il s'est fait connaître par une véritable expérience de ses bontés, qu'il y a à souffrir de vivre ici-bas ! Mais néanmoins l'on vit avec une grande paix, car le fond de l'intérieur est un pur abandon au bon plaisir de Dieu. »

151Cf. Chr. Int. III, 11 : « Je vis tellement habitué à ne regarder plus que Dieu seul, à ne me plaire qu'en lui, et n'avoir de la joie que pour lui seul, que je ne puis me réjouir, quand je me verrais très parfait, ni m'attrister, quand je me verrais très imparfait. Dieu m'est tout, et cela me suffit. Toute réflexion vers moi-même semble intéresser la pureté, dont je dois aimer celui qui est toute perfection par essence. Je connais que Dieu est si jaloux qu'il ne peut souffrir qu'une âme aime rien avec lui ; et il est très bien fondé en sa jalousie, car il est l'uniquement aimable. Ô que n'est-il aimé autant qu'il est aimable ! »

152Cf. Chr. Int. III, 11 : « Mais ce parfait abandon à Dieu ne se peut faire que par le pur amour ; et le pur amour ne régnera point en nous que par une généreuse et générale mortification de toute attache à la créature, de tout plaisir et de toute imperfection. Cette mort ne s'opère qu'à proportion que nous aimons les croix ; et ainsi la croix nous cause une heureuse perte en Dieu, par un amour très pur qui nous unit à Dieu d'un lien de perfection admirable. »

153Sa vie d’ici-bas.

154vivre

155Lettre 3.30, p. 438 sv.

156« À son ami intime ». Sans doute ici Jacques Bertot.

157Cf. Chr. Int. I, 1 : « C'est être anéanti en Dieu de n'avoir plus aucun vouloir que pour vouloir ce que Dieu veut, et en la manière que Dieu veut ; autrement, on se cherche soi-même et son plaisir, et non purement Dieu. »

158Cf. Chr. Int. II, 9 : « Je n'avais jamais bien compris ce que c'était que la vue de la pureté de vertu. C'est la vue de cet état de vie surhumaine, dans laquelle l'âme ne vit plus en soi, à soi et pour soi, mais toute en Dieu, à Dieu et pour Dieu. Elle y vit toute transformée en lui, et toute séparée des créatures. »

159Cf. Chr. Int. III, 8 : « Je dois être en paix, et vivre dénué et privé de tout appui, me confiant en Dieu, qui seul me doit être toutes choses. Je dois trouver ma consolation à vivre privé de toute consolation si c'est le bon plaisir de Dieu ; je dois être content de telle portion de la Grâce qu'il lui plaira me donner. »

160Cf. Chr. Int. IV, 6 : « Dieu, qui est le maître de nos puissances et qui les a créées, y opère ce qui lui plaît, car en les créant, il leur a donné une certaine capacité extraordinaire pour recevoir les opérations divines extraordinaires. »

161Cf. Chr. Int. IV, 6: « J'entrai dans cette idée, que le fond de notre intérieur doit être comme une pure capacité pour contenir seulement Dieu en soi et ses divines opérations; et que la meilleure oraison que l'on pourrait faire, et la plus digne de Dieu, était d'anéantir toutes les puissances de notre âme en ses opérations, et laisser opérer Dieu, qui seul se peut connaître et se peut aimer dignement. Que l'entendement ne prenne point d'autre occupation que d'adorer Dieu présent en son opération, et la volonté d'y consentir. Enfin, que notre âme soit appliquée seulement à ce que Dieu fait en nous, se rendant attentive et fidèle à se lier à son opération et à tout ce qui en dépend, consentant à tout ce qu'il veut faire, à tous les anéantissements, destructions et changements qu'il y opérera. »

162Cf. Chr. Int. VII, 16 : « Entre les vertus que cet état imprime, une des principales est qu’il tire et retient l’âme en Dieu, de sorte qu’elle est plus en lui qu’il n’est dans elle, l’amour qui lui est communiqué étant un poids qui la fait écouler et pencher vers le Bien-Aimé. Un grand Prince qui fait à un pauvre paysan de ses sujets qui ne l’aurait jamais vu, quelque grand et magnifique présent, donne plus de connaissance à cet homme de sa grandeur royale que s’il lui envoyait tous les orateurs de son royaume pour l’en entretenir et la lui faire connaître par de belles raisons. De même une âme connaît plus Dieu en une de ces faveurs susdites que par tous les discours que les prédicateurs lui en pourraient faire. Quand Dieu enseigne immédiatement, il illumine davantage que quand il se sert des créatures. »

163Cf. Chr. Int. III, 2 : « Je trouve mon cœur et mon âme si contente de ce que Dieu est uni inséparablement à elle, qu'elle ne peut sentir la séparation des personnes du monde qui me sont les plus chères. Je ne sais quand je souffrirai quelque chose, toutes les mortifications pour moi se tournent en douceurs, car la vue de la Présence de Dieu intime en moi et inséparable me remplit de joie. Dieu est en moi et je suis en lui, et rien ne m'en peut séparer, puisqu’incessamment il est présent en moi par son immensité qui lui est essentielle. Cela me donne un plaisir si sensible que la privation de toutes les créatures ne me pourrait toucher ; au contraire je tire cet avantage de leur éloignement que la Présence de mon Dieu m'est plus présente. Et tant plus que par la suprême indifférence je m'élève au-dessus de toutes les créatures, quelque saintes qu'elles soient, je sens mon cœur plus uni à Dieu, comme à son centre, dans lequel il prend un paisible repos. »

164Lettre 3.51, p. 493 sv., « …comment Dieu est son âme, et comment son âme est Dieu ; et le bonheur inestimable de n’avoir plus au monde que Dieu. »

165N. est inconnu. – me recommander ?

166Le P. Jean-Chrysostome de saint-Lô, son directeur.

167[sic], sens obscur - le paragraphe est fautif.

168À une religieuse d’une communauté de Paris, du grand trésor de posséder Dieu en présence réelle et immédiate. Il s’agit de mère Mectilde.

169La voie du renoncement à la volonté propre pour faire la volonté de Dieu

170Cf. Chr. Int I, 7: « Ô si nous savions seulement agréer toutes ces misères, qui nous mettent dans le bienheureux état d'anéantissement, nous rendrions autant de gloire à Dieu que par toutes les grandes actions, car en toutes ces privations l'âme ne trouve appui ou consolation ni en elle ni en une créature, mais en Dieu seulement. »

171Cf. Chr. Int. VI, 7 : « Ô qu'une âme qui a su concevoir les beautés de la pauvreté, a de facilité à suivre Jésus pauvre et à se conformer à tous ses états ! Elle se trouve déliée de toutes les chaînes qui captivent les hommes dans l'esclavage du monde ; il lui semble que la privation de toutes les créatures est le plus grand trésor qu'elle peut posséder sur la terre ; elle fait ses richesses de toutes les pertes ; elle se croit pauvre et misérable quand la divine Volonté ordonne qu'elle possède quelques biens, quelques honneurs ou quelques talents ; s'il dépendait d'elle de les avoir ou non, elle les quitterait promptement pour n'avoir que Dieu ; elle ne les conserve donc que par une pure dépendance à la divine Volonté, sans les aimer ni les estimer, mais aimant seulement en elles la seule Volonté de Dieu. »

172Cf. Chr. Int. VII, 9 : « Cette oraison est un simple souvenir de Dieu qui est encore plus simple qu’une pensée, n’étant qu’une réminiscence de Dieu qui est cru par la Foi nue, comme il est vu et su par la lumière de gloire dans le Ciel. C’est le même objet, mais connu différemment de l’âme : cette voie est une docte ignorance. La terre est le pays des croyants et le Ciel [celui] des voyants. Il ne faut pas savoir Dieu ni les choses divines en ce monde, mais il les faut croire. »

173Cf. Chr. Int. VII, 9 : « La Foi doit être nue, sans images ni espèces, simple sans raisonnements, universelle sans considération des choses distinctes. L’opération de la volonté est conforme à celle de l’entendement : nue, simple, universelle, point sentir ni opérer des sens, mais toute spirituelle. Il y a de grands combats à souffrir dans cette voie de la part de l’esprit qui veut toujours agir et s’appuyer sur quelque créature. L’état de pure Foi lui déplaît quelquefois fortement, mais il le faut laisser mourir à toutes ses propres opérations, estimant pour cela beaucoup et recevant volontiers tout ce qui nous aide à mourir, comme les sécheresses, aridités, délaissements, qui enfin laissent l’âme dans l’exercice de la pure Foi par laquelle Dieu est connu plus hautement que par les lumières, qui servent de milieu entre Dieu et l’âme ; et l’union de notre esprit par la Foi est pure et immédiate, et par conséquent plus relevée. »

174Cf. Chr. Int. VII, 14: « En cet état, l’âme jouit de Dieu en Dieu, dans un parfait contentement, ne goûtant que Dieu seul qui lui est tout ; le reste ne lui est plus rien ; aussi Dieu pour la remplir de lui-même en chasse toutes les créatures. »

175Cf. Chr. Int. VII, 14: « Que cette oraison est rare aux âmes peu mortifiées et peu dans les voies de Dieu! Il n’y faut avoir faim d’aucune chose que de Dieu, ne jeter ses yeux que sur lui seul sans regarder même les ouvrages de sa Grâce. Toutes sortes d’autres vues, quelque parfaites qu’elles soient, sont anéanties : Dieu seul occupe l’âme en paix et en Amour. »

176Cf. Chr. Int. IV, 11: « Quand le véritable anéantissement aura pris place en notre âme, il retranchera toutes les réflexions spécieuses, qui n'ont de fondement que dans le désir (d'excellence et de satisfaction propre) d'être aimé des créatures. Le même coup qui fera mourir cette secrète recherche de nous-mêmes, nous délivrera de la tyrannie insupportable des réflexions et pensées qui percent dans l'avenir, et il donnera la mort à ces petits renardeaux qui démolissent notre vigne, et sans qui elle ferait de bons fruits. »

177Cf. saint Jean de la Croix (1542-1591), Vive Flamme, I, 12 : « Le centre de l’âme, c’est Dieu ; et quand elle l’aura atteint selon toute la capacité de son être et toute la force de son opération, elle aura atteint son centre ultime et le plus profond ; ce qui sera lorsqu’elle aimera Dieu de toutes ses forces qu’elle le connaîtra et jouira de lui.

178Cf. Henri Brémond (1865-1933), Histoire Littéraire du Sentiment religieux, III, p. 502 : « On n’atteint aucune idée, mais d’une façon mystérieuse, on jouit de la présence même, de l’être même de Dieu, rendu sensible au centre de l’âme. »

179Cf. Chr. Int. III, 6 : « O que c’est une grande Grâce que d’être bien imprimé de Jésus-Christ ! Car l’âme y est attachée totalement et ne s’en peut séparer. C’est un effet désirable de l’infusion divine qui se fait en nous sans nous, où Jésus s’écoule dans le fond de notre intérieur, occupe le centre de notre âme et même toutes nos puissances. »

180Cf. Chr. Int. VII, 13 : « Peu de personnes arrivent à la pureté de la parfaite oraison parce que peu se rendent susceptibles des motions divines par un vide profond de leurs puissances. Pour en venir là, il faut que rien ne nous tienne à l’esprit ni au coeur. »

181Jacques Bertot est né à Caen le 29 juillet 1622 où il fit ses études. Ordonné prêtre, il fréquentera une quinzaine d’années l’Ermitage. Il est le (ou un) destinataire des lettres de Bernières adressées à l’ « ami intime ». Bertot sera aussi pendant vingt ans confesseur des Ursulines de Caen à partir de 1655. À Caen et au-delà, il eut une large influence notamment sur les missionnaires envoyés en Asie ou au Canada.

182Mère Mectilde évoque dans une de ses lettres précédentes ce personnage : Jean Aumont ?

183À la Révérende mère supérieure d'une nouvelle maison religieuse : mère Mectilde dont la communauté est installée rue Férou depuis janvier 1654

184À un ami appelé à une grande perfection.

185Cf. Jean 8, 12 De nouveau Jésus leur adressa la parole et dit: "Je suis la lumière du monde. Qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais aura la lumière de la vie."

186Sagesse 7, 28, car Dieu n'aime que celui qui habite avec la Sagesse.

187Cf. Chr. Int II, 8 : “Quand l'âme a tout perdu, qu'elle croie n'avoir rien perdu, pourvu qu'elle ne perde point cette disposition d'union au bon plaisir de Dieu. Pour ne la point perdre dans les pertes qui nous arrivent journellement de ce que nous chérissons le plus, il faut que l'âme soit élevée d'affection au-dessus de tout ce qui se peut perdre, c'est-à-dire au-dessus de toutes créatures : autrement cette admirable disposition ne pourra être de durée dans une âme. Il faut pouvoir dire avec vérité ce que disaient les grands saints vivant sur la terre : Deus meus et omnia, mon Dieu, vous m'êtes toutes choses.”

188Matthieu 13, 44 “Le Royaume des Cieux est semblable à un trésor qui était caché dans un champ et qu'un homme vient à trouver: il le recache, s'en va ravi de joie vendre tout ce qu'il possède, et achète ce champ.”

189Le baron Gaston-Jean-Baptiste de Renty (1611 au château de Bény au diocèse Bayeux - 24 avril 1649) est un « gentilhomme d'affaires » à l'emploi du temps très chargé, et l'une des plus grandes figures spirituelles de l'école française de spiritualité du XVIIe siècle. Fils unique de Charles, baron de Renty, et de Madeleine de Pastoureau, Gaston étudia au Collège de Navarre à Paris, puis chez les jésuites au collège du Mont de Caen. Il écrivit plusieurs traités de mathématiques, matière dans laquelle il excellait. Il entre ensuite à l'académie militaire. Sa carrière semble dès lors toute tracée. Mais en 1630, attiré par Dieu, il quitte sa famille, deux ans après la lecture (il a dix-sept ans) de l'Imitation du Christ, et annonce son désir de se retirer du monde et de se faire chartreux, contre la volonté de sa famille qui voit en lui un avenir séculier brillant. Il est alors conduit à se marier et à vivre une vie de parfait chrétien dans le mariage, mariage qui lui donna cinq enfants. Après la mort de son Père, en 1638, il décide de se retirer parfaitement de la Cour et de l'armée et de rejoindre ses terres pour se consacrer à Dieu, décision qui lui vaudra l'opposition de sa mère qui lui disputera l'héritage paternel jusqu'à la mort de cette dernière en 1646. Il peut dès lors mener une vie pieuse, conforme à ses idéaux et à son amour de Dieu, en se prêtant à la prière, à une importante pénitence, et en multipliant les œuvres pies. Ainsi, « bras droit » de saint Vincent de Paul, « supérieur » et animateur de la Compagnie du saint-Sacrement (de 1639 à 1649), il mène de front les entreprises les plus diverses : l'organisation des séminaires, l'œuvre des prisonniers, la création de l'Hôpital général ; l'hospice des vieillards, l'hôpital des forçats à Marseille, le secours des captifs au Levant, les missions d'Alger, de Tunis, de Madagascar, d'Irlande, et surtout l'entretien des missions récemment fondées au Canada et l'organisation des associations d'entraide pour les ouvriers tailleurs et cordonniers. Il court les provinces. Il est soutenu dans ses entreprises par son confesseur, le Père Charles de Condren, de l'Oratoire. Dans son château de Bény-Bocage, en Normandie, il reçoit d'innombrables visiteurs et envoie, adressées aux hommes d'État, aux missionnaires ou aux carmélites de Beaune, lettres d'affaires et lettres de direction. Entreprenant, lié à quasi tous les saints de l'époque, on trouve partout ce « mousquetaire de l'Église ». (selon l'expression de Michel de Certeau).

190Cf. Chr. Int. III, 4 : « À mesure que le fond de l'âme se purifie davantage, Dieu fait de plus en plus ressentir sa Présence ; où il semble que les maximes suivantes servent à épurer l'intérieur, ou à se conserver dans la pureté : L'indifférence à tout état, à tout emploi, à toute manière de glorifier Dieu. D'être réglé pour l'emploi extérieur, en faire peu, et le faire avec grand intérieur. S'établir très bien dans l'esprit de mortification, d'aimer les souffrances, l'anéantissement : ce doit être le fondement de l'intérieur. Un grand amour vers Jésus mourant dans les opprobres de la Croix. Grand recours à la Grâce : la demander souvent et y avoir une continuelle dépendance. La mort de toutes les créatures, quelles qu'elles soient. »

191Issu de famille noble, Arsène naquit à Rome à l'époque de la mort de saint Antoine(356). Diacre d'après certaines sources, il exerça de hautes fonctions à la cour impériale de Constantinople et fut choisi par Théodose Ier pour être précepteur des futurs empereurs Arcadius et Honorius. En 394, fuyant le monde et ses honneurs, il gagna secrètement l'Égypte et se fit moine à Scété auprès de Jean Colobos, un autre grand Père du désert. Après avoir vécu un moment à Pétra, puis à Canope d'Alexandrie, il quitta définitivement Scété lors de la dévastation de 434 et passa les dernières années de sa vie à Troé, aujourd'hui Toura, à une quinzaine de kilomètres au sud-est du Caire. Il mourut en 445 ou 449.

192On rapporte de l’abbé Arsène ces propos impressionnants : « Le samedi soir, aux premières Vêpres du dimanche, il laissait le soleil derrière lui et levait les mains au ciel en priant, jusqu’à ce que la lumière du soleil reparaisse devant lui. Alors il s’asseyait. » Apophtègme 68.

193Cette lettre adressée « à l’ami intime » clôt le corpus des lettres. Elle n’est pas datée, mais elle se situe juste après celle qui est datée du 19 octobre 1654. Nous n’hésitons donc pas à la classer à sa suite d’autant que Bernières traite dans les deux lettres de la « parfaite unité ».

194Bernières utilise dans la correspondance une trentaine de fois l’expression « fond de l’âme » qui est celle de l’École française pour dire le lieu où se réalise le point de jonction de l’âme avec Dieu, au-delà des sens, au-delà des facultés mentales (mémoire, intelligence et volonté). C’est dans cette rencontre du « Je » humain et du « Je » divin que s’opère le mariage spirituel. saint Jean de la Croix parlera de « centre de l’âme », sainte Thérèse de Jésus parlera de la « septième demeure », mais c’est la même réalité. Dans la maxime du  2 décembre 1647 Bernières exprime clairement ce qu’il veut dire quand il utilise cette expression : « Le fond de l’âme est une demeure sacrée et secrète, où Dieu réside, et où Il se plaît de faire ses opérations indépendamment de toutes les industries propres des hommes. Là Il manifeste tantôt son être et ses perfections, tantôt Il y manifeste ses Mystères, ou quelques autres vérités. Et toujours Il s’y communique en mille manières agréables et avantageuses, comme Il lui plaît. Il se semble qu’avec un petit rayon de sa face, Il nous fait connaître ce qu’Il veut : « Illuminat vultum suum super nos »

195La perception de Dieu dans le fond de l’âme n’est pas l’aboutissement d’un effort de l’homme, mais une grâce donnée directement par Dieu sans mérite de celui qui la reçoit : « C’est une grâce bien grande, quand Il se comporte ainsi avec l’âme, et qu’Il converse seul avec elle seule en l’intime de son cœur. Je ne m’étonne plus de ce que les saints disent qu’ils ont un cabinet intérieur et secret, où ils trouvent Dieu et jouissent de Lui d’une façon merveilleuse. Je ne m’étonne point aussi comme les âmes de grande oraison la font sans peine, et quasi continuellement. Car on reçoit tant, et on travaille si peu, qu’il n’y a pas lieu de s’étonner de cette facilité » Maxime du 2 décembre 1647.

196C’est ici sans doute une allusion à la première strophe de Vive Flamme d’Amour de saint Jean de la Croix : « Ô vivante flamme d’amour, Qui blesse tendrement Le centre le plus profond de mon âme, Puisque tu n’es plus cruelle, Achève maintenant, si tu le veux ; Déchire la toile de cette douce rencontre ! » VF 1.

197saint Jean de la Croix définit ainsi ce centre le plus profond de l’âme, el centro más profundo : « Le centre de l’âme, c’est Dieu ; lorsqu’elle y sera arrivée selon toute la capacité de son être et selon la force de son opération et inclination, elle sera arrivée à son centre ultime et le plus profond, ce qui sera lorsqu’avec toutes ses forces elle saisira et aimera Dieu, et en jouira. Et tant qu’elle ne sera pas arrivée à autant que cela -- ce qui arrive en cette vie mortelle, en laquelle l’âme ne peut arriver à Dieu selon toutes ses forces --, quoiqu’elle soit en son centre, qui est Dieu, par la grâce et par la communication qu’il a avec elle, pour autant qu’elle a encore du mouvement et de la force pour davantage et qu’elle n’est pas satisfaite, quoiqu’elle soit au centre, elle n’est cependant pas au centre le plus profond, puisqu’elle peut aller au plus profond en Dieu. » Vive Flamme B I, 12.

198saint François de Sales, dans son Traité de l’Amour de Dieu, rejoint la pensée de saint Jean de la Croix : « Mais d'autres fois l'union se fait, non par des esiancemens [élancements] repetés, ains par maniere d'un continuel insensible pressement et avancement du coeur en la divine bonté; car, comme nous voyons qu'une grande et pesante masse de plomb, d'airain ou de pierre, quoy qu'on ne la pousse point, se serre, enfonce et presse tellement contre la terre sur laquelle elle est posee, qu'en fin avec le tems on la treuve toute enterree, a cause de l'inclination de son poids qui par sa pesanteur la fait tous-jours tendre au centre, ainsy nostre coeur estant une fois joint a son Dieu, s'il demeure en cette union et que rien ne l'en divertisse, il va s'enfonçant continuellement, par un insensible progres d'union, jusques a ce qu'il soit tout en Dieu, a cause de l'inclination sacree que le saint amour luy donne, de s'unir tous-jours davantage a la souveraine bonté, car, comme dit le grand apostre de France, " l'amour est une vertu unitive, " c'est a dire, qui nous porte a la parfaite union du souverain bien. Et puisque c'est une vérité indubitable que le divin amour, tandis que nous sommes en ce monde, est un mouvement, ou au moins une habitude active et tendante au mouvement, lhors mesme qu'il est parvenu a la simple union il ne laisse pas d'agir, quoy qu'imperceptiblement, pour l'accroistre et perfectionner de plus en : plus. » TAD VII,1.

199À son ami intime, l’abbé Bertot, sur l’état de déification.

2001Cor2,9 : «  Mais, comme il est écrit, c'est ce que oeil n'a pas vu, ce que l'oreille n'a pas entendu, et ce qui n'est pas monté au coeur de l'homme, tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment. »

201Cf. 1 Cor 6, 17 : Celui qui s’unit à Dieu est avec lui un seul esprit. saint Jean Eucdes écrit dans la vie Admirable de Marie des Vallées Livre 10 chapitre 9 : “Notre Seigneur a fait connaître à la sœur Marie qu’il y a quatre degrés d’union de l’âme chrétienne avec Dieu. Le premier s’appelle communion, le second union, le troisième transformation, le quatrième déification.. […] Dans la transformation l’âme n’est pas encore détruite, elle s’y trouve encore. Dans la déification tout est anéanti ; il n’y a plus que Dieu. saint Jean Eudes dira en parlant de Marie des Vallées : “ On voit par là qu’elle n’est plus et que c’est Dieu qui est tout en elle, et qu’Il l’a toute changée en soi et déifiée, selon les paroles qu’Il dit à saint Augustin : Non mutabor in te, sed mutaberis in me. » C’est la déification dont parle la théologie mystique : c’est le plus haut point de la grâce chrétienne qui fait que ceux qui y sont arrivés sont des Jésus-Christ vivants et marchants sur la terre.” Idem livre 6 chapitre 12.

Cf. Pensées pour la fête de l’Assomption : “Pour être bon chrétien, il faut bien savoir la science du crucifix, qui contient par degrés une haute transformation en Dieu, ou déification, qui se fait par une union très parfaite de nos volontés à celle de Dieu, lequel ayant résolu, après le péché d'Adam, de réparer sa Gloire par la vie et la mort de son Fils, et son Fils ayant agréé cette voie de mourir en Croix, c'est une admirable union à la volonté de son Père ; et pour faire cette union, il se surmonte soi-même, vivant et mourant dans des misères extrêmes. Ainsi un bon Chrétien devient un même esprit avec Dieu, par cette union admirable de sa volonté avec celle du Père Eternel.”

202Le contexte ne permet pas de préciser davantage ce dont il s’agit. Dans la lettre du 20 juillet 1644, il écrit : « J’ai ouï parler de la grandeur de la Cour, de la magnificence des rois et de leur gloire ; l’on m’a raconté les délices les plus grandes du siècle… »

203À l’« ami intime », l’abbé Jacques Bertot(1620-1681), confesseur, puis supérieur des ursulines de Caen de1655 à 1675, confesseur des bénédictines de Montmartre à partir de 1675.

204Cf. Chr. Int. III,4 : « À mesure que le fond de l'âme se purifie davantage, Dieu fait de plus en plus ressentir sa Présence ; où il semble que les maximes suivantes servent à épurer l'intérieur, ou à se conserver dans la pureté : L'indifférence à tout état, à tout emploi, à toute manière de glorifier Dieu. D'être réglé pour l'emploi extérieur, en faire peu, et le faire avec grand intérieur. S'établir très bien dans l'esprit de mortification, d'aimer les souffrances, l'anéantissement : ce doit être le fondement de l'intérieur. Un grand amour vers Jésus mourant dans les opprobres de la Croix. Grand recours à la Grâce : la demander souvent et y avoir une continuelle dépendance. La mort de toutes les créatures, quelles qu'elles soient. On dit que Dieu est dans le fond de l'âme et qu'il y est caché : pour l'y trouver, il s'y faut cacher avec lui et se recueillir, se convertissant au-dedans de soi pour se mettre dans cet état que les spirituels nomment introversion. Le temps le plus favorable à cette disposition, c'est la nuit, où toutes les créatures sont comme mortes et anéanties, ne pouvant faire aucune impression sur nos sens ; c'est dans les ténèbres que l'on conserve mieux la révérence que l'on doit à la Présence de Dieu. »

205Cf. Chr. Int. III,8 : « Je dois être en paix, et vivre dénué et privé de tout appui, me confiant en Dieu, qui seul me doit être toutes choses. Je dois trouver ma consolation à vivre privé de toute consolation si c'est le bon plaisir de Dieu ; je dois être content de telle portion de la Grâce qu'il lui plaira me donner. Plus nous serons pauvres, et dans quelqu'un des états d'anéantissements de Jésus, c'est le meilleur. Que tout nous manque, pourvu que Dieu seul nous demeure. Une âme qui a trouvé Dieu, ne peut faire état d'autre chose. »

206Cf. Chr. Int III,8 : “Toutes les vérités particulières, toutes les bontés, toutes les beautés et les perfections des créatures ne font qu'altérer l'âme : Dieu seul la peut étancher, et jamais ceci ne se comprend que quand il plaît à Dieu le faire expérimenter à l'âme. Cette expérience est d'une efficace merveilleuse pour la détacher de tout ce qui n'est point Dieu ; et l'âme qui a une fois goûté Dieu, ne peut retourner aux créatures, même à la pratique des vertus, que par soumission à lui.”

207Cf. Jacques Bertot Directeur mystique, op.cit., Opuscule 5. « Traité de la voie de l’oraison et de ses divers degrés sous l’emblème des différentes manières d’atteindre au jardin. Troisième degré »: « Pour lors, bien que la personne ne fût que quelque grossier paysan, il vient à apprendre le Mystère de la Trinité, non par les oreilles comme en l’école, mais par le dedans, et il voit comment ces divines Personnes sont toutes en action, comment l’unité divine est la source de tout, comment les perfections divines sont en Dieu, comment l’âme vit en Dieu et qu’elle est un assemblage de tout ce qui est en Son Unité, non comme quelque chose de distinct d’elle, mais comme l’image de l’original. Il est vrai qu’il n’y a rien de plus admirable que de voir comment cela se fait et s’opère en l’âme et de l’âme, mais non sur l’âme. Dans les autres degrés, à l’aide de la lumière et à l’eau divine qu’elle recevait, elle peignait sur elle, mais ici cette eau de source a la qualité et la force de donner la vie ; ce ne sont plus des fleurs en peinture, mais réelles et véritables, qui ne sortent pas sur la terre de notre âme comme les fleurs dans les parterres, mais de l’âme. Si bien que cette eau vivante, commençant à revivifier toute l’âme à mesure qu’elle en est abreuvée, fait sortir sans sortir d’elle, ou pour mieux dire, fait qu’elle soit ce qu’elle était en sa création et rédemption, à savoir tout ce que Dieu est, non par le dehors, comme j’ai dit, mais par le centre et le dedans. »

208Cf Jacques Bertot Directeur Mystique, fidélité au divin néant : “Car comme par ce divin néant opéré par la foi nue, Dieu ne donne pas moins que Lui-même, aussi quand on manque à se simplifier et à se dénuer peu à peu de son opération et de sa vie propre, on quitte Dieu et Il ne prend pas possession de l’âme, de sorte qu’il arrive deux grands maux, qui sont que l’âme vit toujours en elle-même, empêchant Dieu d’y être par son opération, parce qu’il est certain que telles âmes, supposé leur vocation, ne peuvent jamais trouver Dieu ni L’avoir que par ce néant opéré en foi ; ainsi manquant à cette conduite par leurs opérations elles ne Le rencontrent point, mais plutôt sont toujours sourdement inquiètes sans savoir où est leur place. De plus ces âmes, appelées de Dieu pour Le posséder de cette [334] manière, ne peuvent jamais avoir les vertus que par ce biais, c’est-à-dire dans le seul néant et partant par la venue de Dieu en elles, de telle sorte que, manquant à l’un, elles manquent à l’autre sans savoir pourquoi elles ne peuvent acquérir ce qu’elles désirent tant. C’est ce que la Sagesse nous exprime fort bien en disant : « Tout bien nous est venu avec elle ».”

209Cf. Chr. Int. VII,10 : « Une des marques plus assurées pour discerner si on est en effet occupé de Dieu dans cette oraison de ténèbres, est de voir s’il reste en l’âme des connaissances de ses misères et de ses infidélités, car tant plus elle communique avec Dieu, tant plus elle voit les moindres choses. Par exemple, on s’aperçoit que dans une telle action on n’a pas eu une intention assez pure, mais que la nature s’y est mêlée avec la Grâce ; que l’on se divertit trop aisément de la présence de Dieu ; que l’on a fait trop d’effort de nature dans l’oraison où l’on devait être plus passif ; et toutes ces connaissances qui sont données clairement à une âme l’humilient beaucoup. On ne saurait quasi être plus purement en Dieu que par cette oraison, y étant, par une simple vue de la Foi pure, au-dessus de tout discours et conception. En cet état, je ne connais rien de Dieu sinon que je n’en puis rien connaître : l’imbécillité de mon âme et les excès infinis de ce divin Soleil font que sa lumière m’est inaccessible. Cette Foi obscure me mène pourtant plus loin dans Dieu que toutes les conceptions que j’ai jamais pu former, et ma volonté est échauffée d’une manière admirable au milieu de ces ténèbres lumineuses. En cet état, toute mon âme est unie à Dieu très simplement et intimement ; et comme l’union est forte, l’on ne s’en sépare pour traiter avec les créatures qu’avec violence. »

210Cf. Jacques Bertot, Directeur Mystique Vol. 1, Cologne 1726, Traité 9. « Opérations de la Ste Trinité dans les âmes », p. 260.

211Cf. Chr. Int. VII, 19 : “Dans les états de peine que l’âme porte en cette voie, elle est fortifiée de Dieu sans qu’elle le connaisse : elle craint tout, et néanmoins il n’y a rien à craindre pour elle puisqu’elle est plus dans la protection de Dieu que jamais, car une âme ainsi passive et abandonnée est dans la singulière Providence de Dieu qui lui cache cela et la laisse dans les peines et dans les craintes fâcheuses de son état et quelquefois de son salut. Il n’est pas expédient que l’âme aperçoive l’ouvrage de Dieu en elle, car elle le gâterait par ses réflexions et ses complaisances. Sa malignité est si grande que tout se salit entre ses mains : c’est ce qui fait que Dieu lui cache souvent tout.”

212Lettre 3.47, p. 482 sv.

213À l’ami intime Jacques Bertot.

214Monsieur Bertot avait été conduit au printemps 1655 à Paris pour l’assemblée des serviteurs de Dieu en vue de discerner l’avenir de mère Mectilde. Depuis ce temps, ils sont en lien étroit. Bertot fréquentera assidûment le monastère de la rue Cassette jusqu’à sa mort.

215Cf. Chr. Int. VII,8 : « A mon avis, le grand secret de l’oraison est de recevoir en tranquillité et en pureté l’impression des rayons du Soleil divin qui réside dans le fond de notre âme. C’est lui qui peut illuminer sans le secours de nos raisonnements, qui allume en nous le divin Amour sans tourmenter notre volonté par la production d’une multitude d’actes, et fera fructifier toutes les vertus sans quasi nous en apercevoir ni savoir comment cela se fait. Que l’âme ait soin d’être nette et pure de toute imperfection, morte aux créatures et dans le désir de souffrir ; et pour l’oraison, qu’elle ne s’en mette point en peine : Dieu fera en elle tout ce qu’il faut et en une manière qui passera ses espérances et même son intelligence. »

216Cf. Benoît de Canfield (1562-1610) qui eut une grande influence dans le cercle mystique normand du milieu du XVIIe siècle. Règle de perfection, p.100 de la Volonté de Dieu essentielle, parlant de la vie superéminente, Arfuyen : “Car tout ainsi que le soleil frappant sur quelque corps diaphane, à savoir transparent comme l'eau, le verre et cristal, attire et tire hors une réciproque splendeur devers lui, ainsi Dieu qui jette ses rayons de son regard sur l'âme , attire vers lui un réciproque regard. Mais comme cette réciproque splendeur de l'eau et du cristal ne vient pas d'eux seulement ni par leur vertu, mais par le soleil, ainsi ce regard parfait ne vient pas de l'âme, ni par quelque acte sien, mais de Dieu. Et comme cette splendeur n'est pas la splendeur de l'eau, mais du soleil, laquelle pénétrante et clarifiante l'eau retourne vers le soleil, ainsi ce regard n'est de l'âme, mais de Dieu : lequel étant l’Esprit et la vie et lumière, pénètre et clarifie l'âme, et ainsi s'en retourne à Dieu, et quant et quant tire l'âme avec lui, [âme] qui se fait une même chose avec lui.”

217Cf. Chr. Int. III, 4 : « Il faut se désoccuper de tout ce qui n'est point de Dieu : les créatures, quelque saintes qu'elles soient, ne sont rien en comparaison de la sainteté de Jésus-Christ ; et quand je pense m'appuyer sur leur secours, je ne considère pas qu'elles ne sont que des rayons de lumière dont Jésus-Christ est le corps, qu'elles ne sont que des ruisseaux dont il est la source, et que, tant que je m'arrêterai à elles, j'ai sujet de connaître ma faiblesse et mon humiliation. Rien de créé ne nous doit arrêter : il faut laisser les morts ensevelir les morts . Lorsque nous sommes privés des créatures, pour saintes qu'elles soient, il faut nous consoler avec Dieu, et croire que nous en sommes indignes, que peut-être dans la communication avec ses amis nous cherchions notre propre satisfaction et non sa seule volonté, et qu'ainsi il a eu la bonté d'y mettre ordre. »

218Sur les bienfaits de l’oraison passive, cf. Chr Int.VII,12 : « L’oraison passive se fait ainsi : l’on envisage Dieu en ses perfections, ou Jésus dedans ses états, ou quelque vérité chrétienne par la Foi ; et puis l’âme demeure dans un parfait repos, recevant tout doucement les impressions divines, qui la pénètrent, la convainquent, l’échauffent et l’embrasent pour toutes sortes de vertus. Et, quoiqu’elle n’en pratique pas les actes intérieurs distinctement, mais qu’elle demeure jouissante de la douceur de ses impressions, elle s’y rend fidèle dans les occasions, et s’y trouve bien disposée. Dans la méditation que nous faisons, Dieu agit avec nous, mais nous faisons quasi tout ; là où dans l’oraison passive, nous opérons avec Dieu, mais il opère quasi tout. Il ne faut pas aisément croire que l’on soit dans ces états passifs. Pour y entrer, on a besoin de grande pureté, d’une longue pratique d’oraison et de l’avis d’un bon directeur, et cependant travailler avec l’oraison ordinaire. »

219Cf. Chr. Int. VII,12 : « Une âme élevée dans l’état passif d’oraison se trouve unie à Dieu sans qu’elle ait travaillé à s’y unir, et reçoit de lui plusieurs lumières, vues, désirs et affections, comme il lui plaît les communiquer. Pour lors l’âme adhère purement à la Grâce et ne se remue point pour prendre elle-même des vues, désirs ou affections : elle se contente de ce que l’Esprit, qui la tient liée, lui donne, et n’a que cet unique soin de le contenter et adhérer à son divin amour. Durant qu’elle demeure et opère conformément à ce divin état, elle ne se sert point de sa liberté naturelle pour agir, mais suit les motions divines dans l’anéantissement des propres opérations. Quand elle est bien morte et bien passive en elle-même, son état de passiveté ne change point, quoique ses dispositions ordinaires changent, car elle reçoit de Dieu les ténèbres comme la lumière, les froideurs comme les ardeurs, les pauvretés comme l’abondance, demeurant ferme dans son fond à ne vouloir que Dieu et ses saintes volontés avec toute indifférence et une parfaite mort de ses propres opérations. »

220Cf. Chr. Int V,5 : « En effet, l'âme en cet état n'entend point de paroles intérieures, en la manière que les théologiens mystiques l'expliquent en leurs écrits ; mais la seule représentation vive et claire, qui se fait en elle de l'état où Jésus se trouve en chaque Mystère, lui tient lieu de parole. Il lui semble alors que notre Seigneur lui dit : « Ecoutez, ma fille, et voyez, et oubliez votre peuple et la maison de votre Père, pour entrer dans mon imitation ». L'âme acquiesce pour répondre à cette parole et, sans faire de bruit dans son intérieur, se contente d'un consentement très doux et très efficace. Elle écoute en voyant, et Jésus parle en se manifestant. »

221Cf. Chr. Int VII, 18 : «  Une âme, donc, ainsi dénuée et comme toute anéantie, entre dans ce sacré silence, dont les commencements sont un peu pénibles, bien que mêlés de suavité, par une certaine expérience de la présence de Dieu en l’âme, laquelle, élevée au-dessus des sens et de la raison pour n’envisager Dieu que par une simple lumière de la Foi, est conduite à une autre lumière qui semble mitoyenne entre la lumière de la Foi et celle de la Gloire : elle a quelque chose de la certitude de la Foi, elle a aussi quelque chose de la clarté de la Gloire, non qu’elle soit en effet ni l’une ni l’autre, mais elle en a quelque ressemblance. »

222Mr. Bertot, ami intime.

223Cf. Chr. Int. II,3 : « Il faut suivre Jésus tout nu en la Croix par une nudité générale, s'attacher à Dieu seul, et pas à un seul des moyens de le servir, quelque parfait qu'il soit. Oui, Jésus, je veux être à vous, je vous servirai, mais en la manière que vous voudrez, soit en agissant, soit en souffrant, soit en contemplant. Je ne m'attacherai à rien qu'à vous. Je veux être dégagé de toutes créatures, pour vous trouver et ne posséder que vous seulement. »

224Cf. Ruusbroec, L’ornement des Noces spirituelles, chapitre 49, traduction de 1606 par un un chartreux de Paris : « L’unité de notre esprit en Dieu est en deux sortes et manières, c’est à savoir essentiellement et activement. Selon l’existence essentielle, le même esprit reçoit immédiatement et sans cesse l’avènement de notre Seigneur Jésus-Christ en nature nue, car cette essence et vie par laquelle nous sommes en Dieu 136v selon l’Idée éternelle, et laquelle nous avons aussi en nous, est sans milieu et séparation; pour ce, notre esprit, selon sa plus profonde et plus haute partie, reçoit sans cesse en nature nue l’impression et la clarté divine de son exemplaire éternel, et est la demeure perpétuelle de Dieu, en laquelle il se tient toujours et la daigne toujours visiter par nouvel avènement et nouvel éclairement de la splendeur et clarté nouvelle de sa génération éternelle. Car Dieu est déjà où il vient par ce moyen, et il vient où il est déjà ; et il ne vient jamais où il n’a jamais été, vu qu’il n’y a en lui nul accident et nulle mutabilité ; et toutes les choses auxquelles il est, sont aussi en lui, car il ne sort point hors de soi-même. L’esprit, donc, possède Dieu essentiellement en nature nue, et Dieu aussi possède l’esprit, car il vit en Dieu et Dieu en lui. Et ainsi il est préparé, bien disposé, propre et capable à recevoir immédiatement, selon sa plus haute partie, la clarté de Dieu et tout ce 137r que Dieu peut donner par ce moyen. Voire et même, par la clarté de son exemplaire éternel luisant en lui essentiellement et personnellement, il se jette, se plonge et s’abîme selon la plus haute partie de sa vivacité, en l’essence divine, et demeurant là persévéremment selon l’Idée, il possède sa béatitude éternelle. »

225Cf. Mt 11,25.

226Cf. Chr. Int. I,3 : « Qu'est-ce que la créature après la chute d'Adam ? Ce n'est que néant, c'est l'infirmité et la fragilité même. Qu'est-ce que la créature après le péché ? C'est un abîme d'orgueil, d'aveuglement, d'aversion de Dieu, de conversion vers ses semblables. Qu'est-ce que la créature ? C'est un amas de toute corruption, de toute pauvreté, et de toute incapacité. Ce qu'elle doit faire, c'est de s'humilier, s'anéantir, s'abîmer dans le néant, et vivre dans une crainte perpétuelle de sa fragilité. Jamais nous ne trouverons Dieu, que nous ne nous perdions nous-mêmes dans les abjections et le mépris. Quand nous ne ferions dans nos retraites autre profit que demeurer bien convaincus que le vrai chemin pour aller à Dieu, c'est marcher avec Jésus-Christ dans les pauvretés, les abjections et le mépris, nous ferions tout ce qu'on peut faire dans une retraite. »

227À l’ami intime Bertot.

228Cf. Chr. Int. VII,10 : « C’est donc une excellente manière de s’occuper en Dieu que d’anéantir toutes nos lumières et connaissances pour entrer dans les sacrées ténèbres qui environnent Sa Majesté, car cette lumière inaccessible n’est qu’obscurité pour nous ; et il faut s’élever au-dessus de toutes vues et lumières, et perdre son entendement dans ces ténèbres et dans cette mort de nos propres connaissances, confesser que Dieu est au-dessus de toutes nos intelligences comme il est aimable au-dessus de tous nos amours. Perdre ainsi notre volonté et l’anéantir dans l’impuissance de pouvoir aimer : c’est l’aimer que d’avouer que l’on ne le peut aimer et qu’il est au-dessus de nos amours. L’âme marche de la sorte dans une perpétuelle mort et anéantissement, et ne connaît ni n’aime Dieu, ce semble, mais Dieu se connaît et s’aime en elle. »

229Cf. Chr. Int. VI,10 : « Oserais-je bien désormais m'estimer digne du moindre sentiment de la Grâce, après l'expérience que j'ai de mes excessives misères ? Véritablement quand Dieu m'abîmerait dans les enfers, je ne m'en étonnerais pas ; au contraire, j'admirerais sa miséricorde de m'avoir tant souffert. Davantage, je ne m'étonne point de tomber, car, hélas, qu'y a-t-il à s'étonner que la fragilité même soit fragile ? Ce qui m'humilie si fort, est de sentir tant de répugnances à souffrir peu de choses. Que ferais-je si j'étais accablé de peines intérieures et extérieures ? Ô que je suis éloigné de la patience des saints, et de l'amour qu'ils ont eu pour les grandes croix ! Humiliez-vous, mon âme, humiliez-vous jusques au centre de votre néant. »

230Cf. Chr. Int. VII,14 : « Cette plénitude de Dieu expérimentée et goûtée l’occupe avec douceur et paix. Cette disposition remplit quelquefois toutes les puissances de l’âme de sorte que l’entendement, la mémoire, la volonté, l’imagination sont toutes pleines de Dieu seul, et nulle pensée pour lors n’y peut avoir entrée, mais elles sont toutes occupées de la possession de Dieu. »

231Cf. Chr. Int. VII,11 : « Au temps de l’actuelle oraison, l’âme ne regarde pas les effets qui s’en font en elle : elle en serait reprise intérieurement comme d’une distraction. Pour lors, son occupation est en Dieu seul, et sa Grâce présente ne la porte que là, la divertissant de toute autre pensée ; mais sans qu’elle y pense, Dieu laisse de puissantes impressions en elle, et des dispositions à la pratique des grandes vertus, surtout à aimer les croix et les anéantissements effectifs : c’est cela seul que l’âme doit aimer et rechercher, ne pouvant plaire uniquement à son Dieu que par cette voie. »

232Cf. Chr. Int VII,10 : « C’est donc une excellente manière de s’occuper en Dieu que d’anéantir toutes nos lumières et connaissances pour entrer dans les sacrées ténèbres qui environnent Sa Majesté, car cette lumière inaccessible n’est qu’obscurité pour nous ; et il faut s’élever au-dessus de toutes vues et lumières, et perdre son entendement dans ces ténèbres et dans cette mort de nos propres connaissances, confesser que Dieu est au-dessus de toutes nos intelligences comme il est aimable au-dessus de tous nos amours. Perdre ainsi notre volonté et l’anéantir dans l’impuissance de pouvoir aimer : c’est l’aimer que d’avouer que l’on ne le peut aimer et qu’il est au-dessus de nos amours. L’âme marche de la sorte dans une perpétuelle mort et anéantissement, et ne connaît ni n’aime Dieu, ce semble, mais Dieu se connaît et s’aime en elle. »

233Cf. Chr. Int. VII,16 : « Que l’âme se rende bien passive à la Grâce qui l’appelle à cet état ; y étant, qu’elle demeure unie en paix avec son Dieu et que, sans se mettre en soin d’autres dispositions, elle se serve de la seule union pour agir et pour souffrir, et pour tout exercice intérieur, car c’est un des plus excellents, puisque c’est un exercice de charité éminente. » 

234Cf. Chr. Int. VII, 7 : « Il est de fort grande importance de bien connaître les voies de Dieu sur les âmes pour se conformer aux desseins de sa Grâce. Toutes ne sont pas appelées à une même sorte d’oraison et, sans vocation spéciale, l’on ne se doit appliquer qu’à la plus commune et ordinaire, où l’âme agit elle-même, s’entretenant avec Dieu par la considération, prenant un livre pour s’aider à cela, ou se ressouvenant de quelque sujet qu’elle aura autrefois goûté, et agissant avec une grande dépendance et fidélité avec Dieu ; n’étant point appelée de Dieu à une oraison plus haute, elle serait dans une pure oisiveté si elle n’agissait pas d’elle-même. Or elle ne doit pas croire que Dieu l’appelle à une oraison plus élevée, sinon lorsqu’il lui ôte les moyens de s’employer à celle-ci, l’attirant à quelque autre meilleure. Car c’est une règle générale qu’on ne doit contempler que lorsque l’on ne saurait méditer. »

235Cf. Chr. Int. VIII,2 : « Mais il ne faut pas aussi s'avancer par trop vers des états relevés de perfection où la Grâce ne nous appelle pas. Souvent on se veut régler plutôt sur la Grâce des autres que sur la sienne propre, et voyant qu'ils font des merveilles pour leur perfection propre et pour le service du prochain, on les veut imiter, et on se porte à cela plutôt par un mouvement naturel du désir de sa propre excellence que par un mouvement de la Grâce ; et pour plaire à Dieu, on s'égare et on se recule plutôt qu'on ne s'avance, quand on suit la voie des autres plutôt que celle dans laquelle la Grâce nous met. Que chacun reconnaisse et suive son attrait avec fidélité. Ce n'est pas que la vue des grâces qui éclatent dans les autres, et leur bon exemple, ne nous serve et ne nous anime ; mais ce doit être à nous de nous rendre plus fidèles à marcher ponctuellement dedans notre voie, et non pas à entrer dans celle des autres, où Dieu ne nous appelle pas. »

236Cf. Chr. Int. VII,6 : « C’est un moyen des plus nécessaires pour l’oraison d’habituer son âme à ne s’occuper point de soi-même ni d’aucune créature, mais de Dieu seul qui est son centre et sa fin dernière ; elle n’est faite que pour s’appliquer à lui et se reposer en lui, et manque au dessein de son Créateur autant de fois qu’elle le quitte pour demeurer dans elle-même ou dans les créatures. »

237Cf. Chr. Int. VII,5 : « Je vois clairement et connais par expérience que les affaires temporelles de nos maisons désoccupent beaucoup de Dieu : l’esprit y pense lorsqu’il y faut donner ordre, et quitte cette douce et bienheureuse application à Dieu. L’âme ne fait pas mal ; au contraire, y étant obligée, elle plaît à Dieu de penser au temporel pour une bonne intention ; mais elle fait sans comparaison mieux de ne penser qu’à Dieu seul, et de ne se point causer cette fâcheuse privation de son souverain Bien pour des soins terrestres. Ceux que Dieu laisse dans des états mondains, font bien d’y vaquer parce qu’il ne veut pas davantage d’eux ; mais ceux qu’il attire sans réserve pour être tout à lui par la voie de l’oraison, ne peuvent, sans infidélité, être dans les soins des choses de la terre : ils les doivent éviter et ne se partager pas, un Dieu les voulant avoir pour lui seul. »

238Cf. Chr. Int. VII,16 : « Quand vous sentez, mon âme, que Dieu opère en vous et qu’il répand ses suavités, vous donnant du lait sacré de ses divines mamelles afin que vous sachiez par expérience ses bontés et ses miséricordes, soyez fort attentive et respectueuse à son opération et ne vous découvrez pas aux créatures ; c’est pour lors son bon Plaisir de vous traiter magnifiquement, n’allez pas vous répandre dans les créatures : aussi bien vous n’y trouveriez qu’indigence et pauvreté. Quand ce bienheureux moment arrive, retirez-vous dans votre intérieur et là, jouissez de la Grâce qui vous est faite. Ne vous étonnez pas qu’elle est grande et que vous la recevez, car Dieu fait de vos misères un trône de ses bontés et de ses miséricordes. »

239Cf. Chr. Int. VII,16 : « Entre les vertus que cet état imprime, une des principales est qu’il tire et retient l’âme en Dieu, de sorte qu’elle est plus en lui qu’il n’est dans elle, l’amour qui lui est communiqué étant un poids qui la fait écouler et pencher vers le Bien-Aimé. Un grand Prince qui fait à un pauvre paysan de ses sujets qui ne l’aurait jamais vu, quelque grand et magnifique présent, donne plus de connaissance à cet homme de sa grandeur royale que s’il lui envoyait tous les orateurs de son royaume pour l’en entretenir et la lui faire connaître par de belles raisons. De même une âme connaît plus Dieu en une de ces faveurs susdites que par tous les discours que les prédicateurs lui en pourraient faire. Quand Dieu enseigne immédiatement, il illumine davantage que quand il se sert des créatures.

Ces faveurs ne sont pas nécessaires au salut ni même à la perfection, mais elles y sont très avantageuses, car les communications les plus particulières de Dieu se font dans cet aimable repos, Dieu mettant l’âme dans cette douce quiétude pour la préparer à recevoir ses grandes Grâces et leur infusion y trouvant toujours l’âme disposée par l’union dans laquelle elle tire du sein de la Divinité une douceur qui est comme un lait fortifiant, purifiant et délectant. »

240Cf. Chr. Int. VII,17 : « Un seul amour lui semble suffisant pour Dieu et pour l’âme aimante, étant assez qu’elle adhère à une très grande simplicité et unité à cet unique amour que Dieu a pour ses beautés et pour ses bontés infinies. L’amour particulier de l’âme s’abîme comme une goutte d’eau dans cet Océan infini d’amour par une union si intime que cela ne se peut expliquer ; et, en se perdant ainsi, il se trouve infiniment plus parfait, comme une petite étincelle de feu s’abîmant dans une grande fournaise brûle avec une ardeur toute autre qu’elle ne ferait pas par elle seule. »

241Cf. Chr. Int. V, 10:” De dire que c'est comme les étoiles qui sont abîmées dans le soleil quand il paraît et qu'il les fait disparaître, parce que sa lumière les consume pour être tout à fait en lui, ce n'est rien dire. Il y a une distance infinie entre les choses divines et les créatures : l'âme se contente de les envisager dans la lumière de Dieu, et puis d'entrer dans l'admiration, le respect et l'amour ;”

242Cf. Chr. Int IV, conclusion : « La lune, qui n'a de lumière que celle du soleil, ne se détourne pas de son cours quand elle lui manque en tout ou en partie : elle la reçoit telle qu'il la lui envoie ; et quand le soleil veut être reconnu pour la source des autres clartés, il n'a qu'à retirer la sienne ; alors tous les hommes confessent que la lune ni les étoiles n'ont rien que d'emprunté ; et jamais ou rarement ils n'y font réflexion quand la lune est dans son plein. Ô mon Dieu, mon Sauveur, source d'éternelle lumière, Soleil de Justice et du monde, ne nous réduisez point à reconnaître ce que nous vous devons, en nous privant de vos clartés. Faites-nous toujours recevoir de votre plénitude. »

Cf. Chr. Int. VII,11 : « L’âme souvent se perd dans ces divins abîmes, au lieu de considérer les vertus chrétiennes ou les perfections divines, et, ainsi perdue, elle perd le sentiment et l’amour de tout ce qui n’est point Dieu. O l’heureuse perte ! »

243Cf. Chr. Int. VII,11 : « Depuis qu’une âme s’est habituée à marcher par les voies de la Foi et de la pureté, elle acquiert une facilité à demeurer en Dieu si grande qu’elle sent de l’inquiétude quand elle demeure dans les créatures et reconnaît par expérience qu’elles ne sont pas son centre pour lui donner du repos, ni sa lumière pour la conduire, mais Dieu seul. »

244Cf. Pensées, pour le temps de Pâques : « Il me semble que j'entendis assez clairement, et en un moment, les vérités qui suivent : que le seul anéantissement nous fait entrer dans la Divinité ; que là nous recevons les lumières de toute vérité et de tous les Mystères de Jésus-Christ, qui sont cachés de toute éternité dans cet abîme infini. C'est là seulement que l'on en reçoit la connaissance et l'amour de Jésus-Christ, car qui est-ce qui connaît le Fils, sinon le Père ; et le Père, si ce n'est le Fils ? Et ici l'âme est plus instruite en un moment des vérités du Christianisme et de tous les Mystères que par toute autre voie que ce soit. »

245cf. Chr. Int. VII, 18 : « Une seconde voie par où il faut passer est l’anéantissement de toutes les vues et sentiments des sens intérieurs, où il y a bien encore d’autres difficultés à vaincre, et telles que, si Dieu, qui conduit les âmes par ces divins sentiers , ne les soutenait souvent et ne ménageait leur mort intérieure par des ressorts fort secrets de sa Grâce, elles perdraient souvent courage dans leur entreprise.

La troisième voie est encore plus laborieuse, car il faut faire mourir les opérations des facultés même spirituelles : la mémoire, l’entendement et la volonté ; c’est ce qui est de plus difficile. L’âme est longtemps à comprendre que cela se doive, et plus longtemps à en venir à bout ; et si Dieu ne retirait à l’âme tous les appâts et tous les appuis qu’elle tire de ses propres lumières et des affections de la volonté, elle ne s’en déprendrait jamais. Il vient en cet état mille tentations : que l’on perd le temps, que c’est une pure oisiveté. Souvent, on est tourmenté de la part même des directeurs qui, n’ayant point passé par cette voie, ne la peuvent comprendre, ni [encore] moins l’approuver. Bienheureuse l’âme qui en rencontre un qui la fortifie et l’encourage dans les difficultés de ce passage! Autrement, elle n’arrivera pas à ce sacré silence, si ce n’est par une Grâce bien extraordinaire.”

246Cf. Pensée pour le temps de l’Avent : « La faveur des faveurs, c'est de souffrir et d'être méprisé pour Dieu. Domine, pati et contemni pro te. Qu'est-ce que Jésus a fait en toute sa vie, que de s'anéantir ! Il a passé quelques années au milieu de mille anéantissements ; et voulant même un jour entrer en triomphe en Jérusalem, ce fut sur une ânesse. Esprit du monde et de la nature, tu ne vois goutte ici : tu ne peux comprendre, que la haute élévation et le degrés d'honneur, où puisse être élevée une créature, c'est d’être dans de profonds anéantissements, à l'exemple de Jésus. De sorte que les rebuts, les impuissances, le peu de talent, et être inconnu des autres, c'est le séjour de la pureté de l'Amour, puisque le pur Amour est celui de l'abjection et de l'anéantissement. O esprit d'anéantissement, que tu es admirable ! Donnez-le moi, ô divin Jésus, par vos anéantissements »

247À l’ami intime Bertot.

248Cf. Chr. Int. VII,15 : « O que c’est une grande Grâce que d’être bien imprimé de Jésus-Christ ! Car l’âme y est attachée totalement et ne s’en peut séparer. C’est un effet désirable de l’infusion divine qui se fait en nous sans nous, où Jésus s’écoule dans le fond de notre intérieur, occupe le centre de notre âme et même toutes nos puissances. »

249Cf. Chr. Int. VII,3 : « Quand une âme est bien pure et qu’elle a l’expérience des mouvements de la Grâce en elle, les reconnaissant et les distinguant des mouvements de la nature, elle n’a qu’à s’exposer aux rayons du Soleil divin pour les recevoir dans son centre, en être illuminée et échauffée. Et c’est ainsi à mon avis que Dieu veut que de certaines âmes fassent oraison, quand elles ont l’expérience que telle est la Volonté de Dieu sur elles ; et vouloir faire autrement sous prétexte d’humilité ou de crainte de tromperie, c’est ne se pas soumettre à la conduite de l’Esprit de Dieu, qui souffle où il lui plaît et quand il lui plaît. C’est un grand secret d’être dans une entière passivité et anéantir toute propre opération . »

250Cf. Chr. Int. IV,7 : « « Ô extrême pauvreté, que vous apportez de richesses à l'âme ! Vous la faites entrer dans un royaume de paix, vous la purifiez comme l'or dans la fournaise, vous lui donnez par conséquent la béatitude, c'est-à-dire l'union avec Jésus pauvre, et la possession de la Divinité, autant qu'il est possible en terre. Car il est écrit : Bienheureux les pauvres, d'autant qu'à eux appartient le royaume des cieux , c'est-à-dire la vraie possession de Dieu. »

251Cf. Chr. Int. II,7 : « Dieu se comporte dans une âme comme un Roi dans son Royaume nouvellement conquis, lequel tue et massacre tous ceux qui se veulent opposés à l'établissement de son règne : cependant le Prince met, ce semble, l'horreur et le désordre partout ; mais c'est pour demeurer paisible, et prendre ses délices au milieu de la paix, après avoir chassé tous ses ennemis. Dieu fait le même : sitôt qu'il commence à entrer dans une personne pour y établir son règne, il n'inspire que massacres, que sang, que plaies, par les pensées de la vraie pénitence ; puis il s'assujettit aisément le petit Royaume, quand il l'a purgé de ses ennemis. » 

252Cf. Chr. Int. VI,1 : « J'ai de grands sentiments du bonheur que la créature possède de souffrir pour Dieu, n'y ayant rien en la terre en quoi elle témoigne plus son amour et l'estime qu'elle fait du Créateur. C'est en cet état qu'elle lui fait des sacrifices excellents et qu'elle lui rend des services très signalés. L'on ne peut pas faire davantage pour son Ami que de procurer sa Gloire par notre destruction, et nous anéantir pour le faire régner. C'est pourquoi les saints ont tant estimé les souffrances qu'ils ont fait plus d'état d'être dans un cachot, chargé de fers, comme saint Paul, que d'être ravis au troisième Ciel, comme lui-même. »

253Cf. Chr. Int. VII,17 : « Je ne trouve rien qui explique mieux ceci que l’aiguille touchée de l’aimant qui se tourne continuellement et imperceptiblement vers le pôle et est dans des inquiétudes tant qu’elle ne le regarde pas fixement. Mon âme fait de même, et touchée, je ne sais pas comment, du divin Amour, elle n’a point de repos que quand elle est convertie vers lui. Et séparée de toutes les créatures, elle va doucement s’élevant vers ce divin Centre, sans aucun effort pourtant, se sentant seulement attirée doucement à la parfaite union. »

254Cf. Chr. Int VII,13 : « Ces faveurs sont très grandes, puisqu’elles élèvent l’âme dans de hautes unions et la ravissent à soi-même et à toute créature par des surprises amoureuses qu’une seule Grâce éminente peut faire. »

255Cf. Chr. Int. VII,13 : « La parfaite oraison est donc une certaine manifestation expérimentale que Dieu donne de soi-même, de ses bontés, de sa paix et de ses douceurs. Don admirable qui ne s’accorde qu’aux âmes très pures et qui dure ordinairement assez peu de temps ! Mais la condition de cette vie ne permet pas davantage, car il faut vivre ici dans l’humilité, la patience et la Croix. L’âme, retournant du milieu de ces embrassements divins, rapporte un grand amour et une haute estime de Dieu, une profonde connaissance de ses imperfections, et se trouve ainsi toute disposée d’agir et de souffrir et de pratiquer les pures vertus. »

256Cf. Chr. Int. VII,12 : « L’âme qui est en cet état, a deux choses à éviter avec fidélité : l’activité de son esprit humain et l’impureté de son affection. Pour le premier, notre esprit ne veut point mourir à soi-même, mais veut agir et discourir par lui-même, aimant toujours beaucoup ses propres opérations ; il y prend tant de plaisir que difficilement peut-on venir à bout sans Grâce et grande fidélité de se dépouiller de soi-même en le faisant entrer dans une passiveté entière pour être seulement susceptible des motions divines. L’âme attirée à cet état ne doit pas se lasser de vaincre son esprit humain. Les longues habitudes qu’il a d’agir avec liberté, empêchent son anéantissement, mais la Grâce nous donnera une meilleure habitude. »

257Cf. Pensées pour la veille de la Pentecôte : « Je vois combien la vie de grâce est excellente, j'entends la vie chrétienne et parfaite ; et combien je suis bas par ma corruption qui me tiens si appesanti que toutes mes forces et industries naturelles, et tous les secours qu'on me pourrait donner, ne me peuvent faire sortir de moi-même ni des créatures. Je vois la nécessité de la Grâce de Jésus-Christ, sans laquelle je ne puis rien ; et cette Grâce est donnée par le saint-Esprit, qui crée en nous un coeur pur et droit. D'un côté, je voyais mon extrême misère et pauvreté ; et de l'autre, je brûlais du désir d'être tout à Dieu, en vivant de la vie de Jésus, vie surhumaine et spirituelle. »

258Cf. Chr. Int. V,10 : « Cette union de Jésus dans la Communion est ineffable, car, comme le Père et le Fils ne sont qu'un, le Verbe et l'Humanité sainte ne sont qu'un. Aussi l'âme doit entrer en unité avec Jésus ; et il faut que Jésus soit tenu en elle selon la Divinité et Humanité, et elle toute en Jésus, et que Jésus opère en elle, prie, adore, aime, travaille, souffre, et qu'elle fasse toutes ces choses en Jésus, de sorte que cette parfaite union fait une unité entre Dieu, Jésus et l'âme, et entre toutes leurs opérations : ce qui dit une chose qui ne se peut exprimer, et qui établit une communauté de biens entre Dieu, Jésus et l'âme. Cela la rend toute divine, puisque Dieu est demeurant et opérant en elle, et elle en Dieu : In me manet et ego in eo. Cette unité se va toujours perfectionnant en la terre ; il n'y aura que dans le Ciel où elle aura sa consommation parfaite. »

259Cf. Chr. Int. I,11 : « Ne nous étonnons pas du procédé de Jésus-Christ, qui ne parle que de mort, d'anéantissement, de croix et d'abnégation : c'est que le fond de notre âme infectée par le péché originel est si étrangement corrompu que toutes ses opérations sont impures. Jésus-Christ est venu par sa Grâce ruiner cette impureté ; et comme notre nature en est toute pétrie, il faut que la créature corresponde fortement à l'efficace de la grâce, autrement elle demeurera toujours dans son imperfection ; et cette Grâce ne tend qu'à consommer, ruiner et anéantir. »

260Cf. Chr. Int. V, 10 : « Mais cette consommation amoureuse en Dieu ne se remarque pas en la plupart de ceux qui reçoivent la sainte Communion, parce qu'elle en suppose une autre qui manque en plusieurs, qui est la consommation de l'âme en Jésus-Christ, qui se fait lorsque, par les attraits de la Grâce, elle est toute anéantie en ses inclinations naturelles, en sorte que les surnaturelles sont établies en leur place, n'y ayant plus en elles que les pures dispositions du Verbe incarné. […] Il est certain que cette haute consommation est l'effet d'un parfait amour, qui ne se peut opérer que par la destruction de tout ce qui n'est point Dieu, qui par conséquent coûte bien cher à la nature, et demande une âme bien généreuse et fort fidèle aux actions de la Grâce. »

261Cf. Chr. Int. IV,6 : « Car ne faut-il pas qu'un Dieu ait une bonté toute infinie, de regarder des yeux de sa miséricorde l'âme au milieu de ses péchés, de ses indignités et de ses infidélités ? Cette misérable est aimée sans avoir rien en elle qui puisse attirer Dieu ; au contraire il y a de quoi rebuter et éloigner toute autre bonté que celle d'un Dieu : il faut qu'il surmonte par un excès d'amour l’horreur et la haine infinie qu'il a des impuretés qu'il voit dans cette âme ; et ne voyant rien en elle qui ne soit digne de son aversion, il faut qu'il prenne dans son propre cœur et dans l'Océan inépuisable de ses bontés le motif pour l'aimer et la prévenir de tant de faveurs. »

262À l’ami intime Jacques Bertot.

263 Cf. Jacques Bertot Directeur mystique, correspondance, édité par D. T. : « Où il faut remarquer un grand et important principe, savoir que comme Dieu est pour Lui-même et par Lui-même tout ce qu’il Lui faut pour Se béatifier Soi-même pleinement, sans avoir besoin que de Lui ; aussi est-Il tel pour la créature. Je dis pour la créature, d’autant qu’Il est son centre, sa perfection et son bonheur ; par sa créature, d’autant aussi que la créature sort de Dieu comme une émanation qui a toute Sa perfection, non seulement en Sa ressemblance et en Sa jouissance, mais encore en ce que la créature se laisse réfléchir vers son Créateur qui en lui donnant l’être et tout ce qu’elle a de moment en moment et le lui communiquant, retire [sic] à Soi ces mêmes dons, c’est-à-dire toute Sa créature, comme vous voyez que le soleil se communiquant par ses rayons, les fait retourner vers lui par des douces vapeurs, d’autant que tout ce que Dieu fait, Il le fait pour soi-même. Et ainsi la créature mourant à soi et ne s’appropriant rien par sa propre opération, reçoit purement de moment en moment ce qu’elle est et pour quoi elle est et ce qu’elle doit opérer; et par cette même opération divine par laquelle elle reçoit [507] cela, elle reçoit aussi force et faculté pour retourner vers son principe. Ainsi une âme qui a peu à peu appris à mourir à elle-même en quittant son opération propre, se rend capable de l’opération divine, qui est de moment en moment ne manque jamais de lui donner tout ce qui lui faut […] »

264Cf. Chr. Int VII,3 : « Quand une âme est bien pure et qu’elle a l’expérience des mouvements de la Grâce en elle, les reconnaissant et les distinguant des mouvements de la nature, elle n’a qu’à s’exposer aux rayons du Soleil divin pour les recevoir dans son centre, en être illuminée et échauffée. Et c’est ainsi à mon avis que Dieu veut que de certaines âmes fassent oraison, quand elles ont l’expérience que telle est la Volonté de Dieu sur elles ; et vouloir faire autrement sous prétexte d’humilité ou de crainte de tromperie, c’est ne se pas soumettre à la conduite de l’Esprit de Dieu, qui souffle où il lui plaît et quand il lui plaît. C’est un grand secret d’être dans une entière passivité et anéantir toute propre opération. »

265Cf. Chr. Int. VIII,8 : « Ce qui fait les différentes oraisons, ce sont premièrement les différentes manières de connaître Dieu : les unes traitant avec lui par la simple méditation et par le raisonnement humain ; les autres recevant de Dieu une très simple lumière au-dessus du raisonnement, par laquelle il se manifeste à l'âme par lui-même, comme le soleil par son rayon ; les autres contemplant Dieu par les simples vues sans vues, et par les lumières obscures de la foi. Tous ces moyens de traiter avec Dieu ne sont pas seulement des oraisons différentes, mais sont la source d'une grande diversité qui se rencontre en chaque moyen. Par exemple, dans l'oraison de Foi, qui paraît la plus simple, il y a plusieurs degrés qui donnent à l'âme des vues différentes de Dieu et des choses divines. Quand la Foi est dans un entendement bien purgé d'images et d'espèces, elle lui découvre des vues de Dieu sublimes, comme il est en soi, d'une manière négative, générale, confuse et très propre à faire concevoir une très grande estime de Dieu et un ardent amour. Tous les livres, les prédications et les conférences ne satisfont point une âme accoutumée à ce genre de connaissance : elle ne peut souffrir ces façons de parler et de concevoir Dieu comme trop imparfaites. La Foi toute pure la contente, en attendant la lumière de Gloire, puisqu'elle lui découvre son Objet en son infinité, quoique obscurément ; et à mesure que la Foi est plus ou moins pure et simple, ces vues sont aussi plus ou moins parfaites. »

266Cf. Int. Chr. III,1 : « Il faut se désoccuper de tout ce qui n'est point de Dieu : les créatures, quelques saintes qu'elles soient, ne sont rien en comparaison de la sainteté de Jésus-Christ ; et quand je pense m'appuyer sur leur secours, je ne considère pas qu'elles ne sont que des rayons de lumière dont Jésus-Christ est le corps, qu'elles ne sont que des ruisseaux dont il est la source, et que, tant que je m'arrêterai à elles, j'ai sujet de connaître ma faiblesse et mon humiliation. Rien de créé ne nous doit arrêter : il faut laisser les morts ensevelir les morts. Lorsque nous sommes privés des créatures, pour saintes qu'elles soient, il faut nous consoler avec Dieu, et croire que nous en sommes indignes, que peut-être dans la communication avec ses amis nous cherchions notre propre satisfaction et non sa seule volonté, et qu'ainsi il a eu la bonté d'y mettre ordre. »

267Cf. Jacques Bertot Directeur mystique, Opuscule 5. Traité de la voie de l’oraison et de ses divers degrés sous l’emblème des différentes manières d’atteindre au jardin. Troisième degré : « Sachez donc que dès le moment qu’une âme est à Dieu en foi, autant que toutes les choses qu’elle a et qui lui arrivent sans les chercher et qui lui viennent par son état, sont reçues en fidélité, autant l’ordre divin lui devient actuel et en état d’en faire des merveilles selon [136] l’usage que l’on en fera en foi, en abandon et perte dans l’opération divine. En marchant dans cette opération divine en foi, peu à peu, sans adresse et presque sans y penser, la conduite a une opération plus divine dans les mêmes choses, de moment en moment, jusqu’à ce qu’enfin l’âme perde les ruisseaux et se perde dans la mer même de cette divine opération ; et ainsi en suivant et se perdant, elle se trouve emportée dans la perte même. C’est comme un homme qui, sans savoir le chemin de la mer, suivrait une rivière, insensiblement après bien le détour et détour il arriverait à la mer, et en marchant en elle il irait jusqu’à ce que, perdant fond, il tomberait en l’abîme de la mer. »

268Cf. Chr.Int. VIII,8 : « Le don d'oraison n'est pas pour tout le monde ; il y a eu de grands saints qui ne l'ont jamais eu, comme tant de bons serviteurs de Dieu qui se sont sanctifiés dans les exercices de la vie active, dans lesquels ils faisaient peu d'oraison, et ne faisaient que l'ordinaire par la méditation, qui est bonne et parfaite pour les âmes que Dieu n'appelle pas à une plus haute. Ceux que Dieu favorise en leur accordant le don d'oraison, possèdent un trésor inappréciable : avec cette seule Grâce qui est la source d'une infinité de Grâces, ils sont assez riches, fussent-ils les plus pauvres du monde. Mais comme c'est un don de Dieu, c'est pure folie et témérité de penser s'élever aux états sublimes de la contemplation, si Dieu n'y élève lui-même. Tout ce que l'on peut faire, est de s'y disposer par une grande fidélité qu'il faut apporter à tous les mouvements de la Grâce, par une mort continuelle à nos inclinations humaines, par la pratique de la bonne mortification ; et puis c'est à Dieu à faire le reste. Si le Seigneur ne bâtit la maison, en vain travaillent ceux qui s'efforcent de l'édifier par leurs propres forces. »

269Cf. Chr. Int. VI,2 : « Une âme conduite par la jouissance doit aussi avoir de grandes souffrances, celles-ci produisant et augmentant celle-là. L'expérience fait voir que la moindre jouissance de la créature diminue la jouissance de Dieu ; et c'est ce qui fait que les saints ont été si austères à leur nature, à qui ils ne donnaient que la simple nécessité, lui déniant même tout plaisir permis. »

270Cf. Chr. Int. VII,4 : « Il faut que toute notre vie roule sur cette maxime que notre perfection consiste principalement dans notre intérieur ; que notre intérieur ne se forme que par la fidélité à la Grâce, qui est celle qui produit en nous la mort des créatures, les anéantissements de nous-mêmes, l’amour de la mortification et des austérités corporelles, l’inclination à la solitude et à la fuite de tout ce qui flatte les sens et ce que le monde chérit. Cette Grâce qui opère en nous tous ces bons effets, ne se reçoit bien abondamment que dans l’oraison, ne s’augmente ordinairement que par l’oraison ; et nous ne saurions bien le reconnaître et lui être fidèle qu’autant que nous faisons bonne oraison. »

271Cf. Chr. Int. VI,8 : « Il semble que l'âme dans l'état d'obscurité a une plus grande fidélité à Dieu que dans l'état des lumières. Être au milieu des plus épaisses ténèbres de la Foi, et croire aussi fermement un Dieu, toutes ses perfections et tous ses Mystères comme si on était éclairé des plus vives lumières du Paradis, c'est un état où l'âme témoigne une fidélité extraordinaire, un anéantissement de son propre esprit, et une estime très grande de la révélation de Dieu. Dans les lumières, on voit clairement, mais l'âme n'est pas anéantie en Dieu, et par conséquent elle ne fait pas un si noble sacrifice de soi-même. Quelle merveille, qu'on voit un Dieu et ses grandeurs quand la lumière abonde ? Mais lorsque l'obscurité est dans l'âme, c'est ce qui est à admirer. Bienheureuses les âmes conduites en cette voie ! Qu'elles ne se plaignent point de leur privation, puisque c'est un avantage pour rendre de la Gloire à Dieu, et lui témoigner leur fidélité. »

272Cf. Chr. Int VI,2 : « Quand Dieu a de grands desseins sur une âme, c'est-à-dire quand il la destine à se faire beaucoup aimer par elle, il lui donne de grandes occasions de souffrances, lui fournissant souvent lui-même des croix de providence, qui sont cruelles aux sens et à la nature, et lui inspirant d'en choisir elle-même des plus amères. Il faut être bien fidèle à la Grâce qui nous appelle à la Croix, car c'est une faveur des plus précieuses ; mais il se faut néanmoins toujours conduire prudemment et avec conseil. »

273Cf. Chr. In. VII,15 : « Aussi je conçus que ce qui est donné de Dieu par infusion au centre de l’âme, soit lumière, soit affection, paix ou amour, est à couvert des tromperies de la nature, des tentations des démons et du bruit des créatures, car Dieu la met au fond de nos âmes par lui-même et sans l’entremise des sens. C’est pourquoi il n’est pas sujet à leurs attaques et vicissitudes, mais il demeure toujours pur et entier tant qu’il plaît à Dieu de faire son opération. Je conçus aussi fort bien que le fond de l’âme est une demeure sacrée et secrète où Dieu réside et où il se plaît de faire ses opérations indépendamment de toutes les industries propres de l’homme. »

274Cf. Chr. Int. VIII,2 : « Car quand la Grâce agit sur une âme bien dégagée et bien pure, elle la fait tendre à Dieu, et la meut vers ce divin centre avec plus de violence que ne ferait une meule de moulin vers la terre quand elle est en haut et qu'elle n'est point retenue. Je dis plus de violence, car un centre infini comme est Dieu, a bien de plus puissants attraits qu'un centre fini comme la terre. Tant plus une chose approche de son centre, tant plus son mouvement redouble : ainsi l'âme entre dans de plus grandes unions, lorsqu'elle va s'approchant de son Dieu, et se perfectionnant par le détachement de toutes les créatures. »

275Cf. Int. Chr. III,V : « Quand Dieu nous unit très intimement à lui, il veut que notre âme se sépare de toutes choses, et nous le faisons gaiement pour nous mettre en l'état où il nous veut ; mais quand, nonobstant nos détachements, nous ne nous séparons point de quelqu'un, et qu'au contraire notre union avec lui croît à mesure que s'augmente celle que nous avons avec Dieu, nous pouvons juger que l'une est un échantillon de l'autre. Heureuse union de nos coeurs, que la divine union souffre avec elle, parce que Jésus-Christ est le lien de nos âmes, qui ne se peut jamais altérer : il est de Dieu, en Dieu et pour Dieu ! Que peut-il y avoir de plus grand que d'aimer un Dieu ? Tout autre chose n'est qu'une extravagance. »

276À l’ami intime.

277Cf. Int. Chr. I,12 : « Le néant étant la véritable place de la créature, quand Dieu ne me ferait jamais aucune grâce, je n'aurais aucun sujet de me plaindre ; et comme le néant est ma place, je ne dois pas désirer d'en sortir. Que Dieu demeure dans la sienne, c'est-à-dire dans la plénitude de son être, dans l'abondance et dans la gloire, et que sa volonté s'accomplisse sur moi, tandis que je serai dans la mienne, c'est-à-dire dans le vide, dans les pauvretés et dans les souffrances. »

278Cf. Chr. Int VII,3 : « Il arrive aussi souvent que dans un état de peines et de privations l’âme est tellement dans la nuit obscure qu’elle ne voit rien de Dieu qui lui semble entièrement caché ; et, ce qui fait sa plus grande croix, elle n’a point de pensée de le pouvoir jamais trouver, la seule vue de son bannissement l’occupant. Si dans cet état elle est contente et qu’elle consente au dessein rigoureux de Dieu sur elle, elle est en Dieu d’une façon excellente, sans qu’elle y pense être ; elle possède son souverain Bien quand elle croit l’avoir perdu ; et quand elle pense être toute remplie de soi-même et de sa misère, de ses répugnances et de ses imperfections, elle est en effet pleine de Dieu et unie à son bon Plaisir d’une façon plus noble et plus pure qu’elle ne saurait croire. Tel est l’avantage d’une âme qui n’affectionne point une manière d’oraison plutôt qu’une autre, mais qui se tient indifférente pour recevoir de Dieu celle qu’il lui voudra donner : son avantage est qu’elle fait toujours fort bonne oraison. »

279Cf. Chr Int. VII,9 : « Cette oraison est un simple souvenir de Dieu qui est encore plus simple qu’une pensée, n’étant qu’une réminiscence de Dieu qui est cru par la Foi nue, comme il est vu et su par la lumière de gloire dans le Ciel. C’est le même objet, mais connu différemment de l’âme : cette voie est une docte ignorance. La terre est le pays des croyants et le Ciel [celui] des voyants. Il ne faut pas savoir Dieu ni les choses divines en ce monde, mais il les faut croire.

La Foi doit être nue, sans images ni espèces, simple sans raisonnements, universelle sans considération des choses distinctes. L’opération de la volonté est conforme à celle de l’entendement : nue, simple, universelle, point sentir ni opérer des sens, mais toute spirituelle. Il y a de grands combats à souffrir dans cette voie de la part de l’esprit qui veut toujours agir et s’appuyer sur quelque créature. L’état de pure Foi lui déplaît quelquefois fortement, mais il le faut laisser mourir à toutes ses propres opérations, estimant pour cela beaucoup et recevant volontiers tout ce qui nous aide à mourir, comme les sécheresses, aridités, délaissements, qui enfin laissent l’âme dans l’exercice de la pure Foi par laquelle Dieu est connu plus hautement que par les lumières, qui servent de milieu entre Dieu et l’âme ; et l’union de notre esprit par la Foi est pure et immédiate, et par conséquent plus relevée. Il faut aussi que la volonté meure à tout ce qui n’est point Dieu pour vivre uniquement en lui de son pur amour : car la vie de la volonté est la mort, et cette mort ne s’opère ordinairement et n’est réellement que dans les privations réelles et effectives. »

280Cf. St Augustin, Confessions I,1,1 : « Tu nous as faits orientés vers toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu'il ne repose pas en toi. » 

281Cf. Chr. Int. III,11 : “Mais ce parfait abandon à Dieu ne se peut faire que par le pur amour ; et le pur amour ne régnera point en nous que par une généreuse et générale mortification de toute attache à la créature, de tout plaisir et de toute imperfection. Cette mort ne s'opère qu'à proportion que nous aimons les croix; et ainsi la croix nous cause une heureuse perte en Dieu, par un amour très pur qui nous unit à Dieu d'un lien de perfection admirable. “

282Cf. Chr. Int. VII, 16 : « O que c’est une grande Grâce que d’être bien imprimé de Jésus-Christ ! Car l’âme y est attachée totalement et ne s’en peut séparer. C’est un effet désirable de l’infusion divine qui se fait en nous sans nous, où Jésus s’écoule dans le fond de notre intérieur, occupe le centre de notre âme et même toutes nos puissances. »

283Cf. Chr. Int. III,11 : « Si la Providence l'ordonne, je renonce à ma chère solitude, avec liberté d'esprit, quoique ce soit la chose que je désire le plus en ce monde ; et enfin je me veux dégager de toutes choses, et m'appliquer uniquement au bon plaisir de Dieu. Qu'il me sacrifie, et tout ce qui m'appartient : si cela lui plaît, j'y prendrai plaisir ; qu'il me réduise au néant : s'il l'agrée ainsi, j'en serai content ; et parmi tout cela, j'aurais peine qu'on me parlât de mes souffrances pour me plaindre ; j'aimerais mieux que l'on me parlât des souffrances et de la Croix de Jésus, et de ses bontés infinies, car mon grand souhait est d'oublier tout, pour n'avoir plus dans le cœur et dans la pensée que le seul bon plaisir de Dieu. »

284Cf. Chr. Int III,13 : « Ô cher abandon, vous êtes à présent l'objet de mon amour, qui dans vous se purifie, s'augmente et s'enflamme. Quiconque vous possède, ressent et goûte les aimables transports d'une grande liberté d'esprit. Une âme se perd heureusement en vous, après avoir perdu toutes les créatures pour l'amour de l'abjection, et ne se retrouve jamais qu'en Dieu, puisqu'elle est séparée de tout ce qui n'est point lui. »

285À l’ami intime.

286Quelque excès.

287Pour le moment, Bertot reste confesseur des Ursulines de Caen jusqu’en 1675 : « aux B. » À partir de cette date il sera aumônier des Bénédictines de Montmartre : « à M. ». Mère Mectilde a séjourné à Montmartre en 1641. Elle a établi de solides relations avec l’Abbesse, la Révérende mère de Blémur. Mais ici il s’agirait plutôt des Bénédictines de la rue Monsieur sur le point d’emménager les nouveaux bâtiments de la rue Cassette. Bertot est donc en séjour à Paris. Il très proche de mère Mectilde et ses sœurs. Par ailleurs il est intéressant de noter ces lignes écrites le 24 octobre 1702 par une bénédictine du saint Sacrement, mère Catherine de Jésus : « Informez-vous encore, s'il vous plaît, auprès de votre très honorée mère ancienne si monsieur Bertot, ami de monsieur de Bernières, n'a pas été directeur de notre très digne mère et s'il n'a pas demeuré céans dès le commencement de l'institut, du moins, depuis l'année 1655 que monsieur de Bernières l'emmena avec lui ici à Paris. Nous serions bien aises aussi de savoir si lorsque monsieur de Bernières fut ici, il logeait céans, c'est-à-dire au-dehors de la maison et combien il resta avant que de s'en retourner à Caen. »

288Mère Mectilde.

289Chr. Int. III,10 : « Suivons simplement les desseins de Dieu, aimons uniquement son bon plaisir, et ne pensons qu'à Dieu seul, qui aura soin de nous en la meilleure manière pour sa Gloire. J'avoue que c'est un effet de la Grâce en nous, de nous faire anéantir notre providence, pour entrer en celle de Dieu. »

290Chr. Int. III,9 : « je me console quand je pense que le mien est l'anéantissement qui me conduit dans un état où je ne vois que Dieu seul, et où, pour le posséder, j'entre dans le dénuement de toute créature, après l'exemple de Jésus-Christ : Christus non sibi placuit. »

291Cf. 16 septembre 1646 M 2,112 : “ La plus grande misère de cette vie n’est pas la souffrance, mais la privation du pur Amour de Dieu qui ne s’y trouve quasi point et que l’on ne voit presque nulle part.”

292Cf. Chr. Int. I,7 : « Il n'y a rien que la foi toute pure qui nous enseigne à aimer l'anéantissement et la destruction de nous-mêmes ; la sagesse naturelle et mondaine n'y peut mordre : c'est pourquoi il n'est point question de raisonner ni d'écouter nos sentiments dans cette pratique ; mais il s'y faut jeter à l'aveugle et à corps perdu. »

293.

294À l’ami intime Bertot.

295À l’ami intime Bertot.

296 D. Tronc, Jacques Bertot Directeur Mystique, Sources mystiques, 2005, « La vie cachée de Monsieur Bertot », 17-40 (25-27 sur Mectilde) & Catherine Mectilde de Bar (1614-1698) nel quarto Centenario della nascita…, Montefiascone 9-11 settembre 2014, Annamaria Valli : « Mectilde de Bar tra Jean de Bernières e Jacques Bertot, 121-147 (129-137 sur Bertot).

297Les amitiés mystiques de mère Mectilde du Saint Sacrement [...] D. Tronc avec l’aide des moniales de l’Institut des Bénédictines du Saint-Sacrement, collection « Mectildiana », Parole et Silence, 2017, « Jacques Bertot (1620-1681) » 226-230.

298Fonds du Chesnay, dossier R5-8 relevant des archives du monastère de Dumfries, Ecosse, pièce D 13.

299Il s’agit de la « sœur Marie » citée plus haut dans la lettre complète : Marie des Vallées.

300On trouvera le texte complet de cette belle et longue lettre [D13, 51 sq. ; Fichier Central, 2272] dans la correspondance de Bernières (Oeuvres mystiques II Correspondance).

301 Lettres inédites, 183, de Mectilde à Benoîte du 31 août 1659 ; F.C., 570 & 1685. - Sur cette « horrible peine » intérieure voir Itinéraire, 120 et 125 : « Je suis entrée en retraite par le sentiment de M. Bertot pour me préparer à bien mourir, et je ne suis à rien moins appliquée : toute ma capacité semble se vouloir fondre et consommer en Dieu... » - Et 190, lettre de demande de la visite de M. Bertot par la mère Benoîte, 196, présence de Bertot à Paris. (de même Fondation de Rouen, 371) – Valli, Il libretto, 127.

302L. de Benoîte de la Passion du 22 janvier 1660, Lettres inédites, 189.

303L. à Benoîte du 18 février 1662, Lettres inédites, 196.

304 Lettres inédites, 206, « A une religieuse de Montmartre », juin 1664. – l’abbesse Madame de Guise était proche du confesseur mystique et veilla à faire publier en 1662 Diverses retraites… et Continuation des retraites… de Bertot.

305Madame Guyon obtiendra les papiers de son directeur Monsieur Bertot. Ils seront édités en 1726. V. Jacques Bertot Directeur Mystique, Coll. Sources mystiques, Ed. du Carmel, 2005 (notre choix ne contient pas cette retraite : a-t-elle traversé les siècles ?).

306 Etude sur Bertot et reconstitution du corpus de ses écrits précédant un choix de lettres et d’opuscules : Jacques Bertot Directeur mystique, textes présentés par Dominique Tronc, coll. « Sources mystiques », Editions du Carmel, Toulouse, 2005.

307« Soeur Marie Anne Catherine de Jésus Rasle reçut l'habit monastique rue Cassette, le 3 avril 1675, et fit profession le 4 mai 1676. En 1684, elle était maîtresse des jeunes pensionnaires. »

308« La correspondante de la mère Catherine de Jésus Rasle est Élisabeth Guillaume, mère Marie de saint Michel, qui fit profession au monastère de Toul le 4 septembre 1666, et mourut à Toul le 10 avril 1718.  La « mère ancienne » est probablement mère Gertrude de l'Assomption Noirel, qui reçut l'habit à Rambervillers des mains de Dom Antoine de Lescale, le 15 août 1660. Elle vint à Paris avec mère Mectilde en juillet 1663. Nos archives ont conservé son acte de profession, écrit par mère Mectilde et signé par la professe, en date du 2 février 1665. Ayant vécu près de mère Mectilde à Rambervillers et à Paris, ayant été religieuse à Rambervillers près des compagnes de mère Mectilde, dès l'arrivée de celle-ci dans ce monastère en 1639, mère Gertrude connaissait sans doute fort bien les premières années de notre fondatrice et les circonstances de la fondation de notre institut. […] [En Pologne, 225, d’où provient la lettre, cette note et la précédente].

309« …La mère de Blémur appelle [le couvent de] Montmartre « l'académie des saintes ». Mère Mectilde y séjourna en 1641 et garda toute sa vie des relations suivies avec l'abbesse et quelques moniales. L'abbé Bertot, qui fut confesseur à Montmartre, était aussi un familier de la rue Cassette… » (En Pologne, note 93).



310Madame Guyon, Correspondance Tome I Directions spirituelles, 45-47, 75-177.

311Catherine de Bar, Lettres inédites, Bénédictines du saint sacrement, Rouen, 1976 : lettres à la mère Dorothée du 3 septembre 1659 et du 8 août 1660.

312Addition 127 au Journal de Dangeau dans Boislisle, t. II, p. 413.

313Boislisle, t. XXX, 71.

314Nous complèterons cet aperçu historique par des textes normatifs et par des extraits d’autres lettres dans un ouvrage séparé, Monsieur Bertot, Directeur mystique de Madame Guyon, qui, après une étude historique, présentera un choix fait dans ses sept ouvrages publiés sans nom d’auteur.

315Lettre 23.

316Lettre 24.

317Lettre 33 du 22 mars 1677.

318Lettre 24.

319Corrigé dans l’édition 2003 pour faciliter la lecture : « votre âme deviendra de plus en plus lumineuse, non pas par des lumières particulières qui feront élancement en vous, mais bien par une pureté générale ; comme vous voyez qu’un cristal étant sali et plein de boue à mesure qu’on l’essuie on le clarifie et on lui donne son lustre: et cette pureté se traduit par le repos, la petitesse et l’abandon dans les rencontres ; Au lieu que quand l’âme vit en elle-même et en ses désirs, elle est toujours agitée : »

320Notre explication :

Ces Conseils… au titre repris ici, précédé de l’indication « ADDITION », figurent à la fin du tome II du Directeur mystique, On indique entre crochets les folios de cette édition. Les quatre tomes du Directeur mystique sont consacrés à l’édition de l’œuvre de Jacques Bertot, disciple de Jean de Bernières, à quelques très rares exceptions près : cette Addition, 21 lettres de Maur de l’Enfant-Jésus (qui fut en rapport direct avec Madame Guyon), 21 lettres de Madame Guyon (elles concluent le tome IV et dernier, afin de faire apparaître Madame Guyon comme succédant à Monsieur Bertot dans la voie mystique).

Ce qui souligne l’importance exceptionnelle de Marie des Vallées aux yeux des maîtres successifs du cercle mystique normand. Une longue note attachée au titre livre quelques indications sur la servante de Dieu, extraites d’un Recueil curieux d’un grand nombre d’actions édifiantes..., rédigé par un chanoine de Liège, imprimé en cette même ville en 1696.

La longue note de l’édition Poiret :

« C'était une pauvre fille païsane en Normandie, exercée au-dedans et au-dehors par de grandes croix. Voici ce qui en est rapporté dans un livre imprimé à Liège en 1696 chez Broncard in-quarto, et intitulé, Recueil curieux d'un grand nombre d'actions fort édifiantes des Saints et d'autres personnes distinguées, qui ont vécu dans ces deux derniers siècles par feu Monsieur Bertrand Moreau, chanoine de l'église collégiale de Sainte-Croix à Liège.

Charité de Marie des Valées native de Coutances dans la Basse-Normandie.

Cet exemple semblable au précédent, n'est que d'une pauvre fille ; mais que la vertu rendit fort célèbre. Et ce qu'il y a de plus remarquable, est que la peine qu'elle souffrit, dura bien plus longtemps que celle des personnes dont nous venons de parler. Il y avait dans le lieu de sa demeure des filles maléficiées, en qui on voyait des choses étranges que le démon opérait, tant dans leurs corps que dans leurs esprits. Cela faisait compassion aux bonnes gens ; mais c'est ce qui toucha particulièrement cette vertueuse fille, qui par un excès de charité demanda à [408] Dieu de porter la peine de ces misérables pour obtenir leur délivrance. Sa prière fut exaucée. Ces filles se trouvèrent tout à coup libres des vexations des démons : mais au moment qu'ils les quittèrent, ils s'emparèrent du corps de celle qui avait prié pour elles, et ils la possédèrent le reste de sa vie, qui fut assez longue. Elle reçut ces méchants hôtes avec une tranquillité parfaite ; et ce qui est admirable, elle ne s'en lassa point. Car pendant tout le long espace de temps qu'ils la possédèrent, elle ne pria jamais Dieu de l'en délivrer, mais de lui continuer sa grâce. Vous pouvez néanmoins vous imaginer les peines qu'elle souffrit de ces ennemis du genre humain, soit par leur sujétion continuelle, soit par les maux dont ils affligèrent son corps, soit par les ténèbres dont ils tâchaient d'offusquer sa raison. Mais parmi tous leurs efforts et leurs artifices, elle conserva inviolablement la paix de son cœur, une soumission parfaite aux ordres du Ciel, et même une union perpétuelle avec Dieu ; et par là elle triompha de l'Enfer et de toutes ses machines. Tant de grâces la rendirent si recommandables à ceux qui en connaissait le fonds, que plusieurs grands serviteurs de Dieu désirèrent la voir et lui parler ; et il n'y en eut point parmi eux qui n'en fut grandement édifié et consolé. Monsieur de Renti, cet homme si illustre en piété, fit un voyage de Paris en Normandie pour ce sujet. Et depuis ce temps-là, il eut une grande liaison de charité avec elle, comme elle en avait encore avec plusieurs autres, (à la marge il y a, Boudon archidiacre d'Évreux, qui l'avait aussi visitée,) qui convinrent tous qu'il n'y avait rien que de bon en son affaire, rien qui ne fût de Dieu. Voyez ledit livre page 167.

321Bernières à Bertot, tome II de ses Œuvres spirituelles, Lettre 30 « A son ami intime, des opérations de Dieu en l’âme. / Monsieur, Dieu seul, et rien plus… » : il n’est pas fait allusion à Marie de Vallées mais le contenu est proche de celui des Conseils.

322Extraits des deux lettres à Bertot :

Lettre 2.40, §2 : « Soyez cruelle à vous-même, et j’espère de la bonté divine que jamais nous ne nous verrons sans un renouvellement spécial tant en vous qu’en N. car ne terminant point ce torrent impétueux des grâces divines que je vois venir sur vous autres, elles porteront grand effet pourvu que vos coeurs soit des vallées. Et remarquez bien une belle parole que m’a dite autrefois une âme [sœur Marie des Vallées] très unie à Sa divine Majesté, savoir que les montagnes recevaient bien les pluies, mais que les seules vallées les gardent, fructifient et en deviennent fertiles. Heureuses et mille fois heureuses les âmes quand elles ont rencontré le trésor infini de la vérité, car elles sont en voie pour trouver les trésors des grâces infinies de Sa divine Majesté. Aimez donc en cette manière et ne cessez point d’aimer car jamais Dieu ne cessera de correspondre. Servez-vous de ce que votre chère âme expérimente pour voir la vérité de ce que je vous dis. »

Lettre 2.64, §6 : « Quand une fois l’âme a trouvé le sentier de la divine Justice, elle ne marche plus, mais elle vole. Et sur ce sujet il faut que je vous dise ce que Dieu fit connaître à une personne qui est morte à présent, qui était un miracle de grâce, et qui avait pour partage la divine Justice dans un très grand degré de pureté dont les effets ont été surprenants en elle. Elle me disait que la Miséricorde allait fort lentement à Dieu, parce qu’elle était chargée de dons et de présents, de faveurs et de grâces de Dieu, qu’ainsi son marcher était grave et lent, mais que l’amour divin qui était conduit par la divine Justice, allant sans être chargé de tout cela, marche d’un point si vite que c’est plutôt voler. »

323



324Il faut être toujours en garde contre… (Trévoux, qui donne comme exemple : « Il faut se donner de garde des surprises des chicaneurs »).

325Crochets de l’édition Poiret.

326Note dans l’édition Poiret : Je dors et mon cœur veille, Cant. 5, 2.

327M. de Noailles ?

328Accord pluriel avec « mon état précédent … et les autres choses qui accompagnent tels états ».

329Communication mystique.

330M. de Bernières et Madame de Noailles.

331Voir ses œuvres éditées sous le titre L’entrée à la Divine Sagesse…, Bibliothèque mystique du Carmel, Soignies, 1921 ; DS, art. « Maur de l’Enfant-Jésus » par Blommestijn, le spécialiste de Jean de saint-Samson ; M. de Certeau, « Le Père Maur de l’Enfant-Jésus… », Revue d’Ascétique et de Mystique, no. 139, 1959, p. 266-303.

332DS, art. « Maur de l’Enfant-Jésus », 10.829.

333DS, 10.830.

33420e lettre de Maur.

3352e lettre de Maur.

33612e lettre de Maur.

3372e lettre de Maur.

33819e lettre de Maur.

3391re lettre de Maur.

34020e lettre de Maur.

3411ere lettre de Maur.

34213e lettre de Maur.

34320e lettre de Maur.

3441erelettre de Maur.

3454e lettre de Maur.

3463e lettre de Maur.

34711e lettre de Maur.

34821e et dernière lettre de Maur.

349Nous faisons précéder le texte des lettres d’une à deux lignes en italiques relevant ses traits les plus caractéristiques, en vue de faciliter la recherche.

350Le directeur Mystique [sic] ou les Oeuvres spirituelles de M. Bertot…, 1726, analysé précédemment dans les sources de la correspondance.

351Jean de Bernières, mort en 1659, fit l’objet d’une condamnation post-mortem en 1689.

352Ces lettres constitueront le début du volume III Mystique.

353Nous indiquons entre crochets la pagination de ce vol. I du DM.

354Condamnation de « quiétistes » français, dont, parmi d’autres, Bernières post-mortem en 1687, puis Fénelon par le Bref Cum Alias de 1699 qui met le point d’orgue à la mise au pas des mystiques en milieu catholique.

355Souriau, Deux mystiques normands au XVIIe siècle, M. de Renty et Jean de Bernières, Paris, 1913 ; Bremond, Histoire du sentiment religieux, tome VI, « Autour de Jean de Bernières » ; P. Pourrat, Dictionnaire de Spiritualité (Dict. Spir.), tome I, col. 1537-1538, art. « Bertot » (1937) et du même auteur, La Spiritualité Chrétienne, IV Les temps modernes, Lecoffre, Paris, p. 183 (1940, pub. 1947) ; R. Heurtevent, L’œuvre spirituelle de Jean de Bernières, Beauchesne, Paris, 1938, p. 63 ; I. Noye, article « Enfance de Jésus », Dict. Spir., vol. 4, col. 676 (1959) ; J. Le Brun, article « France », Dict. Spir., vol. 5, col. 948 (1962) ; il faut y adjoindre les notes rassemblées par le P. Berthelot du Chesnay qui préparait une grande étude sur Bernières (Fonds du Chesnay, Archives Eudistes).

356D. Tronc, « Une filiation mystique : Chrysostome de saint-Lô, Jean de Bernières, Jacques Bertot, Jeanne-Marie Guyon », XVIIe siècle, n° 1-2003, 95116.

357Bernières, Œuvres Spirituelles II, 282 (lettre du 15 février 1647 probablement adressée à Mectilde de Bar, la mère du saint-Sacrement). Voir aussi Œuvres Spirituelles II, 121 : lettre du 25 août 1653 : « Vous savez […]que le Père Chrysostome avait réglé ma conduite, et que la vie pauvre et contemplative devait être mon occupation. » Il existe deux belles correspondances : brève entre Catherine de Bar et Chrysostome, abondante entre Catherine et Bernières (transcriptions au monastère de Rouen à partir des mss. 101, 115, Dumfries 13, Paris 160).

358 Souriau, Deux mystiques normands au XVIIe siècle, M. de Renty et Jean de Bernières, Paris, 1913, p. 92 ; Boudon, Œuvres I, Migne, p. 77.

359Voir Gaston de Renty, Correspondance, éd. par R. Triboulet, Desclée de Brouwer, 1978.

360Souriau, Deux mystiques…, p. 112 ; Boudon, Œuvres II, Migne, p. 1311.

361Bernières, Chrétien Intérieur, p. 565.

362. Bernières, Œuvres Spirituelles, II, p. 122.

363. Bernières, Œuvres Spirituelles, II, p. 364.

364. Lettre au duc de Chevreuse du 10 janvier 1693 : « La mère du saintSacrement est celle dont je vous ai parlé, qui est l’Ins[ti]tutrice de cet ordre, fut de mes amies et [est] une s[ain]te. » – Fénelon écrira à l’occasion de sa mort : « Conservez la simplicité […] que notre chère mère vous a enseignée. »

365. Daoust, Catherine de Bar…, Paris, Téqui, 1979 – de Catherine de Bar : Documents historiques, par les bénédictines du saint-Sacrement, Rouen, 1973 ; […] ; Catherine de Bar 1614-1698, Téqui, 1998 (voir la revue bibliographique par Dom J. Letellier, p. 11-96).

366Conférence de L. Cognet, pp. 26-27, dans Catherine de Bar : Documents historiques, op. cit.

367. Cf. Annexe III, Notes à Monsieur Bertot, Directeur Mystique, Identité, baptême, décès.

368. Le directeur Mistique [sic] ou les Œuvres spirituelles de M. Bertot, ami intime de feu Mr de Bernières & directeur de Mad. Guion…, 4 vol., 1726, que nous citerons dorénavant sous l’abréviation Directeur Mystique ou DM. Ici : vol. I, « Avertissement » – Les points de suspension représentent des coupures permettant de ne conserver que les rares passages apportant une précision biographique ; ils sont distribués sur quatre pages, [4] à [7].

369. En fait natif de Caen selon la lettre de M. du Houël que nous allons bientôt citer. Il a pu se glisser une confusion avec le lieu de naissance de Marie des Vallées, qui appartient au même « réseau spirituel » et est présentée par une Relation dans le même DM. Par ailleurs un Bertout (Claude) fut chanoine de la cathédrale de Coutances.

370. Cf. Annexe III, Notes à Monsieur Bertot, Directeur Mystique, Sources utiles à l’approche biographique.

371. Cf. Annexe III, Notes à Monsieur Bertot, Directeur Mystique, Identité, baptême, décès.

372. Lettre de M. du Houël à P.-D. Huet, BN, F. Fr. 11 911, f. 34-35 : « A Caen ce 17e d’avril 1699 / MonSeigneur, / Puisque vous voulez bien savoir la naissance et la famille de feu Mr Bertot, prêtre abbé de St Gildast de Ruye en Bretagne, il s’appelait… » (suite citée dans le texte principal). Huet la reprend dans Les origines de la ville de Caen, 2e éd., Rouen, 1706, pp. 398-399. Archives Eudistes, dossier ‘Bernières’.

373. C’est l’unique exemple de pièces provenant d’une personne étrangère au couvent ; les autres liasses qui vont jusqu’en 1780 sont relatives à des tractations concernant le seul couvent et ses dépendances (Archives Départementales, Caen : « 19. Ursulines fondées par Bernières : 2H249, 2H250/1, 2H250/2, 4 vol imprimés non cotés. » La liasse appartient à la boite 2H249).

374. Jean de Bernières, Œuvres spirituelles, II, « Voie purgative » : lettre 57, « Voie illuminative » : lettres 25, 30 à 32, et « Voie unitive » : lettres 43 à 48, 50, 51, 59, 61. Les lettres de Bernières furent publiées en suivant l’ordre, devenu classique depuis Hugues de Balma, des « trois voies » purgative, illuminative, unitive, en reprenant chaque fois leur numérotation, ce qui souligne l’importance accordée à un cheminement mystique progressif, comme chez Bertot.

375Nous pensons pouvoir identifier le destinataire non cité avec Bertot, grâce à quelques indices tels que : « Je connais aussi que vous êtes encore utile et nécessaire aux B[énédictines] et à M[ontmartre] (lettre 43). Les indices sont ténus par suite du nettoyage éditorial auquel n’échappent que des éléments fondus dans le texte tels que la prêtrise de Bertot, son éloignement à Paris, l’envoi d’un écrit.

376Œuvres spirituelles, II, « Voie illuminative », lettre 30 (1652).

377Œuvres spirituelles, II, « Voie unitive », lettre 61.

378. « Annales de ce monastère de Ste Ursule de Caen établi en 1624 le 26 février et on vint en cette maison le 13 juillet 1636 / Sous le gouvernement de la Rnde mère Jourdaine de Bernières de Louvigny dite de Ste Ursule première supérieure de cette maison, en charge pour lors / tout ceci recueilli par la mère Madeleine de Ste Ursule de Bernières Louvigny sa nièce. En l’année 1714 qu’elle était zélatrice et secrétaire du chapitre. » Le ms. porte quelques traces de brûlures : il fut sauvé en 1944 d’un bombardement où deux des trois sœurs de ce couvent des ursulines trouvèrent la mort. Paginé de 1 à 598, il retrace jusqu’en 1738 les événements marquants de la communauté ; il en existe aussi une copie tardive, assez peu fidèle. La mère supérieure de la communauté nous a permis de consulter et de photographier ce témoignage rare. Très objectif, comme le fit remarquer en 1913 Souriau, qui ne disposa cependant que de sa copie, ce récit mériterait d’être publié.

379. Annales…, p. 126.

380. Annales…, p. 156.

381. Voir par ex. : Cognet, L., La Réforme de Port-Royal, Flammarion, 1950.

382. Annales…, p. 209 ss. La dernière phrase ne lève pas toute responsabilité de la part de Jourdaine.

383. Heurtevent, L’œuvre spirituelle de Jean de Bernières, Beauchesne, 1938,

p. 63 & 83.

384. Annales, op. cit, p. 261.

385. L’Addition de la fin du vol. II du Directeur Mistique rapportant les Conseils d’une grande servante de Dieu… Marie des Valées, renvoit aux deux lettres que nous citons : 40 et 64 du DM, vol. II. ; on connaît par ailleurs les liens étroits entre Marie des Vallées, Jean Eudes, Bernières, Renty. – Par contre, si l’on relève dans Dermenghem, Marie des Vallées, p. 55 : « Bazire… délégua pour l’étudier le prêtre Ameline, assisté du chanoine Bertout et accessoirement du capucin L.F. d’Argentan… ils (l’) accablèrent de questions insidieuses… », il s’avère que le chanoine n’est pas Jacques Bertot, mais Claude Bertout, bienfaiteur des missions évoqué en note précédemment, v. Annexe III.

386. DM, vol. II, lettre 40, p. 234.

387. DM, vol. II, lettre 64, p. 349 ; voir Madame Guyon, Torrents, Chapitre 3, §1 : « …ces grandes rivières qui vont à pas lents et graves… » contrastent avec le torrent impropre aux charges ; mais c’est le torrent qui conduit le plus vite à terme.

388A. Launay, Lettres de Mgr Pallu, [Paris, 1904], t. I, p. 58 (nous modernisons l’orthographe). Mgr Pallu s’était embarqué longtemps auparavant avec le neveu du Père de Mme Guyon, Philippe de Chamesson-Foissy, dont la rencontre en 1661 avec cette dernière, encore toute jeune, fut importante (v. Vie par elle-même…, 1.4.6). C’est une autre rencontre de membres du milieu spirituel dans lequel Bertot était actif ; elle contribua à orienter Mme Guyon.

389« Il s’agit de MM. Desportes et Cornet ; de [Joseph ?] de Beaufort, des Incurables, de M. Bertrand, qui est à Montmartre [erreur de lecture pour Bertaud = Bertot], du R.P. Cotereau, capucin. » (Id. Lettres, t. I, p. 144-146 et 157-158). On note que le P. G. Alleaume (1641-1706), qui fut un jésuite proche de Madame Guyon, traduisit l’ouvrage Souffrances de Notre Seigneur Jésus-Christ… du P. Thomas de Jésus (de Andrade), portugais de l’ordre des Ermites de saint-Augustin. Suspect de quiétisme, il fut exilé de Paris en 1698 (voir Urbain Levesque, Corr. de Bossuet vol. VIII, p. 469, & Bibliothèque de la Compagnie de Jésus, A. Sommervogel, réimpr. 1960, p. 179). S’agirait-il d’une édition de cette traduction après la mort de Pallu en 1684?

390DM, vol. III, lettres 69 et 70, éditées dans ce volume : lettres 3.68B (« lettre à l’auteur » non numérotée dans l’original), 3.69, 3.69B, 3.70.

391Fonds du Chesnay, dossier R5-8 relevant des archives du monastère de Dumfries, Ecosse, pièce D 13 (une reproduction complète de ces archives existe au couvent des bénédictines de Rouen). On ne possède malheureusement pas les réponses de Jean à Catherine.



392. Lettre écrite par Catherine de Bar, de la rue Cassette, le 27 juin 1659.

393. Catherine de Bar, Lettres inédites, op. cit., p. 183-184.

394. Id., p. 190. 42. Id., p. 192.

395. Id., p. 206.

396. Voici ces passages : « …M. Bertaut [ailleurs Bertout] dit hier la messe céans, mais comme nous chantâmes aussitôt après la grand messe, je ne le pus voir ; il me fit dire qu’il reviendrait. » (monastère de Tourcoing, Recueil des lettres de la R.M.M., t IV, Bernières, p. 497). -

« …Je vous reproche votre infidélité de n’être point venu à Paris avec M. Bertout [Bertot]… » (même source, 21 août 1654, p. 499).

« J’ai eu deux fois la joie de voir les deux amies de Timothée ; mais la Providence ne m’a pas rendue si heureuse pour M. Bertot, car je n’ai eu le bonheur que de le voir un moment hier avec le Père Bertelot… »

Le manuscrit Tournefort (du nom de la rue à Paris où existait jusqu’à une date récente un couvent de l’ordre), p. 637, « Vienville, Vie » : il expose les « …motifs qui lui avait fait désirer la venue à Paris de Mr de Bernières, qui y arriva après Pâques de cette même année 1655 avec M. Bertaut très digne ecclésiastique qui fit alors une connaissance particulière avec notre vénérable institutrice [la mère Mectilde]. »

397Le Denys des mystiques que la légende fait venir à Paris – l’auteur ancien le plus souvent cité par Madame Guyon dans ses Justifications.

398L’église saint Pierre de Montmartre, entre la place du Tertre et la Basilique du Sacré-Cœur ; l’abbaye a disparu

399Dictionnaire géographique, historique et politique des Gaules et de la France, par M. l’Abbé Expilly, Paris, 1762.

400Dictionnaire…, op. cit. Expilly est contemporain de Buffon : un siècle nous sépare de Bertot ! Mais nous pouvons recourir à cette description car les grands bouleversements n’eurent lieu que plus tard, à la Révolution où le monastère disparaît à l’exception de l’église saint-Pierre où se trouverait la tombe de Bertot (à droite en entrant, près d’une colonne ancienne), puis par suite de l’urbanisation propre aux siècles suivants. Le lieu demeurera cependant relativement isolé, avec ses moulins, dont celui de la « fine blute », jusqu’à l’époque des peintres impressionnistes.

401E. de Barthélemy, Recueil des Chartes de l’abbaye royale de Montmartre, Champion, 1883. Cette description de la tumultueuse réforme est donnée dans l’Introduction.

402. « Madame de Beauvilliers mourut dans son abbaye le 21 avril 1657, à 83 ans, après 60 années d’abbatiat », E. de Barthélemy, Introduction au Recueil…, p. 19. Voir sur elle : mère de Blémur, Eloges de plusieurs personnes illustres en piété de l’ordre de St Benoît, 1679, 143-184.

403. Exercice divin, ou pratique de la conformité de notre volonté à celle de Dieu, par R[évérende] M[ère] M[arie] D[e] B[eauvilliers]. À Paris, chez Fiacre Dehors, 1631, chapitre X p. 65. L’exemplaire unique de ce texte qui contient un résumé spirituel dans la droite tradition de Canfield est conservé à l’abbaye de Maredsous (copie disponible aux Archives saint-Sulpice) ; J. Orcibal, Benoît de Canfield, La règle de perfection, PUF, 1982, souligne, p. 16, la reprise par Marie de Beauvilliers de l’Abrégé de la Règle.

404. Françoise-Renée de Lorraine, abbesse de Montmartre née le 10 janvier 1629, morte le 4 décembre 1682 ; fille de Charles de Lorraine, duc de Guise, de Joyeuse, pair de France… – Bertot était en relation avec deux membres de la famille de Guise : l’abbesse et l’altesse : voir Milcent, P., saint Jean Eudes, Un artisan du renouveau chrétien au XVIIe siècle, Cerf, 1992, p. 552, tableau généalogique.

405. E. de Barthélemy, Introduction au Recueil…, p. 22.

406. Mademoiselle de Guise : S.A.R. Elisabeth d’Orléans (née à Paris en 1646, morte à Versailles en 1696) mariée en 1667 avec Louis-Joseph de Lorraine.

407. Lettre de M. du Houël à P.-D. Huet, op.cit., reprise par ce dernier : « Il fut confesseur et Directeur des Ursulines, qui l’ayant envoyé à Paris pour leurs affaires, il y fut arrêté par Madame l’Abbesse de Montmartre et par Mademoiselle de Guise, touchées de son élévation dans les voyes de Dieu… »

408. Ch. Berthelot du Chesnay, Les missions de saint Jean Eudes, contribution à l’histoire des missions de France au XVIIe siècle, 1967, Procure des Eudistes, préface page XII ; P. Milcent, saint Jean Eudes, op.cit., p. 490. Le pamphlet date de décembre 1674.

409. Directeur mistique, vol II, p. 374, lettre non datée. Sur l’activité de Jean Eudes, autour du séminaire de Caen, etc., v. Milcent, P. saint Jean Eudes.

410. Suite de la Lettre de M. du Houël à P.-D. Huet, op.cit.

411. Cf. Annexe III, Notes à Monsieur Bertot, Directeur Mystique, Figures amies.

412. Comme Bertot l’indique au début de la Conclusion… On ne trouvera pas d’extraits de ces deux volumes dans notre anthologie.

413. « Le mot Retraite se retrouve dans le titre de divers ouvrages imprimés avant cette date, en particulier ceux de J.-P. Camus [1638], du P. Pennequin [1644], du P. Nouët [1674], de Godeau [1677], de la Retraite de Vennes [1681], de Marie de l’Incarnation [1682], du P. Piny [1684]. Un peu plus bas, Fénelon précise que cet ouvrage avait déjà nourri ceux dont Colbert « pouvait tirer plus de secours spirituels ». / On pourrait donc penser à la Retraite ecclésiastique de M. Tronson dont des copies manuscrites circulèrent bien avant sa publication [1823] ou aux Méditations pour la retraite de dix jours du P. Le Valois [ms. de l’Hôpital de Caen, cf. Hillenaar, p. 35]. Mais étant donné que Fénelon emploie constamment le mot au pluriel, nous penserions plutôt au « livre des Retraites que Jacques Bertot fit en 1662 pour l’abbesse de Montmartre » (Orcibal, note 1 à la lettre no. 78, p. 200, de l’édition de la Correspondance de Fénelon, tome III).

414Dict. Spir. vol. 1, col.1537-1538, article « Bertot » par Pourrat.

415Orcibal, note 1…, op. cit

416Addition 127 au Journal de Dangeau dans Boislisle, t. II, p. 413.

417saint-Simon, Mémoires…, Boislisle, t. XXI, p. 302. Note associée 2 de Boislisle : « … c’est lui [Bertau] qui fut donné par Mme Granger [Geneviève Granger] à Mme Guyon et fut son premier initiateur. saint-Simon parlera encore de lui, toujours à propos de Mme de Béthune, en 1716. »

418. Boislisle, t. XXX, p. 71.

419. Ce dont atteste « la donation faite par Monsieur l’Abbé Bertot dont 3000 L[ivres] t[ournois] étaient destinées pour amortir 150 Lt de rente aux petits pauvres renfermés et aux nouvelles Catholiques [notre soulignement], deubs [dûes] par cet hôpital, ce qui a été fait et la donation faite par Alexandre Girot, sieur de Bretheuil… » 11e paquet à 2 liasses, Cane, HotelDieu, ms., Invent… saint Louis p. 62-63 » Archives Eudistes, Fonds du

Chesnay, Bernières.

420. A.S.-S., pièce manuscrite 2072 du fonds Fénelon, intitulée : Mémoire sur le Quiétisme adressé à Madame de Maintenon. Auteur inconnu. Ce précieux mémoire informe sur toutes les relations de Madame Guyon, en l’an 1695, incluant les personnes du peuple. Il indique également la façon de s’y prendre, en commençant par les témoins défavorables, afin de pourvoir faire pression sur les autres… Il est édité dans : Madame Guyon, Correspondance II Combats, Champion-Slatkine, 2003, pièce 504.

421. Cf. Annexe III, Notes à Monsieur Bertot, Directeur Mystique, Identité, baptême, décès.

422. 11e paquet à 2 liasses, Cane, Hotel-Dieu, ms., Inventaire St Louis p. 62-63 ; également, dans Gall. Christ. XIV, 963, succédant à Michel Ferrand décédé 24 décembre 1676 : « Jacobus Bertot occubuit penultima die Aprilis 1681 » (Arch. Eudistes, Fonds du Chesnay, Bernières).

423. Vie, 1.30.13 (Vie par elle-même…, Champion, 2001, première partie, chapitre 30, § 13) ; ce départ la conduisit rapidement à Gex où elle arrive le 22 juillet 1681.

424. Fin de la lettre : « …Voilà ce que peut vous faire savoir de Mr l’abbé Bertot celui qui vous est avec un profond [respect] /MonSeigneur / Votre très humble et très obéissant serviteur /Du Houël Leroux. » Lettre de M. du Houël à P.-D. Huet, BN, F. Fr. 11 911, f. 34-35, transcrite par du Chesnay, dossier Bernières, Fonds du Chesnay. « … Bertot eut pour successeur HenriEmmanuel de Roquette, docteur en Sorbonne, voir J.-M. Le Mené, Histoire du diocèse de Vannes, Vannes, 1889, t. II, p. 125 et 128 », même source.

425. « Jacques Bertot, mort à Montmartre à soixante ans le 27 avril 1683 [en fait 1681], désigna de son côté le duc de Beauvilliers pour exécuteur testamentaire (cf. P. D. Huet, Les origines de la ville de Caen, 2e éd., Rouen, 1706, p. 399). (Orcibal, note 15 à la lettre no. 44, p. 155 de l’édition de la Correspondance de Fénelon, tome II).

426Madame Guyon, Correspondance II Années de combat, pièce 478, p. 742, « Du P. Paulin d’Aumale ».

427Tous les traits personnels sont éliminés de la correspondance de Madame Guyon établie par le même éditeur Poiret : leur rareté était donc prévisible pour Bertot.



428DM, vol III, lettre 28, p. 94.

429. Le Directeur Mistique [sic] ou extrait des œuvres spirituelles de Mons. Bertot, tiré des Quatre volumes de ces mêmes œuvres…, Berlebourg, 1742.

430. Jean-Philippe Dutoit-Membrini (1721-1793) devint à Lausanne un pasteur aimé par un public qui goûtait ses exhortations pleines de flamme, à l’opposé des discours académiques du temps : « Quand il arrivait au temple, les avenues étaient si remplies de monde qu’il disait plaisamment : « Si je ne trouve pas de place, il faudra que je m’en retourne ». À trente-neuf ans, des ennuis de santé le firent renoncer à prêcher. Il commença à correspondre avec beaucoup de frères spirituels, dont Fleischbein qui l’inspira ; il passa deux années à Genève et publia en 1767-1768 la Correspondance de Madame Guyon (augmentée de celle avec Fénelon). Des fidèles s’attachèrent à « la doctrine de l’intérieur ». Informés de l’existence à Lausanne d’un groupe suspect de piétisme, les autorités protestantes bernoises firent une saisie des quelques livres et écrits de Dutoit, dont la liste citée nous prouve la conscience qu’il avait de la filiation Bernière-Bertot-Guyon. Cette saisie se produisit le 6 janvier 1769. Il publia à ses frais les quarante volumes de la réédition des Œuvres de Madame Guyon entre 1789 et 1791.

431. Voir : Jean-Philippe Dutoit, par A. Favre, (thèse), Genève, 1911, p. 115. Le Chrétien intérieur désigne le très célèbre ouvrage de Bernières, objet de nombreuses éditions sous divers noms ; La Théologie du Cœur est un recueil édité par Poiret et contenant divers traités dont le Breve Compendio de Gagliardi inspiré par I. Bellinzaga. La liste des livres saisis se limite aux titres de notre citation : il s’agit bien de quelques livres de chevet.

432. Lettre 10 à Mr de Klinckowström, 1764, ms. TS 1019A, Bibl. Cantonale de Lausanne.

433. Histoire du sentiment religieux, Tome XI et index.

434. Dict. Spir. art. « Bertot » ; La Spiritualité Chrétienne, Lecoffre, 1947, tome IV, p. 183-195.

435. Voir le Dict. Spir., art. « Quiétisme. I. Italie et Espagne. – II. France », vol. 12, 1986, col. 2756-2842 ; en plus bref, v. les notices à Fénelon, Œuvres, I, bibl. de la Pléiade, Gallimard, 1983, p. 1530-1545.

436On trouve ce titre dans la correspondance de Huet à F. Martin : « Il y a eu un nommé M. Bertot, prestre, natif de Froide-Rue, parent de M. Le Myère [de Basly], qui a écrit de la Contemplation, et qui a esté abbé de saintGildas. », Rev. Cath. de Normandie, t. V, 15 sept. 1895, p. 107 citée par du Chesnay. Et surtout une allusion à un livre inconnu est faite page 170 de la Conclusion des Retraites : « Nous avons déjà parlé un peu de cela en un autre livre… » Il ne peut ici s’agir des deux livres de Retraites désavoués en préface. Mais il pourrait aussi bien s’agir du cinquième opuscule – en fait un petit traité – édité dans le premier volume du Directeur Mystique sous le titre « Degrés de l’oraison… », p. 50 à 117, que l’on trouvera reproduit ici presque intégralement. L’ensemble de l’œuvre publiée de Bertot serait alors couvert par les sept volumes répertoriés dans cette section 3.

437Cf. Annexe III, Le corpus. Diverses retraites… & Continuation…

438. Aussi, exceptionnellement, nous indiquons nos découvertes dans l’Annexe III, Écrits du P. Chrysostome. Le rôle de Chrysostome est en effet déterminant et justifiera une étude approfondie de son œuvre.

439. Cf. Annexe III, Le corpus. Conclusion des retraites

440Madame Guyon ne s’est guère impliquée dans d’autres travaux d’édition de spirituels, si l’on excepte quatre cas : les textes de mystiques reconnus rassemblés par nécessité dans les Justifications au cours du procès qui lui est fait ; sa volonté d’insérer des lettres de La Combe et d’une servante qui l’a accompagnée en prison à la fin de la Vie ; l’entretien avec Marie des Vallées et 21 lettres du P. Maur de l’Enfant Jésus, qui figurent dans le même Directeur mistique.

441Cf. ANNEXES, Annexes de l’édition 2005.

442Elles contrastent avec de nombreuses lettres anonymes réparties dans les volumes II à IV, constituant les questions de la jeune Madame Guyon suscitant des réponses de J. Bertot.

443Première page de l’Avertissement.

444Tels que : Degrés de l’oraison, comparés aux eaux qui arrosent un jardin, p. 50, Voie de la perfection sous l’emblème d’un nautonier, p. 117, L’Oiseau ou De l’oraison de Foi, sous la figure d’un petit Oiseau, p. 178. – « Mme Guyon […] imitera jusqu’au plagiat le style de l’abbé Bertot » avance Agnès de la Gorce, Le vrai visage de Fénelon, 1958, p. 93. – Nous pensons cependant que ces opuscules sont issus de la propre main de Bertot. Il n’en demeure pas moins que l’édition du Directeur mystique est postérieure de neuf ans à la mort de Madame Guyon et de sept ans à celle de Pierre Poiret : les disciples pouvaient être moins assurés dans leurs attributions à Bertot ou à Guyon.

44593. Le contenu du Directeur mistique, qui par son abondance représente la plus grande partie des œuvres que l’on peut attribuer à Bertot, est détaillé en fin de volume dans l’Annexe III : Le Corpus. Le Directeur mystique… Cette annexe porte sur les deux seules éditions (complète en quatre volumes par Poiret, puis sous forme d’un choix en un volume à Berlebourg) et donne leur contenu détaillé. Pour accéder aux très rares exemplaires connus de l’édition complète, on se reportera à : M. Chevallier : Pierre Poiret, Bibliotheca Dissidentium, tome V, Koerner, Baden-Baden, 1985. À Paris, le DM n’est disponible dans son intégralité qu’aux Archives saint-Sulpice et qu’à la B.N.F. – Nous proposerons prochainement la reproduction sur CDrom de l’exemplaire des A.S.-S.

446. Ainsi la lettre 121 au baron de Metternich est suivie de la longue lettre de Bertot publiée (avec quelques variations) dans le Directeur Mystique, vol. III p. 438, Lettre 67. Elle est intitulée dans la Correspondance de Madame Guyon : « Lettre d’un grand Serviteur de Dieu, dont il a été fait mention dans la précédente, sur la même matière, et de l’état où l’on trouve que Dieu est toutes choses en tout. » On trouve en sa fin : « Allez, allez, à la bonne heure ; et soyez forte et constante… ». (Madame Guyon, Correspondance I Directions spirituelles, Champion-Slatkine, 2003, lettre 22, p. 75-88.)

447. Incipit : Il est de la dernière conséquence… Copie Isaac du Puy (Dupuy). Archives saint Sulpice, ms. 2174, pièce 7248 ; Madame Guyon, Correspondance I Directions spirituelles, op.cit., pièce 33, p. 115-117.

448. DM, vol II, lettre 11, p. 44

449. DM, vol II, Lettre 16 p. 74 ; Canfeld avait joué un rôle important dans la réforme de à Montmartre.

450. Bernières, Œuvres Spirituelles I, Paris, 1677.

451. mère de Blémur, Eloges de plusieurs personnes illustres en piété de l’ordre de St Benoît, 1679, tome second, p. 417-455. L’éditrice, J. Bouette de Blémur, fut bénédictine à la Trinité de Caen de 1630 à 1678, donc informée sur Bernières et son groupe.

4520. 1.19.1 (prenant le ms. d’Oxford pour leçon ; 1.19.2 chez Poiret)

453. Ce qui est reconnu par Orcibal, v. Le Cardinal Le Camus in Études d’Histoire et de Littérature Religieuses, Klincksieck, 1997, page 800.

454. Lettres Chrétiennes et spirituelles de Madame Guyon, éd. Dutoit, tome IV, lettre 121, p. 274-296, avec l’annotation reproduite dans le texte principal. La même lettre, qui constitue un véritable petit traité, est éditée dans le vol. III du DM, sous le no 67. (v. Correspondance I Directions spirituelles, 2003, lettres 22 & 425) – Autres témoignages relevés chez Madame Guyon : « La conformité de ces avis à ceux de M. Bertot devrait vous assurer. » (11e des 21 lettres de Mme Guyon éditées dans le DM ; Correspondance III Chemins mystiques, 2005, …, lettre 11, p. 36) ; « Deux choses arrêtent ici cette personne : l’une, la bonté de la voie qu’il a tenue, qui l’a possédé et qui lui a fait faire toutes choses ; l’autre, certaines maximes de Monsieur B[ertot], qui étaient pour lors de saison, et que Mr. B[ertot] changerait assurément lui-même s’il était vivant. (Dutoit, vol. I, lettre 192 ; Correspondance III…, lettre 454, p. 559). – Dans une lettre adressée à Homfeld, compagnon du pasteur Poiret, Mme Guyon explique les coutumes catholiques : « Les lettres que vous avez vues de M. Bertot ne doivent point vous étonner. Il y en a beaucoup pour des religieuses… » (Correspondance I Directions spirituelles, lettre 391) .

455. Pour les relations entre eux : Vie, 1.8.3, 1.24.3, 1.20.7.

456. Tout s’évapore parce qu’un flux intérieur suffit.

457. Vie, 1.19.2.

4586. 1.24.3.

459. Vie, 1.23.10-11.

460. Vie, 1.21.9.

461. Vie, 1.28.4.

462. Vie, 1.21.12.

463. DM, vol. I.

464. Vie, 1.19.13.

4653. 1.20.7.

466. Vie, 1.24. 2.

467. Vie, 1.29.6.

468. DM, vol. II, lettre 31, p. 170 ; Correspondance I Directions spirituelles, lettre n° 29.

469. DM, vol. II, lettre 6, p. 29 ; dans ce vol. : « Correspondance avec Madame Guyon, 2.06 Chemin pour trouver Dieu. » ; Correspondance I Directions spirituelles, Champion-Slatkine, 2003, lettre no 23.

470. Dans ce vol. : « Correspondance sans destinataire identifié, 2.31 Aller à Dieu par ce qu’on a. »

471. DM, vol. IV, lettre 75 ; Correspondance I Directions spirituelles, lettre n° 55.

472. Dans ce vol. : « Correspondance avec Madame Guyon, 2.06 Chemin pour trouver Dieu. »

473. Dans ce vol. : « Correspondance avec Madame Guyon, 4.71 Silence devant Dieu. »

474« Correspondance avec Madame Guyon, 4.75 Perte de tout en Dieu. ».

475

« Correspondance avec Madame Guyon, 3.32 Se voir en Dieu. »



476. Dans ce vol. : « 4.72 Béatitude en cette vie. »

477. Dans ce vol. : « Correspondance avec Madame Guyon, 4.75 Perte de tout en Dieu. »

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